Introduction
historique
au droit

4e édition 2013

André Castaldo

Professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris II)
Doyen honoraire de la Faculté de droit et de science politique
de l'Université de Paris XIII

Yves Mausen

Professeur à la Faculté de droit de Montpellier

Membre de l'Institut universitaire de France

© Éditions DALLOZ – 2013

Table des matières

 AVANT-PROPOS
INTRODUCTION LE LEGS DE L'ANTIQUITÉ
Section 1. LA CITÉ GRECQUE ET L'INVENTION DU POLITIQUE
§ 1. Les institutions politiques grecques
§ 2. L'influence de l'expérience grecque
Section 2. ROME ET L'ÉMERGENCE DU DROIT
§ 1. Le droit public
I. La République romaine
A. Patriciens et plébéiens
B. Les institutions de la Rome républicaine
C. La crise de la cité romaine
II. L'empire romain
A. Le Haut-Empire
B. Le Bas-Empire
§ 2. La formation du droit privé romain 
I. L'ancien droit romain
A. Les sources du droit privé
B. L'inspiration de l'ancien droit romain
II. Le droit classique
A. Le devenir des sources anciennes
B. Le droit impérial
III. Le droit du Bas-Empire
A. Les sources du droit
B. La procédure extraordinaire
PREMIÈRE PARTIE LE MOYEN ÂGE
Chapitre 1 LE POUVOIR 
Section 1. LE HAUT MOYEN ÂGE
§ 1. La royauté mérovingienne
§ 2. La royauté carolingienne
I. La restauration de l'autorité publique
A. L'Empire
B. L'Empire chrétien
II. La permanence des forces de désagrégation
A. L'abandon de l'Empire unifié
B. Les forces de dissociation
Section 2. LE MOYEN ÂGE FRANÇAIS
§ 1. L'ordre seigneurial
I. Complexité de la seigneurie
A. Les définitions
B. La formation du régime seigneurial
II. L'organisation de la seigneurie
A. L'organisation militaire
B. L'organisation financière
§ 2. Le renouveau du pouvoir royal
I. La construction de la souveraineté au plan interne
A. La suzeraineté du roi
B. La souveraineté du roi
II. La construction de la souveraineté au plan externe
A. Les puissances internationales
B. Les conflits
Chapitre 2 LA JUSTICE 
Section 1. LE HAUT MOYEN ÂGE
§ 1. Les juridictions
I. Les tribunaux publics
II. Les juridictions particulières
§ 2. La procédure
I. Les modes de preuve
II. Charge de la preuve
Section 2. LE MOYEN ÂGE FRANÇAIS
§ 1. Les justices seigneuriales
I. Compétence des cours seigneuriales
A. Justice seigneuriale et justice féodale ou foncière
B. Haute et basse justice
II. La procédure
A. Le déroulement du procès
B. Les modes de preuve
C. Les voies de recours
§ 2. La justice ecclésiastique
I. Organisation des officialités
II. Compétences des officialités
III. Procédure
§ 3. La justice du roi
I. La lutte contre les juridictions particulières
A. La lutte contre les juridictions seigneuriales
B. Le pouvoir royal et la justice ecclésiastique
II. L'organisation des juridictions royales
A. Les juridictions de droit commun
B. Les juridictions d'exception
C. La justice retenue
III. La procédure
A. La représentation
B. La procédure d'enquête et le « procès par écrit »
Chapitre 3 LES SOURCES DU DROIT 
Section 1. LE HAUT MOYEN ÂGE
§ 1. Les « lois » des Barbares
I. Le système de la personnalité des lois
A. L'explication du système
B. L'application du système
II. Les diverses lois
A. Les lois nationales des Barbares
B. Les lois romaines des Barbares
§ 2. Les capitulaires francs
I. Classement des capitulaires
II. Contenu des capitulaires
§ 3. Le droit de l'Église
Section 2. LE MOYEN ÂGE FRANÇAIS
§ 1. La coutume
I. Formation de la conception coutumière du droit
II. Domaine de la coutume
III. Théorie de la coutume
IV. Connaissance de la coutume
A. Les actes de la pratique juridique et judiciaire et les recueils officiels
B. Les coutumiers privés
§ 2. Le droit romain
I. La découverte du droit romain de Justinien
A. Les romanistes
B. Les universités
C. La diffusion du droit romain
II. Les conséquences de la renaissance du droit romain
A. Pays de coutumes et pays de droit écrit
B. L'attitude des populations à l'égard du droit romain
§ 3. Le droit canon
I. Les collections canoniques
II. Le Corpus juris canonici
§ 4. La législation royale
I. Le pouvoir législatif du roi
A. Les lois du roi
B. Fondements du pouvoir législatif du roi
C. Condition de l'exercice du pouvoir législatif du roi
II. Le roi et le droit privé
A. Le respect des coutumes et le pouvoir modérateur du roi
B. L'intervention du roi dans le droit privé
Chapitre 4 LA FORMATION DU DROIT PRIVÉ 
Section 1. LE HAUT MOYEN ÂGE
§ 1. L'état social
I. La condition des personnes
A. Le nivellement des classes inférieures
B. La « satellisation » des hommes libres
II. La condition des terres
A. L'organisation du grand domaine
B. Le système des tenures
§ 2. Le droit privé franc
I. La famille
II. La propriété foncière
III. Les successions
§ 3. Les rapprochements entre les systèmes juridiques
I. Les éléments favorables
II. Les emprunts réciproques
Section 2. LE MOYEN ÂGE FRANÇAIS
§ 1. L'état social
I. Les personnes
A. Les nobles
B. Les serfs
C. Les roturiers
II. Les terres
A. Le fief
B. La tenure roturière
§ 2. Le droit privé du Moyen Âge
I. Les institutions du droit privé coutumier
A. Le droit de la famille
B. Le droit des contrats
II. L'influence du droit romain
A. Le droit romain dans les pays de coutumes
B. Le droit romain dans les régions méridionales : ampleur et limites de l'influence
DEUXIÈME PARTIE L'ANCIEN RÉGIME (XVIe-XVIIIe siècle)
Chapitre 1 LE POUVOIR 
Section 1. LA MONARCHIE ABSOLUE
§ 1. Les principes absolutistes
I. Fondements de l'absolutisme
A. Les suites du « constitutionnalisme médiéval »
B. Les constructions des juristes
C. La théorie du droit divin
D. La pratique : l'absence des libertés individuelles
II. La légitimité royale : les lois fondamentales
A. L'accession au trône : la confirmation des règles médiévales
B. Les règles complémentaires
III. L'indépendance du roi
A. Les relations avec le Saint-Empire
B. Les relations avec la Papauté
IV. La protection du domaine
A. Le domaine sous l'Ancien régime
B. L'inaliénabilité du domaine
§ 2. La question des limites de l'absolutisme
I. Les limites de fait
II. Les obstacles d'ordre juridique
Section 2. LES MOYENS DE GOUVERNEMENT DE LA MONARCHIE ABSOLUE
§ 1. Les structures du pouvoir
I. L'administration centrale
A. Les ministres
B. Le Conseil du roi
C. Les États généraux
II. L'administration régionale et locale
A. Les agents régionaux de la monarchie
B. Les assemblées régionales
C. L'administration locale
§ 2. Les agents du roi
I. Les offices patrimoniaux
A. La patrimonialité des offices
B. Les conséquences de la patrimonialité
II. Les commissaires
III. L'apparition des fonctionnaires
Chapitre 2 LA JUSTICE 
Section 1. LES JUSTICES PARTICULIÈRES
§ 1. La royauté et les justices seigneuriales
§ 2. La royauté et les justices d'Église
I. La subordination des justices ecclésiastiques
II. Le développement de l'appel comme d'abus
Section 2. LA JUSTICE DÉLÉGUÉE
§ 1. Les juridictions royales de droit commun
I. Les juridictions inférieures
A. Les tribunaux traditionnels
B. La création des présidiaux et des grands bailliages
II. Les parlements
A. Organisation des parlements
B. Compétences
§ 2. Les juridictions royales d'exception
I. Juridictions d'exception en droit privé
II. Juridictions d'exception en droit pénal
III. Juridictions d'exception en droit public
§ 3. La procédure
I. Oralité et recours à l'écrit
A. Le XVIe siècle
B. L'ordonnance civile de 1667
II. L'appel
A. Spécificité de l'appel
B. Les degrés d'appel
C. Appel et cassation
III. L'interprétation des textes
IV. La motivation
Section 3. LA JUSTICE RETENUE
§ 1. L'intervention royale dans le règlement des litiges privés
I. Les modifications des règles de compétence
II. La modification du fond du droit
§ 2. La juridiction administrative
I. L'apparition du contentieux administratif
II. Le règlement du contentieux administratif
A. Les juridictions administratives
B. La situation à la fin de l'Ancien régime
Chapitre 3 LES SOURCES DU DROIT
Section 1. LES SOURCES D'ESSENCE ROYALE
§ 1. Les lois du roi
I. Élaboration et contenu
A. L'élaboration des ordonnances
B. Le contenu des ordonnances
II. La diffusion et la connaissance des textes
§ 2. L'activité des parlements
I. L'enregistrement des lois royales
A. Origine de l'enregistrement
B. Le refus d'enregistrer et l'exercice du devoir de remontrance
II. La jurisprudence des parlements
A. L'apparition de la jurisprudence au sens moderne
B. Les arrêts de règlement
Section 2. LA NOTION DE DROIT COMMUN COUTUMIER
§ 1. La rédaction des coutumes et ses conséquences
I. L'œuvre de rédaction
A. La procédure
B. La réformation des coutumes
II. Les conséquences de la rédaction
A. Les conséquences directes
B. Les conséquences indirectes
§ 2. La question de l'unification du droit privé
I. Pays de droit écrit et pays de droit coutumier
A. Les pays « de droit écrit »
B. Les pays de droit coutumier
II. La question de l'unité de législation
A. Les facteurs favorables
B. Les tentatives
C. La situation à la fin de l'Ancien régime
Chapitre 4 LA FORMATION DU DROIT PRIVÉ 
Section 1. L'ÉTAT SOCIAL
§ 1. La condition des personnes
I. La noblesse
A. L'appartenance à la noblesse
B. Le statut des nobles
II. Le Tiers état
A. Les bourgeois
B. Les ruraux
III. Les conditions inférieures
A. Les serfs
B. L'esclavage dans les colonies
§ 2. La condition des terres
I. Les tenures
A. Les fiefs
B. Les tenures roturières
II. Les alleux
Section 2. LES GRANDS TRAITS DU DROIT PRIVÉ COUTUMIER
§ 1. La famille
I. Le mariage
II. L'autorité du chef de famille
III. Les rapports pécuniaires entre époux
IV. Les successions
§ 2. Les biens
I. La conception de la propriété
II. Le retrait lignager
Conclusion La fin de l'Ancien régime
§ 1. La contestation de l'absolutisme
I. Les idées politiques nouvelles
A. La « crise de la conscience européenne »
B. Le développement en France des idées nouvelles
II. Le heurt avec les institutions traditionnelles
A. Les reproches fondamentaux
B. La portée des critiques
§ 2. La crise de l'Ancien régime
I. Les difficultés structurelles
A. Les « abus » de l'Ancien régime
B. Les exigences de réformes et l'impuissance de la monarchie à les réaliser
II. La conjoncture révolutionnaire
A. La réaction aristocratique
B. L'enchaînement révolutionnaire
Troisième partie L'époque contemporaine
Chapitre 1 Le pouvoir
Section 1. La Révolution et l'Empire
§ 1. La souveraineté nationale
I. Le principe
A. Les limites tirées des Constitutions
B. Le poids des faits
II. La participation au pouvoir législatif
A. Le droit de suffrage et le droit d'éligibilité
B. La portée du droit de vote
C. La poussée populaire
III. La participation au pouvoir exécutif
A. La désignation du titulaire
B. Une élection sous surveillance
C. Un principe héréditaire renouvelé
§ 2. L'équilibre des pouvoirs
I. Le pouvoir exécutif à l'égard du pouvoir législatif
A. Organisation de l'institution
B. L'initiative de la loi
C. La confection de la loi
D. L'inviolabilité des membres des assemblées
II. Le pouvoir législatif à l'égard du pouvoir exécutif
A. La responsabilité ministérielle
B. Les autres modalités de contrôle
III. Les rapports entre les chambres
A. Le système de 1795
B. Le recours à trois assemblées
Section 2. Monarchies limitées et républiques modérées
§ 1. Le fondement du pouvoir
I. Les idées
A. La vision monarchique
B. La vision républicaine
II. Les résultats
A. L'établissement des constitutions
B. Le droit de suffrage
§ 2. Les mécanismes institutionnels
I. Les pouvoirs en présence
A. Le pouvoir exécutif
B. Le pouvoir législatif
II. La répartition des rôles
A. Les rapports entre les chambres
B. Le fonctionnement des assemblées législatives
C. L'initiative de la loi
D. La confection de la loi
III. Les rapports entre législatif et exécutif
A. La communication entre les deux pouvoirs
B. Les deux faces de la responsabilité ministérielle
Section 3. Parlementarisme et présidentialisme
§ 1. L'évolution constitutionnelle de la Troisième République
I. Les crises institutionnelles
A. La crise initiale
B. L'instabilité ministérielle
II. Les projets de réforme
A. La question des modes de consultation
B. Limiter les excès du parlementarisme
III. Le rôle de la pratique
A. L'organisation de la Présidence du Conseil des ministres
B. La pratique des décrets-lois
§ 2. L'État français (le régime de Vichy)
I. Les nouveautés 
A. Première période (11 juillet 1940-18 avril 1942) : la concentration des pouvoirs entre les mains du Chef de l'État
B. Seconde période (à partir du 18 avril 1942) : le partage du pouvoir
II. Le projet de constitution du 30 janvier 1944
A. Le retour à la légitimité républicaine
B. Les nouveautés
§ 3. La Quatrième République
I. Les origines
A. L'affirmation d'une légitimité républicaine
B. L'élaboration de la Constitution
II. L'architecture constitutionnelle
A. Les organes
B. La loi
C. Les rapports entre les pouvoirs
III. L'évolution institutionnelle
A. La question du pouvoir réglementaire
B. La réforme constitutionnelle du 7 décembre 1954
C. Le projet de réforme du 21 mars 1958
§ 4. La Cinquième République jusqu'en 1962
I. La révision constitutionnelle
A. La loi constitutionnelle du 3 juin 1958
B. Élaboration et adoption du texte constitutionnel
II. La nouvelle Constitution (4 octobre 1958)
A. La prise en compte des « bases »
B. Les pouvoirs du Président de la République
III. L'évolution jusqu'à la révision du 6 novembre 1962
A. De Gaulle, premier président de la Ve République
B. La révision constitutionnelle du 6 novembre 1962
Chapitre 2 La justice 
Section 1. Les institutions judiciaires
§ 1. Les juridictions civiles
I. Les juridictions de droit commun
A. Les tribunaux de district
B. Les tribunaux de département
C. Les tribunaux d'arrondissement
D. L'évolution ultérieure
II. Les juridictions d'exception
A. Les tribunaux de commerce
B. Les justices de paix
C. Les tribunaux de famille
D. Les conseils de prud'hommes
E. Les arbitres
§ 2. Les juridictions pénales
I. La justice pénale ordinaire
A. Le jugement des petites infractions
B. Le jugement des moyennes infractions
C. Le jugement des grandes infractions
II. La justice pénale extraordinaire
A. Le Tribunal révolutionnaire
B. Les juridictions extraordinaires après la Révolution
C. Les commissions militaires
D. Les hautes cours
§ 3. Les juridictions administratives depuis la Révolution 
I. Les conséquences de la séparation des pouvoirs
A. L'incompétence des tribunaux ordinaires
B. Le recours aux administrateurs-juges
II. Le développement d'un ordre juridictionnel spécifique
A. Les conseils de préfecture
B. Le Conseil d'État
C. La création des cours administratives d'appel
Section 2. La procédure
§ 1. Le procès de première instance
I. La procédure civile
A. La législation révolutionnaire
B. La législation napoléonienne
C. La période contemporaine
II. La procédure pénale ordinaire
A. Les tribunaux de police municipale
B. Les tribunaux de police correctionnelle
C. Les tribunaux criminels
III. Les procédures pénales extraordinaires
A. La procédure extraordinaire des tribunaux criminels ordinaires
B. La procédure des tribunaux extraordinaires sous la Révolution
C. La procédure des justices extraordinaires après la Révolution
§ 2. Les différents degrés de juridiction
I. L'appel : voie de recours ordinaire
A. L'appel au civil
B. L'appel pénal
II. La cassation : voie de recours extraordinaire
A. L'institution d'un Tribunal de cassation
B. La procédure devant le Tribunal de cassation
Chapitre 3 Les sources du droit 
Section 1. La loi
§ 1. Le culte de la loi sous la Révolution
I. Caractères de la loi
A. Le culte de la loi
B. La recherche de l'uniformité
C. L'esprit de système
II. Objet des lois
A. Le droit public
B. Le droit privé
§ 2. La codification
I. Les précédents
A. Les réalisations étrangères
B. Le bilan français
II. L'œuvre napoléonienne
A. Les Codes 
B. Le Code civil après 1804
§ 3. Les interrogations contemporaines
I. La question de la codification
A. L'état des lieux
B. Le chantier
II. Les limites du pouvoir législatif
Section 2. La jurisprudence
§ 1. L'encadrement du travail du juge
I. La limite de principe au pouvoir des tribunaux et ses résultats
A. Le référé législatif
B. L'interdiction des arrêts de règlement
C. L'interdiction de juger en équité
II. L'application de la loi
A. Les nuances apportées à la conception rigide du raisonnement judiciaire
B. L'article 4 du Code civil
§ 2. Le rôle de la jurisprudence
I. Le sens des textes
A. Le choix d'une interprétation
B. Suppléer le silence de la loi
II. Quelques théories jurisprudentielles
A. Le droit civil
B. La spécificité du droit pénal
§ 3. Le droit administratif depuis la Révolution
I. Le règlement des conflits d'attribution avec les juridictions de droit commun
A. Les premières solutions
B. La création du Tribunal des Conflits
II. L'élaboration par sédimentation de la matière
A. La construction jurisprudentielle du droit administratif
B. L'évolution contemporaine des sources du droit administratif
Section 3. La doctrine
§ 1. La doctrine en droit privé
I. Le droit civil
A. La doctrine fidèle au Code
B. La doctrine critique à l'égard du Code
C. La doctrine ouverte à la jurisprudence
D. La force de la doctrine
II. Le droit pénal
A. Le XIXe siècle
B. Le XXe siècle
§ 2. La doctrine en droit administratif
I. Les grandes étapes de l'apport doctrinal
A. L'approche sociologique
B. Les premiers « Cours »
II. La recherche de la spécificité du droit administratif
A. Des « états de fait » aux « états de droit »
B. Le recours pour excès de pouvoir
C. La règle de droit comme « règle de fait »
III. Quelques questions contemporaines
Chapitre 4 La formation du droit privé 
Section 1. L'ère des changements et de la stabilisation du droit (1789-1804)
§ 1. Les réformes des assemblées révolutionnaires
I. L'affirmation du principe de liberté
A. La liberté individuelle
B. La liberté dans la famille
C. La liberté en matière de propriété
II. L'égalité civile
A. La fin des inégalités civiles
B. La recherche de l'égalité successorale entre cohéritiers
III. Le reflux timide après Thermidor
A. La tonalité générale : l'apaisement
B. La fidélité à la Révolution
§ 2. Le Code civil 
I. Les renoncements
II. La consolidation des acquis révolutionnaires
A. La portée de la consolidation
B. La marque du temps
Section 2. Les réformes après le Code civil
§ 1. Le XIXe siècle, jusqu'à l'avènement de la IIIe République
I. Les monarchies constitutionnelles et le droit privé
A. La Restauration
B. La Monarchie de Juillet
II. Le frémissement démocratique
A. La Seconde République
B. Le Second Empire
§ 2. Depuis la consolidation de la IIIe République jusqu'à la Libération
I. La Troisième République
A. Les réformes d'inspiration républicaine
B. La prise en compte de l'évolution de la société
II. Vichy
A. Le droit privé traditionnel
B. Les atteintes aux droits fondamentaux
Section 3. Les changements depuis 1945
I. L'élaboration des nouvelles normes juridiques : la méthode
A. La forme des textes
B. L'éclatement des sources
C. Le poids accru de l'opinion publique
D. Droit civil et droit commun
II. L'évolution du droit
A. Les mutations de la notion de « bonnes mœurs »
B. L'évolution très rapide du droit de la famille traditionnelle
C. Les nouvelles matières
D. Les autres domaines
E. Les successions
F. La propriété
G. Les obligations
 INDEX ALPHABÉTIQUE

