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© HACHETTE LIVRE, 2019, 58 rue Jean Bleuzen, 92178 Vanves Cedex
ISBN: 978-2-01-621298-1
T
oute société doit organiser un système de réaction face à la criminalité. Le droit pénal, ou droit criminel, participe à cette réaction en sanctionnant les comportements qui portent atteinte aux valeurs sociales qu’il protège. L’objet de ce livre est l’étude du droit pénal général, qui constitue l’une des branches du droit criminel. Par conséquent, il convient de définir précisément cette discipline avant d’envisager l’autonomie et l’évolution du droit pénal.
Le droit pénal général doit être doublement appréhendé : d’un point de vue statique, quant à son contenu, mais aussi d’un point de vue dynamique, dans ses rapports avec les autres disciplines criminelles.
Le droit pénal général est la branche du droit criminel qui a pour objet l’étude de la responsabilité pénale, celle-ci étant définie comme l’obligation d’une personne de répondre pénalement de ses actes. Il étudie l’ensemble des règles générales relatives à l’infraction et à la sanction pénales.
L’infraction est un fait sanctionné par la loi pénale, un comportement qui méconnaît la norme pénale. L’infraction est souvent présentée comme composée de trois, voire quatre éléments : légal, matériel, moral, voire injuste.
▶ L’élément légal ne peut cependant pas être considéré comme une composante de l’infraction. L’élément légal est l’expression du principe de la légalité selon lequel aucune infraction ne saurait exister sans texte (v. chapitre 1). Il est l’incrimination retenue par le législateur qui entend protéger une valeur sociale estimée digne d’intérêt. Or la norme juridique, loin de participer à l’infraction, lui est extérieure. Elle ne peut pas être incorporée à un fait, au surplus illicite (l’infraction), pour en faire l’une de ses données. Par conséquent, la loi pénale n’est pas un élément proprement dit de l’infraction : c’est elle qui donne à l’infraction ses éléments. Elle est le soutien normatif de l’infraction, une condition préalable à l’existence juridique de celle-ci. Quant à l’élément injuste, son existence est tout autant controversée (v. chapitre 6, I, B).
L’un est l’élément matériel, qui est l’aspect objectif de l’acte criminel. Toute infraction a nécessairement en soi un élément physique. Seule la morale ou la religion reconnaissent une responsabilité subjective pure, c’est-à-dire détachée de toute matérialité.
L’autre est l’élément moral ou psychologique, qui donne à l’infraction une dimension humaine. Il est le reflet de l’aspect subjectif de la criminalité.
Cet élément se dédouble classiquement : il est fait d’imputabilité (encore que celle-ci puisse être envisagée comme étant extérieure à l’élément moral lui-même, v. chapitre 5) et de culpabilité, l’infraction étant une action humaine imputable et coupable. Imputabilité et culpabilité vont permettre d’opérer une sélection entre les différents auteurs d’un fait matériel infractionnel. Enfin, l’étude de l’infraction comprend aussi l’examen des incidences de la pluralité de participants à l’infraction (coauteurs, complices) sur la responsabilité pénale de l’agent.
La définition juridique de l’infraction a le mérite de la précision. Les autres définitions, morale et sociologique, ont montré leur échec en raison de leur imprécision même.
▶ Pour la morale, l’infraction est le fait moralement répréhensible. Mais si la morale joue nécessairement un rôle dans la détermination des règles sociales, elle se démarque du droit pénal.
Le domaine de celui-ci est parfois plus restreint que celui de la morale, celle-ci fixant les devoirs de l’individu envers lui-même (morale individuelle), alors que le droit pénal ne conçoit pas de délits d’intention ou d’opinion pure (par exemple, le mensonge n’est pas sanctionné pénalement dans tous les cas). Même lorsque la morale sanctionne les fautes commises à l’égard de la société (morale sociale), elle recherche l’amélioration de l’individu alors que le droit pénal ne se préoccupe que du respect de l’ordre social.
Inversement, le domaine du droit pénal est parfois plus étendu que celui de la morale, lorsque ce droit sanctionne des agissements dangereux pour l’ordre public, alors que ceux-ci laissent la morale indifférente (sanction des règles de pure discipline sociale, comme en matière de circulation routière).
