Les textes rassemblés ici contredisent et disent le monde tel qu’il va depuis longtemps son chemin de violence. Les Codes Noirs ne s’encombrent pas de pudeurs incongrues. Ils portent leur nom. Sur la peau du livre de Droit. Et sur la peau de l’homme asservi. Dans leur nudité brutale, les mots en titre lèvent tout malentendu. Les esclaves sont Noirs et le sont pour cette raison. Du moins a posteriori. Parce qu’à la longue, il faut une justification philosophique et morale au seul système économique basé sur l’exil massif forcé et sur le meurtre légal.
La peine de mort privatisée
L’esclavage n’a pas toujours existé ni partout. Il a longtemps et souvent été réservé aux peuples vaincus et aux personnes condamnées ou endettées. Il a été nourri par le rapt. Le procédé était sauvage, basé sur la force ou sur la ruse, aléatoire. Il servait à fournir les harems et la domesticité au Maghreb. Il approvisionnait fortement l’industrie du sel, l’agriculture mésopotamienne, la culture d’huîtres perlières dans la Mer rouge, les champs de canne à sucre au Maroc et au Portugal, les palmeraies, les gisements aurifères du Monomotapa. Il a frappé l’Afrique pendant des siècles. Il était lié au commerce de l’or, de l’ivoire, de l’ambre gris, des animaux sauvages. Il n’a pas d’excuses. On ne saurait s’arranger de ce que certains hommes exercent sur d’autres « les attributs du droit de propriété », tel que la Société des Nations a défini l’esclavage en 1926.
La traite transsaharienne pratiquée par les négociants arabes est condamnable, sans ambages. La traite transocéanique est une entreprise industrielle qui aménage les fonds de cale des navires négriers de sorte à y tasser le plus grand nombre d’hommes, de femmes et d’enfants. Et les Codes Noirs instituent un droit de mort du maître sur l’esclave qui, aux Amériques, aurait tenté trois fois de quitter l’enfer des plantations et pareillement dans l’Océan indien, pour celui qui aurait frappé le maître au visage. C’est la peine de mort privatisée et ce n’est pas la mort douce. Les esclaves sont fouettés, lacérés, torturés, pendus ou brûlés, écartelés.
Avant d’en arriver là dans le Nouveau Monde, ils sont déportés d’Afrique, après avoir été razziés, capturés, y compris dans les villages de fond de forêt, puis acheminés entravés jusqu’aux barracons ou esclaveries côtières de Gorée, Ouidah, Loango, après l’ère de prospérité de Zanzibar. Ils sont vendus par lots, ce qui permet aux négriers de charger plus vite et aux intermédiaires de vendre plus facilement les enfants, adolescents et adultes faibles. Les jeunes filles sont souvent soumises au rituel de l’appareillage, viol par les matelots, acte d’abus immédiat et investissement pour le capitaine qui en escompte des grossesses, donc une valorisation de sa marchandise. L’acheteur vérifie l’état de vigueur de chacun et scrute scrupuleusement les dents et les yeux. À Ouidah se trouve encore un caveau à ciel ouvert où les esclaves étaient entassés et exposés aux intempéries. Ce caveau est entouré d’une fosse aux caïmans auxquels étaient jetés ceux qui, avant le terme des trois semaines d’entrepôt, montraient des signes de faiblesse. Un autre large caveau en sous-sol servait à préparer les esclaves à survivre aux semaines de navigation en fond de cale obscure. Ceux qui présentaient des troubles de la vue servaient à gaver les caïmans. L’arbre de l’oubli autour duquel les esclaves devaient tourner, sept fois pour les femmes et neuf fois pour les hommes, selon les chiffres magiques attribués à chaque sexe, témoignent du sérieux avec lequel intermédiaires africains et négriers européens considéraient le ciment culturel susceptible de favoriser les révoltes. La transaction conclue, le « bétail humain » est marqué au fer rouge. La traversée de l’océan (the middle passage) dure plusieurs semaines, au risque des tempêtes, des attaques de pirates et des insurrections d’esclaves.