INTRODUCTION

LE LEGS DE L'ANTIQUITÉ

Les origines des institutions occidentales ◊ Le droit français trouve ses origines dans la Gaule romaine, l'apport du christianisme et les conséquences des migrations barbares. Il faut replacer ces origines dans un cadre plus large : l'Europe, la civilisation occidentale, plus largement, et même l'esprit moderne tel qu'il préside désormais aux destinées du monde, sont les produits d'une histoire particulière. Ne parle-t-on pas de civilisation judéo-chrétienne ? L'expression, quoique juste, est trop réductrice, car il faut immédiatement compléter la liste des facteurs qui ont permis l'apparition et le développement de cet « esprit » : il est en effet lié à la constitution de sociétés politiquement organisées.

Il n'est pas question d'étudier ici, de façon même succincte ces origines, mais il est nécessaire de rechercher les principes et expériences qui, encore dans le droit contemporain, font écho à des racines antiques. En ce sens, les expériences grecque et romaine 3 ont fourni un substrat encore bien vivant, dont le rappel exige des développements d'ampleur inégale. Pour la formation du droit français, l'expérience de Rome est en effet, du point de vue institutionnel et du droit privé, fondamentale, sans même parler du vocabulaire : ne parle-t-on pas encore au XXIe siècle, et par exemple, de rescrit ou de fiducie ?

Section 1. LA CITÉ GRECQUE ET L'INVENTION DU POLITIQUE

Le « miracle grec » ◊ « Tout homme porte en lui une Grèce éternelle » : A. Malraux entendait ainsi souligner que l'apport de la Grèce trouve un écho direct et encore puissant dans le monde occidental moderne. C'est en effet par opposition aux premiers foyers de vie collective organisée, sous la forme des empires orientaux) que s'apprécient les valeurs politiques que les cités grecques ont données du VIe au IVe siècle avant J.-C. Elles ont véritablement fondé une tradition qui, non seulement, a été retrouvée par les Européens mais qui, du fait de l'exportation des institutions démo-libérales dans une large partie du monde, rayonne toujours.

Les premiers empires ◊ L'invention grecque doit être appréciée par rapport aux créations politiques qui l'ont précédé et même largement accompagné (la Perse). Les principes des empires qui apparaissent au IVe millénaire avant J.-C. (Égypte, Mésopotamie) reposent sur l'obéissance à un monarque, dont le pouvoir redoutable car absolu repose sur un double fondement, militaire et religieux : la législation est réputée avoir une origine divine. Ces premières sociétés politiques ont un caractère agraire prédominant, et les empires sont le produit de la nécessité de domestiquer l'eau par un effort collectif, incessant et harassant. Cet effort justifie une situation généralisée de contrainte, et aucun lien politique n'unit véritablement les sujets aux monarques.

Les droits privés de l'Orient ancien sont à l'unisson, comme l'illustrent l'autorité paternelle, l'infériorité de la femme ou les rigueurs du droit pénal. Mais, en revanche, on y observe des aspects beaucoup plus évolués, aspects qui, habituellement – et donc pas toujours – sont liés à des sociétés plus libérales : ainsi la propriété individuelle est connue et le droit des obligations est perfectionné.