▶ La sociologie considère, par exemple, qu’un acte est criminel lorsqu’il offense les états forts et définis de la conscience collective. Le crime est une notion relative et sociale. La notion varie en effet selon les époques et les lieux, la conception de l’interdit étant différente dans le temps et dans l’espace.
L’étude des règles de la responsabilité pénale inclut l’analyse de la sanction pénale : les différentes sanctions pénales, la détermination et l’extinction de la sanction. La sanction pénale est indissociable de l’infraction : sans peine, il n’y aurait pas d’infraction pénale. Comme l’a écrit Paul Fauconnet (in La responsabilité, Étude de sociologie, éditions Alcan, Paris, 1928, p. 16) : « L’institution de la responsabilité pénale règle le fonctionnement de l’institution de la peine. La première s’appuie sur la seconde et perdrait toute raison d’être, si elle en devenait indépendante. Une règle de responsabilité ne prescrit pas absolument ce qu’il faut faire, mais ce qu’il faut faire quand on doit appliquer une sanction. »
▶ Le droit pénal général a des rapports étroits avec le droit pénal spécial, qui constitue une application concrète du premier.
Le droit pénal spécial est un catalogue des diverses incriminations qui protègent la personne, les biens, la nation, l’État ou la paix publique. Il étudie chaque infraction dans ses divers éléments. Il définit très précisément l’élément matériel et l’élément moral de chaque fait infractionnel (par exemple, pour le vol, l’élément matériel est la soustraction de la chose d’autrui, l’élément moral consiste dans l’aspect frauduleux de cette soustraction) et énumère les peines attachées à l’infraction envisagée (par exemple, pour le vol simple, trois ans d’emprisonnement et 45 000 e d’amende, art. 311-3).
Le droit pénal spécial s’est lui-même subdivisé en plusieurs branches spécialisées (par exemple, le droit pénal des affaires, le droit pénal du travail), au risque de porter atteinte à la cohérence de l’ensemble du droit pénal.
▶ La science pénitentiaire, ou pénologie, étudie les conséquences de la responsabilité pénale, c’est-à-dire l’exécution des sanctions prononcées.
▶ La procédure pénale (encore appelée droit pénal de forme, par opposition au droit pénal de fond constitué du droit pénal général et du droit pénal spécial) fixe les règles applicables lorsque la responsabilité peut être recherchée à propos d’une hypothèse prévue par le droit pénal général et le droit pénal spécial : normes relatives à la poursuite, à l’organisation et à la compétence des juridictions répressives ainsi qu’au déroulement du procès pénal.
▶ Le droit pénal international règle les conflits de lois et de juridictions entre États, les effets internationaux des jugements répressifs et la coopération policière (Interpol, Europol) et judiciaire entre États (par exemple, l’extradition).
▶ Le droit international pénal envisage la répression par les juridictions pénales internationales (par exemple, le Tribunal pénal international de La Haye pour la répression des crimes commis en ex-Yougoslavie ; la Cour pénale internationale, permanente mais à compétence subsidiaire) de certains crimes (génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre).
Le droit pénal général a aussi des rapports avec la criminologie, qui étudie, par le recours aux sciences médicales (physiologie, biologie, psychologie), les facteurs individuels de criminalité, le crime étant un fait humain, et, par le recours aux sciences sociales (sociologie criminelle), les facteurs sociaux de criminalité (environnement géographique, familial, professionnel, social), le crime étant aussi un fait social (voir infra, III, A).
Une meilleure connaissance du crime et du criminel permet au législateur d’adapter les règles de répression ; cette adaptation, outre la mise en œuvre de moyens préventifs, faisant partie de la politique criminelle.
La criminologie ne doit pas être confondue avec la criminalistique, qui est l’étude de l’ensemble des procédés scientifiques de recherche des infractions et des délinquants (médecine légale, toxicologie, anthropométrie, police technique et scientifique qui a recours aux empreintes digitales et génétiques).
L’autonomie du droit pénal est une question controversée. Mais plusieurs manifestations de cette autonomie peuvent être constatées.