Le regroupement en fonction de langues différentes et parfois de communautés rivales a probablement compliqué et retardé les rébellions mais ne les a pas toutes empêchées. Quelques mutineries sont demeurées célèbres, celle, tragique, racontée par Prosper Mérimée dans Tamango et celle, victorieuse, du voilier Amistad. Elles sont simplement paradigmatiques des fréquentes révoltes constatées. Les esclaves, enchaînés deux à deux, sont alignés tête-bêche pour en caser le plus possible et ils effectuent le voyage nus pour éviter la vermine et réduire le taux de mortalité principalement dû au scorbut, que les historiens évaluent entre dix et trente pour cent. Les femmes sont souvent violées par les marins la nuit ou le jour, dans la pénombre, à même le sol. Les captifs sont contraints de dormir sur le flanc pour encore gagner de la place, côté droit pour dégager le cœur. Tous les quinze jours, ils sont conduits sur le pont pour prendre quelque exercice en courant ou en dansant, sous l’œil vigilant de matelots armés. Ils ont souvent mis à profit ces moments, soit pour se jeter aux requins, soit pour tenter une révolte qui, en cas d’échec, était impitoyablement réprimée. C’est probablement sur le pont des navires négriers qu’ils ont commencé à mêler les rythmes européens à leurs chants et les quadrilles à leurs danses.
À l’arrivée aux Amériques, aux Caraïbes et dans l’Océan indien, ils sont vendus par lots ou séparément. La plupart des plantations domaniales ou privées, de canne à sucre, de tabac, de café, de cacao ou de coton, requièrent une abondante main-d’œuvre. L’exploitation des minerais précieux, or, argent et pierres, plus encore. La durée de vie des esclaves est d’environ dix ans, d’où le fort besoin de renouvellement par la traite. Certaines habitations sont spécialisées dans la reproduction. Au marché aux esclaves, les maîtres choisissent des hommes forts, beaux et vigoureux qu’ils instaurent étalons et louent pour engrosser les femmes dans les plantations fort consommatrices de main-d’œuvre et fortement exposées au marronnage. Les fabricants de clichés y puisent une explication rationnelle au prétendu vagabondage sexuel des Antillais, dont il n’est toujours pas démontré qu’il soit plus élevé que la polygamie camouflée européenne.
Par l’article 44 du Code Noir, le roi de France (ci-devant Louis quatorze), « statuant et ordonnant pour tous les peuples que la divine providence a mis sous son obéissance » déclare « les esclaves être meubles et comme tels entrer dans la communauté ». Ces biens meubles seront insérés dans le cheptel, tant dans les livres de comptes que lors des enchères, saisies, héritages ou transmissions – à condition d’avoir survécu aux multiples sévices autorisés aux articles 18, 34 à 38, 42 et 58. Doit-on croire que toutes ces autorisations de fouetter, d’enchaîner, de mutiler et d’assassiner étaient compensées par l’article 54 qui « enjoint aux gardiens nobles et bourgeois usufruitiers de gouverner les esclaves comme bons pères de famille » ? C’est probablement l’avis de ceux qui prétendent encore que le Code Noir fut rédigé pour améliorer le sort d’esclaves soumis à des maîtres féroces. Joli progrès !
Il demeure que le Code Noir scelle le sort des esclaves noirs. Il n’y a aucune ambiguïté à ce propos. Ni chez les rédacteurs du décret de 1794 qui « abolit l’esclavage des nègres et déclare que tous les hommes, sans distinction de couleurs, sont citoyens français ». Ni chez Bonaparte premier Consul qui rétablit en 1802 l’esclavage et « la traite des noirs conformément aux lois et règlements existant avant 1789 ». Ni chez Napoléon du même nom qui, en préambule de l’extension en 1805 du Code civil considère que « de tout temps on a connu dans les colonies la distinction des couleurs, qu’elle est indispensable dans les pays d’esclaves... ». Ni chez Richepance, général des armées napoléoniennes chargé de rétablir l’esclavage en Guadeloupe et qui dans son arrêté de 1802 considère que « les colonies ne sont autre chose que des établissements formés par les Européens qui y ont amené des noirs comme les seuls individus propres à l’exploitation de ces pays ».