Le seul legs historique de ces empires est leur vocation d'universalité. L'idée d'empire universel est née avec eux et, après les rêves d'Alexandre le Grand ou de César, a en effet perduré fort longtemps.

La singularité de la royauté hébraïque ◊ Elle doit retenir l'attention car, grâce à la diffusion de la Bible, cette monarchie va donner beaucoup plus tard, au haut Moyen Âge, des références dans tout l'Occident chrétien. On en retirera deux leçons : d'une part, le caractère très religieux du pouvoir royal, qui fournira aux Carolingiens le modèle d'une société véritablement théocratique (quoique l'exemple de Melchisédech, roi et prêtre, soit exceptionnel) et, d'autre part, et comme le montre la royauté de David, l'idée qu'un pacte lie le roi et le peuple : cette référence contractuelle aura un grand écho.

Néanmoins, l'expérience de la Grèce antique a, par rapport aux institutions politiques modernes, une importance fondamentale : d'une part, par l'invention de notions qui charpentent la vie publique des démocraties grecques (§ 1) et, d'autre part, par l'invention de la réflexion politique (§ 2).

§ 1. Les institutions politiques grecques

La diversité des cités grecques ◊ Les micro-États qui apparaissent en Grèce et dans tout le pourtour de la Mer Égée n'ont pas les mêmes caractères, car leur degré de démocratie peut être fort différent ; certaines cités ne sont même pas démocratiques. Abstraction faite de la situation des esclaves, simples objets de la vie juridique et des étrangers (les métèques), exclus du bénéfice de la citoyenneté, certains sont foncièrement oligarchiques (comme Sparte), tandis que d'autres supposent la participation de tous les hommes libres à la chose politique (comme Athènes). La diversité est la règle. Toutes ces cités (trois cents environ) ont cependant en commun un principe : les citoyens n'obéissent pas à un homme, mais à la loi. L'opposition de principe avec la notion d'empire est totale : les Grecs sont en république, même si la participation à la vie politique est plus ou moins ouverte.

Cette conception du pouvoir, antithèse de la notion orientale, est l'invention qui, depuis la Grèce, a véritablement été l'école de l'Occident. La notion de loi est fondamentale (au sens étymologique) dans la mesure où la loi est l'œuvre, non pas d'une divinité ou d'un seul, mais, au minimum de plusieurs et, au maximum, de tous les citoyens. La notion d'un État régi par le droit est née : on obéit à une norme dont on a participé à l'élaboration. On retiendra donc l'exemple d'Athènes, qui illustre la conception laïque du pouvoir et la souveraineté de la loi.

1o Les institutions d'Athènes ◊ Le régime démocratique s'est installé progressivement à partir du début du VIe siècle avant J.-C. Après Solon et Clisthène, Périclès, au IVe siècle, dote Athènes des institutions les plus avancées de son temps.

a) La démocratie directe et la liberté antique ◊ Le peuple d'Athènes est souverain, et tous les citoyens (mais eux seuls : v. ss 17) jouent un rôle actif au sein de l'Ecclesia, l'assemblée du peuple. Des mécanismes précis visent à rendre effectif ce rôle : ainsi les citoyens reçoivent-ils des indemnités (mysthos) lorsqu'ils participent aux réunions de l'Ecclesia ou du tribunal (l'Héliée), ou bien lorsqu'ils assistent à des représentations théâtrales : il s'agit ici moins d'un objectif culturel que d'une pédagogie civique et intégrative.

Athènes montre qu'il ne faut pas confondre démocratie et liberté au sens moderne. La combinaison des deux termes n'apparaît qu'au XIXe siècle. Dans l'Antiquité, en règle absolue, la liberté individuelle est inconnue et, sur ce point, Athènes et Sparte se rejoignent. Seul compte l'ensemble des citoyens : réunis, ils disposent d'un pouvoir absolu ; pris isolément, ils ne sont rien, et n'ont pas même la liberté de penser, comme l'illustre le procès de Socrate. Comme le dira Benjamin Constant, la liberté antique est la faculté de participer, tandis que la liberté moderne vise à protéger la « sphère » des intérêts privés. L'ostracisme permet de bannir le citoyen jugé dangereux par la majorité : les droits subjectifs n'existent pas. La notion d'individu est inconnue.

b) Les magistrats ◊ L'invention constitutionnelle qui s'attache à cette notion est remarquable : les magistrats ne représentent pas une autorité supérieure aux hommes, plus ou moins divinisée, mais l'autorité de la loi que ceux-ci ont élaborée. Les magistrats sont donc aux ordres de la Cité, et seulement pour un temps limité. Souvent soumis à la collégialité, ils sont de même fréquemment désignés par le tirage au sort, l'élection paraissant aux anciens Grecs comme empreinte d'aristocratisme (sauf pour la désignation du stratège, chef militaire par exception élu).

2o Les enseignements ◊ Vue du XXIe siècle, la démocratie athénienne, malgré ses innovations, paraît limitée. Certes, fondamentalement, les citoyens participent à la vie publique, et sont même incités à le faire ; mais, d'une part, la citoyenneté est organisée d'une manière très restrictive et, d'autre part, cette liberté-participation a une rançon : l'absence de la liberté individuelle. D'autres observations permettent en outre de mieux mesurer la particularité de l'expérience grecque.

a) La citoyenneté ◊ D'une part, tous les habitants ne sont pas citoyens : les femmes, les esclaves et les métèques sont exclus. Il faut bien que les esclaves et les métèques travaillent afin que les citoyens aient le temps de se consacrer à la chose publique. La démocratie grecque est donc, par définition même, inégalitaire. Il n'empêche qu'Athènes a réalisé le régime le plus démocratique que l'Antiquité ait connu jusque-là.

b) L'empire maritime ◊ D'autre part, le système ne fonctionne que parce qu'Athènes exploite à son profit un véritable empire maritime et soumet d'autres cités : la thalassocratie (la puissance par la maîtrise de la mer) subventionne la démocratie.

c) L'exiguïté des entités politiques ◊ Enfin, les Grecs en sont restés à l'État-cité, et ne sont jamais parvenus au stade d'un État national. Les amphictyonies, sorte d'associations religieuses, la fréquentation par tous les Grecs de sanctuaires et la tenue d'épreuves sportives ouvertes à de nombreux participants (dont les jeux olympiques) sont loin du compte. Les Grecs avaient une unité de civilisation, mais s'accommodaient tout à fait de l'existence de multiples « États ». Cette observation est toutefois sujette à caution, dans la mesure où elle sous-entend que la marche vers l'État-nation est à la fois logique et profitable. Ce sentiment, propre en particulier à l'histoire de France, est en effet fort discutable puisque, encore au XXIe siècle, certains États continuent à cultiver une sorte de « nanisme » territorial.

Conclusion ◊ Le passage de la cité à l'empire sera réalisé par Alexandre (336-323), à partir de la Macédoine, mais, précisément, d'une part, non seulement – et malgré une unité incontestable de civilisation – aucune synthèse ne sera réalisée entre les deux notions mais, d'autre part et plus encore, l'empire anéantira la cité. La conception du pouvoir hellénistique sera orientale, et non grecque, la citoyenneté s'efface devant la contrainte.

§ 2. L'influence de l'expérience grecque

Le paradoxe grec ◊ L'exiguïté géographique des cités grecques et la brièveté des expériences démocratiques, là où, comme à Athènes, elles sont apparues, contrastent fortement avec l'importance et la longévité des leçons que l'on a pu tirer de l'Antiquité grecque.

La philosophie politique ◊ Les constructions constitutionnelles ont été en effet accompagnées par la réflexion théorique : ceci est l'une des particularités de la Grèce antique. La recherche de la cité idéale et, tout particulièrement, de l'exclusion des luttes intestines, liées souvent aux conflits sociaux, a suscité deux traditions philosophiques qui sont autant de repères fondamentaux de la pensée occidentale. Les Sophistes et Socrate se sont, les premiers, attachés à l'étude des institutions politiques, mais d'un point de vue négatif : en fait, ils ont inauguré le procès de la démocratie, supposée artificielle, versatile et égoïste (Xénophon, plus tard, renouvellera ces attaques).

Les apports divergents de Platon et d'Aristote ont une tout autre portée, car ils inspirent deux sortes de tempéraments politiques qui, bien que mis en évidence par deux philosophes athéniens, dépassent considérablement le cadre étroit qui les a vu naître. Il faut ajouter que, de leur temps, les deux auteurs n'ont eu aucune influence directe sur leurs contemporains ; en revanche, leurs pensées respectives illuminent et quelquefois inspirent la pensée politique occidentale.

1o Platon (428-347) ◊ La République et Les Lois s'attachent à la description de la cité-modèle. Ouvrant une voie qui ne sera jamais fermée, Platon est à la recherche de l'harmonie. Son système repose sur la division de la société en trois classes : les philosophes gouvernent au profit (supposé) de la collectivité, les guerriers défendent celle-ci, et les producteurs, qui profitent des prestations des deux premières classes, les entretiennent et leur obéissent.

On se rend naturellement compte qu'en réalité Platon n'est pas un novateur. Il fait, comme d'autres avant et après lui, le procès de la démocratie, car sa pensée est toute empreinte d'aristocratisme, même s'il s'agit de l'aristocratie d'une âme éduquée. Les esprits totalitaires, ou plus simplement élitistes ou technocratiques, cultivent Platon.

2o Aristote (384-322) ◊ La préoccupation est ici bien différente, et même opposée. Dans La Politique, Aristote analyse les trois formes de gouvernement (monarchie, aristocratie, démocratie) et s'attache à montrer que le bon régime n'est pas un régime pur, mais un régime mixte (la politeia) qui combine plusieurs régimes purs. Par la suite, de nombreux auteurs reprendront ce thème.

La pensée d'Aristote vise à réaliser un juste milieu, et à éviter les situations et opinions extrêmes. Il tend à justifier le pouvoir de la classe moyenne, seule capable de combattre les effets de l'antagonisme entre une minorité riche et une majorité pauvre. Aristote, qui a fort bien compris le drame de la démocratie grecque, inaugure une recherche du possible, contrairement à Platon qui vise au souhaitable, en privilégiant les faits sur la spéculation. Il apparaît donc comme un modéré.

La fondation de deux traditions philosophiques ◊ Il est à peine besoin de l'évoquer. L'apport grec a été repris par les Romains. Au Moyen Âge, et notamment par l'intermédiaire du monde musulman, la pensée grecque a été redécouverte, en particulier Aristote, dont saint Thomas reprend certains principes. Il y a plus : Platon et Aristote sont les fondateurs de deux courants fondamentaux de la philosophie occidentale, et leurs systèmes ont influencé, peu ou prou, les grandes idées politiques modernes et contemporaines.

Conclusion sur la Grèce antique ◊ L'exposé, bien sommaire, aura mis en évidence un fait essentiel, fondateur même : l'idée de démocratie. Malgré les limitations qu'elle a pu apporter dans les faits à sa démocratie, la Grèce a créé le citoyen, ainsi que le concept même de politique (de polis : la cité).

Section 2. ROME ET L'ÉMERGENCE DU DROIT

L'importance de la civilisation romaine ◊ Il n'est pas possible de souligner tout ce dont Rome est redevable à la Grèce. En revanche, il faut noter que le génie romain a, d'une part, réussi là où l'Antiquité grecque et hellénistique avait échoué : passer de l'état-cité à un empire durable. D'autre part, ce qui est plus important à terme, Rome a forgé une tradition juridique tant de droit public (§ 1) que de droit privé (§ 2) toujours vivante, et donné un vocabulaire, des catégories, des institutions, des raisonnements qui, par-delà les évolutions ultérieures, sont encore parfaitement perceptibles de nos jours.

§ 1. Le droit public

Les conquêtes romaines ◊ Le point de départ est celui d'une cité, comparable aux cités grecques. Des circonstances historiques particulières expliquent qu'à partir de là, Rome va dominer non seulement l'Italie, mais tout le pourtour méditerranéen et au-delà. À l'extension géographique correspondent d'importantes mutations politiques et l'élaboration de structures de droit public adaptées.