Le droit pénal est-il un droit normatif, c’est-à-dire qui pose lui-même les normes de conduite qu’il fait respecter par la sanction pénale, ou un droit sanctionnateur, c’est-à-dire qui sanctionne les règles définies par les autres branches du droit ?
C’est à propos du classement du droit pénal dans le droit public ou dans le droit privé que la question de l’autonomie est classiquement abordée. Les intérêts protégés par les deux droits ne sont pas les mêmes, le droit public mettant l’accent sur l’intérêt général, le droit privé sur l’intérêt particulier.
▶ En faveur du classement du droit pénal dans le droit public, on invoque que le droit pénal traite des rapports entre l’individu et l’État et que ce sont des organes de l’État qui interviennent dans la poursuite des infractions.
▶ En faveur du classement du droit pénal dans le droit privé, on invoque que le droit pénal protège la vie, la liberté, l’honneur et le patrimoine des individus, et que les techniques sont fondamentalement de droit privé. En outre, afin de garantir les individus contre l’arbitraire de l’État, ce sont des magistrats judiciaires qui prononcent la sanction. Enfin, la victime dispose d’un rôle non négligeable dans le procès pénal (l’action civile).
La doctrine dominante place le droit pénal au sein d’un troisième groupe, celui des droits sanctionnateurs des autres branches du droit. Selon elle, le droit pénal assure le respect des normes édictées par les disciplines que sont le droit civil, le droit commercial ou le droit administratif, par exemple, ainsi renforcées par la « force de frappe » que constitue le droit pénal. Le droit pénal serait le gendarme du droit (v. Portalis, qui considérait, dans une formule de Rousseau, que « les lois pénales sont moins une espèce particulière de lois que la sanction de toutes les autres »).
Mais classer le droit pénal dans ce troisième groupe entraîne comme conséquence un droit pénal dépendant des notions fondamentales exprimées par d’autres disciplines (droit pénal subsidiaire ou auxiliaire). Par conséquent, aucune autonomie ne peut lui être reconnue. Cependant, les mêmes auteurs qui prétendent que le droit pénal est un droit sanctionnateur considèrent que ce classement à part lui donne une autonomie.
En réalité, l’autonomie du droit pénal découle tout simplement du fait que le droit pénal est un droit normatif.
La conception d’un droit pénal sanctionnateur limite par trop le rôle de ce droit :
D’une part, l’existence de sanctions dans les autres branches du droit (par exemple, en droit civil, la nullité, la résolution, les dommages-intérêts) n’a jamais été un obstacle à la qualification de droit normatif de ces disciplines.
D’autre part, le droit pénal est bien normatif lorsqu’il assure le respect d’obligations ignorées des autres branches du droit comme l’omission de secours à personne en péril.
Mais il y a plus. D’une manière générale, quand le législateur estime qu’une valeur sociale mérite d’être l’objet d’une protection juridique particulière par la société, il édicte une norme de conduite pénalement sanctionnée (par exemple, la propriété individuelle est protégée contre la dépossession par l’incrimination du vol, l’honneur par l’incrimination de la diffamation). Seulement, l’obligation est exprimée de manière indirecte. Le texte incriminateur n’indique pas qu’il est défendu de tuer ou de voler mais il sanctionne l’homicide intentionnel ou le vol.
Le droit pénal, comme tout droit, est, par essence, normatif car créant ses propres normes de conduite applicables à tous. Rien d’étonnant alors que, pour des raisons répressives, il soit caractérisé par une certaine autonomie.
Le droit pénal, loin de toujours retenir les définitions exposées par les autres branches du droit, adopte parfois des concepts propres.
C’est ainsi que la notion de « fonctionnaire public », strictement entendue par le droit administratif, est très compréhensive en droit pénal : la chambre criminelle de la Cour de cassation considère, en effet, qu’un notaire ou un conseiller municipal sont des fonctionnaires publics.
De même, alors que pour le droit civil le domicile est le lieu du principal établissement (art. 102, Code civil), le droit pénal, plus proche du fait, considère qu’il est le lieu où la personne a le droit de se dire chez elle, peu important le titre d’occupation et l’affectation des locaux.
