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Les mots de de Gaulle
Denis Tillinac
avec la collaboration deHenri Tillinac
Dalloz
© Éditions Dalloz, 2010
SOMMAIRE

AVERTISSEMENT

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

INTRODUCTION

A

B

C

D

E

F

G

H

I

L

M

N

O

P

Q

R

S

V

Y

ÉPILOGUE

INDEX
AVERTISSEMENT
Les textes reproduits dans cet ouvrage ont été tirés des trois tomes des Mémoires de guerre, le livre de de Gaulle le plus accompli sur le plan littéraire, de ses Mémoires d’espoir, récit du début de la Ve République et du Fil de l’épée, l’essai le plus significatif de sa vision de l’Histoire ; enfin, dix citations relevées par Alain Peyrefitte lors de ses entretiens avec de Gaulle (C’était de Gaulle), quand il était son ministre de l’information.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
DE GAULLE (Charles)
Le Fil de l’épée, Berger-Levrault, 1932 ; Le Fil de l’épée et autres écrits, Plon, 1999.
Vers l’Armée de métier, Berger-Levrault, 1934 ; Plon, 1972.
Mémoires de guerre
vol. 1 : L’Appel (1940-1942), Plon, 1954 ; Pocket Histoire, 2010.
vol. 2 : L’Unité (1942-1944), Plon, 1956 ; Pocket Histoire, 2010.
vol. 3 : Le Salut (1944-1946), Plon, 1959 ; Pocket Histoire, 2010.
Mémoires d’espoir
vol. 1 : Le Renouveau (1958-1962), Plon, 1970.
vol. 2 : L’Effort (1962-...), Plon, 1971.
vol. 3 : Le Renouveau (1958-1962) ; L’Effort (1962-...) ; Allocutions et messages (1946-1969), Plon, 1999.
• PEYREFITTE (Alain)
C’était de Gaulle, Gallimard, 2002.
INTRODUCTION
Charles de Gaulle (1890-1970) est entré dans l’histoire par effraction avec son appel du 18 juin 1940 à Londres, consécutif à la défaite de l’armée française face à Hitler. Simple général de brigade à titre temporaire, il a dénoncé la capitulation et la collaboration avec l’envahisseur, avalisées par le maréchal Pétain, héros de la Première Guerre mondiale, chef de l’État du régime de Vichy qui abolit la IIIe République. Dès lors, en animant la résistance (à l’intérieur du pays et dans l’outre-mer), de Gaulle incarna dans une solitude hautaine la légitimité d’Antigone face à la légalité de Créon.
Après la libération de la France, pays allié des vainqueurs grâce à son combat, il rétablit la République et ouvrit en tant que chef du gouvernement provisoire une ère politique nouvelle, empreinte d’un idéal forgé dans la lutte contre le nazisme et marqué par des lois sociales importantes (allocations familiales, droit de vote des femmes, etc.).
Mais des institutions dont il réprouvait le primat accordé au législatif furent adoptées et il se retira à Colombey (1946), où il écrivit ses Mémoires de guerre au début des années cinquante. Le chef déjà mythifié de la France libre s’avéra un écrivain dans la lignée de Chateaubriand, à la fois mélancolique et visionnaire. La France qu’il avait chimérisée en la servant, relevait de la chanson de geste. Celle de la IVe République (1946-1958), enlisée dans ses guerres coloniales (Indochine, puis Algérie) et rendue impotente par une instabilité chronique, n’avait rien d’épique. D’où sa morosité durant sa « traversée du désert ».
Menacé d’un coup d’état militaire, le régime consentit à son retour au pouvoir, en 1958 : il fonda la Ve République, la dota d’institutions garantissant l’autorité de l’exécutif, solda l’aventure coloniale, non sans drame avec l’Algérie, mais pacifiquement avec les anciennes possessions africaines. Puis il entreprit de moderniser le pays et d’assurer son indépendance, y compris vis-à-vis des alliés américains.
