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© HACHETTE LIVRE 2019, 58, rue Jean Bleuzen, 92170 Vanves.
ISBN: 978-2-01-627806-2
L
a mondialisation n’est pas un processus récent : les travaux du sociologue américain Immanuel Wallerstein (The Modern World-System, trois tomes parus entre 1974 et 1989) et, surtout, de l’historien français Fernand Braudel (Civilisation matérielle. Économie et capitalisme, xve-xviiie siècles, 1979) ont montré que des formes d’organisation de l’espace mondial marquées par des flux, par des relations centres-périphéries et par des systèmes reliant des territoires au niveau planétaire existent au moins depuis plusieurs siècles, avec des phases d’accélération et des moments de reflux. Les géographes se sont appropriés relativement récemment ces problématiques, insistant sur la dimension territoriale des interrelations ou interdépendances entre les lieux dans le cadre de la mondialisation.
L’approche géohistorique ne consiste pas à « raconter » l’histoire d’un territoire, elle applique les méthodes d’analyse de la géographie sur le temps long pour faire ressortir des structures de permanences et de mutations dans les territoires.
Fernand Braudel (1902-1985) est un des historiens français majeurs du xxe siècle et l’un des plus lus et admirés dans le monde, particulièrement dans les pays anglo-saxons. À la suite de Marc Bloch (1886-1944) et de Lucien Febvre (1878-1956), dans le cadre de l’école des Annales, il a promu, dans ses travaux, une approche systémique qui a considérablement marqué les géographes.
Ce livre, dont l’édition finale paraît en 1979, est le fruit d’un travail de plus de trente ans qui déborde du seul cadre historique délimité par trois siècles d’histoire moderne.
L’ouvrage de Fernand Braudel s’organise en trois tomes. Le premier tome, intitulé Les Structures du quotidien : le possible et l’impossible, est une « pesée du monde » (P. Chaunu). L’étude des sociétés des époques considérées fait ressortir trois niveaux d’analyse : celui des activités les plus élémentaires (les « structures du quotidien »), des échanges et des lieux qui leur sont attachés, les marchés, celui des réseaux internationaux qui accélèrent les échanges. Le tome 2, Les Jeux de l’échange, insiste sur la circulation des biens mais aussi sur les lieux financiers que sont les bourses et les banques qui vont permettre le développement du capitalisme. Enfin, le tome 3, Le Temps du monde, évoque les relations économiques mondiales à travers le concept d’économie-monde qui ne désigne pas l’« économie mondiale » mais une économie qui forme un « monde » occidental puis mondial, hiérarchisé et dominé par des centres qui s’incarnent dans des métropoles (Venise, Bruges, Amsterdam, Londres, New York).
Si certains concepts développés par Fernand Braudel sont aujourd’hui contestés (l’usage qu’il fait du terme « civilisation » par exemple), l’intellectuel français demeure une référence majeure dont les travaux ont permis de penser le monde en systèmes.
Des historiens actuels, comme le Suisse Patrick Verley, relisent les travaux de Braudel en apportant des critiques (contradictions entre un modèle qui se veut global et les spécificités de certaines périodes, coupures entre la consommation et la production) et en insistant sur la période du xviiie siècle qui voit converger puissance économique, politique et poids de métropoles, comme Londres, capitales d’États devenus des puissances mondiales.
Dans le cadre des recherches d’histoire globale, des auteurs font, à partir de l’œuvre de Fernand Braudel, des liens entre capitalisme et esprit des marchands (en reprenant les recherches du sociologue allemand Max Weber) et insistent sur le rôle des États et sur la dimension mondiale du capitalisme.
L’Anglais Robert Cooper, auteur d’un essai très remarqué (La Fracture des nations : Ordre et chaos au xxie siècle) voit dans la mondialisation un processus plus politique qu’économique conduisant au monde postmoderne où les frontières westphaliennes des États seraient abolies et les relations internationales basées sur une communauté de valeurs démocratiques et libérales telle qu’essaie de l’incarner l’Union européenne aujourd’hui.