I. La République romaine

La précocité de la notion d'État ◊ La royauté, d'importation étrusque, disparaît à la fin du VIe siècle avant J.-C., pour céder la place à des institutions républicaines. Très vite cependant, et à la différence des Grecs, les Romains marquent leur profonde originalité en dégageant la notion d'État, la res publica (la « chose publique »). C'est cette notion, abstraite, qui par sa plasticité va longtemps permettre aux institutions républicaines d'assumer l'expansion géographique du pouvoir romain, tout en laissant la place, le jour venu, à un pouvoir de caractère monarchique.

A. Patriciens et plébéiens

L'intégration des plébéiens ◊ À l'origine la cité romaine est la chose des seuls patriciens, (membres des gentes, des groupes de famille) seuls vrais citoyens, titulaires à ce titre des droits civils et politiques (droit de suffrage, éligibles aux magistratures et soldats dans les légions). Les plébéiens ont un statut inférieur.

Le développement de la puissance romaine a imposé rapidement un changement fondamental, car les plébéiens sont des acteurs essentiels de la vie économique urbaine et leur rôle militaire, dans les légions, est indispensable. La loi des XII Tables, rédigée au milieu du Ve siècle, va constituer une étape essentielle de leur intégration dans la cité (v. ss 86).

L'évolution ◊ Elle n'a pas été pacifique, car elle est le fruit de moyens de pression inédits : pour imposer des réformes, les plébéiens font sécession sur l'Aventin, quittant ainsi la cité et refusant le service militaire. Ils se réunissent dans les conciles de la plèbe, c'est-à-dire les assemblées propres à celle-ci. Les plébéiens se donnent des lois propres, par les plébiscites et, afin de se protéger, se dotent de représentants particuliers, les tribuns de la plèbe. Les patriciens sont contraints à composer et reconnaissent ces institutions, en particulier le caractère sacro-saint (inviolable) des tribuns, dont les pouvoirs sont considérables, même s'ils n'ont, afin de protéger un plébéien, que le pouvoir d'empêcher, en exerçant un droit de veto (intercessio) à l'encontre des décisions des magistrats supérieurs ou du sénat.

En fait, faute de pouvoir maintenir les plébéiens dans un statut inférieur, les patriciens, par étapes successives, leur accordent l'égalité des droits et l'accès à toutes les institutions : l'évolution du statut des tribuns l'illustre bien car, sorte d'antimagistrats au départ, les tribuns seront intégrés dans l'ordre constitutionnel romain.

Les limites de l'intégration ◊ Quelles que soient les concessions, la République romaine reste cependant aux mains d'une aristocratie, qui regroupe les grandes familles patriciennes et, désormais, plébéiennes. Les premières forment la classe sénatoriale, les secondes forment la classe des chevaliers. À l'ancienneté des familles sénatoriales, dont la fortune est essentiellement foncière, se juxtapose désormais un milieu social qui se caractérise par la réussite par l'argent. En définitive, le système apparaît néanmoins comme extrêmement fermé.

B. Les institutions de la Rome républicaine

La raison de leur développement ◊ Malgré un avenir politique bien différent de celui des cités grecques, Rome a au départ des institutions publiques comparables. Seul l'esprit de ces institutions surprend, car il est nouveau : la notion de res publica est en effet proprement romaine, et explique que, bien après l'Antiquité, cette notion, élevée au niveau d'un véritable mythe (par exemple pendant la Révolution française), a perduré.

1o L'organisation du pouvoir ◊ Contrairement à Athènes, Rome admet une dualité de titulaires de ce pouvoir : les comices, qui réunissent le peuple, voisinent avec le sénat. L'expression senatus populusque romanus est à prendre au pied de la lettre et, de ce fait, la République romaine est, en réalité, très encadrée.

a) Les comices ◊ Ils votent la loi. Leur diversité répond à une adaptation. Aux très anciennes comices curiates (regroupant les seuls patriciens) se sont ajoutés les comices centuriates, ouverts aux plébéiens et composées selon le degré de richesse : selon le cens (l'impôt) qu'il paie, le citoyen romain est classé dans l'une ou l'autre centurie. Or, le mécanisme des comices centuriates est très particulier : le vote est semi-collectif et le système des classes aboutit à donner une prime aux plus riches : en réalité, le pouvoir est oligarchique. Les comices tributes, peut-être issus des concilia plebis (assemblées de la plèbe), sont apparus ensuite : plus démocratiques, les citoyens y sont répartis simplement par lieu de domicile.

Cependant, les délibérations des comices sont empreintes d'un caractère particulier : ces assemblées détiennent théoriquement un pouvoir souverain, mais, en réalité, elles sont dominées par les magistrats qui les convoquent et qui seuls leur proposent les lois, sans qu'elles puissent les modifier. Le contraste avec Athènes est considérable.

b) Le sénat ◊ Il est, à l'époque républicaine, le vrai dépositaire du pouvoir, même s'il n'exerce pas, en principe, le pouvoir législatif. Le paradoxe s'explique par le fait que le sénat dispose d'une influence déterminante sur la vie politique romaine. Cette assemblée, parce qu'elle regroupe les anciens magistrats, est dotée du plus grand prestige. Par la voie de sénatus-consultes, le sénat invite les magistrats en charge à prendre telle ou telle initiative. Surtout, il confère aux lois votées par les comices l'auctoritas : cette notion, proprement romaine et présente tant dans le droit public que dans le droit privé, signifie selon l'étymologie du mot (auctoritas vient d'augere, augmenter) que le sénat accepte et appuie les lois. En fait, il s'agit d'une sorte de pouvoir de ratification qu'exercent les sénateurs.

2o Les magistrats ◊ Le mot doit être pris dans son sens fort, car son étymologie évoque une idée de supériorité. Contrairement à Athènes, où ils exécutent seulement les décisions prises par l'assemblée des citoyens, les magistrats romains, bien qu'élus (et non plus tirés au sort) ont un statut beaucoup plus actif : ils sont véritablement des délégataires de la République. Consuls et préteurs, magistrats supérieurs, représentent, dans l'acception la plus étendue, l'État. Ils sont titulaires de l'imperium, c'est-à-dire d'un droit de commandement absolu, tant au plan civil que militaire : la notion, qui n'a pas son équivalent en Grèce, remonte à la monarchie mais survivra pendant toute l'histoire romaine. Les licteurs, au nombre de douze, porteurs d'une double hache entourée de verges (les « faisceaux »), attestent de la puissance des magistrats supérieurs et les précèdent dans leurs déplacements : leur présence n'est pas seulement symbolique car, sur ordre, ils peuvent punir tout refus d'obéissance.

Certes, le souvenir de la monarchie et la crainte du pouvoir personnel ont conduit à multiplier les magistratures, à les rendre même collégiales (au début les consuls exerçaient la fonction par roulement) et aussi à limiter leur durée à une année. Un citoyen, par l'appel au peuple (provocatio ad populum), peut aussi demander aux comices d'apprécier les jugements des magistrats, mais il n'empêche : les magistrats à imperium, bien loin de n'être que des exécutants, sont véritablement les moteurs de la démocratie romaine. Ils ne connaissent en réalité qu'un obstacle, celui de cette assemblée, qui contrôle leur gestion. On a cependant vu que la composition du sénat excluait, en principe, tout conflit durable : en effet, les magistrats en charge sont bien membres de l'oligarchie sénatoriale, qu'ils rejoindront en fin de charge.

C. La crise de la cité romaine

Les conséquences de l'expansion romaine ◊ La dilatation géographique de la Rome républicaine, du fait des conquêtes, a, dans un premier temps, provoqué des crises politiques graves et, dans un second temps, a exigé la concentration du pouvoir. L'inadaptation des structures politiques est en effet liée aux conquêtes.

1o L'organisation des conquêtes ◊ Rome, au début, a pu intégrer à la cité les populations soumises, lorsqu'elles étaient proches. Mais cette intégration était de moins en moins praticable lorsque les populations étaient de culture différente.

Le statut des territoires ◊ Selon le degré de proximité avec la culture romaine, on distingue deux sortes de statuts. L'Italie est une sorte de protectorat : les Latins perdent les droits politiques, mais conservent leur administration locale. Ils peuvent néanmoins, s'ils s'établissent à Rome même, accéder à la citoyenneté romaine.

Les provinces, de plus en plus éloignées de Rome, ont un sort différent de l'Italie. Elles sont régies selon la lex provinciae, édictée par le général romain auteur de la conquête. La propriété du sol est dévolue à Rome, ce qui justifie le tribut que paient les populations (les pérégrins). Celles-ci sont soumises à un gouverneur, choisi parmi les magistrats sortis de charge.

Le droit privé ◊ Dans ce domaine Rome a pratiqué, à l'égard des peuples conquis, un système de cohabitation. Le ius gentium (le droit des « gens » c'est-à-dire des gentes, entendues désormais au sens de peuples) a permis de régler les rapports entre individus, sans faire renoncer ces derniers à leurs droits d'origine. Ce système est extrêmement original, car il repose sur l'idée – et le constat – que peuples conquis et peuple conquérant ont naturellement, en commun, des institutions comme le contrat, la société, le mandat ou encore le louage.

2o Les conséquences politiques des conquêtes ◊ La pérennité de la suprématie de Rome sur les nouveaux territoires supposait, passés les premiers temps, une intégration politique, et celle-ci exigeait une adaptation des structures politiques, liées au départ à une cité, à la gestion d'un empire. Cette évolution n'a pas réussi sous la République.

a) Les soubresauts de la République ◊ Alors que les conflits entre patriciens et plébéiens appartenaient aux premiers temps de la République, celle-ci va connaître, à partir du IIe siècle avant J.-C., des problèmes sociaux inédits. Les conquêtes sont à leur origine.

Les guerres de conquête ont eu en effet des conséquences contrastées. Elles ont ruiné la classe moyenne romaine. Le citoyen-soldat-propriétaire de la République, fer de lance des conquêtes, a lourdement pâti de celles-ci. Abandonnant les terres pour combattre, ils affluent à Rome même et forment une nouvelle plèbe. En revanche, l'aristocratie a profité de la guerre pour s'enrichir. Grands domaines, exploités par des esclaves, et hommes d'affaires (ainsi les fermiers des impôts, les publicains) sont des acquis des conquêtes. Du fait de la concomitance entre les deux phénomènes, la charpente sociale et militaire de Rome vacille. S'ajoutent à ce trouble les conséquences des influences philosophiques grecques qui altèrent la vieille religion romaine, fruste et, avant tout, civique.

La crise sociale et morale met à mal la constitution républicaine traditionnelle, dont le fonctionnement connaît de graves déviations. La vie publique s'imprègne de violence ; l'ordre n'est plus assuré et les guerres civiles éclatent.

b) La solution : Auguste ◊ On observe des tentatives de réforme à partir du milieu du IIe siècle avant J.-C., mais les événements vont ensuite se bousculer. La marche vers la monarchie est entamée par Sylla, et César est assassiné en 44 avant J.-C., alors qu'il reprend cet objectif. Octave, neveu et fils adoptif de César, va l'atteindre en 27, en prenant le nom d'Auguste (qui fait référence à la notion d'auctoritas, v. ss 36) mais en laissant subsister une apparence de République : son coup d'État est donc particulièrement habile.

Il prétend ainsi restaurer le pouvoir des comices, qu'il contrôle cependant étroitement. Son point d'appui est le sénat, dont il détermine le recrutement, et qui se prête au jeu en acceptant, par des sénatus-consultes appropriés, d'obéir aux ordres. Les apparences sont sauves et l'on pourrait croire que règne une dyarchie, c'est-à-dire un partage du pouvoir entre le sénat et Auguste.