Élu président au suffrage universel en 1965, après l’avoir été dès 1959 par un collège élargi, il gouverna jusqu’en 1969. Désavoué alors par un référendum qui visait à redistribuer les pouvoirs entre l’État et les régions et à modifier la composition du Sénat, ce qui indisposa les notables, il se retira à nouveau à Colombey.
Il mourut l’année suivante, le 9 novembre 1970, et le peuple français, transi d’émotion, le hissa d’emblée dans le ciel de ses héros de légende auprès de Roland, de Bayard, de Jeanne d’Arc, des soldats de l’an II, de Bonaparte au pont d’Arcole et des poilus de Verdun. Car le mythe gaullien, insoluble dans les familles partisanes, reflète l’ambiguïté d’un soldat lourd de nostalgie mais néanmoins futuriste, homme de tradition et de haute mémoire mais révolutionnaire à bien des égards. Son opiniâtreté face à Churchill et Roosevelt, son allergie au matérialisme régenté par les forces de l’argent ou celles de la dictature communiste, son romantisme de la grandeur de la France, son pragmatisme découragent les politologues.
Pas de droite, ni de gauche, encore moins du centre et surtout pas ultra : de Gaulle est inclassable. Il a soutenu Kennedy dans l’affaire des fusées soviétiques à Cuba tout en normalisant les relations avec l’URSS, en reconnaissant la Chine de Mao, en sortant la France du commandement intégré de l’OTAN, en dénonçant à Phnom-Penh la guerre des Américains au Vietnam. Adepte d’une planification dirigiste, il a ouvert l’économie française aux vents du large, accepté le marché commun, métamorphosé notre agriculture (Safer, prêts bonifiés, etc.), initié un vaste programme autoroutier et une politique de l’espace, après avoir équipé l’armée d’une force de dissuasion nucléaire.
L’indépendance fut son obsession ; la participation des salariés aux responsabilités et aux bénéfices de l’entreprise, son sésame pour surmonter la lutte des classes. Ses audaces déconcertaient le patronat, les syndicats, la classe politique et les corps intermédiaires ; c’est pourquoi il sollicitait la légitimité populaire en usant du référendum.
Après mai 1968, l’histoire ne ressemblait plus à celle qu’il avait étreinte en l’idéalisant : revenu à Colombey (1969), il débuta ses Mémoires d’espoir. Comme il avait institué (en 1962) l’élection du président de la République au suffrage universel, avec deux candidats au second tour, la vie politique se bipolarisa et le « gaullisme » de ses héritiers, au fil du temps, tendit à s’identifier à une droite opposée à la gauche.
Mais les pèlerins de Colombey ne viennent pas s’incliner sur la tombe d’un homme politique ; ce qui les étreint sur cette crête battue par les vents, c’est l’âme immémoriale de la France : une légende hugolienne scénarisée par un fantôme coiffé d’un képi à deux étoiles. L’historial créé aux Invalides confirme son accession au statut de héros national : il est et restera l’homme ombrageux qui osa dire non à la fatalité de la soumission.
D. Tillinac
A
ADENAUER (Konrad)
À la cathédrale, dont toutes les blessures ne sont pas encore guéries, le premier Français et le premier Allemand unissent leurs prières pour que, des deux côtés du Rhin, les œuvres de l’amitié remplacent pour toujours les malheurs de la guerre. (Mémoires d’espoir)
Il n’y a pas d’autre réalité européenne que l’Allemagne et la France et, si ces deux réalités ne sont pas unies dans tous les domaines, nous seront noyés. (C’était de Gaulle)
De Gaulle avait de l’estime pour Adenauer, le premier chancelier de la RFA (Allemagne de l’Ouest). Leur poignée de main sur le parvis de la cathédrale de Reims, en 1962, fut le symbole de la réconciliation, prélude à un « couple » franco-allemand qui fut et reste le moteur de l’Europe.