Les quatre périodes menant à l’époque « postmoderne » selon Robert Cooper
État | Économie | Politique extérieure | |
---|---|---|---|
Époque prémoderne | Là où l’État fonctionne, il est faible et autoritaire. Son contrôle peut souvent s’effondrer. Les activités de l’État sont essentiellement militaires. | Agricole | Chaotique, impériale ou reliée à un ordre religieux |
Époque moderne initiale | L’État est plus organisé et centralisé. Aux fonctions militaires et diplomatiques, se sont ajoutées des fonctions commerciales. | Agricole et commerciale | |
Époque moderne tardive | L’État est centralisé et bureaucratique, autoritaire et idéologique ou bien démocratique. Il assure la responsabilité de l’éducation, de la santé, de la protection sociale, de l’industrie, ainsi que des fonctions militaires. | Commerciale, industrielle, production de masse | Nationaliste, ère des armées de masse et de la guerre totale |
Époque postmoderne | La puissance est diffusée à l’intérieur et à l’extérieur des frontières, influencée par les médias et l’opinion publique. Les pressions contraires rendent difficile l’élaboration d’une politique. | Postindustrielle. L’économie des services et de l’information domine. | Transparence et vulnérabilité mutuelle. Les actions médiatiques jouent un grand rôle. Le temps de décision est plus rapide. |
En 1900, l’Empire britannique est celui sur lequel « le soleil ne se couche jamais », il est le seul à avoir une vraie dimension planétaire et est un modèle d’organisation de l’espace (voir la carte « L’économie-monde britannique en 1914 », p. 177).
Dans la même collection :
Les mobilités dans le monde (V. Adoumoié, J-M Escarras)
Responsable de projet : Emmanuelle Saint
Illustration de couverture : © Shutterstock/RastoS
Cartes : © Légendes cartographie
Mise en pages : IDT
« Regarde dans cette foule qu’abritent avec peine les maisons de notre gigantesque ville [Rome]. La majorité de ces gens viennent d’ailleurs. De leurs villes et de leurs colonies, de tous les coins du monde, ils affluent ici. L’ambition fait venir les uns, le désir de faire des études ou les spectacles d’autres encore. Toutes les races humaines se retrouvent dans cette ville. »
Sénèque, Consolation à Helvia, ier siècle.
« De toute la terre et de toute la mer arrive [à Rome] tout ce que font pousser les saisons, tout ce que produisent les divers pays. Les navires apportent de partout toutes ces productions. La ville est comme un marché commun de toute la terre. »
Aelius Aristide, Éloge de Rome, iie siècle.
Ni Sénèque, ni Aelius Aristide ne sont à proprement parler des historiens ou des géographes, mais leurs descriptions de la Rome antique ne laissent planer aucun doute : la ville des Césars est bien au cœur, il y a deux mille ans, d’une économie-monde centrée sur le bassin méditerranéen dont elle organise les flux aussi bien humains que de marchandises.
En exagérant à peine, on pourrait affirmer que la mondialisation, c’est-à-dire la multiplication de flux de toutes natures dans l’espace terrestre mettant en relation des hommes et des lieux, a débuté bien avant, il y a 500 000 ans environ.
Grâce à la maîtrise du feu qui marque un tournant dans l’emprise des hommes sur leur milieu et favorise l’anthropisation, l’humanité, depuis son berceau africain, s’installe progressivement sur les autres continents. Au iie siècle, à l’apogée de l’Empire romain, trois foyers de peuplement (Europe, Chine et Inde) semblent solidement établis et participent au « temps long » de la première mondialisation qui favorise, dix siècles plus tard, le continent européen au détriment de l’Asie.