Ni davantage, avec un autre état d’esprit bien entendu, chez Victor Schoelcher qui proclamait que « le suffrage universel, en rapprochant le Blanc et le Nègre est un des plus efficaces, un des plus puissants moyens d’opérer la fusion des races ». À quoi des colons lui rétorquaient dans Le Moniteur de la Réunion que « les élections ne peuvent qu’exercer l’influence la plus fâcheuse sur le moral des affranchis et il faut épargner à l’urne française l’humiliation de recevoir des suffrages africains ». C’était en 1849 ! Quelques années plus tôt, le Conseil Spécial de la Martinique, exclusivement constitué de propriétaires d’habitations, s’offusquait des intentions abolitionnistes en ces termes : « De quoi s’agit-il, en effet ? De l’abolition de l’esclavage, d’un acte sans exemple à nos jours dans l’histoire des nations chez lesquelles pourtant l’esclavage a cessé sans inconvénient et sans laisser après lui la moindre trace. Mais ici, la question est plus grave encore, car il s’agit uniquement de la race noire, qu’on veut appeler avec le temps au même état que la race blanche en la faisant participer à la jouissance des droits civiques et des droits politiques, en lui donnant accès dans les emplois publics et place sous les drapeaux de l’armée, en la fusionnant pour ainsi dire avec la race blanche, et en s’exposant ainsi à verser dans le sang européen des altérations que les siècles seuls pourront effacer » (1841).
Il est vrai qu’au siècle des Lumières, le commerce des esclaves atteint ses pôles de prospérité, plaçant la France à la deuxième place des puissances négrières. Que signifie alors que Louis Delgrès, colonel guadeloupéen qui s’oppose au rétablissement de l’esclavage et combat les troupes de Richepance, dans un texte somptueux publié le 10 mai 1802 et intitulé « À l’univers entier, le dernier cri de l’innocence et du désespoir » commence par ces lignes : « C’est aux plus beaux jours d’un siècle à jamais célèbre par le triomphe des Lumières qu’une race d’infortunés... ». Race d’infortunés. Pas race noire. La formule n’est pas accidentelle puisque le même texte affirme que cette cause « est celle de la justice et de l’humanité ».
Toussaint-Louverture également dépasse le champ de la race lorsqu’il noue des solidarités avec Simon Bolivar et qu’il inscrit dans la première constitution d’Haïti la liberté de droit pour toute personne foulant le sol de cette terre libérée. Une légende prétend que le drapeau bleu et rouge d’Haïti provient d’un incident de guerre. Des troupes napoléoniennes conduites par le général Leclerc dépêché par Napoléon pour rétablir l’esclavage en 1802 s’étonnèrent de ce que les soldats haïtiens donnaient l’assaut au rythme d’un clairon portant l’étendard bleu blanc rouge. Toussaint, qui avait rompu ses accords avec les Anglais et les Espagnols pour se rallier à la Révolution française et à la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, conservant ainsi à la France la prospère colonie de Saint-Domingue, vexé de cette remarque, arracha dit-on la bande blanche du drapeau. Déjà en ce temps-là, il coûtait très cher de s’affranchir d’une tutelle européenne. Alors que les esclaves de Saint-Domingue avaient supprimé l’esclavage dès 1791 par une insurrection réussie, Polverel et Sonthonax, émissaires de la Révolution n’avaient pu que constater la liberté des esclaves et proclamer pour la forme l’abolition dès 1791, trois ans avant les autres colonies françaises. Toussaint-Louverture avait consenti à maintenir sur Saint-Domingue la souveraineté française à condition de liberté et d’égalité pour tous. Le général Leclerc sera vaincu militairement avant d’être terrassé par la fièvre jaune. Auparavant, il usera d’un stratagème qui mènera Toussaint désarmé en exil au fort de Joux dans le froid Jura où il périra. Les lieutenants Maurepas et Dessalines poursuivant la lutte sur place affronteront le général Rochambeau, successeur de Leclerc, qui utilisera des buscadores, chiens bouledogues entraînés à dévorer des nègres, importés d’un élevage espagnol à Cuba. Rochambeau sera néanmoins vaincu à Vertières en novembre 1803 et Haïti proclamera son indépendance le 1er janvier 1804.