Le droit commercial donne une définition précise du chèque, qui doit réunir certaines conditions de fond et de forme. Or le droit pénal considère comme chèque le titre qui ne remplit pas l’une de ces conditions de forme (par exemple, absence de date). L’apparence du titre suffit.
En droit civil, la nullité opère, en principe, avec rétroactivité. En matière pénale, la rétroactivité est ignorée lorsque le contrat ayant conduit à la remise d’une chose (ensuite détournée), affecté d’une cause de nullité, est l’objet d’une annulation par le juge civil. L’infraction d’abus de confiance subsiste, par conséquent, malgré cette annulation.
L’évolution des idées pénales, avec l’évolution de la société elle-même, conditionne l’évolution des normes pénales.
▶ En réaction contre l’arbitraire qui sévissait, dans l’incrimination et la sanction, sous l’Ancien Régime, les philosophes du xviiie siècle (Rousseau dans le Contrat social, Montesquieu dans L’Esprit des lois, Voltaire, à propos de l’affaire Calas) ainsi que des juristes (par exemple, Beccaria dans le Traité des délits et des peines, 1764) ont mis en avant les idées de légalité des délits et des peines, d’égalité, de proportionnalité et même d’humanité dans la répression.
▶ L’école néo-classique, dont les tenants sont Guizot (pour qui il ne fallait punir « ni plus qu’il n’est juste ni plus qu’il n’est utile »), Rossi, Ortolan, va quant à elle prôner une synthèse entre l’utilité sociale, (Bentham, pour qui « la peine doit se faire craindre plus que le crime ne se fait désirer ») et la justice absolue (Kant). La responsabilité morale est mise en avant. La peine doit dépendre à la fois des circonstances de l’infraction et du degré de culpabilité de l’auteur de celle-ci.
▶ L’école positiviste italienne, qui met l’accent sur le déterminisme et non plus sur le libre arbitre de l’individu, succède à la précédente doctrine. Elle se subdivise en deux courants :
l’école anthropologiste, avec Lombroso qui, dans son ouvrage l’Homme criminel (1876), classe les criminels en différentes catégories :
Les criminels-nés, les criminels aliénés, les criminels d’habitude, tous dangereux par nature, reconnaissables à certains traits physiologiques (les stigmates de criminalité), doivent être l’objet d’une élimination.
Les criminels d’occasion ou passionnels, moins dangereux, peuvent être l’objet d’un traitement.
Cette théorie prend en considération la nocuité sociale de l’individu.
L’école sociologique, avec Ferri (et sa Sociologie criminelle, 1881), met l’accent sur les facteurs non plus individuels mais sociaux du crime. Pour ce courant, le milieu social est le lieu d’émergence du crime, le « bouillon de culture de la criminalité » (Lacassagne, 1888). Ferri propose des mesures de prévention (« les substituts pénaux ») et des mesures de sûreté destinées moins à punir qu’à traiter l’individu dangereux. Dans Les Règles de la méthode sociologique (1895), Durkheim considère que le crime est un fait social « normal » (le critère de la normalité étant la généralité) car « une société qui en serait exempte est tout à fait impossible ». Il constate, en effet, que le crime s’observe « dans toutes les sociétés de tous les types. Il n’en est pas où il n’existe une criminalité ». Le crime ne prend une forme anormale que lorsque, par exemple, « il atteint un taux exagéré ».
▶ La doctrine de la défense sociale nouvelle (Grammatica et surtout M. Ancel en 1954), tout en voulant protéger la société, insiste sur le reclassement social de l’individu. Elle préconise la césure du procès pénal en deux phases : la première, consacrée à l’examen de la culpabilité de l’agent ; la seconde, au prononcé de la sanction, après étude de la personnalité du délinquant. Le procès serait aussi caractérisé par une certaine « déjuridicisation » puisque, aux côtés des juges, siégeraient des médecins, des psychologues, des assistantes sociales.
Aujourd’hui, devant la recrudescence de la criminalité et du sentiment d’insécurité, sont réintroduites les idées de responsabilité morale, d’intimidation et de neutralisation des délinquants.
