Les interdits religieux
Caroline Fourest - Fiammetta Venner
Dalloz
© Éditions Dalloz, 2010
SOMMAIRE

Introduction

A

B

C

D

E

F

G

H

I

J

K

L

M

N

O

P

R

S

T

V

Remerciements

Index
INTRODUCTION
Interdits religieux ou interdits au nom du religieux ? La question se pose. L’expression « loi religieuse », souvent utilisée, n’a rien d’une évidence. Dans chaque religion, chaque source a donné lieu à une myriade d’interprétations et de commentaires. Ils varient d’une traduction à l’autre, d’une époque à l’autre, et même d’une région à l’autre.
Les versets de la Bible ne sont pas identiques selon qu’il s’agisse de la Bible hébraïque de l’Ancien Testament d’une traduction catholique, de la traduction anglicane, ou de la Bible des Témoins de Jéhovah.
Un simple examen des lois se disant inspirées de la charia dans les pays musulmans montre qu’il n’existe pas une mais des charias. Souvent, des extraits du Coran modifiés ou tronqués sont plus connus que les versions d’origine. Ainsi l’interdit de l’adultère en islam est connu via ce verset : « Ne vous approchez pas de la fornication. C’est une abomination et une voie pleine d’embûches ». Cette traduction est la plus utilisée par les prédicateurs souhaitant insister sur l’interdit. Pourtant la seule instance réellement légitime en matière de traduction, l’université d’Al Azhar au Caire, a validé une traduction plus policée : « N’en venez pas à la débauche, c’est une infamie et un mauvais sentier. » (Coran. Sourate 17. Le Voyage nocturne. 32)
L’affaire est encore plus complexe à propos des « hadiths » (propos ou actes de Mahomet que des témoins disent avoir vus ou entendus). Ils forment la tradition islamique (la Sunna) et sont considérés comme la deuxième source après le Coran. Mais ils sont très discutés et souvent contestés parmi les savants islamiques. La majorité des savants s’accordent sur un corpus de hadiths « authentiques », mais certains groupes ont moins de scrupules. Il est très difficile de savoir lequel est faux, lequel est vrai. Mahomet lui-même n’avait pas souhaité que ses faits et gestes aient une valeur de loi au même titre que le Coran
. Pourtant ce sont souvent dans les hadiths que l’on trouve les interdits les plus sévères, donc ceux qu’utilisent les prédicateurs les plus radicaux pour impressionner leurs fidèles.
Or chaque mot, chaque virgule, peut changer l’amplitude d’un interdit. Si des juifs lisaient aujourd’hui la Bible dans un sens littéral, sans tenir compte des commentaires du Talmud, ils devraient mettre à mort les adultères et lapider les apostats. Chaque jour, dans le monde, des théologiens tentent de décrypter des textes religieux aux formulations souvent datées, parfois absconses aux non-initiés. La compréhension de l’interdit suppose une chaîne de transmission et de savoir mettant les plus novices sous la tutelle des plus formés, très souvent des hommes (puisque les femmes restent largement exclues du rabbinat, de l’ordination ou de l’imanat). Lorsque ces « tuteurs » ont des motivations plus idéologiques que spirituelles, les interdits – qui permettent de légitimer son emprise sur des fidèles – ont tendance à se radicaliser voire à s’éloigner des sources. Ainsi, bien que l’avortement ne soit pas clairement interdit par la Bible, cet interdit est devenu le cri de ralliement des groupes catholiques et protestants désireux d’influencer la vie en société au nom du christianisme. Alors que la lapidation est une coutume juive abolie il y a deux mille ans et non musulmane (elle n’est pas prescrite dans le Coran), on la pratique dans certains pays au nom de la charia pour défier ce que l’on perçoit comme la modernité et l’Occident. Certains prédicateurs recommandent le port du voile pour ne pas imiter les coutumes des juifs et des chrétiens, alors que leurs textes recommandent également aux femmes de se couvrir les cheveux contrairement au Coran. Au même moment, un rabbin ultra-orthodoxe justifie la condamnation de l’homosexualité féminine en expliquant qu’il s’agit d’un « comportement égyptien » ayant été rejeté par les Hébreux…
Ces nouveaux avis religieux circulent d’autant plus facilement à l’heure des nouvelles technologies. Sur internet, des musulmans fondamentalistes, des juifs orthodoxes, des évangéliques consultent des sites et des savants pour savoir ce qu’ils ont le droit de faire ou de ne pas faire. Fatwas.online pour les musulmans, Cheela.org ou Techouvot.com pour les sionistes religieux ou les orthodoxes commencent à avoir du succès auprès des croyants francophones. Ces avis « en ligne » s’ajoutent à la grande chaîne des interdits prononcés au nom du religieux depuis des siècles. Nous avons donc choisi d’en tenir compte lorsqu’ils permettaient d’éclairer la nature d’un interdit.