En réalité, le véritable pouvoir est aux mains de ce dernier. Il porte modestement le titre de princeps (il est, au sens étymologique, le « premier »), et ne supprime pas les anciennes magistratures : mais il les cumule sur sa tête. Son auctoritas, qui succède à celle du sénat, en est puissamment renforcée. Enfin, pratique des plus nouvelles et incongrues aux yeux des traditionalistes, il exige des habitants de l'Italie et des provinces le serment de fidélité à sa personne. La monarchie impériale est en marche, et le principat est seulement une transition.

II. L'empire romain

Empire et respublica ◊ On pourrait croire qu'avec Auguste renaît l'idée d'empire telle qu'illustrée précédemment en Orient par Alexandre. En réalité, cette forme politique, profondément éloignée des institutions républicaines romaines, va recevoir d'elles un cadre conceptuel d'une force considérable : la notion d'État. Auguste et ses successeurs vont toujours servir la res publica, et ce service, d'une part, légitime le nouveau pouvoir personnel et, d'autre part, constitue l'une des références de la pensée politique moderne.

On distingue habituellement le Haut-Empire et le Bas-Empire. Leurs leçons, du point de vue d'une introduction historique au droit français, sont, quant à leur importance, de nature différente.

A. Le Haut-Empire

Idée générale ◊ Les premiers siècles de l'ère chrétienne voient la construction d'un nouveau régime politique, à vocation universelle, caractérisé par le maintien d'une conception très forte de l'État. Le résultat est que la succession à l'empire est mal réglée, alors que ce vaste empire connaît des difficultés et est soumis à des forces de dissociation.

1o L'empereur ◊ L'imperator (titre autrefois réservé aux généraux triomphateurs, et préféré à celui de roi, lié aux monarques chassés en 509 avant J.-C.) renforce son pouvoir. Il n'a plus de concurrent : les comices, bientôt, ne sont plus réunis, et le sénat est aux ordres. L'empereur en vient à exercer tous les pouvoirs.

a) Les nouveautés ◊ Cette évolution est dans le droit-fil de celle qui a provoqué la chute du régime républicain : l'immensité de l'empire, les menaces que font peser sur lui les Barbares, postulent, au nom de l'efficacité, la concentration des pouvoirs entre les mains d'une seule personne. De plus, le centre de gravité de l'Empire se déplace vers l'Orient, ce qui facilite l'apparition d'un nouveau titre, donné à l'empereur : dominus (« le Maître »). Le renforcement du pouvoir d'un seul est encore opéré par le caractère sacré qui s'attache à la personne de l'empereur, auquel on rend – surtout dans les provinces, il est vrai – un véritable culte. La religion tend donc à favoriser l'unité de l'Empire et sa cohésion (que semblera menacer le christianisme, v. ss 77).

b) La permanence de la notion d'État ◊ La personnalisation du pouvoir se conjugue cependant avec le maintien de la notion de res publica. L'empereur est censé ne pas exercer le pouvoir pour lui-même, mais dans l'intérêt de tous, et remplir une fonction (officium) dans l'État, distinct de sa personne. Les Grecs ont certes inventé la politique, mais les Romains ont légué à l'Occident cette notion. L'influence de l'Orient ne fait pas disparaître cette analyse.

Ceci explique, en particulier, que l'hérédité ne s'est jamais établie en droit comme mode de succession à l'Empire. Le souvenir, resté vivace, des magistratures républicaines, fait que le nouvel empereur doit être investi par la lex de imperio, votée par le sénat lorsque les comices disparaîtront. Dans les faits, la conséquence est que la succession peut être disputée, et devenir source de troubles. Si, en période calme ou de pouvoir fort, le système de l'association au pouvoir permet, en fait, de coopter un successeur, c'est bien vite, en période difficile, l'armée qui désigne la personne qui sera investie du pouvoir suprême. La succession est le point faible des institutions impériales.

2o L'administration ◊ Rome n'a pas légué que les notions d'État (res publica), ou de fonction (officium) : il faut ajouter des méthodes de gestion publique très perfectionnées, mais aussi nécessairement très lourdes. Rome a inventé l'administration.

Face aux magistrats des cités, qui restent en place mais qui sont subordonnés, et à un sénat, dont l'empereur désigne les membres dans tout l'Empire mais qui ne se mêle plus d'administration, apparaissent des fonctionnaires, hiérarchisés et nombreux. Ils obéissent aux bureaux impériaux et, en premier lieu, au conseil impérial, peuplé de juristes. On peut distinguer deux niveaux.

a) L'administration régionale ◊ La machine impériale sera considérée plus tard comme un véritable modèle.

La hiérarchie administrative ◊ Du temps des deux empires, d'Occident et d'Orient, chacun d'eux comprend deux préfectures du prétoire, ayant à leur tête un préfet du prétoire, qui joue le rôle d'un vice-empereur. Ainsi, les préfectures d'Occident sont celles d'Italie et des Gaules. Chaque préfecture est divisée en diocèses (dirigés par des vicaires) ; la préfecture des Gaules regroupe les diocèses de Gaule, Bretagne, Espagne, etc. Enfin, les diocèses sont divisés en provinces, placées sous l'autorité de gouverneurs. Au départ très étendues, ces provinces ont ensuite été morcelées et, au Ve siècle, on en compte par exemple dix-sept dans les diocèses de Gaule. Les fonctionnaires, nommés et révoqués par l'empereur, perçoivent un traitement et sont souvent déplacés, afin d'éviter le développement du clientélisme.

La justice ◊ Cette hiérarchie administrative permet une bonne organisation de la justice, lorsque celle-ci devient l'une des tâches de l'État (v. ss 133 s.). Elle permet en effet de saisir les préfets du prétoire ou même l'empereur d'appels dirigés contre les décisions rendues par les gouverneurs, qui sont les juges de droit commun.

La fiscalité ◊ Cette pesante administration coûte cher, et les impôts sont nombreux. La capitation, impôt direct, repose sur la tenue scrupuleuse du cadastre des terres et sur le recensement précis des contribuables. S'ajoutent aussi des prestations en nature, au profit des fonctionnaires et de l'armée, et enfin des impôts indirects, qui frappent la circulation des marchandises (péages, douanes…).

b) L'administration locale ◊ Les provinces sont divisées en districts ou cités (civitates). Ces civitates ne sont pas des villes, mais des circonscriptions, chacune d'entre elles étant certes animée par une ville, sorte de chef-lieu. Elles correspondent souvent à d'anciens cadres territoriaux, antérieurs à la conquête romaine.

L'assemblée locale ◊ Une civitas est administrée par un sénat (ou curie), qui regroupe les élites locales. On s'y occupe essentiellement de répartir et lever les impôts. Cette mission va provoquer un phénomène socialement important et pernicieux : en effet, les membres des curies sont responsables sur leurs biens propres des rentrées fiscales, et s'ensuit une véritable fuite devant les charges ; mais celles-ci (autrefois recherchées, car honorifiques) sont rendues héréditaires. Cet exemple est caractéristique des solutions bureaucratiques du Bas-Empire (v. ss 74).

Les magistrats ◊ Les curies élisent chaque année deux magistrats (ce qui rappelle les consuls de Rome), les duumvirs, qui administrent les civitates au quotidien et jugent les affaires peu importantes.

3° Bilan du Haut-Empire ◊ Malgré l'unité de direction politique, réalisée par l'empereur, et un encadrement administratif remarquable, l'empire est fragile.

a) Les signes de la crise ◊ On la résume souvent en parlant de la contraction de l'économie, mais les difficultés résultent d'un processus cumulatif, dont les origines sont quelquefois anciennes. L'Occident s'appauvrit au profit de l'Orient : la balance commerciale est déficitaire. Par ailleurs, les nécessités de l'administration, et pour commencer le poids financer des efforts militaires – y compris la mise en défense des villes contre les incursions barbares – conduisent à des impôts de plus en plus lourds, qui nuisent à la vie économique.

Les désordres du IIIe siècle (anarchie politique et agressions barbares) détruisent les équilibres traditionnels et font entrer l'Occident dans un cycle régressif : l'économie est désorganisée, l'inflation monétaire décourage. Les remèdes (v. ss 72 s.) sont eux-mêmes source d'aggravation.

b) Les problèmes administratifs ◊ Jamais une administration d'une telle ampleur n'avait veillé aux destinées de territoires aussi vastes. Mais la puissance de Rome est menacée par des troubles, dans les provinces, et par les attaques des Barbares : la capacité de riposte est freinée, à cause de l'immensité de l'Empire et des lenteurs des communications. La tétrarchie et, surtout, la division en Empires d'Occident et d'Orient sont des essais de solution (v. ss 65).

On note aussi une anomalie administrative : les domaines impériaux (fisci), propriétés de l'empereur, sont gérés directement par ses agents. Les fonctionnaires ne peuvent s'immiscer dans cette gestion. Ce système, qui devait théoriquement aboutir à de meilleurs rendements, revenait, en quelque sorte, à démembrer l'État.

c) L'adhésion des sujets ◊ L'Empire romain vit sous un paradoxe : il est un cadre juridique exceptionnel, mais il n'a pas réussi à constituer un cadre politique. Cette faiblesse l'a empêché de surmonter les crises.

La citoyenneté romaine ◊ Le génie romain a été d'intégrer des populations fort éloignées au départ de l'âme romaine. Le résultat est en effet impressionnant, puisque les citoyens romains sont, dans l'Empire, soumis aux mêmes lois. La qualité de citoyen, au départ fort restreinte, a même été conférée à tous les habitants libres de l'empire (les pérégrins) par l'édit de Caracalla de 212 ; ils peuvent donc, s'ils le souhaitent, utiliser le droit romain. Quels que soient les motifs exacts de cette mesure, elle réalise l'empire universel.

Le déficit d'adhésion ◊ Les empereurs ont tenté d'associer leurs sujets à la défense de la romanité, de deux façons.

a) Ainsi, une base religieuse commune païenne devait unifier des peuples fort différents, et les fédérer dans une même obéissance à la personne de l'empereur. Mais la religion romaine, à caractère civique, ne correspondait pas aux appétits religieux du temps : le christianisme, après et avec d'autres religions venues d'Orient, est venu toucher la sensibilité des hommes. Ce faisant, il a ruiné les efforts impériaux. La solution a donc été de tenter de s'appuyer désormais sur le christianisme (v. ss 77), mais le ferment d'unité n'a pas été suffisant.

b) Les empereurs ont aussi tenté de fondre les élites provinciales dans le moule romain. Le recrutement, comme sénateurs, de provinciaux, a été très réel. Mais comment romaniser les populations en profondeur ? Seul un vernis a été donné, et fort peu de provinciaux ont conscience que, face aux Barbares, les habitants de l'Empire jouissent de la paix romaine et de services publics élaborés ils sont au contraire plus enclins à se plaindre du poids des impôts. En définitive, l'Empire est un assemblage de protectorats, et non un État unitaire. La fusion politique n'a pas été réalisée, et les efforts déployés au Bas-Empire n'ont pas plus abouti.

B. Le Bas-Empire

Idée générale ◊ Les éléments de désintégration interne et les agressions externes se conjuguant et la menaçant de plus en plus, la romanité cherche son salut dans le renforcement des chaînes de commandement et la bureaucratisation de la société, mais la vague de fond est trop forte. L'adoption du christianisme comme religion d'État n'y a rien changé.

1o La prise en main administrative de l'Empire ◊ Alors que l'expérience grecque était celle de cités qui n'a pu se dépasser et que Rome, en revanche, a, en quelque sorte, étendu la Cité à un Empire, une sorte de choc en retour se produit au Bas-Empire, qui va mettre un terme à une très large décentralisation.

a) Le partage de l'empire ◊ L'immensité de l'empire, en proie aux troubles internes et aux attaques extérieures des Barbares, va conduire Dioclétien à trouver en 285 après J.-C. une solution très originale, qui doit aussi régler la question de la succession : la tétrarchie. Si l'unité de l'Empire est toujours le principe, le pouvoir est néanmoins distribué entre quatre chefs : deux empereurs (deux Auguste), assistés chacun d'un César, qui leur succéderont le moment venu, administrent les territoires.