C’est en avril 1825, soit vingt-deux ans après une indépendance effective et conquise que le roi de France, Charles X, condescendra à reconnaître l’indépendance d’Haïti à raison du versement de cent cinquante millions de francs-or en cinq termes annuels, soit l’équivalent de la moitié du budget de la France chaque année. Cette subvention est censée « pourvoir à l’intérêt du commerce français et compenser les malheurs, réparer les pertes financières des anciens colons » privés de leurs esclaves par l’indépendance. Le monde était constitué alors de quelques grandes métropoles, nations libres, et de nombreuses colonies qui composaient la constellation des empires coloniaux. N’étant reconnue par aucun autre pays et cernée par les accords entre puissances coloniales, Haïti ne pouvait ni commercer, ni établir de chancelleries à l’étranger, ni défendre ses ressortissants. Les autres nations privilégiaient leurs rapports avec la France par intérêt commun et probablement pour ne pas valider une colonie devenue libre par la voie la plus périlleuse qui soit pour l’ordre du monde, une lutte de libération. Mauvais exemple.
Le seul précédent avait été la rupture des treize colonies nord-américaines d’avec l’Angleterre, mais différence de taille, la guerre d’indépendance des États-Unis n’avait pas abouti à l’abolition de l’esclavage. L’ordre du monde n’en était donc pas affecté. Ce monde-là est en noir et blanc et ceux qui le dominent l’assument comme tel. La violence est ordinaire et codifiée. Le racisme précède, suit et explique les rapports sociaux en parasitant l’anthropologie, la philosophie, la sociologie, l’histoire, la morale, les doctrines religieuses et même les sciences. Que dire des coquetteries envers certains mots qui produisent aujourd’hui d’étonnantes retenues face à d’irréductibles réalités, de sorte que la couleur a en France cet étrange pouvoir de rendre invisible, qu’on ne dit pas Noir mais Black, qu’un Arabe devient sémantiquement un Maghrébin ou, plus insolite, un Musulman ?
Aux temps de la conquête coloniale qui accapara les territoires des Amériques, des Caraïbes et de l’Océan indien, décima les Amérindiens et initia la traite négrière, puis de celle qui s’empara de territoires en Afrique et au Maghreb, instaura le travail forcé et le code de l’indigénat, on parlait clair. Césaire dit que les « baveurs » sont venus plus tard, que « ni Cortez découvrant Mexico du haut du grand téocalli, ni Pizarre devant Cuzco (encore moins Marco Polo devant Cambaluc), ne protestent d’être les fourriers d’un ordre supérieur. Ils tuent, pillent, ont des casques, des lances, des cupidités ». Césaire accuse le « pédantisme chrétien ». En effet, l’Église n’est pas en reste. Pas seulement parce qu’elle possède des plantations cultivées par la main-d’œuvre servile et perçoit de l’État une dotation per capita pour chaque esclave baptisé et convaincu des vertus de la soumission en échange d’une place au paradis céleste. Elle est au diapason parce qu’aux temps de l’esclavage, les rois règnent sur les duchés, principautés et fiefs puis sur leur nation, tandis que la papauté règne sur le monde chrétien, soit l’Europe conquérante, ses colonies, ses vassaux et ses sujets.
