Les constitutions de la France de la Révolution à la IVe République
Ferdinand Mélin-Soucramanien
© Éditions Dalloz, 2009
SOMMAIRE

Présentation

I. – Constitution du 3 septembre 1791

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789

Constitution française

II. – Constitution de l’an I (24 juin 1793)

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

Acte constitutionnel

III. – Constitution du 5 fructidor an III (22 août 1795)

Déclaration des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen

Constitution

IV. – Constitution du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799)

V. – Sénatus-consulte du 16 thermidor an X (4 août 1802)

VI. – Sénatus-consulte du 28 floréal an XII (18 mai 1804)

VII. – Charte constitutionnelle du 4 juin 1814

VIII. – Acte additionnel aux constitutions de l’empire du 22 avril 1815

IX. – Charte constitutionnelle du 14 août 1830

X. – Constitution du 4 novembre 1848

Préambule

Constitution

XI. – Constitution du 14 janvier 1852

Sénatus-consulte du 7 novembre 1852

Décret impérial du 2 décembre 1852

Sénatus-consulte du 12 décembre 1852

Sénatus-consulte du 25 décembre 1852

Sénatus-consulte du 23 avril 1856

Sénatus-consulte du 17 juillet 1856

Sénatus-consulte du 27 mai 1857

Sénatus-consulte du 17 février 1858

Sénatus-consulte du 2 février 1861

Sénatus-consulte du 18 juillet 1866

Sénatus-consulte du 14 mars 1867

Sénatus-consulte du 8 septembre 1869

Sénatus-consulte du 21 mai 1870

XII. – Lois constitutionnelles de 1875

Loi du 25 février 1875

Loi du 24 février 1875

Loi constitutionnelle du 16 juillet 1875

Loi du 21 juin 1879

Loi du 14 août 1884

Loi du 10 août 1926

XIII. – Loi constitutionnelle du 10 juillet 1940

XIV. – Loi constitutionnelle du 2 novembre 1945

XV. – Constitution du 27 octobre 1946

Préambule

Constitution

Tableau récapitulatif

Pour aller plus loin

PRÉSENTATION
À proprement parler, l’histoire constitutionnelle française ne commence pas en 1789 puisque déjà sous l’Ancien régime existaient quelques lois fondamentales qui tenaient lieu de Constitution au Royaume. Il n’en reste pas moins que, du point de vue juridique, la grande novation de la Révolution française fut de doter « la grande Nation » d’une Constitution écrite afin, comme le prévoit la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 que « … les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous ». L’objectif des premiers constituants était donc d’assurer une forme de sécurité juridique en créant une norme fondamentale suffisamment stable pour que cesse l’insécurité juridique, ou pour tout dire l’arbitraire, qui caractérisait l’ordre juridique ancien. On sait que, faute d’une garantie efficace, et notamment juridictionnelle, de la Constitution, cet objectif n’a été atteint que récemment. Pourtant, des textes constitutionnels dans leur ensemble, comme la Déclaration, ou au moins des principes contenus dans ces constitutions du passé ont traversé le temps et appartiennent encore au droit positif. À ce titre, la connaissance des textes des constitutions antérieures à la Constitution du 4 octobre 1958 apporte un éclairage déterminant sur la compréhension du droit constitutionnel contemporain et participe donc de ce nouveau « catéchisme républicain » que Talleyrand appelait de ses vœux en 1791.
Quinze constitutions depuis 1789. – Depuis la période révolutionnaire, qui a vu la naissance de la première constitution écrite française, à l’adoption de la Constitution du 4 octobre 1958 qui marque la fin de la IVe République et le passage à la Ve République, la France aura expérimenté pas moins de quinze constitutions différentes, sans même compter les innombrables projets qui furent conçus mais qui n’ont fort heureusement pas tous été mis en œuvre. Cette « discontinuité constitutionnelle », pour reprendre la fameuse formule du Doyen Vedel, peut se lire de plusieurs manières. Dans un sens, elle pourrait représenter une marque du « génie français » et de la passion que les Français nourrissent, ou tout au moins nourrissaient, depuis la chute de l’Ancien Régime pour le Droit et, spécialement pour le droit constitutionnel. En ce sens, la recherche du meilleur régime constitutionnel apparaît comme une aspiration parfaitement légitime. Cependant, cette succession de constitutions peut aussi être lue comme une marque d’hésitation, une indétermination fondamentale, de la communauté des citoyens français à se doter enfin d’un « code politique » réellement stable. De ce point de vue, les circonstances de la naissance du constitutionnalisme en France éclairent sans doute les raisons de cette hésitation. Le mouvement constitutionnel est né en France, moins de la volonté de se protéger d’un monarque tout-puissant que de celle d’établir un pacte constitutionnel, un « contrat social » entre des sujets devenus citoyens. Les cahiers de doléances demandaient ainsi tout à la fois le maintien de la monarchie et la rédaction d’une Constitution écrite garantissant les droits individuels, au premier rang desquels l’égalité devant la loi. On perçoit alors la difficulté de doter la France d’une Constitution pérenne lorsque la Constitution doit constamment s’adapter aux circonstances politiques du moment ou aux impératifs économiques et sociaux. Cette exigence de mutabilité constitutionnelle a d’ailleurs été prévue par certains textes constitutionnels eux-mêmes. Ainsi, l’article 28 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen placée en tête de la Constitution montagnarde, la Constitution de l’An I, prévoyait-il qu’« Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures ». On ne saurait mieux dire. Il n’en reste pas moins que cette discontinuité constitutionnelle apparente contraste nettement avec la situation d’autres pays où continuent de s’appliquer de « vieilles constitutions », comme aux États-Unis, en Autriche ou en Norvège, par exemple, et conduit à faire de la situation française un cas d’école.