Cette solution, qui constate en réalité l'existence de forces centrifuges, marque le début du Bas-Empire, est éphémère, et Constantin va rétablir l'unité de l'Empire (324). Mais, à la mort de Théodose (395) l'empire est définitivement partagé. L'Empire d'Occident et l'Empire d'Orient vont mener des vies indépendantes. Le premier s'effondrera en 476, le second, dont la capitale aura été Constantinople, appelée ensuite Byzance, seulement en 1453, sous les coups des Turcs : il n'avait déjà plus depuis longtemps de romain que le nom.

b) La fin de l'autonomie des cités ◊ La crise du IIIe siècle a eu une conséquence très générale : le déclin des villes, éléments pourtant essentiels de la civilisation méditerranéenne. À la vitalité des anciennes bourgeoisies locales se substitue un régime où, théoriquement, une curie désigne toujours des magistrats (les décurions), mais l'assemblée populaire a disparu. Le maintien de curies (les sénats locaux) et de magistrats est seulement dû à la nécessité, pour l'État, de se rapprocher ainsi des populations urbaines, et la condition des magistrats urbains, devenus les relais du pouvoir impérial, n'est guère enviable. Chargés en particulier de la levée des impôts, outre la gestion générale préfectures des villes, ils se heurtent au mécontentement des habitants.

Les tensions sont telles que l'État créera au IVe siècle un nouveau magistrat municipal, le defensor civitatis, afin de protéger les pauvres et de lutter contre les abus de l'administration locale : cette mission était cependant proprement impossible, puisque l'État, on l'a vu, était à l'origine de la pression fiscale. En réalité, la centralisation va s'accroître : le curator reipublicae, fonctionnaire impérial, va surveiller les administrateurs municipaux et, finalement, les diriger lui-même.

c) L'instauration d'une hiérarchie administrative uniforme ◊ Les empereurs ont développé, au sommet de l'État, et à côté du conseil impérial, de hauts organes administratifs, très spécialisés. Afin de faire exécuter leurs ordres, les réformes se sont multipliées. Ainsi, l'Italie n'a plus de statut de faveur et, malgré quelques précautions de langage, est en réalité soumise au statut des provinces (on doit donc payer l'impôt). De même les provinces sont divisées, afin d'en augmenter le nombre (elles passent de 48 à 120) et ainsi de mieux les soumettre au contrôle du pouvoir central.

Les échelons administratifs en charge des provinces sont revus afin de les rendre plus efficaces. Au IVe siècle trois grandes préfectures existent (Gaules, Italie et Orient), confiées à trois préfets du prétoire, aux attributions exclusivement civiles : les troupes sont commandées par des ducs (duces, du verbe ducere, commander). On comptera plus tard une quatrième préfecture, celle d'Illyrie.

Ces préfectures sont divisées en diocèses (soit 14 en tout), qui ont à leur tête un représentant du préfet du prétoire : le vicaire. Ainsi, la Gaule comprend les diocèses de Vienne et de Trêves. Les diocèses sont, à leur tour, divisés en provinces et, par exemple, le diocèse de Vienne compte sept provinces, le diocèse de Trêves, dix. Au total, cette charpente administrative, centralisée autant qu'il était possible de le faire, devait veiller à la pérennité de la romanitas en luttant à la fois contre les périls extérieurs, dus aux Barbares (v. ss 139) et contre les forces de désagrégation internes à l'Empire.

Le rôle de l'armée ◊ Les conquêtes de la République étaient le fait des citoyens-soldats-propriétaires, mais elles ont inéluctablement conduit au professionnalisme militaire, dès le début du Ier siècle avant J.-C. L'armée devient permanente à partir d'Auguste, et l'Empire organise la défense des frontières, en édifiant une ligne de défense (le limes) : ces deux faits éloignent l'armée des citoyens.

C'est au Bas-Empire que l'armée connaît une transformation essentielle, car se généralise alors l'appel à des mercenaires d'origine barbare. Des unités entières de Barbares, avec leurs chefs, s'installent, quelquefois en forçant la main aux autorités, d'autres fois en concluant avec l'État romain des traités : ce sont des fédérés (de foedus, traité). Des Francs et d'autres Barbares, certes fortement romanisés, ont même commandé en chef des armées romaines. Par ailleurs, au début du IVe siècle, la distance entre le pouvoir civil et le commandement militaire s'accroît et l'empereur, qui était jusque-là le premier des soldats (on a pu parler d'une monarchie militaire), s'isole de l'armée. La conséquence la plus visible est l'intervention directe de celle-ci dans le choix des empereurs, à l'issue d'une véritable compétition entre légions de telle ou telle région.

2o La crise et la recherche de solutions ◊ On ne peut que décrire les conséquences des difficultés du IIIe siècle et indiquer les moyens utilisés par l'État pour y porter remède.

a) Les conséquences de la crise ◊ Elles sont évidemment multiples. En particulier, du fait de l'insécurité, les communications, donc les échanges, deviennent difficiles ; la dépopulation apparaît et le système esclavagiste n'est plus productif. La création de manufactures d'État ne compense pas l'effondrement de l'initiative privée, et accroît la bureaucratie.

1) Les villes entrent en décadence. Alors qu'elles avaient constitué le cœur de la vie antique, le point de départ de l'extension de Rome, et le lieu des classes moyennes, grâce aux activités artisanales et commerciales, elles ne subsistent plus qu'à cause de leur vocation administrative, ou militaire. Elles entourent leur surface, rétrécie, de murailles, ou se déplacent même sur des hauteurs, afin de se protéger des Barbares. Les liens traditionnels entre villes et campagnes se distendent, au profit de la ruralité.

2) Les campagnes changent en effet d'aspect. La petite propriété subsiste, mais le Bas-Empire voit se développer, dans la tradition des fisci impériaux (v. ss 60) les grands domaines. Le phénomène est certes ancien : les latifundia remontent aux conquêtes romaines. Mais, d'une part, ils se multiplient et, d'autre part, l'autorité de leurs propriétaires sur les habitants s'accroît. Dans ces sortes d'unités économiques, à tendance autarcique, de nouveaux rapports sociaux se mettent en place : les potentes (les « puissants »), venus de l'aristocratie sénatoriale, dominent les humiliores (les « petits »), et leur puissance augmente tandis que l'État ne vient plus réguler la vie sociale et ne paraît plus capable d'assurer la sécurité, ce que font les « puissants », à leur manière. Il est hautement significatif de constater qu'au IVe siècle les empereurs interdisent aux grands propriétaires de posséder des prisons privées ou d'entretenir des hommes de main. La seigneurie rurale du Moyen Âge a là l'une de ses origines.

b) Les essais de remèdes ◊ Le raidissement de l'État romain, face à la crise, est spectaculaire. Il cherche à sauver ce qui peut l'être en instaurant les structures les plus rigides qui soient. Mais les remèdes aboutissent au fond aux mêmes résultats que le mal : la société, comme l'économie, n'a plus de vitalité.

La hiérarchisation de la société ◊ Ce que l'évolution, depuis le IIIe siècle, avait produit dans les faits va être consacré par l'État : sa réglementation va, pour ainsi dire, consacrer officiellement la disparition de la classe moyenne, fer de lance de l'ancienne République romaine.

a) Les honestiores constituent une véritable noblesse, divisée en cinq classes, aux statuts différents. Les premières classes comprennent l'ancienne noblesse sénatoriale et la noblesse impériale, attachées aux fonctions administratives. Les autres classes regroupent les notables des cités. Dotés de privilèges honorifiques et judiciaires, ces derniers n'échappent cependant pas à l'impôt.

b) Les humiliores regroupent tous les autres hommes, s'ils sont libres. Ils constituent une nouvelle plèbe, urbaine et, de plus en plus, rurale.

Il s'ensuit une division fondamentale de la société romaine, fondée sur le critère de la domination sociale. Le contraste est frappant avec l'affirmation d'une citoyenneté romaine généralisée au début du IIIe siècle, puisque cette citoyenneté n'a plus guère d'intérêt.

L'hérédité des professions ◊ On a déjà parlé des curiales, tenus de père en fils de la rentrée des impôts, mais le système est général. Afin d'enrayer la crise économique, l'État entend contraindre les artisans, les commerçants, à exercer de façon héréditaire leurs professions. Ainsi, les fils de militaires seront eux-mêmes militaires, les fils de boulangers seront eux-mêmes boulangers, etc. Quelques métiers libres subsistent (regroupés dans les collegia, les corporations) mais, en réalité, ils sont contrôlés par l'administration impériale.

L'effort de l'État romain est proprement gigantesque, mais voué à l'échec : en voulant sauver ce qui reste de vie économique et sociale, la fixité des professions et la hiérarchisation de la société renforcent à leur tour les rigidités et ajoutent le mal au mal.

La transition vers le Moyen Âge ◊ La pars occidentalis de l'Empire voit apparaître une économie et une société dont les caractéristiques annoncent le Moyen Âge. La chute de l'Empire d'Occident, en 476, n'est qu'un événement politique sans réelle portée, qui ne frappe guère que les esprits cultivés. Au point de vue des structures, la rupture n'est pas brutale, et la transition avec un monde nouveau est lente, presque imperceptible. L'« Antiquité tardive » commence.

3o Le christianisme et l'Empire ◊ L'introduction du christianisme est sans doute à mettre en rapport avec de nouvelles aspirations religieuses des populations, qui recherchaient souvent et depuis longtemps en Orient le moyen de les satisfaire. Mais la reconnaissance officielle de la nouvelle religion s'inscrit aussi dans l'effort des empereurs en vue de renforcer l'État

a) La réception de la religion chrétienne ◊ On distingue deux phases.

1) Dans un premier temps, l'Empire, pourtant accueillant à l'égard des cultes étrangers, est hostile au christianisme, réputé religion incivique. En effet, les adeptes du Christ refusent de prêter serment à l'empereur, qu'ils ne peuvent considérer comme un dieu. Depuis Caligula, l'empereur, tentant de revêtir un caractère théocratique, entend se faire appeler Deus noster (notre Dieu) et être descendant de divinités païennes. En la circonstance, les chrétiens sont considérés comme dangereux pour l'unité de l'État et, par des édits de persécution, on tente de faire disparaître la nouvelle religion.

L'attitude des chrétiens est la conséquence d'une sorte de révolution : face aux religions antiques à finalité civique qui postulent l'union étroite du religieux et du politique, le christianisme introduit une nouveauté radicale : le dualisme. Le royaume de Dieu n'est pas de ce monde, et le chrétien a une autre vocation que celle de servir l'État. Cette distinction est incompréhensible pour les païens.

2) Pourtant, la nouvelle religion se répand, en particulier parmi les hautes classes. Ses prédécesseurs n'ayant pas réussi à l'éliminer, Constantin, par l'édit de Milan (313), lui donne, pour des raisons où sincérité et calcul politique sont difficiles à démêler, un caractère officiel. L'État devient alors hostile au paganisme. Sous Théodose, le christianisme devient même par l'édit de Thessalonique (380) religion d'État : les autres religions sont proscrites. La raison de ce changement d'attitude est claire : il convient d'utiliser une religion qui peut contribuer à maintenir l'unité et la force de l'empire.

b) Les conséquences ◊ Elles sont contradictoires.

1) D'une part, l'Église s'est fondue dans l'empire. Elle a calqué son organisation sur celle de l'État romain : ainsi, le pape est l'évêque de Rome et les provinces ecclésiastiques, confiées aux évêques, correspondent aux provinces administratives. Elle a aussi beaucoup reçu des empereurs, en biens et en honneurs. L'évêque exercera même sur ses ouailles une juridiction qui excédera la seule dimension spirituelle.

Le rôle social de l'Église devient important. Certes, de nouvelles valeurs morales sont prônées, mais, concrètement, souvent l'évêque, par sa seule autorité morale, est le seul secours des humbles par rapport aux puissants. Son influence est perceptible en matière juridique, en particulier dans les affaires familiales et, si elle ne peut combattre de front l'institution de l'esclavage, trop fortement ancrée dans les esprits antiques car jugée indispensable à l'économie, elle recommande du moins le recours aux affranchissements, pour lesquels elle propose une procédure rapide et simple. La législation des esclaves a été adoucie au Bas-Empire, sous plusieurs aspects et, progressivement, le maître a été dépossédé de son droit de vie et de mort. L'Église donne aussi un exemple, puisque les esclaves, au sein de l'Église, sont les égaux de leurs maîtres, et qu'ils peuvent accéder à la prêtrise.