Ce livre ne prétend pas faire autorité ni même servir de guide officiel des interdits religieux. Il propose simplement un tour d’horizon, non exhaustif, des différents interdits prononcés au nom du religieux. Tout particulièrement au nom des trois religions monothéistes. À l’occasion, nous y avons ajouté les interdits énoncés au nom de l’hindouisme, du bouddhisme, du shintoïsme, du sikhisme ou du jaïnisme
. Nous avons aussi repris des interdits des Mormons ou des Témoins de Jéhovah. Bien que certains de ces mouvements puissent être considérés comme des sectes, leurs interdits sont énoncés au nom d’une vision religieuse. Les Témoins de Jéhovah s’appuient largement sur la Bible, même s’ils en ont leur propre version. Nous avons donc choisi de les ranger dans la famille des interdits prononcés au nom du christianisme, dont ils se revendiquent, tout en précisant leur spécificité et leur source. De même que nous considérons comme faisant partie des interdits prononcés au nom de l’islam des consignes venant du monde chiite ou sunnite, malgré leurs différences et même parfois leurs oppositions. Le sunnisme et le protestantisme sont deux religions peu centralisées mais leurs réveils politiques, ces dernières années, ont contribué à réactualiser l’énoncé des interdits. Le bouddhisme et l’hindouisme ont posé d’autres problèmes. Aucune autorité n’a le pouvoir de délivrer des avis. Certaines personnalités ont, par le truchement des médias, une capacité à diffuser leur avis. Il ne s’agit pas d’une posture d’autorité mais qui peut être perçue comme telle – dans le cas du Dalaï-Lama – par les non bouddhistes.
Sauf contre-indication, nous nous sommes référés aux textes et aux traductions reconnus comme les plus légitimes. Il s’agit dans le cas du Coran de la traduction de Jean Grosjean (Éditions Philippe Lebaud/Points Seuil, 1979). Cette traduction a été avalisée par Al Azhar contrairement à d’autres traductions plus romancées. Pour ce qui est de la Bible hébraïque, nous avons choisi les extraits de la Bible traduite par les membres du rabbinat français sous la direction de Zadoc Kahn (9e édition, avril 1999). Rappelons cependant que la Torah écrite, dans le judaïsme, ne peut être comprise sans référence aux décisions rabbiniques qui l’interprètent. On ne peut dire « il y a un interdit chez les juifs parce que Deutéronome dit X » quand les rabbins expliquent depuis toujours qu’on ne peut prendre ce texte au pied de la lettre. Dans ces cas-là, l’interdit n’est opérant ni en pratique (puisqu’aucun juif ne le suit) ni en théologie (ni en termes descriptifs ni en termes prescriptifs). Les seuls juifs qui prônent une interprétation littérale de la Torah, les Karaïtes, seraient moins de trente mille et jugés hérétiques par les orthodoxes. En revanche, de nombreux groupes d’inspiration chrétienne ou musulmane se fondent sur la Bible/Ancien Testament pour justifier leurs interdits. Nous ne nous reporterons alors pas sur la traduction de la Bible de Zadoc Khan mais aux citations invoquées par les groupes. Nous avons parfois cité en complément les modifications de traductions apportées par les communautés chrétiennes. Notre analyse des textes chrétiens se fonde, sauf mention contraire, sur la Traduction œcuménique du Nouveau Testament établie par des protestants et des catholiques (TOB, 1982).
On peut s’interroger à l’infini sur la raison des interdits religieux et au nom du religieux. Dans leur élaboration première il y a certainement la volonté de construire un groupe commun basé sur des valeurs et des pratiques partagées. Dans le cas du judaïsme, il s’agit aussi de la définition d’un peuple comme agglomération d’individus partageant une pratique, des interdits et des valeurs. Si enfreindre certains interdits peut contraindre à une punition (châtiment, maladie), d’autres sont destinés à améliorer, à sanctifier le croyant. Certains interdits encouragent aussi les croyants à se surpasser, à se sanctifier. Dans leur élaboration contemporaine, les trois monothéismes proposent à tous leurs croyants de se conformer aux interdits, qu’il s’agisse de tabous et de pratiques en vue d’une amélioration. Chacun peut accéder à la sainteté. Le bouddhisme et le jaïnisme distinguent de manière plus claire la pratique de l’interdit parce que c’est un tabou, ou de l’interdit pour s’améliorer. Les aspirants à la sainteté ont ainsi une liste d’interdits plus importante que les autres fidèles qu’ils peuvent rejoindre à des moments de leur vie. Chez les jaïns, les vœux faits par les ascètes ou « grands vœux » (maha vratas) sont à respecter par eux de façon absolue, ceux faits par les laïcs ou « petits vœux » (anu vratas) sont un peu moins rigoureux.