Des cycles constitutionnels ? – Ce caractère foisonnant et parfois erratique de l’histoire constitutionnelle française, alternant régime parlementaire et présidentiel, monarchie et République, dictature et démocratie, a d’ailleurs conduit les auteurs à rechercher une explication rationnelle à ces changements fréquents de Constitution. La plus célèbre des théories formulées à cet égard est sans nul doute la « théorie des cycles constitutionnels » du Doyen Maurice Hauriou. Il a développé cette idée notamment dans son Précis de droit constitutionnel de 1923. Selon lui, l’histoire constitutionnelle française postérieure à 1789 serait traversée périodiquement par deux grandes tendances : l’une « révolutionnaire », se traduisant par un régime d’assemblée, c’est-à-dire de confusion des pouvoirs au profit de l’organe législatif ; l’autre « réactionnaire », caractérisée par un gouvernement consulaire, autrement dit par une confusion des pouvoirs au profit de l’exécutif. Le Doyen de Toulouse a montré que ces deux tendances scandent la vie politique et institutionnelle française à intervalles réguliers. Par exemple, entre 1789 et 1814, au régime conventionnel succèdent le Consulat et le premier Empire. De même, entre 1848 et 1870, la République parlementaire créée par la Constitution de 1848 cède rapidement le pas face au rétablissement de l’Empire. Alors que son propos se situe durant l’entre-deux-guerres, ce raisonnement lui permet d’inférer qu’à la République parlementaire instaurée à compter de 1870 et plus encore par les lois constitutionnelles de 1875, devrait succéder un régime « réactionnaire » de confiscation de tous les pouvoirs par le gouvernement. Ce qui adviendra effectivement avec la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 qui instaure ni plus ni moins une forme de dictature personnelle au profit de Philippe Pétain. Cette présentation, même si elle demeure séduisante car elle décrit parfaitement la réalité des faits politiques, doit néanmoins être nuancée car elle repose sur une forme de déterminisme historique au terme duquel l’Histoire serait un éternel recommencement et surtout elle ne permet pas d’expliquer les ressorts profonds de ces évolutions.
Une continuité constitutionnelle. – En réalité, on peut relever que sous l’apparente discontinuité des régimes politiques transparaît tout de même une certaine continuité constitutionnelle. L’ensemble de cette période durant laquelle les régimes politiques les plus divers se sont succédé à un rythme rapide, de la monarchie constitutionnelle à la République parlementaire, en passant par le régime d’assemblée et l’Empire, revêt une fonction explicative de ce que sont aujourd’hui les institutions politiques de la France. Aussi, plutôt que de faire référence à des « cycles », il peut sembler préférable de parler de strates dans la mesure où le terreau constitutionnel contemporain est constitué d’une série de couches sédimentaires que le temps a accumulées. On retrouve ici l’idée chère à Benjamin Constant selon laquelle : « les constitutions se font rarement par la volonté des hommes. Le temps les fait ». En effet, ce qu’est aujourd’hui la Constitution française, c’est-à-dire un « bloc de constitutionnalité » écrit comprenant 151 articles auxquels doivent s’ajouter non seulement l’interprétation constitutionnelle retenue par le Conseil constitutionnel mais aussi le droit constitutionnel non-écrit résultant notamment de la pratique des institutions, ne peut être appréhendé sans l’éclairage des constitutions antérieures. Pour se limiter à ces quelques exemples classiques : la sacralisation de la loi qui prévaut au moins jusqu’en 1958 prend racine dans l’exaltation révolutionnaire qui glorifie la volonté de la représentation nationale ; la rationalisation actuelle du régime parlementaire trouve sa source dans les dérèglements des régimes de la IIIe et de la IVe République ; l’article 16 de la Constitution de 1958, véritable clause de sauvegarde de la République, est justifié par les débâcles de 1870 et 1940 ; etc. Mais, surtout, au-delà de ces réminiscences ponctuelles du passé constitutionnel, certains principes ont perduré depuis 1789 et ce quels que soient les régimes politiques en vigueur. C’est le cas, par exemple, des principes d’indivisibilité ou d’égalité, ou encore de la séparation des pouvoirs.
L’enracinement du régime républicain. – De plus, et s’il fallait tout de même ordonner quelque peu les différentes constitutions que la France a connues depuis 1789, il apparaît qu’un événement majeur permet de distinguer deux séquences à l’intérieur de cette période de 169 ans qui court de 1789 à l’adoption en 1958 de la Constitution de la Ve République. Elles sont séparées par la date charnière de l’histoire constitutionnelle française, celle du 4 septembre 1870. Cette date, comme on le sait, correspond à la troisième proclamation de la République, après celles de 1792 et 1848. Cette proclamation par le gouvernement de défense nationale depuis l’hôtel de ville de Paris consacre l’enracinement définitif de la République en France, exception faite de la « parenthèse » du régime de Vichy entre 1940 et 1944. Ce qui est certain, c’est qu’après cette date un éventuel retour à la monarchie n’apparaît plus que comme une chimère, d’autant que la loi constitutionnelle du 14 août 1884 va venir sceller définitivement cette impossibilité en prévoyant que « la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l’objet d’une proposition de révision », formule qui se retrouve presque à l’identique au cinquième alinéa de l’article 89 de la Constitution du 4 octobre 1958. La question s’est d’ailleurs déplacée aujourd’hui puisque ce qui retient l’attention c’est moins le risque d’un abandon de la forme républicaine du « gouvernement », c’est-à-dire d’un régime qui n’est pas une monarchie, que celui d’une altération profonde de la substance du caractère républicain du régime.
La « sécurité constitutionnelle ». – Enfin, s’il appert de l’histoire constitutionnelle française que ce pays s’était accoutumé aux changements brutaux de constitutions et de régimes politiques, force est de constater que désormais un point d’équilibre paraît avoir été atteint. À cet égard, la pérennité de la Constitution du 4 octobre 1958 dont on vient de commémorer le cinquantième anniversaire représente assurément un fait nouveau. Les raisons juridiques de cette stabilisation de la norme fondamentale sont bien connues. Elle résulte tant de la création d’un organe de justice constitutionnelle, le Conseil constitutionnel qui, au fil de ses interprétations, permet une actualisation constante de la Constitution, que de la banalisation des révisions constitutionnelles qui a transformé la Constitution en une norme vivante s’adaptant aux réalités institutionnelles et sociales. En effet, depuis 1958, la Constitution de la Ve République a été modifiée à vingt-quatre reprises et, parfois en profondeur, comme lors de l’instauration du quinquennat en 2000 ou, en 2008, lors de la dernière révision qui a touché à l’essentiel, à savoir l’équilibre des pouvoirs. Ces multiples révisions sont parfois dénoncées au motif qu’elles seraient la marque d’un réformisme constitutionnel sans réelle justification. En réalité, ces respirations régulières permettent au contraire d’assurer une forme de sécurité juridique, une « sécurité constitutionnelle » pourrait-on dire, dans la mesure où en changeant la Constitution, elles évitent que l’on change de Constitution. En somme, que tout change, pour que rien ne change !
