La révolution numérique
glossaire
Éric Scherer
Dalloz
© Éditions Dalloz, 2009
SOMMAIRE

Remerciements

Introduction

A

B

C

D

E

F

G

H

I

J-K

L

M

N-O

P

Q

R

S

T

U

V

W

Y

Index
REMERCIEMENTS
Ce petit glossaire de la révolution numérique n’a pu être réalisé sans l’intime conviction que la période dans laquelle nous venons d’entrer est mille fois plus riche en opportunités à embrasser que de défis à surmonter.
Cette conviction est partagée par ceux qui ont eu la gentillesse de me donner leur temps et leur expertise. Je veux remercier ici, chaleureusement, Antoine Lecoutteux, Nicolas Voisin et Henri Verdier, pour leur très précieuse et attentive collaboration. Je veux aussi exprimer ma gratitude à ceux qui ont répondu, avec talent, et souvent humour, à mes questions sur le réseau professionnel LinkedIn sur le web, et sais gré à l’encyclopédie collaborative en ligne Wikipédia d’aider tous ceux, qui comme moi, essaient de comprendre leur époque. Merci enfin à mon éditeur, Olivier Duhamel, qui a eu l’audace et l’intuition de tenter de proposer quelques réponses à un besoin d’explication, et à mon épouse et ma fille pour leur patience durant tant de week-ends.
INTRODUCTION
Faites l’expérience : promenez-vous dans les grands magasins des villes (Fnac, Virgin, Printemps, Galeries, BHV...) et remarquez comment les rayons des biens culturels sont devenus déserts – tandis que les clients se pressent aux appareils électroniques. Même impression, nouvelle, de bureaux de Poste moins fréquentés, où les queues aux guichets sont moins longues ; les plis, lettres et autres courriers, moins présents. Constat identique dans nos banques. Les agences de voyage ont presque disparu. Qui se souvient des billets d’avion rectangulaires aux souples feuilles carbonées ? Qui utilise de nos jours des bottins téléphoniques, des pellicules photos, des cartes routières ?
Comment donc expliquer la disparition rapide, sous nos yeux, de nombreux supports et contenus physiques, palpables, parfois modernes et pratiques (CD, DVD, paperasseries, courriers, et bientôt de nombreux livres), alors que, dans le même temps, ne cesse de croître, de manière exponentielle, l’offre, l’appétit, la demande et la consommation d’informations, de divertissements, d’échanges et de partage de connaissances, de savoirs et de découvertes ?
La réponse se trouve dans un extraordinaire mouvement de bascule historique des technologies de l’information, engagé depuis trente ans : la révolution numérique. Phénomène qui correspond, en d’autres termes, à un changement brusque et profond dans la dématérialisation du monde réel et de l’information, devenue, grâce à de nouvelles technologies, extrêmement facile et bon marché à produire, stocker, distribuer, échanger et partager. Pour faire simple : à tout moment, nous pouvons avoir la meilleure information sur tout !
Amorcée par le téléphone, la radio et la télévision, accélérée par l’ubiquité de l’informatique domestique des années 80, qui a permis la transmission facile et immédiate des données et des capitaux dans le monde, cette simplification s’est accélérée et amplifiée, ces quinze dernières années, grâce à l’arrivée et la montée en puissance de nouveaux équipements (ordinateurs, baladeurs, téléphones mobiles...) et surtout d’un nouveau, et formidable réseau, un réseau planétaire d’échanges et de communications, ouvert 24 h sur 24 : l’Internet.
Ce réseau décentralisé, sans leader, qui est en train de changer nos vies, a créé un monde qui n’a jamais été aussi connecté et sur lequel les données n’ont jamais été aussi nombreuses. L’ordinateur est devenu central dans l’existence des habitants des pays riches. Bientôt, les nouvelles générations d’équipements mobiles (« smart-phones », « netbooks », « ebooks »...), devenus des terminaux de contenus communicants, les remplaceront.
Désintermédiation
Karl Marx l’a théorisé avant nous : dans nos sociétés développées, la révolution, c’est la prise de pouvoir des moyens de production par ceux qui en étaient privés.