Comment, étant qui je suis, ne serais-je pas ému et soucieux en voyant s’estomper cette société campagnarde, installée depuis toujours dans ses constantes occupations et encadrée par ses traditions ; ce pays des villages immuables, des églises anciennes, des familles solides, de l’éternel retour des labours, des semailles et des moissons ; cette contrée des légendes, chansons et danses ancestrales, des patois, costumes et marchés locaux ; cette France millénaire, que sa nature, son activité, son génie, avaient faite essentiellement rurale ? [...] C’est donc le marché qui, désormais, dicte à l’agriculture ses lois qui sont : la spécialisation, la sélection, la vente. (Mémoires d’espoir)
En métamorphosant l’agriculture française, de Gaulle a eu conscience de hâter l’agonie de notre antique ruralité. D’où cet accès de nostalgie.
Quoi qu’on ait pu rêver jadis ou qu’on put regretter aujourd’hui, quoi que j’aie moi-même, assurément, espéré à d’autres époques, il n’y avait plus, à mes yeux, d’issue en dehors du droit de l’Algérie à disposer d’elle-même. (Mémoires d’espoir)
Ce que veulent les activistes et ceux qui les suivent, c’est conserver « l’Algérie de papa ». Mais « l’Algérie de papa » est morte ! On mourra comme elle si on ne le comprend pas. (Mémoires d’espoir, entretien avec L’Écho d’Oran)
Le sort des Algériens appartient aux Algériens, non point comme le leur imposerait le couteau et la mitraillette, mais suivant la volonté qu’ils exprimeront légitimement par le suffrage universel. Avec eux et pour eux, la France assurera la liberté de leur choix. (Mémoires d’espoir, allocution du 16 septembre 1959)
Nous aurons, au long des discussions, à franchir les montagnes de méfiance et les abîmes d’outrecuidance derrière lesquels se retranche le F.L.N. (Mémoires d’espoir)
Lucidité et pragmatisme : de Gaulle a pris acte de la nécessité de l’indépendance de l’Algérie après avoir, brièvement, envisagé l’hypothèse de l’intégration. Mais il fallait que les Français avalisent cette évidence. Ce fut long, douloureux et sanglant.
Je vous ai compris ! (Mémoires d’espoir, Alger, 4 juin 1958)
L’ambiguïté délibérée de la formule, alors qu’Alger était en ébullition, visait à apaiser tant les musulmans que les « pieds-noirs »... et les militaires tentés par une insurrection.
Par-dessus les combats, les attentats et les épreuves et en dépit de toutes les différences de vie, de race, de religion, il y a, entre la France et l’Algérie, non seulement les multiples liens tissés au long des cent trente-deux ans de leur existence commune, non seulement les souvenirs des grandes batailles où les enfants de l’un et de l’autre pays luttèrent côte à côte dans nos rangs pour la liberté du monde, mais encore une sorte d’attrait particulier et élémentaire. (Mémoires d’espoir)
Cette problématique n’a rien perdu de son actualité : les destins de la France et de l’Algérie restent liés.
Appel
Moi, général de Gaulle, actuellement à Londres, j’invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j’invite les ingénieurs et les ouvriers spécialistes des industries d’armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, à se mettre en rapport avec moi.
Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas.
Cet appel fondateur du 18 juin 1940 à la BBC, entendu à l’époque par une minorité de Français, aura sauvé l’honneur du pays, et ménagé son avenir en opposant au régime de Vichy une autre légitimité.
Tous les huit jours environ, je parlais moi-même, avec l’émouvante impression d’accomplir, pour des millions d’auditeurs qui m’écoutaient dans l’angoisse à travers d’affreux brouillages, une espèce de sacerdoce. (Mémoires de guerre, vol. 1)
S’exprimer à la radio depuis Londres aura été pour de Gaulle le seul lien concret avec le peuple français durant la guerre.