F. M.-S.
I. – CONSTITUTION DU 3 SEPTEMBRE 1791
Les représentants du Peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la constitution et au bonheur de tous.
En conséquence, l’Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les droits suivants de l’homme et du citoyen.
Art. I. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.
Art. II. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.
Art. III. Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation ; nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.
Art. IV. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société, la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.
Art. V. La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.
Art. VI. La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.
Art. VII. Nul homme ne peut être accusé, arrêté, ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi, doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance.
Art. VIII. La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.
Art. IX. Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne, doit être sévèrement réprimée par la loi.
Art. X. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi.
Art. XI. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.
Art. XII. La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique ; cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.
Art. XIII. Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.
Art. XIV. Tous les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes, ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.
Art. XV. La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.
Art. XVI. Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution.
Art. XVII. La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.
L’Assemblée nationale, voulant établir la Constitution française sur les principes qu’elle vient de reconnaître et de déclarer, abolit irrévocablement les institutions qui blessaient la liberté et l’égalité des droits.
Il n’y a plus ni noblesse, ni pairie, ni distinctions héréditaires, ni distinctions d’ordres, ni régime féodal, ni justices patrimoniales, ni aucun des titres, dénominations et prérogatives qui en dérivaient, ni aucun ordre de chevalerie, ni aucune des corporations ou décorations, pour lesquelles on exigeait des preuves de noblesse, ou qui supposaient des distinctions de naissance, ni aucune autre supériorité, que celle des fonctionnaires publics dans l’exercice de leurs fonctions.
Il n’y a plus ni vénalité, ni hérédité d’aucun office public.
Il n’y a plus, pour aucune partie de la nation, ni pour aucun individu, aucun privilège, ni exception au droit commun de tous les Français.
Il n’y a plus ni jurandes, ni corporations de professions, arts et métiers.
La loi ne reconnaît plus ni vœux religieux, ni aucun autre engagement qui serait contraire aux droits naturels ou à la Constitution.
TITRE I
DISPOSITIONS FONDAMENTALES GARANTIES
PAR LA CONSTITUTION
La Constitution garantit, comme droits naturels et civils :
1o que tous les citoyens sont admissibles aux places et emplois, sans autre distinction que celle des vertus et des talents ;
2o que toutes les contributions seront réparties entre tous les citoyens également en proportion de leurs facultés ;
3o que les mêmes délits seront punis des mêmes peines, sans aucune distinction des personnes.
La Constitution garantit pareillement, comme droits naturels et civils :
– la liberté à tout homme d’aller, de rester, de partir, sans pouvoir être arrêté, ni détenu, que selon les formes déterminées par la Constitution ;
– la liberté à tout homme de parler, d’écrire, d’imprimer et publier ses pensées, sans que les écrits puissent être soumis à aucune censure ni inspection avant leur publication, et d’exercer le culte religieux auquel il est attaché ;
– la liberté aux citoyens de s’assembler paisiblement et sans armes, en satisfaisant aux lois de police ;
– la liberté d’adresser aux autorités constituées des pétitions signées individuellement.
Le pouvoir législatif ne pourra faire aucunes lois qui portent atteinte et mettent obstacle à l’exercice des droits naturels et civils consignés dans le présent titre, et garantis par la Constitution ; mais comme la liberté ne consiste qu’à pouvoir faire tout ce qui ne nuit ni aux droits d’autrui, ni à la sûreté publique, la loi peut établir des peines contre les actes qui, attaquant ou la sûreté publique ou les droits d’autrui, seraient nuisibles à la société.
La Constitution garantit l’inviolabilité des propriétés ou la juste et préalable indemnité de celles dont la nécessité publique, légalement constatée, exigerait le sacrifice.
Les biens destinés aux dépenses du culte et à tous services d’utilité publique, appartiennent à la nation, et sont dans tous les temps à sa disposition.
La Constitution garantit les aliénations qui ont été ou qui seront faites suivant les formes établies par la loi.
Les citoyens ont le droit d’élire ou choisir les ministres de leurs cultes.
Il sera créé et organisé un établissement général de secours publics, pour élever les enfants abandonnés, soulager les pauvres infirmes, et fournir du travail aux pauvres valides qui n’auraient pu s’en procurer.
Il sera créé et organisé une instruction publique commune à tous les citoyens, gratuite à l’égard des parties d’enseignement indispensables pour tous les hommes et dont les établissements seront distribués graduellement, dans un rapport combiné avec la division du royaume.