Le premier Code Noir est promulgué l’année de révocation de l’Édit de Nantes, assurant la suprématie catholique dans un royaume qui se rêve de confession homogène. Par son article premier, reprenant l’Édit royal du 23 avril 1615, il prononce « l’expulsion en trois mois de tous les Juifs résidant dans les colonies, sous peine de confiscation de corps et de biens ». Et dès l’article deux, il est fait obligation de baptiser les esclaves. L’Église est bien l’autorité suprême. Le préambule du Code Noir évoque d’ailleurs la « discipline de l’église catholique, apostolique et romaine ». Son pouvoir spirituel, bien calé dans des fortunes, des patrimoines et des réseaux temporels s’étend par-delà les méridiens et parallèles connus. Terra incognita et mare nostrum postulent que les frontières sont affaire de navigation et de force. Le premier arrivé plante bannière et armoiries, nomme et exploite.
C’est la bulle Romanus Pontifex émise en 1454 par le pape Nicolas V qui donne le coup d’envoi officiel et légal de la traite en autorisant le roi du Portugal, Alfonso V, à pratiquer le commerce du « bois d’ébène » (black ivory pour les Anglais), nom inspiré par la couleur des esclaves africains. Le Portugal et l’Espagne prennent vite l’initiative de la traite et enregistrent une avance d’un siècle sur les Anglais, les Danois et les Suédois, cent vingt ans sur les Français, un siècle et demi sur les Hollandais.
L’Espagne s’y prendra par trois fois en 1768, 1769 et 1783 pour passer de ses ordonnances, lois, règlements et brevets de 1571 parfois contradictoires, à un Codigo negro. À Valladolid, le père dominicain Bartolomé de las Casas tentera, face au théologien Juan Ginès de Sepulveda, de convaincre les rois catholiques d’Espagne de limiter l’encomienda, asservissement des Amérindiens, en plaidant que ces derniers ont probablement une âme, que leurs multiples dieux doivent bien les conduire tôt ou tard au Dieu tout-puissant, qu’il conviendrait de les dispenser de l’esclavage, et concomitamment, de les remplacer par de vigoureux bras venus d’Afrique.
C’est la Bible qui fournit la fable de la malédiction de Cham, fils irrespectueux de Noé, dont la descendance aurait été condamnée à servir la descendance de ses frères. Les exégètes se disputent encore pour savoir à quel moment et par quel procédé Cham est devenu noir. Le fait est que les Kémites sont « brûlés par le soleil ». Les Kémites descendent de Cham comme les Sémites de Sem, frère de Cham et Japhet. Les conflits de religion déterminent les rapports de force et les querelles sont arbitrées par l’Église. La bulle Inter Coetera du pape Alexandre VI définit en mai 1493 une ligne de partage des Amériques très favorable aux rois d’Espagne. Les rois du Portugal qui avaient coutume d’être favorisés par les papes Nicolas V et Calixte III ayant protesté, le traité de Tordesillas leur accorde en juin 1494 l’est de l’Amérique et l’ouest de l’Afrique. Voilà pourquoi le Brésil, qui s’étend néanmoins sur quarante pour cent du continent sud, est lusophone, de même que le Mozambique et le Cap Vert en Afrique, alors que tous les autres pays d’Amérique du sud et d’Amérique centrale sont hispanophones. Officiellement, cela s’entend, car cette Amérique que l’on dit latine est fondamentalement indienne, métisse et noire.
L’arrivée de concurrents tonitruants va compliquer cet ordre binaire du monde. Les Anglais, engagés dans la Réforme, contestent l’autorité pontificale. Sur le fondement des libertés économiques et commerciales formulées par le protestantisme, ils engagent conquêtes et implantation dès 1559. Aujourd’hui, non seulement la Caraïbe est majoritairement anglophone, comme l’Afrique de l’Est, mais la reine d’Angleterre demeure le Chef de l’État et la Cour Suprême d’Angleterre l’instance de dernier recours pour les litiges judiciaires qu’ont à connaître ces pays indépendants, membres du Commonwealth. Officiellement aussi, cela s’entend, car les pays caribéens sont d’abord créolophones et les langues natives africaines demeurent le moyen d’expression et de communication de la très large majorité des populations.