Dès le xive siècle, une nouvelle économie-monde, bien étudiée par Fernand Braudel et Immanuel Wallenstein, émerge dans le cadre du capitalisme naissant, à partir des grandes villes portuaires de l’Italie du Nord (Gênes, Venise) et de la ligue hanséatique (Bruges, Amsterdam, Hambourg, Lubeck). Les Grandes Découvertes assurent la promotion économique de l’Occident en y concentrant le métal précieux et en y réorganisant les réseaux de transport internationaux au profit de ses ports atlantiques. La révolution industrielle concomitante de la colonisation transforme l’essor européen en hégémonie planétaire jusqu’au début du xxe siècle. De nombreux territoires du Vieux Continent s’en trouvent bouleversés. Les campagnes se vident au profit des villes sous l’effet de l’exode rural. Certaines grandes cités deviennent des lieux de la modernité « industrielle » et, déjà, des « centres du monde », comme le chantent les voyageurs arrivant à la gare de l’Ouest dans La Vie parisienne de Jacques Offenbach (1866) :
« À Paris, nous arrivons en masse, à Paris nous nous précipitons ! […]
Nous venons, arrivons, de tous les pays du monde,
Par la terre ou bien par l’onde.
Italiens, Brésiliens, Japonais, Hollandais, Espagnols, Romagnols, Égyptiens et Prussiens.
Tous les étrangers ravis,
Vers toi s’élancent Paris ! »
La Seconde Guerre mondiale marque un tournant majeur. Les États-Unis, devenus la puissance économique dominante, sont désormais enclins à assumer le premier rôle dans les institutions internationales. En quelques années se façonne un monde américain « global » (création de l’ONU, accords de Bretton Woods, accords commerciaux du GATT) dont le triomphe n’est retardé que par les péripéties de la guerre froide.
La disparition du bloc communiste au début des années 1990, laisse le champ planétaire libre à l’hégémonie américaine, devenue une hyperpuissance. L’analyse de l’économiste Theodore Lewitt paraît alors se concrétiser. Sans entraves désormais, la convergence des marchés et des modes de consommation menant à une société globale sur le modèle américain triomphe. Cette « globalisation » met en évidence les interrelations et les interactions qui existent entre le milieu et les sociétés humaines et qui caractérisent l’espace terrestre.
Mais la Terre n’est pas devenue entièrement le « village planétaire » théorisé par Marshall McLuhan. Ni les distances et encore moins le temps n’ont été abolis par les progrès technologiques et les nouvelles formes de communication mais ils se sont combinés faisant de la mondialisation, selon l’analyse de Laurent Carroué, « un phénomène hiérarchisé, instable et conflictuel, producteur de profondes inégalités dans le cadre d’une valorisation différenciée et sélective des territoires ». En effet, deux logiques d’interrelations s’entrecroisent, se concurrencent ou s’ajoutent selon les endroits. Celle du pavage des États et des grandes aires culturelles qui en découlent et celle des réseaux qui organisent des flux de toutes natures. Ce mélange entre pavage et logique réticulaire produit des effets complexes sur de nombreux lieux.
C’est l’étude de ces interactions entre le local et le global et leurs conséquences territoriales qui est l’objet principal de cet ouvrage. Même s’il faut se méfier de l’abus de néologismes qui peuvent être parfois une « paresse de l’esprit », certains géographes ont proposé, il y a quelques années, celui de « glocalisation » pour désigner ce type d’interaction. Si le terme n’est guère élégant, il est parfaitement signifiant. Il traduit et condense en un mot les interférences et les articulations multiples entre la petite échelle (le monde) et la grande échelle (la proximité). Il résume en quoi la mondialisation n’est pas un phénomène abstrait, mais un processus qui s’inscrit dans les territoires et qui est susceptible de dispenser des richesses ou d’accroître la pauvreté.
Son fort impact sur les sociétés et sur les lieux suscite en retour des réactions. En cela aussi la mondialisation fait système. Favorisant la diffusion de savoirs, permettant de désenclaver des espaces, de lutter contre la pauvreté, contre les fléaux sanitaires, promouvant des idéaux démocratiques, la mondialisation entraîne aussi une marginalisation de certains lieux, un creusement des inégalités, une propagation de nouveaux risques sanitaires et environnementaux, travers aujourd’hui largement dénoncés.
Ainsi la mondialisation organise et sélectionne les territoires. Les grandes villes, les frontières ouvertes, les façades maritimes sont favorisées. Les espaces enclavés, trop insulaires ou les marges sont délaissés parce que trop isolés. Productrice de lieux, la mondialisation en est aussi prédatrice.
Vincent Adoumié