Il sera établi des fêtes nationales pour conserver le souvenir de la Révolution française, entretenir la fraternité entre les citoyens, et les attacher à la Constitution, à la patrie et aux lois.
Il sera fait un code de lois civiles communes à tout le royaume.
TITRE II
DE LA DIVISION DU ROYAUME ET DE L’ÉTAT DES CITOYENS
Art. 1. Le royaume est un et indivisible ; son territoire est distribué en quatre-vingt-trois départements, chaque département en districts, chaque district en cantons.
Art. 2. Sont citoyens français : ceux qui sont nés en France d’un père français ; ceux qui, nés en France d’un père étranger, ont fixé leur résidence dans le royaume ; ceux qui, nés en pays étranger d’un père français, sont venus s’établir en France et ont prêté le serment civique ; enfin ceux qui, nés en pays étranger, et descendant, à quelque degré que ce soit, d’un Français ou d’une Française expatriés pour cause de religion, viennent demeurer en France et prêtent le serment civique.
Art. 3. Ceux qui, nés hors du royaume de parents étrangers, résident en France, deviennent citoyens français, après cinq ans de domicile continu dans le royaume, s’ils y ont, en outre, acquis des immeubles ou épousé une Française, ou formé un établissement d’agriculture ou de commerce, et s’ils ont prêté le serment civique.
Art. 4. Le pouvoir législatif pourra, pour des considérations importantes, donner à un étranger un acte de naturalisation, sans autres conditions que de fixer son domicile en France et d’y prêter le serment civique.
Art. 5. Le serment civique est : « Je jure d’être fidèle à la nation, à la loi et au roi et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution du royaume, décrétée par l’Assemblée nationale constituante aux années 1789, 1790 et 1791 ».
Art. 6. La qualité de citoyen français se perd :
1o par la naturalisation en pays étranger ;
2o par la condamnation aux peines qui emportent la dégradation civique, tant que le condamné n’est pas réhabilité ;
3o par un jugement de contumace, tant que le jugement n’est pas anéanti ;
4o par l’affiliation à tout ordre de chevalerie étranger ou à toute corporation étrangère qui supposerait, soit des preuves de noblesse, soit des distinctions de naissance, ou qui exigerait des vœux religieux.
Art. 7. La loi ne considère le mariage que comme contrat civil. Le pouvoir législatif établira pour tous les habitants, sans distinction, le mode par lequel les naissances, mariages et décès seront constatés ; et il désignera les officiers publics qui en recevront et conserveront les actes.
Art. 8. Les citoyens français considérés sous le rapport des relations locales qui naissent de leurs réunions dans les villes et dans de certains arrondissements du territoire des campagnes, forment les communes. Le pouvoir législatif pourra fixer l’étendue de l’arrondissement de chaque commune.
Art. 9. Les citoyens qui composent chaque commune, ont le droit d’élire à temps, et suivant les formes déterminées par la loi, ceux d’entre eux qui, sous le titre d’officiers municipaux, sont chargés de gérer les affaires particulières de la commune. Il pourra être délégué aux officiers municipaux quelques fonctions relatives à l’intérêt général de l’État.
Art. 10. Les règles que les officiers municipaux seront tenus de suivre dans l’exercice des fonctions, tant municipales que de celles qui leur auront été déléguées pour l’intérêt général, seront fixées par les lois.
TITRE III
DES POUVOIRS PUBLICS
Art. 1. La souveraineté est une, indivisible, inaliénable et imprescriptible. Elle appartient à la nation ; aucune section du peuple, ni aucun individu, ne peut s’en attribuer l’exercice.
Art. 2. La nation, de qui seule émanent tous les pouvoirs, ne peut les exercer que par délégation. La Constitution française est représentative : les représentants sont le corps législatif et le roi.
Art. 3. Le pouvoir législatif est délégué à une Assemblée nationale composée de représentants temporaires, librement élus par le peuple, pour être exercé par elle,
avec la sanction du roi, de la manière qui sera déterminée ci-après.
Art. 4. Le gouvernement est monarchique : le pouvoir exécutif est délégué au roi, pour être exercé sous son autorité, par des ministres et autres agents responsables, de la manière qui sera déterminée ci-après.
Art. 5. Le pouvoir judiciaire est délégué à des juges élus à temps par le peuple.
Chapitre I
De l’Assemblée nationale législative
Art. 1. L’Assemblée nationale formant le corps législatif est permanente, et n’est composée que d’une chambre.
Art. 2. Elle sera formée tous les deux ans par de nouvelles élections. Chaque période de deux années formera une législature.
Art. 3. Les dispositions de l’article précédent n’auront pas lieu à l’égard du prochain corps législatif, dont les pouvoirs cesseront le dernier jour d’avril 1793.
Art. 4. Le renouvellement du corps législatif se fera de plein droit.
Art. 5. Le corps législatif ne pourra être dissous par le roi.
Section I
Nombre des représentants
Bases de la représentation
Art. 1. Le nombre des représentants au corps législatif est de sept cent quarante-cinq à raison des quatre-vingt-trois départements dont le royaume est composé et indépendamment de ceux qui pourraient être accordés aux colonies.
Art. 2. Les représentants seront distribués entre les quatre-vingt-trois départements, selon les trois proportions du territoire, de la population, et de la contribution directe.
Art. 3. Des sept cent quarante-cinq représentants, deux cent quarante-sept sont attachés au territoire. Chaque département en nommera trois, à l’exception du département de Paris, qui n’en nommera qu’un.
Art. 4. Deux cent quarante-neuf représentants sont attribués à la population. La masse totale de la population active du royaume est divisée en deux cent quarante-neuf parts, et chaque département nomme autant de députés qu’il a de parts de population.
Art. 5. Deux cent quarante-neuf représentants sont attachés à la contribution directe. La somme totale de la contribution directe du royaume est de même divisée en deux cent quarante-neuf parts, et chaque département nomme autant de députés qu’il paie de parts de contribution.
Section II
Assemblées primaires
Nomination des électeurs
Art. 1. Pour former l’Assemblée nationale législative, les citoyens actifs se réuniront tous les deux ans en Assemblées primaires dans les villes et dans les cantons. Les Assemblées primaires se formeront de plein droit le second dimanche de mars, si elles n’ont pas été convoquées plus tôt par les fonctionnaires publics déterminés par la loi.