2) D'autre part, l'Église subit la conséquence de son intégration dans l'État romain, car les empereurs chrétiens, jouant sur ce qu'enseigne l'Église, après saint Paul, de l'origine du pouvoir politique (Non est potestas nisi a Deo : il n'est de pouvoir qui ne vienne de Dieu) entendent se faire reconnaître comme représentant de Dieu, et tentent de mettre l'Église en tutelle. Ils se permettent même d'intervenir dans les affaires de l'Église, en convoquant par exemple des conciles ou, mieux encore, en prenant parti dans des questions de dogme. Ce césaropapisme inaugure une solide tradition politique (v. ss 159).

L'Église et la fin de l'empire romain d'Occident ◊ Quelle que soit son implication dans l'État, l'Église, lors de l'écroulement de l'empire, en tire facilement la conséquence. Elle n'a pas à lier son sort à une forme politique dépassée. Le De civitate Dei, de saint Augustin, écrit peu de temps après le sac de Rome par les Wisigoths, montre que l'Église est apte, après Rome, à accomplir sa mission spirituelle dans d'autres contextes politiques. Elle conservera cependant le souvenir des traditions romaines, de ses principes d'organisation et du droit romain, et aussi celui de souverains au service de l'État et de la religion.

Conclusion : l'apport du droit public romain ◊ Même si sa nature est fort différente de ce qu'a laissé la Grèce, le legs romain à l'Occident est tout autant aussi essentiel. Il ne s'agit pas tant du concept de monarchie universelle, d'empire, qui hantera par la suite nombre d'hommes politiques, mais d'un fait qui tient à la nature du lien social qui a rassemblé les Romains.

Toute la vie romaine a en effet été placée sous le signe du droit, dans ses deux grandes parties (droit public et droit privé). Le droit public romain a légué la notion de souveraineté, d'imperium, qui permet au chef d'agir, non sur le fondement d'un droit personnel, mais au nom et pour le compte d'un autre concept abstrait : l'État. Les empereurs romains, même au Bas-Empire, ont toujours affirmé qu'ils représentaient la res publica. Ce précédent sera retrouvé (v. ss 203).

Certes, le droit n'a pu sauver Rome, et l'étatisme du Bas-Empire a été impuissant à enrayer la crise. Ce constat n'est guère surprenant : l'expérience romaine illustre la question de l'adaptation des concepts juridiques et politiques aux réalités économiques et sociales. Ces réalités, qui s'imposent de plus en plus au Bas-Empire, appellent d'autres règles d'organisation des populations.

§ 2. La formation du droit privé romain 4

L'importance du droit privé à Rome ◊ On remarquera que si l'Empire a, d'abord, réduit la participation des citoyens à l'exercice du pouvoir, détruit ensuite rapidement toute vie politique démocratique, enfin restreint ou même supprimé les libertés publiques, il a toujours en revanche respecté le principe selon lequel les citoyens jouissaient d'un droit privé. Cette autonomie du droit privé est fort ancienne à Rome : elle est acquise au IIe siècle avant J.-C. La meilleure preuve de cette autonomie est que l'histoire du droit romain privé, du point de vue de ses sources, ne se coule pas dans les cadres chronologiques de l'évolution du droit public.

Le retentissement historique du droit privé romain est aussi plus important encore que les leçons du droit public. Du fait de la redécouverte du droit romain, en Occident au XIIe siècle, on a en effet assisté à une véritable première renaissance de celui-ci ; une seconde renaissance interviendra au XVIe siècle, avec les Humanistes. De ce fait, le rôle du droit privé romain – même s'il faudra le préciser (v. ss 457 s.) – dans la genèse des droits occidentaux, et en premier lieu français, est capital.

Chronologie ◊ On distingue trois périodes dans l'histoire du droit privé romain : l'ancien droit, qui prend fin au IIe siècle avant J.-C., c'est-à-dire au moment où la société romaine profite des conquêtes mais, également, en subit le contrecoup ; le droit classique, qui s'achève au IIIe siècle après. J.-C. et, enfin, le droit post-classique. Cette périodisation prend essentiellement en compte l'histoire des sources, et non le fond des règles de droit, même si ce fond, avec l'écoulement du temps, a lui-même grandement évolué.

I. L'ancien droit romain

Caractères généraux ◊ Il se distingue par plusieurs traits. 1) Les Romains ne connaissent qu'un petit nombre de lois de droit privé, et la coutume est essentielle. 2) Le contexte économique et le niveau culturel des premiers Romains expliquent le développement très faible de la réflexion juridique, et on reste frappé par le fait que les juristes romains sont avant tout des praticiens, à la recherche de solutions : la pratique du droit, à Rome, a précédé la théorie. 3)La procédure est essentiellement une affaire privée, et 4) celle-ci se caractérise par un très grand formalisme.

A. Les sources du droit privé

Importance relative des diverses sources du droit privé ◊ Leur évolution a été profonde, et toutes les sources n'ont pas la même importance historique. Leur présentation générale doit être suivie de précisions particulières.

1o La diversité des sources ◊ Elles se sont développées à l'unisson des progrès de la Cité.

a) La coutume a été la seule source du droit jusqu'à la chute de la royauté (fin du VIe siècle avant J.-C.). Par la suite, malgré l'intervention de la loi dans le domaine du droit privé, la coutume continue longtemps à jouer un rôle créateur : non seulement elle peut abroger des règles coutumières, mais elle peut même faire disparaître des règles de droit écrit.

b) Les lois, votées par les comices, obligent tous les citoyens ; mais elles sont alors rares, surtout en droit privé.

c) Les sénatus-consultes sont l'œuvre du Sénat. Ils ont un statut particulier : en principe cette assemblée donne des « avis », des « conseils », mais, progressivement, les sénatus-consultes vont constituer une véritable source du droit.

d) Les plébiscites sont, à l'origine, des décisions de la plèbe réunie en assemblée, décisions qui ne s'appliquent pas au populus, mais aux seuls plébéiens. Ici aussi, toute une évolution (lois Valeria Horatia, de 449 et Publilia) va donner à ces décisions un effet général, à la condition cependant qu'elles soient ratifiées par le Sénat, ce qui sera sous-entendu à partir de 287 (loi Hortensia). À partir de ce moment, il n'y a plus de différence entre plébiscites et lois.

e) Les édits (edicta, de e-dicere : ce sont les proclamations des magistrats) constituent une source du droit tout à fait propre à Rome, et qui prendra une importance tout à fait considérable. Les magistrats ont tous le ius edicendi, fondé sur leur potestas, mais on comprend que les édits des magistrats chargés d'organiser la justice aient une importance toute particulière, du moins lorsque ces édits ont une portée générale, lorsqu'ils s'adressent à tout le peuple.

C'est le cas des indications que donnent ces magistrats, dotés de la iurisdictio (ils « disent » le droit) et de l'imperium lorsqu'ils entrent en charge : ils peuvent alors expliquer dans quelles conditions ils accepteront, pendant l'année de leur fonction, de permettre un procès (ce qui ressortit à la iurisdictio) et, de fait, ces magistrats ont le pouvoir d'imposer leurs décisions (ce qui ressortit à leur imperium). Ils peuvent mettre en œuvre la contrainte publique. Cette source est encore peu développée dans l'ancien droit, mais elle est déjà présente. Elle prendra par la suite une importance essentielle (v. ss 133).

2o La loi des XII Tables ◊ Cet événement tout à fait considérable, dont jadis la Grèce a connu des exemples, est lié à l'évolution politique de Rome.

a) Les circonstances de la rédaction de la loi ◊ La connaissance du droit coutumier, jusqu'à la chute des rois (509 avant J.-C.) appartenait au roi et aux pontifes (v. ss 90), issus du milieu des patriciens, mais l'avènement de la République n'a pas enlevé aux pontifes ce privilège. Les plébéiens, tenus dans l'ignorance des règles, redoutaient donc l'arbitraire et réclamaient la rédaction de ce droit coutumier, et sa publication. À la suite de péripéties, une commission de dix membres (les decemvirs) a rédigé d'abord dix Tables, en 450, puis deux ensuite. Ces Tables étaient affichées sur le Forum, pour en assurer la publicité : en définitive, la mise par écrit du droit a correspondu à une volonté d'apaiser les rapports sociaux.

b) Le contenu des XII Tables ◊ Il ne s'agit pas d'une codification au sens moderne, mais seulement de la divulgation par écrit des coutumes anciennes, afin de couper court désormais aux contestations. Quelques éléments nouveaux auraient été cependant introduits à l'occasion. L'œuvre distingue trois groupes de dispositions : on parle d'abord des règles de la procédure civile, ensuite du droit applicable à la famille et aux biens, et des modes d'acquérir. Enfin, on traite de droit pénal, de droit public et de droit sacré. Un appendice, ajouté par la suite, contient des dispositions diverses.

Le droit des XII Tables est nettement archaïque, propre à une société essentiellement agricole. Les dispositions pénales sont sévères (peine du talion). On remarque aussi que le droit n'est pas encore nettement distingué du religieux et du sacré, les anciens Romains ayant une conception véritablement contractuelle des rapports avec les dieux (un sacrifice doit produire un résultat).

Le texte des XII Tables était encore, d'après Cicéron, appris par cœur par les enfants, et il était affiché non seulement à Rome mais dans les villes de l'Empire : on pouvait encore les voir sur le Forum de Carthage, en 264 après J.-C. Dépassées du point de vue du fond du droit, ces vieilles règles apparaissaient néanmoins encore comme fondatrices du ius civile (v. ss 95).

3o L' interpretatio ◊ Si un courant créateur du droit est apparu de façon autonome, grâce à l'activité législative des comices, la loi des XII Tables a généré une activité également créatrice et très originale, qui a cherché à exploiter, développer, adapter ses dispositions.

a) La jurisprudence au sens romain ◊ Elle est le fait des jurisconsultes, soucieux de tirer au maximum partie des XII Tables : « sages » (prudentes), ils créent la jurisprudence, non au sens moderne, mais à celui de science du droit, c'est-à-dire sa connaissance (le mot a conservé longtemps ce sens, il l'a quelquefois encore par exemple en Italie), certes, mais aussi son application à des situations pratiques nouvelles. Face à des dispositions très brèves et parfois difficiles à comprendre, les jurisconsultes parviennent à résoudre nombre de difficultés.

Si, dans un premier temps, le collège des pontifes, membres du collège de prêtres chargés du culte de Jupiter, conserve le monopole de l'interpretatio, car gardiens du sacré, une laïcisation va les déposséder. La divulgation en particulier des formules de procédure, en 312, a été une étape capitale, qui a favorisé l'interprétation du droit. Mieux encore, au milieu du IIIe siècle le premier grand pontife plébéien donne publiquement des consultations juridiques, ce qui permet le développement d'une réflexion juridique complètement dégagée du poids des pontifes. Le droit devient une science laïque, qui permet d'ailleurs de commencer à Rome une carrière politique.

b) Les mécanismes de l' interpretatio ◊ L'inventivité technique des prudentes est remarquable. Ils peuvent, d'abord, déduire des termes mêmes de la loi des XII Tables des formules de procédures ou des actes extrajudiciaires, lorsqu'il s'agit de mettre en œuvre des droits reconnus par la loi. Mais deux autres procédés sont beaucoup plus novateurs :

En premier lieu, on va appliquer la loi à des situations qu'elle n'a pas prévues, pour autant qu'elles ne lui soient pas contraires. Les exemples les plus célèbres sont d'une part, l'adaptation de l'émancipation à des fins tout à fait différentes de celle qui était recherchée par les XII Tables et, d'autre part, le procès de liberté, qui permet à un homme libre qui a été néanmoins réduit en esclavage de retrouver sa condition. En second lieu, les jurisconsultes vont plus loin, et tirent de la loi des conséquences conformes à son texte, mais contraires ouvertement à son esprit. On fera ainsi admettre l'émancipation des filles… et au contraire leur exclusion en matière successorale.

c) La force de l' interpretatio ◊ Les solutions des jurisconsultes ne s'imposent à vrai dire que parce que la population les accepte, et parce que ces solutions vont dans le sens de ce que veut l'opinion : en ce sens, la jurisprudence, au sens romain, est reçue en coutume. Cela n'est toutefois possible que parce que les jurisconsultes prennent toujours la précaution de trouver un fondement à leurs solutions dans le texte même des XII Tables. L'interpretatio puise aussi sa force dans l'adoption de principes de raisonnement, comme l'intention du législateur (ratio iuris), l'intérêt commun (utilitas publica) ou, plus tardivement, sous l'effet de la philosophie grecque, la naturalis aequitas, le respect de ce qui, naturellement, est juste.