▶ Dans le droit pénal de l’Antiquité, ce sont les idées de vengeance (à l’égard du clan de l’agresseur), puis de justice privée qui se sont manifestées.
La vengeance a été atténuée par divers procédés (abandon du coupable au clan de la victime, loi du talion, composition pécuniaire).
Puis l’État s’est mêlé plus précisément de la sanction pénale et a fixé un barème de composition, faisant ainsi passer la répression de la justice privée à la justice publique.
▶ L’Ancien Régime se caractérise par l’arbitraire dans l’incrimination et dans la sanction. L’une et l’autre étaient, en effet, déterminées par la coutume, qui pouvait être différente selon les provinces. Le juge disposait d’un tel pouvoir qu’un adage l’exprimait ainsi : « Toutes les peines sont arbitraires en ce royaume. » À cet arbitraire judiciaire s’ajoutait l’arbitraire royal car le roi, en vertu de la justice retenue, pouvait intervenir dans les procédures judiciaires par les lettres de cachet, lettres de grâce ou d’abolition de procédure. De plus, l’inégalité était érigée en système puisqu’il existait des privilèges de juridictions et de sanctions au profit des nobles et des ecclésiastiques.
Enfin, la rigueur dans l’exécution des peines était présente sous diverses formes : peines du fouet, galère, roue, fer rouge, carcan, peine de mort.
Sur le plan procédural, une ordonnance de 1670 avait réglementé la procédure criminelle, qui était secrète, écrite, non contradictoire, donc de type inquisitoire.
▶ Avec la Révolution, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 va poser les principes :
d’égalité devant la loi, expression de la volonté générale (art. 6),
de légalité des incriminations et des peines (art. 5 et 8),
de non-rétroactivité des lois pénales (art. 8),
de nécessité des peines (art. 8).
Seule la loi est source de droit pénal, et non plus la coutume.
En 1791, un premier Code pénal consacre les idées des philosophes. Il prévoit un système de peines fixes, sans individualisation possible. Ce code n’a eu qu’une existence éphémère, comme d’ailleurs le Code des délits et des peines de 1795 qui, pour l’essentiel, ne se démarquait guère du code de 1791.
▶ Après le Code d’instruction criminelle de 1808 (remplacé seulement en 1958 par le Code de procédure pénale), un Code pénal est promulgué en 1810.
Ce Code accentue la sévérité dans la répression et rétablit, sous l’influence de la doctrine de l’utilité sociale (Bentham) et des faits (augmentation de la criminalité), certains procédés d’exécution des peines qui avaient été abandonnés sous la Révolution : carcan, marque au fer rouge, amputation du poing du parricide. Toutefois, les conquêtes légalistes demeurent, l’article 4 du Code pénal exposant le principe de légalité des délits et des peines.
Le Code se caractérise encore par son aspect objectif, prenant en considération l’infraction plus que le délinquant, tout en reconnaissant une certaine individualisation judiciaire (existence d’un minimum et d’un maximum pour la peine, et de circonstances atténuantes dans certains cas).
▶ Le xixe siècle se distingue ensuite par le libéralisme avec, par exemple :
l’extension des circonstances atténuantes, la suppression partielle de la peine de mort, l’abandon des mesures corporelles cruelles (1832) ;
la suppression de la peine de mort en matière politique (1848) ;
la correctionnalisation de certains crimes (1863) ;
la libération conditionnelle (1885) ;
le sursis (1891).
Mais parfois c’est une mesure de sévérité, comme la relégation (1891), c’est-à-dire l’internement définitif des multirécidivistes, qui a été édictée.
▶ Le xxe siècle a vu l’adoption de mesures de rigueur pour certaines infractions (par exemple, en matière de terrorisme, de stupéfiants, de proxénétisme, d’alcool au volant), l’incrimination de nouveaux comportements (par exemple, la fraude informatique), mais aussi l’instauration de mesures de faveur pour le délinquant, comme la dispense de peine et les substituts à l’emprisonnement (1975), la suppression de la peine de mort (1981). C’est dire que l’évolution n’a pas été linéaire.