Quant à la France, François Ier dont le sens du pouvoir le conduit à s’allier aux princes protestants allemands et aux Turcs malgré les objections de l’Europe catholique, se montrera fort instruit des codes culturels dominants en demandant « quelle clause du testament d’Adam exclut la France du partage du monde ». Mais c’est seulement à partir de 1570, par l’achat de licences (les asientos) auprès de l’Espagne qui détient encore le monopole des droits de traite, puis par ses lettres patentes, que le royaume de France se lancera dans l’expansion coloniale. Sa participation devient systématique à partir de 1640. Louis XIV essaiera mais échouera à convaincre les Hollandais de conclure une sorte de communauté économique européenne pour répartir le marché de l’approvisionnement et celui des débouchés entre les cinq puissances maritimes d’alors, le Portugal, l’Espagne, l’Angleterre, la Hollande et la France.
Pour l’approvisionnement, une espèce de gentleman’agreement découpera les côtes africaines en zones d’opération de la Mauritanie à la Sierra Leone pour la France, le Congo et l’Angola pour le Portugal, la Gold Coast et le Dahomey pour l’Angleterre, la Hollande et le Danemark, la Côte d’Ivoire pour la Hollande. Ces aires d’influence varieront selon la fortune des compagnies de monopoles, sociétés transnationales avant la lettre. Pour le reste, c’est la concurrence qui prévaut, impitoyablement.
Tout est bon pour consolider une position commerciale et tout devient prétexte à affrontement : la guerre de succession d’Espagne, le contrôle des mers, les territoires fertiles ou stratégiques (l’Acadie, Terre-Neuve), l’asiento, l’Ouest d’Hispaniola (cédé à la France par le traité de Ryswick de 1697), l’implantation à Gibraltar et Minorque (qui revient aux Anglais par le traité d’Utrecht en 1713), la Nouvelle-France (les « quelques arpents de neige » cédés aux Anglais par le traité de Paris de 1763), la Nouvelle-Orléans (qui passe de la France à l’Espagne puis à nouveau à la France avant d’être vendue par Napoléon aux jeunes États-Unis), l’Île Maurice (Île de France passée sous contrôle britannique). Les puissances européennes inaugurent ainsi une longue période de rivalités où le déplacement du centre nerveux du capitalisme expansionniste naissant, de la Méditerranée vers l’Atlantique permettra bientôt aux villes portuaires de Liverpool, Londres, Glasgow, de Nantes, Bordeaux, La Rochelle, d’Amsterdam, Rotterdam, Hambourg, et de Glückstadt, de supplanter progressivement Lisbonne et Madrid.
Ces rivalités épousent l’intensité des progrès technologiques et préparent les guerres meurtrières du vingtième siècle. Au regard de l’intense influence et de la dense implication de l’Église, c’est l’honneur de l’abbé Grégoire, défenseur de l’émancipation des Juifs, d’avoir rédigé le décret d’abolition du 4 février 1794 sous l’autorité de la Convention. C’était cinq ans après la Révolution française qui, toute à son euphorie pour les hommes et citoyens qui « naissent et demeurent libres et égaux en droits » avait oublié et les esclaves et les femmes. C’est aussi l’honneur de l’abbé Grégoire d’avoir continué à dénoncer la traite négrière après le rétablissement de l’esclavage par Napoléon, en la qualifiant en 1822 de « commerce homicide ». Guillaume Raynal, père jésuite avait quant à lui été contraint à l’exil en Russie pour avoir critiqué la colonisation. En 1990, le pape Jean-Paul II s’est incliné à l’île sénégalaise de Gorée et a demandé pardon pour la part prise par l’Église dans ce trafic humain.