Et aujourd’hui, précisément, comme au XVe siècle, quand Gutenberg a privé l’Église catholique du monopole de l’écriture, par l’invention de l’imprimerie permettant la diffusion des livres et du savoir, le public s’est saisi des derniers outils, faciles et bon marché, pour produire, chercher, échanger et distribuer des informations, connaissances, opinions, découvertes, mais aussi créer, tisser de nouveaux liens sociaux, faire naître des émotions, via l’Internet.
La phase actuelle de la révolution numérique est caractérisée par le développement rapide du haut débit Internet, permettant un accès facile et confortable à des contenus variés, et surtout par un web contributif où le public s’exprime. Les dernières innovations ne sont donc pas seulement technologiques, mais, avant tout, culturelles et sociales. Elles donnent aussi le pouvoir de connecter aisément « many to many » (de nombreuses personnes à d’autres nombreuses personnes).
Cette prise de pouvoir par le public et les consommateurs des moyens de production et de distribution, tout le temps et partout, a de multiples conséquences. Elle entraîne, en premier lieu, un vaste phénomène de désintermédiation qui, en ouvrant un nouveau chapitre de la vie économique de notre planète, fragilise des secteurs entiers de l’industrie et des services qui subissent des ruptures totales de leurs modèles d’affaires : médias traditionnels (journaux, magazines, grandes chaînes de télévision généralistes), agences de publicité, secteur de la musique, édition, livre, cinéma, photo, vidéo, distributeurs, qui géraient la rareté de l’offre et de la relation au public, rassemblé indistinctement en masses, à qui étaient souvent adressés des messages de publicité. Aujourd’hui de toutes petites structures réalisent des projets de dimensions planétaires (Twitter, Digg...).
Le numérique détruit de la valeur et n’en recrée pas, pour l’instant, nécessairement autant, ni ne réinvente facilement de nouveaux modèles économiques. Internet reste, quant à lui, un espace où la gratuité a continué de croître, et avec elle, la notion de paradis numérique, à laquelle une génération s’est déjà habituée.
Mais, point positif, la révolution numérique a aussi abaissé bien des barrières.
Cette simplification dans la production, transmission et stockage de ressources numériques, dans la compatibilité de nombreux éléments très différents désormais raccordables (textes, photos, vidéos, sons, 3D...), conduit à un monde d’abondance des données, après une époque de rareté de l’information. Des bits circulant dans un réseau, via un câble, sont immensément plus rentables que de lourdes infrastructures physiques. Des imprimeries ou des camions de livraison ne sont tout simplement plus compétitifs, face à des ordinateurs, qui coûteront, en Inde par exemple, bientôt moins de 20 dollars.
C’est aussi une mutation qui favorise l’ouverture sur le monde, l’échange et la communication, au-delà des communautés et des pays.
Elle favorise l’apparition d’une culture de l’écran, qui laissera place au tridimensionnel. De nouveaux acteurs et institutions de la vie économique vont continuer d’émerger, d’autres disparaîtront. Nous assistons bien à la naissance d’un nouvel écosystème, où les nouveaux entrants, agiles et créatifs, s’emploient à exploiter, à leur profit, tous ces centres d’innovation.
Un écosystème, où tout le monde pense pouvoir être millionnaire, sauf les producteurs professionnels de contenus qui, s’ils sont contournables, seront... contournés ! De l’autre côté, les contenus auto-produits ne sont pas rémunérés et ne sont, pour l’instant, pas en mesure de rivaliser vraiment avec les productions holly/bolly-woodiennes !
Un écosystème où surgissent aussi désormais d’autres géants aux tentations hégémoniques : Microsoft, les opérateurs de téléphonie, eux-mêmes bousculés, confrontés à la banalisation de leurs produits (logiciels, transport de voix...) et forcés à l’innovation. France Telecom, dix fois plus gros que TF1, se met à la télévision et au cinéma. Nokia, no 1 mondial des mobiles, développe des services autour des contenus. Google s’oriente vers les services de la mobilité et devient une compagnie de téléphone (Android, ebooks), Microsoft, Amazon, Apple, Yahoo !, Disney... Chacun va dans les territoires de l’autre ! Les frontières se brouillent.