Un nouveau Code pénal, formé de quatre lois du 22 juillet 1992 et d’un décret du 29 mars 1993, est entré en vigueur le 1er mars 1994.
En conformité avec la Constitution de 1958 (v. chapitre 2), ce Code contient une partie législative et une partie réglementaire, qui comportent chacune sept livres.
C’est le livre I, intitulé « Dispositions générales », qui correspond à la matière du droit pénal général. Il comprend trois titres :
le titre I, « De la loi pénale » ;
le titre II, « De la responsabilité pénale » ;
le titre III, « Des peines ».
Les autres livres rassemblent la matière du droit pénal spécial.
En outre, une loi du 16 décembre 1992, dite loi d’adaptation, a été édictée dans un but de coordination et d’harmonisation des dispositions législatives extérieures au Code avec celui-ci.
Pourquoi un nouveau Code pénal ? Le Code de 1810 avait été critiqué. Il était incomplet, car de nombreuses dispositions de droit pénal de fond étaient exposées dans le Code de procédure pénale (dispense de peine, sursis, semi-liberté, application des lois pénales dans l’espace). Il avait en outre beaucoup vieilli sur certains points (par exemple, l’article 64 relatif à l’état de démence), et les multiples modifications des articles du Code en avaient altéré la cohérence.
Le nouveau Code retient une présentation moderne. Les articles comportent des numéros à plusieurs chiffres, le premier étant celui du livre, le deuxième du titre, le troisième du chapitre puis figure le numéro de l’article.
Sur le fond, le nouveau Code pénal ne bouleverse pas fondamentalement les règles pénales. Dans la plupart de ses dispositions, il entérine la jurisprudence et sauvegarde les grands principes du droit pénal. Il comporte cependant quelques innovations, comme la responsabilité pénale des personnes morales, l’erreur de droit invincible, la modification des règles relatives à la répression de la complicité, la suppression des minimums de la peine, la suppression corrélative des circonstances atténuantes, l’instauration de nouvelles peines principales. Enfin, le nouveau Code pénal a édicté des incriminations nouvelles comme la mise en danger délibérée de la personne d’autrui, tout en maintenant, sauf quelques adaptations ou suppressions (par exemple, le vagabondage), les incriminations antérieures.
En plus du Code pénal, il faut tenir compte des textes extérieurs à celui-ci et contenant des règles de pure discipline sociale.
Le nouveau Code pénal, depuis son entrée en vigueur, a été modifié à plusieurs reprises (v. infra, le thème de l’inflation législative), par un nombre considérable de lois qui répondaient parfois à une émotion conjoncturelle et qui, toutes, allaient dans le sens d’une répression renforcée (peines planchers, rétention et surveillance de sûreté par exemple). Pour quelle efficacité ? Les violences contre les personnes se sont accrues et le sentiment d’insécurité a perduré. Le législateur ne devrait pas se départir de l’enseignement de Montesquieu pour qui « la cause de tous les relâchements […] vient de l’impunité des crimes, et non pas de la modération des peines ». (De l’esprit des lois, 1748, livre VI, De la puissance des peines). La loi du 15 août 2014 revient, pour partie, sur la tendance sécuritaire des dernières années en instaurant une nouvelle peine, la contrainte pénale, qui est censée éviter l’emprisonnement. Mais elle ne remet pas en cause, de manière générale, l’emprisonnement qui demeure la « peine standard » ou de référence. Cette loi supprime aussi les peines planchers en cas de récidive légale que la loi du 10 août 2007 avait instaurées.