Art. 2. Pour être citoyen actif, il faut : être né ou devenu Français ; être âgé de vingt-cinq ans accomplis ; être domicilié dans la ville ou dans le canton depuis le temps déterminé par la loi ; payer, dans un lieu quelconque du royaume, une contribution directe au moins égale à la valeur de trois journées de travail, et en représenter la quittance ; n’être pas dans un état de domesticité, c’est-à-dire de serviteur à gages ; être inscrit dans la municipalité de son domicile au rôle des gardes nationales ; avoir prêté le serment civique.
Art. 3. Tous les six ans, le corps législatif fixera le minimum et le maximum de la valeur de la journée de travail, et les administrateurs des départements en feront la détermination locale pour chaque district.
Art. 4. Nul ne pourra exercer les droits de citoyen actif dans plus d’un endroit, ni se faire représenter par un autre.
Art. 5. Sont exclus de l’exercice des droits de citoyen actif : ceux qui sont en état d’accusation ; ceux qui, après avoir été constitués en état de faillite ou d’insolvabilité, prouvé par pièces authentiques, ne rapportent pas un acquit général de leurs créanciers.
Art. 6. Les Assemblées primaires nommeront des électeurs en proportion du nombre des citoyens actifs domiciliés dans la ville ou le canton. Il sera nommé un électeur à raison de cent citoyens actifs présents, ou non, à l’assemblée. Il en sera nommé deux depuis cent cinquante et un jusqu’à deux cent cinquante, et ainsi de suite.
Art. 7. Nul ne pourra être nommé électeur, s’il ne réunit aux conditions nécessaires pour être citoyen actif, savoir : dans les villes au-dessus de six mille âmes,
celle d’être propriétaire ou usufruitier d’un bien évalué sur les rôles de contribution à un revenu égal à la valeur locale de deux cents journées de travail, ou d’être locataire d’une habitation évaluée sur les mêmes rôles, à un revenu égal à la valeur de cent cinquante journées de travail ; dans les villes au-dessous de six mille âmes, celle d’être propriétaire ou usufruitier d’un bien évalué sur les rôles de contribution à un revenu égal à la valeur locale de cent cinquante journées de travail, ou d’être locataire d’une habitation évaluée sur les mêmes rôles à un revenu égal à la valeur de cent journées de travail ; et dans les campagnes, celle d’être propriétaire ou usufruitier d’un bien évalué sur les rôles de contribution à un revenu égal à la valeur locale de cent cinquante journées de travail, ou d’être fermier ou métayer de biens évalués sur les mêmes rôles à la valeur de quatre cents journées de travail.
À l’égard de ceux qui seront en même temps propriétaires ou usufruitiers d’une part, et locataires, fermiers ou métayers de l’autre, leurs facultés à ces divers titres seront cumulées jusqu’au taux nécessaire pour établir leur éligibilité.
Section III
Assemblées électorales
Nomination des représentants
Art. 1. Les électeurs nommés en chaque département se réuniront pour élire le nombre des représentants dont la nomination sera attribuée à leur département, et un nombre de suppléants égal au tiers de celui des représentants. Les Assemblées électorales se formeront de plein droit le dernier dimanche de mars, si elles n’ont pas été convoquées plus tôt par les fonctionnaires publics déterminés par la loi.
Art. 2. Les représentants et les suppléants seront élus à la pluralité absolue des suffrages, et ne pourront être choisis que parmi les citoyens actifs du département.
Art. 3. Tous les citoyens actifs, quel que soit leur état, profession ou contribution, pourront être élus représentants de la nation.
Art. 4. Seront néanmoins obligés d’opter, les ministres et les autres agents du pouvoir exécutif révocables à volonté, les commissaires de la trésorerie nationale, les percepteurs et receveurs des contributions directes, les préposés à la perception et aux régies des contributions indirectes et des domaines nationaux, et ceux qui, sous quelque dénomination que ce soit, sont attachés à des emplois de la maison militaire et civile du roi. Seront également tenus d’opter les administrateurs, sous-administrateurs, officiers municipaux, et commandants des gardes nationales.
Art. 5. L’exercice des fonctions judiciaires sera incompatible avec celles de représentant de la nation, pendant toute la durée de la législature. Les juges seront remplacés par leurs suppléants et le roi pourvoira par des brevets de commission au remplacement de ses commissaires auprès des tribunaux.
Art. 6. Les membres du corps législatif pourront être réélus à la législature suivante, et ne pourront l’être ensuite qu’après l’intervalle d’une législature.
Art. 7. Les représentants nommés dans les départements, ne seront pas représentants d’un département particulier, mais de la nation entière, et il ne pourra leur être donné aucun mandat.
Section IV
Tenue et régime des assemblées primaires
et électorales
Art. 1. Les fonctions des assemblées primaires et électorales se bornent à élire ; elles se sépareront aussitôt après les élections faites, et ne pourront se former de nouveau que lorsqu’elles seront convoquées, si ce n’est au cas de l’article premier de la section II et de l’article premier de la section III ci-dessus.
Art. 2. Nul citoyen actif ne peut entrer ni donner son suffrage dans une assemblée, s’il est armé.
Art. 3. La force armée ne pourra être introduite dans l’intérieur sans le vœu exprès de l’assemblée, si ce n’est qu’on y commît des violences ; auquel cas, l’ordre du président suffira pour appeler la force publique.
Art. 4. Tous les deux ans, il sera dressé, dans chaque district, des listes, par cantons, des citoyens actifs, et la liste de chaque canton y sera publiée et affichée deux mois avant l’époque de l’assemblée primaire. Les réclamations qui pourront avoir lieu, soit pour contester la qualité des citoyens employés sur la liste, soit de la part de ceux qui se prétendront omis injustement, seront portées aux tribunaux pour y être jugées sommairement. La liste servira de règle pour l’admission des citoyens dans la prochaine assemblée primaire, en tout ce qui n’aura pas été rectifié par des jugements rendus avant la tenue de l’assemblée.