Pour faire partager ces interdits, les transmetteurs de religieux recourent aussi au dégoût, à l’hygiène. On ne mange pas ceci, parce que c’est dégoûtant, et on se lave de cette manière parce que c’est hygiénique. On arrive parfois à des confusions entre « sain » et « saint ». Il est « saint » de se baigner dans les eaux du Gange, mais ce n’est pas forcément « sain ».
Les interdits permettent parfois aux nouvelles confessions d’intégrer les tabous de croyances antérieures et de faciliter la conversion. L’abandon d’interdits antérieurs et la modification des peines encourues ne vont pas sans risque pour les nouvelles religions comme pour l’adultère pour l’islam ou les interdits alimentaires pour le christianisme.
On avance également que les interdits seraient des moyens de protéger les croyants. Ce serait par exemple le cas de l’interdit du porc qui viendrait de la cuisine insuffisante du porc et du développement de la trichinose. Ce type d’argument tend à glorifier la vertu civilisatrice de la religion, parfois de façon anachronique. Plusieurs prédicateurs évangéliques et musulmans expliquent ainsi que la circoncision a été recommandée pour éviter le sida.
L’objet de ce livre n’est évidemment pas de porter un jugement sur l’absurdité ou au contraire la validité d’un interdit. Mais simplement d’offrir un catalogue non exhaustif des interdits pensés par ceux qui souhaitent assigner les croyants à une pratique précise. Nous laissons à l’intelligence du lecteur le soin d’estimer s’il faut s’interdire de manger de la viande le vendredi pour être chrétien, ou porter le voile pour être musulmane. Chaque interdit présenté ici est une re-création de celui qui l’invoque. Il existe dans chaque spiritualité des croyants qui les brandissent et d’autres, tout aussi croyants, qui les récusent en les taxant de minoritaires ou d’extrémistes.
Sans prétendre ni à l’exhaustivité ni à l’autorité, ce recueil ne vise qu’à donner un aperçu varié de la somme des interdits et anathèmes pouvant être prononcés au nom d’une autorité suprême que des hommes nomment Dieu.
A
Judaïsme
Chez les juifs orthodoxes, il n’existe pas de consensus sur l’adoption. Pour certains, dans la tradition orthodoxe juive, il n’y a pas d’adoption. Ce ne serait pas un interdit mais une inexistence talmudique. Un juif orthodoxe pourrait alors élever un orphelin chez lui mais parler de charité et non d’adoption. L’enfant adopté n’aurait pas le même statut que l’enfant adoptant. Il conserverait dans la pratique religieuse le nom de son père biologique. Pour d’autres orthodoxes, l’adoption est possible sous certaines conditions.
Des courants moins orthodoxes permettent l’adoption d’un enfant, qu’il soit juif ou non-juif. L’adoption ne change cependant rien au statut religieux de l’enfant. S’il était non-juif, il le reste sauf s’il se convertit. S’il est juif, il le reste même si la famille d’accueil ne l’est pas.
Dans le cas particulier des Cohen (qui ont un statut spécial et patrilinéaire dans la communauté orthodoxe), l’adoption d’un enfant ne confère pas à l’adoptant, d’un point de vue religieux, le titre de « père », car serait accorder le statut de Cohen à l’enfant. Il est donc plutôt nommé « tuteur ». Les mouvements réformés et reconstructionnistes du judaïsme ne font aucune distinction entre les Cohen et les autres juifs.
Islam
L’adoption est partiellement autorisée. Un homme peut élever le fils d’un autre homme, mais les enfants adoptés doivent garder le nom de leur père biologique. « Dieu n’a pas placé à l’homme deux cœurs dans sa poitrine. Il n’a pas fait […] que vos fils adoptifs soient comme vos fils. […] Donnez à vos fils adoptifs le nom de leur père, c’est plus juste. Et si vous ignorez leur père, ils sont vos frères en religion, ils sont vos proches. » (Coran. Sourate 33. Les Ligues. 4-5)
L’enfant n’a aucun droit sur l’héritage de ses parents adoptifs, mais ces derniers peuvent lui léguer des biens s’ils le souhaitent. L’enfant conserve son droit d’héritage de ses parents biologiques. Les biens et les richesses de l’enfant ne peuvent pas être utilisés par les parents adoptifs.