En revanche, dans une perspective de sécurité publique et de lutte contre le terrorisme, d’autres lois (par exemple, lois du 13 novembre 2014, 20 novembre 2015, 23 mars 2016, 3 juin 2016, 21 juillet 2016, 28 février 2017, 30 octobre 2017 ; rappr. l’inflation législative, chapitre 1, II, A) se placent dans un sillage pleinement sécuritaire, ajoutant de nouvelles incriminations, aggravant des peines ou même créant ou renforçant des mesures administratives de surveillance (assignation à résidence, bracelet électronique, interdiction de séjour, obligation de faire ou de ne pas faire…), décidées par le ministre de l’Intérieur ou le préfet (donc en contournant le juge judiciaire), imposées à une personne à l’égard de laquelle il existe des « raisons sérieuses de penser [termes conduisant à une appréciation subjective] que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics », et dont la violation est pénalement sanctionnée. À un droit pénal classique, qui sanctionne les auteurs de faits infractionnels tangibles commis, tentés ou même simplement préparés, est donc venu s’ajouter un droit administratif pénal, qui envisage ainsi non des auteurs d’infractions mais des suspects (dont la notion est variable et incertaine) auxquels sont alors imposées des mesures coercitives privatives ou restrictives de liberté ou de droits. Le soupçon remplace le fait matériel et risque de conduire à l’arbitraire dénoncé jadis par la pensée philosophique, politique et juridique des Lumières.
Un projet de loi (2018) de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice comporte des dispositions tendant à « renforcer l’efficacité et le sens de la peine » (titre V du projet) dont l’entrée en vigueur est prévue un an après la publication de la loi.
Dans la même collection : Droit, Politique
7 Les institutions de la Ve République (Ph. Ardant, S.-L. Formery)
9 La fiscalité en France (P. Beltrame)
12 Introduction à la science politique (J.-M. Denquin)
17 La Constitution commentée, article par article (S.-L. Formery)
19 Les collectivités territoriales en France (E. Vital-Durand)
22 Contentieux administratif (D. Turpin)
34 Philosophie politique / 1. Individu et société (M. Terestchenko)
35 Philosophie politique / 2. Éthique, science et droit (M. Terestchenko)
46 Droit administratif (J.-C. Ricci)
47 Mémento de la jurisprudence administrative (J.-C. Ricci)
57 Introduction au droit de l’Union européenne (J. Dutheil de la Rochère)
86 Droits fondamentaux et libertés publiques (J.-M. Pontier)
110 Histoire des grands courants de la pensée politique (J.-J. Raynal)
121 Droit des sociétés (J. Bonnard)
129 Droit du travail (M. Le Bihan-Guénolé)
131 Mémento de la jurisprudence du droit international public (B. Tchikaya)
132 Droit pénal général (P. Canin)
137 Droit des entreprises en difficulté (J. Bonnard)
143 Droit matériel de l’Union européenne (J. Dutheil de la Rochère)
144 Droit commercial (P. Canin)
146 Méthodes de travail de l’étudiant en droit (J. Bonnard)
147 Droit public économique (J.-P. Valette)
148 Droit civil / Les obligations (P. Canin)
152 Histoire du droit et des institutions (D. Berthiau)
156 Droit civil / Les biens (R. Desgorces)
161 Quel droit pour l’environnement ? (S. Maljean-Dubois)
164 Droit constitutionnel (P. Blachèr)
173 Mémento de la jurisprudence – Droit des sociétés / Le juge et la société (J.-L. Navarro)
178 Mémento de la jurisprudence – De la CEDH (Y. Lécuyer)
179 Droits et libertés constitutionnels (P. Blachèr, J.-É. Gicquel, P. Jan)
181 Droit budgétaire – Comptabilité publique (D. Catteau)
182 Les 7 principes du droit pénal (Y. Jeanclos)
L
e principe de légalité signifie que les règles de droit pénal (et de procédure pénale) doivent être déterminées par la loi. Ce terme de légalité est d’ailleurs aujourd’hui dépassé car la loi n’est plus la seule source du droit pénal (v. chapitre 2). Aussi, plutôt que de parler de principe de légalité, conviendrait-il d’utiliser les termes de « principe de textualité ». Cependant, l’expression de « principe de légalité » peut être maintenue si l’on prend soin de préciser que le terme de loi qu’il évoque doit être entendu dans un sens matériel (texte général et abstrait émanant tant du législateur que du pouvoir réglementaire) et non pas dans un sens formel (texte émanant du Parlement).
Le principe de légalité a été consacré par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 dans ses articles 5, 7 et 8 qui donnent compétence à la loi pour déterminer les infractions, les peines et les règles de procédure pénale.