Art. 5. Les assemblées électorales ont le droit de vérifier la qualité et les pouvoirs de ceux qui s’y présenteront, et leurs décisions seront exécutées provisoirement, sauf le jugement du corps législatif lors de la vérification des pouvoirs des députés.
Art. 6. Dans aucun cas et sous aucun prétexte, le roi, ni aucun des agents nommés par lui, ne pourront prendre connaissance des questions relatives à la régularité des convocations, à la tenue des assemblées, à la forme des élections, ni aux droits politiques des citoyens, sans préjudice des fonctions des commissaires du roi dans les cas déterminés par la loi, où les questions relatives aux droits politiques des citoyens doivent être portées dans les tribunaux.
Section V
Réunion des représentants
en Assemblée nationale législative
Art. 1. Les représentants se réuniront le premier lundi du mois de mai, au lieu des séances de la dernière législature.
Art. 2. Ils se formeront provisoirement en assemblée, sous la présidence du doyen d’âge, pour vérifier les pouvoirs des représentants présents.
Art. 3. Dès qu’ils seront au nombre de trois cent soixante-treize membres vérifiés, ils se constitueront sous le titre d’Assemblée nationale législative : elle nommera un président, un vice-président et des secrétaires, et commencera l’exercice de ses fonctions.
Art. 4. Pendant tout le cours du mois de mai, si le nombre des représentants présents est au-dessous de trois cent soixante-treize, l’Assemblée ne pourra faire aucun acte législatif. Elle pourra prendre un arrêté pour enjoindre aux membres absents de se rendre à leurs fonctions dans le délai de quinzaine au plus tard, à peine de trois mille livres d’amende, s’ils ne proposent pas une excuse qui soit jugée légitime par l’assemblée.
Art. 5. Au dernier jour de mai, quel que soit le nombre des membres présents, ils se constitueront en Assemblée nationale législative.
Art. 6. Les représentants prononceront tous ensemble, au nom du peuple français, le serment de vivrelibres ou mourir. Ils prêteront ensuite individuellement le serment de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution du royaume, décrétée par l’Assemblée nationale constituante, aux années 1789, 1790 et 1791, de ne rien proposer ni consentir, dans le cours de la Législature, qui puisse y porter atteinte, et d’être en tout fidèles à la nation, à la loi et au roi.
Art. 7. Les représentants de la nation sont inviolables : ils ne pourront être recherchés, accusés ni jugés en aucun temps pour ce qu’ils auront dit, écrit ou fait dans l’exercice de leurs fonctions de représentants.
Art. 8. Ils pourront, pour faits criminels, être saisis en flagrant délit, ou en vertu d’un mandat d’arrêt ; mais il en sera donné avis, sans délai, au corps législatif ; et la poursuite ne pourra être continuée qu’après que le corps législatif aura décidé qu’il y a lieu à accusation.
Chapitre II
De la Royauté, de la Régence et des ministres
Section I
De la Royauté et du roi
Art. 1. La royauté est indivisible, et déléguée héréditairement à la race régnante de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, à l’exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance. (Rien n’est préjugé sur l’effet des renonciations, dans la race actuellement régnante.)
Art. 2. La personne du roi est inviolable et sacrée ; son seul titre est roi des Français
Art. 3. Il n’y a point en France d’autorité supérieure à celle de la loi. Le roi ne règne que par elle, et ce n’est qu’au nom de la loi qu’il peut exiger l’obéissance.
Art. 4. Le roi, à son avènement au trône, ou dès qu’il aura atteint sa majorité, prêtera à la nation, en présence du corps législatif, le serment d’être fidèle à la nation et à la loi, d’employer tout le pouvoir qui lui est délégué, à maintenir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale constituante, aux années 1789, 1790 et 1791, et à faire exécuter les lois. Si le corps législatif n’est pas assemblé, le roi fera publier une proclamation, dans laquelle seront exprimés ce serment et la promesse de le réitérer aussitôt que le corps législatif sera réuni.
Art. 5. Si, un mois après l’invitation du corps législatif, le roi n’a pas prêté ce serment, ou si, après l’avoir prêté, il le rétracte, il sera censé avoir abdiqué la royauté.
Art. 6. Si le roi se met à la tête d’une armée et en dirige les forces contre la nation, ou s’il ne s’oppose pas par un acte formel à une telle entreprise, qui s’exécuterait en son nom, il sera censé avoir abdiqué la royauté.
Art. 7. Si le roi, étant sorti du royaume, n’y rentrait pas après l’invitation qui lui en serait faite par le corps législatif, et dans le délai qui sera fixé par la proclamation, lequel ne pourra être moindre de deux mois, il serait censé avoir abdiqué la royauté. Le délai commencera à courir du jour où la proclamation du corps législatif aura été publiée dans le lieu de ses séances ; et les ministres seront tenus, sous leur responsabilité, de faire tous les actes du pouvoir exécutif, dont l’exercice sera suspendu dans la main du roi absent.
Art. 8. Après l’abdication expresse ou légale, le roi sera dans la classe des citoyens, et pourra être accusé et jugé comme eux pour les actes postérieurs à son abdication.
Art. 9. Les biens particuliers que le roi possède à son avènement au trône, sont réunis irrévocablement au domaine de la nation ; il a la disposition de ceux qu’il acquiert à titre singulier ; s’il n’en a pas disposé, ils sont pareillement réunis à la fin du règne.
Art. 10. La nation pourvoit à la splendeur du trône par une liste civile, dont le corps législatif déterminera la somme à chaque changement de règne pour toute la durée du règne.
Art. 11. Le roi nommera un administrateur de la liste civile, qui exercera les actions judiciaires du roi, et contre lequel toutes les actions à la charge du roi seront dirigées et les jugements prononcés. Les condamnations obtenues par les créanciers de la liste civile, seront exécutoires contre l’administrateur personnellement, et sur ses propres biens.