Mais tous ont des ressources informatiques colossales (autant de barrières incontournables), des montagnes de cash (capacités de croissance externe), sans compter une puissance de feu intellectuelle rare (embauche chaque année de milliers de PhD – titulaires d’un doctorat – par an). Tous ont peu de passé, et sont donc plus libres. Dans le même temps, foisonneront contenus et équipements. En trente ans, le nombre de chaînes de télévision est passé de 800 à 22 000 !
C’est un monde où la jeunesse se structure autour de l’Internet, des jeux vidéo, des réseaux virtuels, d’univers numérisés, d’espaces sociaux non contrôlés. Avec des conséquences importantes dans les comportements, souvent sous-estimées par leurs aînés. L’Internet n’est plus seulement un lieu de publication mais, de plus en plus, un endroit où l’on vit ! Pour les 17-34 ans, le premier écran est celui de l’ordinateur, et non celui de la télévision.
Nous sommes dans un monde où l’industrie des jeux vidéo a dépassé celle du cinéma, et même, récemment, celle de la musique ! Un monde dominé par les pixels et l’image, un monde où poussent les « fermes de serveurs » de Google, où la mobilité devient un service addictif.
Un monde tourneboulé dans ses usages et ses habitudes, où émerge une intelligence collective, où des centaines de millions de personnes participent à l’élaboration du savoir, – enjeu actuel des nouveaux outils des moteurs de recherche. Un nouveau monde, aussi, sans fil !
Le raz-de-marée numérique va contribuer à renouveler et aider d’autres secteurs industriels et de services : notamment les technologies liées à la protection de l’environnement (« green tech »), à l’énergie (« smart grid »), aux services à la personne, à la médecine et à la pharmacie.
De son côté, l’Internet, le nouveau média convergent du XXIe siècle, qui fonctionne en réseau et efface les frontières, favorise la co-création de valeur, le développement communautaire « open-source », l’émergence d’une intelligence planétaire connective et collaborative.
Cette prise de contrôle a aussi ôté aux seuls ingénieurs l’apanage des mutations technologiques, qui entrent désormais dans nos vies, rencontrent le succès et séduisent le public. La technologie a modifié les comportements, les gens aiment découvrir, s’exprimer, partager. Si le réseau social MySpace était un pays, il serait, avec ses 200 millions d’utilisateurs, le cinquième de la planète !
Mais ces plateformes technologiques ne sont pas seulement des nouveaux moyens de communication. Elles modifient nos vies professionnelles en encourageant le travail à distance, transforment radicalement les compétences, et y suppriment bien des obstacles à une vraie collaboration. Ce qui n’était pas mesurable le devient.
Elles bouleversent la vie de la cité, le « vivre ensemble » et favorisent les médiations sociales entre personnes, générations, communautés, pays, religions, grandes zones du monde. Barack Obama, premier président de la génération numérique, ces jeunes qui n’ont pas connu le Mur de Berlin, a su le premier se servir de la puissance d’Internet pour organiser et mobiliser les foules.
Les nouveaux outils, qui pourraient bien nous faire entrer dans l’économie du savoir et de la connaissance, sont aussi d’utiles et efficaces instruments d’apprentissage dans des systèmes éducatifs et universitaires en crise.
Une révolution qui n’est pas, bien sûr, non plus sans problèmes : destruction de valeur, risques importants sur la protection des données personnelles et les atteintes à la vie privée, peut-être demain sur les libertés individuelles, sentiment de ne plus pouvoir faire face à la surabondance d’informations qui, l’espace d’une vie, vont être multipliées des millions de fois, délai du savoir (temps nécessaire entre la connaissance et ce qui est disponible), etc.
Elle modifie aussi nos rapports à l’environnement, à la planète et à l’espace, en nous en éloignant, souvent, davantage. Cette révolution, qui ne remplace pas la révolution industrielle, mais s’y ajoute et s’y superpose, risque bien d’isoler encore plus les êtres humains des conséquences de leurs actions, surtout à l’égard de la biosphère.
Nous n’en sommes qu’aux prémices !