Le Code pénal de 1810 affirmait le principe, dans son article 4 : « Nulle contravention, nul délit, nul crime, ne peuvent être punis de peines qui n’étaient pas prononcées par la loi avant qu’ils fussent commis. »
Le nouveau Code pénal contient plusieurs articles relatifs à ce principe (art. 111-2 à 111-4).
Le principe de légalité, renforcé par la reconnaissance de sa valeur constitutionnelle et sa présence dans des textes internationaux, a cependant subi des atteintes à l’époque contemporaine.
Trois règles fondamentales et complémentaires découlent du principe de légalité : le principe selon lequel il n’y a pas d’infraction ni de peine sans texte, l’interprétation stricte et la non-rétroactivité de la loi pénale.
Cette règle, que l’on exprime encore par les termes nullum crimen, nulla poena sine lege, signifie que seule la loi (ou le règlement) édicte les incriminations et les peines ; le juge pénal étant à cet égard dépourvu de tout pouvoir afin d’éviter l’arbitraire (articles 111-2 et 111-3).
Le législateur doit prévoir une liste exhaustive, un catalogue des faits répréhensibles. En fonction de sa politique criminelle, il considérera tel comportement comme infractionnel. Au travers de la norme pénale ainsi édictée apparaît, en filigrane, la valeur sociale protégée (la vie, l’intégrité corporelle, la propriété, la sûreté de l’État). Dans l’édiction de cette norme, des contraintes s’imposent au législateur.
L’incrimination doit être définie de manière claire et précise. Le Conseil constitutionnel (décision des 19 et 20 janvier 1981) a, en effet, considéré qu’il appartient au législateur de « définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire ». La loi doit être intelligible.
Les expressions très compréhensives que l’on trouve en droit civil, en matière de responsabilité délictuelle (par exemple, l’article 1240 du Code civil : « Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer »), ne sont pas admissibles en droit pénal, où il faut être plus exigeant dans la formulation de la norme. Un texte comme l’article 82 de l’ancien Code pénal, qui sanctionnait de peines correctionnelles « quiconque, en temps de guerre, accomplira sciemment un acte de nature à nuire à la défense nationale non prévu et réprimé par un autre texte », ne devrait plus exister en droit positif. De même, prévoir un délit de malversation, sans plus de précision, ne répond pas à l’exigence constitutionnelle (décision du Conseil du 18 janvier 1985).
Mais il faut convenir que le contrôle de constitutionnalité est loin d’être parfait (v. chapitre 2, II, A). Les textes internationaux (par exemple, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950, art. 7) permettraient plus sûrement de protéger le citoyen contre les lois contenant des incriminations trop larges et donc attentatoires à la liberté individuelle.
Cependant, l’exigence de clarté et de précision comporte des limites. À condition que le comportement infractionnel soit suffisamment précis, le législateur peut prévoir largement les modalités d’exécution de l’infraction. Il peut utiliser des expressions telles que « par tous moyens » ou « de quelque manière que ce soit ».
La loi doit tout autant édicter de manière précise (et proportionnelle) les peines encourues. Le Code pénal contient une liste de ces peines, et c’est dans ce cadre que le pouvoir réglementaire sanctionne les contraventions.
Le juge doit lui aussi s’en tenir strictement aux peines ainsi fixées. Il ne pourrait pas, par exemple, aller au-delà du maximum indiqué dans le texte lorsqu’il applique la peine. Cette légalité concerne aussi bien les peines stricto sensu que les mesures de sûreté (v. chapitre 8).
Une règle complète le principe nullum crimen, nulla poena sine lege : il s’agit de l’interprétation stricte de la loi pénale.
Le juge est conduit à interpréter les textes, c’est-à-dire à en rechercher le sens. En effet, la loi comporte des termes généraux et abstraits, qui d’ailleurs ne sont pas toujours très clairs ; or le juge doit l’appliquer à une situation concrète. Et il ne pourrait pas refuser de se prononcer « sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi » (art. 4, Code civil), sauf à se rendre coupable d’un déni de justice (art. 434-7-1)
Nota : les numéros renvoient aux pages.
légalité
principe de 21
surveillance
de sûreté 18