Art. 12. Le roi aura, indépendamment de la garde d’honneur qui lui sera fournie par les citoyens gardes nationales du lieu de sa résidence, une garde payée sur les fonds de la liste civile ; elle ne pourra excéder le nombre de douze cents hommes à pied et de six cents hommes à cheval. Les grades et les règles d’avancement y seront les mêmes que dans les troupes de ligne ; mais ceux qui composeront la garde du roi rouleront pour tous les grades exclusivement sur eux-mêmes, et ne pourront en obtenir aucun dans l’armée de ligne. Le roi ne pourra choisir les hommes de sa garde que parmi ceux qui sont actuellement en activité de service dans les troupes de ligne, ou parmi les citoyens qui ont fait depuis un an le service de gardes nationales, pourvu qu’ils soient résidents dans le royaume, et qu’ils aient précédemment prêté le serment civique. La garde du roi ne pourra être commandée ni requise pour aucun autre service public.
Section II
De la Régence
Art. 1. Le roi est mineur jusqu’à l’âge de dix-huit ans accomplis ; et pendant sa minorité, il y a un régent du royaume.
Art. 2. La régence appartient au parent du roi, le plus proche en degré, suivant l’ordre de l’hérédité au trône, et âgé de vingt-cinq ans accomplis, pourvu qu’il soit Français et regnicole, qu’il ne soit pas héritier présomptif d’une autre couronne, et qu’il ait précédemment prêté le serment civique. Les femmes sont exclues de la régence.
Art. 3. Si un roi mineur n’avait aucun parent réunissant les qualités ci-dessus exprimées, le régent du royaume sera élu ainsi qu’il va être dit aux articles suivants :
Art. 4. Le corps législatif ne pourra élire le régent.
Art. 5. Les électeurs de chaque district se réuniront au chef-lieu de district, d’après une proclamation qui sera faite dans la première semaine du nouveau règne, par le corps législatif, s’il est réuni ; et s’il était séparé, le ministre de la justice sera tenu de faire cette proclamation dans la même semaine.
Art. 6. Les électeurs nommeront en chaque district, au scrutin individuel, et à la pluralité absolue des suffrages, un citoyen éligible et domicilié dans le district, auquel ils donneront, par le procès-verbal de l’élection, un mandat spécial borné à la seule fonction d’élire le citoyen qu’il jugera en son âme et conscience le plus digne d’être régent du royaume.
Art. 7. Les citoyens mandataires nommés dans les districts, seront tenus de se rassembler dans la ville où le corps législatif tiendra sa séance, le quarantième jour, au plus tard, à partir de celui de l’avènement du roi mineur au trône ; et ils y formeront l’assemblée électorale, qui procédera à la nomination du régent.
Art. 8. L’élection du régent sera faite au scrutin individuel, et à la pluralité absolue des suffrages.
Art. 9. L’assemblée électorale ne pourra s’occuper que de l’élection, et se séparera aussitôt que l’élection sera terminée ; tout autre acte qu’elle entreprendrait de faire est déclaré inconstitutionnel et de nul effet.
Art. 10. L’assemblée électorale fera présenter, par son président, le procès-verbal de l’élection au corps législatif, qui, après avoir vérifié la régularité de l’élection, la fera publier dans tout le royaume par une proclamation.
Art. 11. Le régent exerce, jusqu’à la majorité du roi, toutes les fonctions de la royauté, et n’est pas personnellement responsable des actes de son administration.
Art. 12. Le régent ne peut commencer l’exercice de ses fonctions qu’après avoir prêté à la nation, en présence du corps législatif, le serment d’être fidèle à la nation, à la loi et au roi, d’employer tout le pouvoir délégué au roi, et dont l’exercice lui est confié pendant la minorité du roi, à maintenir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale constituante, aux années 1789, 1790 et 1791, et à faire exécuter les lois. Si le corps législatif n’est pas assemblé, le régent fera publier une proclamation, dans laquelle seront exprimés ce serment et la promesse de le réitérer aussitôt que le corps législatif sera réuni.
Art. 13. Tant que le régent n’est pas entré en exercice de ses fonctions, la sanction des lois demeure suspendue ; les ministres continuent de faire, sous leur responsabilité, tous les actes du pouvoir exécutif.
Art. 14. Aussitôt que le régent aura prêté le serment, le corps législatif déterminera son traitement, lequel ne pourra être changé pendant la durée de la régence.
Art. 15. Si, à raison de la minorité d’âge du parent appelé à la régence, elle a été dévolue à un parent plus éloigné, ou déférée par élection, le régent qui sera entré en exercice continuera ses fonctions jusqu’à la majorité du roi.
Art. 16. La régence du royaume ne confère aucun droit sur la personne du roi mineur.
Art. 17. La garde du roi mineur sera confiée à sa mère ; et s’il n’a pas de mère, ou si elle est remariée au temps de l’avènement de son fils au trône, ou si elle se remarie pendant la minorité, la garde sera déférée par le corps législatif. Ne peuvent être élus pour la garde du roi mineur, ni le régent et ses descendants, ni les femmes.
Art. 18. En cas de démence du roi, notoirement reconnue, légalement constatée, et déclarée par le corps législatif après trois délibérations successivement prises de mois en mois, il y a lieu à la régence, tant que la démence dure.
Section III
De la famille du roi
Art. 1. L’héritier présomptif portera le nom de Prince royal. Il ne peut sortir du royaume sans un décret du corps législatif et le consentement du roi. S’il en est sorti, et si, étant parvenu à l’âge de dix-huit ans, il ne rentre pas en France après avoir été requis par une proclamation du corps législatif, il est censé avoir abdiqué le droit de succession au trône.
Art. 2. Si l’héritier présomptif est mineur, le parent majeur, premier appelé à la régence, est tenu de résider dans le royaume. Dans le cas où il en serait sorti et n’y rentrerait pas sur la réquisition du corps législatif, il sera censé avoir abdiqué son droit à la régence.
Art. 3. La mère du roi mineur ayant sa garde, ou le gardien élu, s’ils sortent du royaume, sont déchus de la garde. Si la mère de l’héritier présomptif mineur sortait du royaume, elle ne pourrait, même après son retour, avoir la garde de son fils mineur devenu roi, que par un décret du corps législatif.
Art. 4. Il sera fait une loi pour régler l’éducation du roi mineur, et celle de l’héritier présomptif mineur.
Art. 5. Les membres de la famille du roi appelés à la succession éventuelle au trône, jouissent des droits de citoyen actif, mais ne sont éligibles à aucune des places, emplois ou fonctions qui sont à la nomination du peuple. À l’exception des départements du ministère, ils sont susceptibles des places et emplois à la nomination du roi ; néanmoins, ils ne pourront commander en chef aucune armée de terre ou de mer, ni remplir les fonctions d’ambassadeurs, qu’avec le consentement du corps législatif, accordé sur la proposition du roi.