C’est surtout une révolution permanente qui ne fait que commencer, qui va très vite, et peut encore s’accélérer. Cette période de transition numérique se déroule en séquences : grands ordinateurs, puis PC, avant-hier ; PC reliés à Internet, hier ; accès mobile au web combiné à la puissance du « cloud computing », aujourd’hui. Ce processus se déroule parallèlement à une baisse vertigineuse des coûts des puces (on avait cent personnes autour d’une puce et on aura bientôt cent puces pour une personne !).
Nous avons accès, aujourd’hui, à l’Internet ; demain, nous serons connectés en permanence et à n’importe quel endroit, via une multiplication de terminaux, utilisés de plus en plus en mobilité.
Entamée depuis trente ans, ses conséquences sociologiques n’ont pas encore atteint leur point culminant, car les utilisateurs d’informations n’ont pas encore maîtrisé tous les outils leur permettant de devenir des producteurs.
Dès 2011 ou 2012, le nombre d’internautes mobiles devrait être supérieur dans le monde à ceux qui surfent depuis leur ordinateur de bureau ou du domicile. Le très haut débit (pour la haute définition vidéo, la 3D, les jeux complexes...) s’installe et, d’abord en Asie, puis aux États-Unis, qui gardent plus d’un an d’avance sur l’Europe. Bientôt, après les Japonais, de plus en plus de gens vont regarder la télévision sur des téléphones mobiles et lire des journaux et des livres sur des lecteurs ebooks. Après la contextualisation (Google), la socialisation (Facebook), c’est la localisation (Nokia, Android, iPhone...) qui devient un élément-clé.
Les étapes suivantes concerneront l’interaction entre l’homme et son environnement, mélange d’interfaces physiques et numériques, entre la ville et le réseau global, la robotique, l’Internet des objets (senseurs sur des bornes pour récupérer l’info...), les nanotechnologies, l’optoélectronique, les équipements sensitifs, la biométrique, l’intelligence artificielle appliquée avant, bien sûr, tout un tas d’applications que nous sommes bien en peine, aujourd’hui, d’imaginer.
Soyons-en persuadés, dans les vingt prochaines années, des développements encore plus importants liés au numérique vont surgir dans nos vies.
La première crise liée au numérique
Déjà, l’actuelle et brutale crise économique constitue bien la première maladie infantile de cette société de l’information numérique, conséquence directe de la dématérialisation et de la virtualisation sans contrôle de la finance mondiale et de la vitesse des échanges et des mouvements de capitaux dans les pays riches.
Mais c’est aussi une crise dont la sortie pourrait être aidée par le numérique et le secteur des technologies de l’information et des télécommunications, l’un des seuls à ne pas connaître la récession et qui représente déjà près de 7 % du PIB mondial. Jamais autant de téléviseurs (écrans plats) ou de « smartphones », n’ont été achetés ces derniers mois. Avec la crise, les foyers se replient sur eux-mêmes, d’où le boom des équipements électroniques et de la consommation d’Internet, qui assure d’autres liens sociaux.
Au premier trimestre, les Français ont eu chaque jour, selon l’institut Médiamétrie, en moyenne plus de quarante contacts avec des contenus médias et multimédias (radio, TV, email, téléphone, internet...) qui s’ajoutent et se substituent encore peu en raison de comportements de « multitasking ».
La révolution numérique va continuer de structurer une nouvelle demande de matériels, tandis que les magasins physiques et les éditeurs de contenus vont se transformer progressivement en gestionnaires de base de données, de droits numériques.
Un nouveau monde se construit, où les technologies de l’intelligence et les services numériques, désormais accessibles à tous, occuperont une place centrale, et, espérons-le, nous permettront à tous, d’y contribuer activement par une création partagée.
Reste surtout à accepter, durant la période de transition de perdre un peu de contrôle, de lâcher prise, pour gagner beaucoup plus, et espérons, surtout, beaucoup mieux !
Enfin, ce petit glossaire ne saurait, bien sûr, pas être exhaustif. Pire : certains passages vont être rapidement obsolètes, tant cette révolution est rapide. C’est le jeu, mais nous pourrons, grâce à votre aide, le réactualiser régulièrement. Jusqu’au jour, où il sera devenu inutile... en version papier !
Éric Scherer
juin 2009
A