Art. 6. Les membres de la famille du roi, appelés à la succession éventuelle au trône, ajouteront la dénomination de prince français au nom qui leur aura été donné dans l’acte civil constatant leur naissance et ce nom ne pourra être ni patronymique, ni formé d’aucune des qualifications abolies par la présente Constitution. La dénomination de prince ne pourra être donnée à aucun autre individu, et n’emportera aucun privilège, ni aucune exception au droit commun de tous les Français.
Art. 7. Les actes par lesquels seront légalement constatés les naissances, mariages et décès des princes français, seront présentés au corps législatif, qui en ordonnera le dépôt dans ses archives.
Art. 8. Il ne sera accordé aux membres de la famille du roi aucun apanage réel. Les fils puînés du roi recevront à l’âge de vingt-cinq ans accomplis, ou lors de leur mariage, une rente apanagère, laquelle sera fixée par le corps législatif, et finira à l’extinction de leur postérité masculine.
Section IV
Des ministres
Art. 1. Au roi seul appartiendront le choix et la révocation des ministres.
Art. 2. Les membres de l’Assemblée nationale actuelle et des législatures suivantes, les membres du tribunal de cassation, et ceux qui serviront dans le haut-juré, ne pourront être promus au ministère, ni recevoir aucunes places, dons, pensions, traitements, ou commissions du pouvoir exécutif ou de ses agents, pendant la durée de leurs fonctions, ni pendant deux ans après en avoir cessé l’exercice. Il en sera de même de ceux qui seront seulement inscrits sur la liste du haut-juré, pendant tout le temps que durera leur inscription.
Art. 3. Nul ne peut entrer en exercice d’aucun emploi, soit dans les bureaux du ministère, soit dans ceux des régies ou administrations des revenus publics, ni en général d’aucun emploi à la nomination du pouvoir exécutif, sans prêter le serment civique, ou sans justifier qu’il l’a prêté.
Art. 4. Aucun ordre du roi ne pourra être exécuté, s’il n’est signé par lui et contresigné par le ministre ou l’ordonnateur du département.
Art. 5. Les ministres sont responsables de tous les délits par eux commis contre la sûreté nationale et la Constitution ; de tout attentat à la propriété et à la liberté individuelle ; de toute dissipation des deniers destinés aux dépenses de leur département.
Art. 6. En aucun cas, l’ordre du roi, verbal ou par écrit, ne peut soustraire un ministre à la responsabilité.
Art. 7. Les ministres sont tenus de présenter chaque année au corps législatif, à l’ouverture de la session, l’aperçu des dépenses à faire dans leur département, de rendre compte de l’emploi des sommes qui y étaient destinées, et d’indiquer les abus qui auraient pu s’introduire dans les différentes parties du gouvernement.
Art. 8. Aucun ministre en place, ou hors de place, ne peut être poursuivi en matière criminelle pour fait de son administration, sans un décret du corps législatif.
Chapitre III
De l’exercice du pouvoir législatif
Section I
Pouvoirs et fonctions
de l’Assemblée nationale législative
Art. 1. La Constitution délègue exclusivement au corps législatif les pouvoirs et fonctions ci-après :
1o de proposer et décréter les lois : le roi peut seulement inviter le corps législatif à prendre un objet en considération ;
2o de fixer les dépenses publiques ;
3o d’établir les contributions publiques, d’en déterminer la nature, la quotité, la durée et le mode de perception ;
4o de faire la répartition de la contribution directe entre les départements du royaume, de surveiller l’emploi de tous les revenus publics, et de s’en faire rendre compte ;
5o de décréter la création ou la suppression des offices publics ;
6o de déterminer le titre, le poids, l’empreinte et la dénomination des monnaies ;
7o de permettre ou de défendre l’introduction des troupes étrangères sur le territoire français, et des forces navales étrangères dans les ports du royaume ;
8o de statuer annuellement, après la proposition du roi, sur le nombre d’hommes et de vaisseaux dont les armées de terre et de mer seront composées ; sur la solde et le nombre d’individus de chaque grade ; sur les règles d’admission et d’avancement, les formes de l’enrôlement et du dégagement, la formation des équipages de mer ; sur l’admission des troupes ou des forces navales étrangères au service de France, et sur le traitement des troupes en cas de licenciement ;
9o de statuer sur l’administration, et d’ordonner l’aliénation des domaines nationaux ;
10o de poursuivre devant la haute cour nationale la responsabilité des ministres et des agents principaux du pouvoir exécutif ; – d’accuser et de poursuivre devant la même cour, ceux qui seront prévenus d’attentat et de complot contre la sûreté générale de l’État ou contre la Constitution ;
11o d’établir les lois d’après lesquelles les marques d’honneurs ou décorations purement personnelles seront accordées à ceux qui ont rendu des services à l’État ;
12o le corps législatif a seul le droit de décerner les honneurs publics à la mémoire des grands hommes.
Art. 2. La guerre ne peut être décidée que par un décret du corps législatif, rendu sur la proposition formelle et nécessaire du roi, et sanctionné par lui. Dans le cas d’hostilités imminentes ou commencées, d’un allié à soutenir, ou d’un droit à conserver par la force des armes, le roi en donnera, sans aucun délai, la notification au corps législatif, et en fera connaître les motifs. Si le corps législatif est en vacances, le roi le convoquera aussitôt. Si le corps législatif décide que la guerre ne doive pas être faite, le roi prendra sur-le-champ des mesures pour faire cesser ou prévenir toutes hostilités, les ministres demeurant responsables des délais. Si le corps législatif trouve que les hostilités commencées soient une agression coupable de la part des ministres ou de quelque autre agent du pouvoir exécutif, l’auteur de l’agression sera poursuivi criminellement. Pendant tout le cours de la guerre, le corps législatif peut requérir le roi de négocier la paix ; et le roi est tenu de déférer à cette réquisition. À l’instant où la guerre cessera, le corps législatif fixera le délai dans lequel les troupes élevées au-dessus du pied de paix seront congédiées, et l’armée réduite à son état ordinaire.