L'interpretatio et la conception du droit ◊ Des origines que l'on vient de retracer relève l'une des caractéristiques essentielles du droit privé romain : son caractère extrêmement pratique, concret. Le droit romain restera toujours un droit de praticiens, et non de théoriciens, même si l'influence de la philosophie grecque se fera sentir. Le goût des solutions concrètes est lié aux circonstances historiques, fort particulières, de l'apparition de la science juridique.

Se développe aussi le ius gentium (le droit des « gens », des gentes, c'est-à-dire des peuples). Il s'agit des règles étrangères que les Romains acceptent (v. ss 41), en particulier des rapports commerciaux qui reposent sur la confiance des contractants (la fides, qui donne également « foi »). Vers le milieu du IIIe siècle, le préteur pérégrin sanctionne ces rapports.

B. L'inspiration de l'ancien droit romain

Les particularités romaines ◊ L'état premier du droit romain repose sur quelques notions originales. Elles régissent sans doute une société fruste, au faible développement économique, mais sont aussi le point de départ d'une évolution tout à fait remarquable. Il faut donc donner quelques précisions indispensables, tant sur le vocabulaire que le contenu de l'ancien droit et, aussi, sur la procédure.

1o Ius Quiritium et ius civile ◊ C'est à partir du IIIe siècle que le droit antérieur, qui ne distinguait pas le droit public, le droit privé et le droit « sacré » (fort important aux origines de Rome, car il organise les rapports des hommes avec les divinités), prend le nom de ius Quiritium. Le droit des Quirites, du nom porté selon la tradition par les patriciens romains, est le droit que seuls les citoyens romains peuvent utiliser et qui ne peut porter que sur des choses romaines. Le ius Quiritium est donc le noyau ancien, propre à la Cité.

Il se caractérise par le formalisme, l'oralité, le réalisme et l'objectivité (entendu au sens juridique moderne, opposé à la subjectivité). Un peu après, on parle de ius civile (droit civil, c'est-à-dire le droit des citoyens pris comme personnes privées), lequel englobe la loi des XII Tables, le vieux fonds du droit quirite, les lois postérieures et l'interprétation de ces lois, y compris celle des XII Tables.

2o Vue générale de l'ancien droit privé ◊ Le droit privé romain archaïque est retardataire par rapport au droit grec, plus évolué, car plus ouvert au commerce. Il est ainsi très mal distingué de la religion, tant dans les notions elles-mêmes que dans la pratique juridique, encore empreinte quelquefois de magie. Le droit pénal, en particulier, considère la répression comme une cérémonie purificatrice, qui tend à apaiser les dieux.

a) Les objectifs du droit ◊ Le droit ne protège à vrai dire pas tant les individus que les groupes. Ceux-ci sont entendus soit au sens large et ancien : ce sont alors les gentes, qui exercent une propriété collective sur les terres, soit dans un sens plus étroit, celui de familia, au sein de laquelle l'autorité du paterfamilias est extrême : il est titulaire du ius vitae necisque, c'est-à-dire que, théoriquement, il peut mettre à mort l'un des membres du groupe. Surtout, le droit ne couvre que des domaines restreints. Le reste est affaire de rapports de force ou de bons rapports entre voisins.

b) La protection des droits ◊ Elle a d'abord été assurée par le roi, et il semble bien que son intervention n'ait pu se faire que par le biais de la coloration religieuse que revêtaient les litiges : les parties prêtaient serment pour affirmer le bien-fondé de leurs prétentions, et le roi, prêtre en même temps, n'intervenait que pour connaître de cet acte religieux. On considérait aussi que les désordres entre humains, s'ils n'étaient pas éteints, pouvaient attirer la colère des dieux.

3o La procédure ◊ On ne s'étonnera pas de son extrême formalisme. Les paroles doivent être prononcées sans erreur, les gestes accomplis sans défaut, le tout à la lettre : un oubli fait perdre le procès. La procédure est, dans un double sens, véritablement sacramentelle.

Le régime républicain modifie les choses, mais la justice est en réalité une affaire privée : le magistrat, représentant de la Cité, ne fait que la contrôler. Le progrès par rapport au régime primitif de la vengeance privée, pratiqué par les gentes, est limité. L'intervention de la Cité dans le règlement des litiges a abouti seulement à imposer aux parties l'arbitrage obligatoire. De ce fait, le système romain (ordo iudiciorum privatorum) est en effet a priori déroutant. D'une part, le plaideur doit obtenir (c'est la phase in iure) du magistrat (au début, un consul, plus tard un préteur) son accord, en soutenant ses prétentions au moyen des seules formules orales acceptées ; d'autre part, et à la condition que le magistrat donne son accord, l'affaire est jugée au fond par un simple citoyen (c'est la phase in iure), en réalité un arbitre privé, désigné par le magistrat : ce juge du fond vérifie seulement les faits et rend une décision.

Les citoyens n'ont donc des droits qu'à la condition que des formules de procédure – les actions, au nombre très limité – les sanctionnent. Ce système, dit des actions de la loi (legis actiones) est bien antérieur à la loi des XII Tables, même si ce texte l'a repris et ne l'a nullement créé ; en revanche, ces actions permettent de mettre en œuvre les dispositions de cette loi.

II. Le droit classique

La discordance entre les évolutions du droit public et du droit privé ◊ Alors que, du point de vue de l'évolution des institutions politiques la distinction entre République et Principat s'impose, il en va autrement pour le droit privé. Celui-ci n'est pas affecté par le changement – d'ailleurs progressif – de régime politique. Tout au plus peut-on dire que les sources du droit révèlent seulement la primauté de plus en plus affirmée du pouvoir impérial, et qu'au lieu de rupture, comme en droit public, il faut ici parler d'évolution.

A. Le devenir des sources anciennes

Idée générale ◊ Elles évoluent à un rythme différent selon ces sources. La coutume a un rôle de plus en plus modeste, face aux autres modes d'expression du droit. Il faut dès à présent noter que, loin de disparaître, la coutume va connaître une renaissance au Bas-Empire (v. ss 130). L'activité législative des comices, encore très vivante au Ier siècle avant J.-C., s'éteint à la fin du siècle suivant. Il est vrai que ces lois n'intéressent que fort peu le domaine du droit privé, même si une loi Aebutia a introduit au IIe siècle avant J.-C. une réforme profonde de la procédure (v. ss 109), et si les leges Iuliae, sous Auguste, touchent au droit de la famille.

1o Les sénatus-consultes ◊ Il pourrait sembler que le Sénat ait profité de la disparition de la loi, puisque pendant le Haut-Empire les sénatus-consultes sont très nombreux : l'auctoritas du Sénat, qui n'est plus donnée aux lois jadis votées par les comices, justifierait désormais le transfert au Sénat de la compétence de celles-ci. En réalité les mesures que prend le Sénat lui sont demandées par l'empereur, et les mots ne trompent pas puisque à la fin du IIe siècle on n'utilise plus l'expression de sénatus-consulte : elle est remplacée par celle d'oratio principis (littéralement le discours du prince. Ainsi apparaît la prépondérance de l'action impériale. Les sénateurs n'ont pas l'initiative, et les sénatus-consultes vont même disparaître au IIIe siècle : ils n'ont été qu'une source du droit de transition.

Beaucoup de sénatus-consultes intéressent le droit privé (par ex. les sénatus-consultes Tertullien et Orfitien, pour les successions entre mère et enfants) ; il en va de même pour les orationes principis (par ex. l'oratio Severi, pour la tutelle).

2o Le droit prétorien ◊ Il a été la source du droit non seulement la plus féconde de la période, mais aussi, avec la jurisprudence au sens romain (v. ss 112), la plus originale de Rome. On a déjà vu pour quelle raison les magistrats pouvaient, par leurs édits (ius edicendi : v. ss 85) créer du droit.

Nature et importance du droit prétorien ◊ L'extension des conquêtes a conduit, sous la République déjà, à adapter le droit privé romain, souvent par le truchement de la procédure, à de nouvelles situations nées essentiellement du développement du commerce : ainsi, par exemple, la représentation des parties à un contrat. Curieusement, cette adaptation n'a pas fondamentalement été le fait de la loi, mais a été réalisée par le droit prétorien ou, plus généralement, honoraire, car les magistrats suivent la carrière des « honneurs » : mais il va s'agir surtout de l'action du préteur, en charge de la procédure.

Les initiatives prétoriennes vont ainsi constituer, par rapport au droit civil au sens romain (le ius civile : v. ss 95) une source du droit autonome, en sorte qu'un même droit pourra s'analyser et, surtout, s'appliquer, selon les deux sources. Par ailleurs, le droit prétorien a une portée considérable, car il est ouvert à tous les hommes libres de l'Empire, alors que le ius civile ne régissait que les seuls citoyens de la ville de Rome. En ce sens, ce droit a joué un rôle considérable dans l'intégration des étrangers, puisque ceux-ci, grâce au préteur, pouvaient nouer des rapports juridiques avec les citoyens et jouir de situations juridiquement protégées.

Techniquement, l'action du préteur peut seulement tendre à confirmer le ius civile, en en précisant certaines des dispositions. Mais, déjà, le préteur va donner sa propre sanction à une situation juridique, sanction souvent plus efficace que celle du seul ius civile. Le magistrat peut encore compléter ce « droit civil, » en adaptant précisément ce droit à l'évolution économique et sociale. Ce second apport se caractérise par l'introduction des notions de bonne foi et d'équité. Le préteur peut enfin aller plus loin, et même modifier le « droit civil », sous l'empire maintenant de nouvelles idées morales. Dans ces trois manifestations, le pouvoir prétorien tient compte des circonstances de fait qui lui dictent son intervention.

a) L'édit ◊ Le programme qu'annonce le préteur lors de son entrée en charge (d'autres magistrats font de même, ainsi que les gouverneurs de province) est annuel, puisque la charge l'est elle-même. Mais son successeur reprend peu ou prou ce programme qui, théoriquement donc temporaire, devient en grande partie stable, et l'on distinguera bientôt la pars translaticia (permanente) et la pars nova, c'est-à-dire les apports nouveaux. L'édit est donc à la fois permanent, mais encore souple et ouvert aux progrès : on y constate des sortes de sédimentations successives. Au total, l'édit constitue un véritable corps de doctrine et, de fait, il va susciter des commentaires d'auteurs (tel Servius Sulpicius).

Plus précisément, l'édit du préteur indique en premier lieu l'indication des circonstances dans lesquelles le magistrat appliquera le ius civile, en donnant ou non une action ou une exception. En second lieu, on trouve dans l'édit l'énoncé des moyens de droit fondés sur l'imperium, qui permet au préteur d'ordonner telle ou telle mesure. Enfin, une troisième partie donne le catalogue des formules d'actions, soit qu'elles relèvent du ius civile, soit qu'elles correspondent aux nouveaux droits sanctionnés par le préteur. Celui-ci donne alors des actions dites in factum, c'est-à-dire rédigées en fait, et demande au juge de vérifier simplement l'existence de ce fait ; ce constat oblige automatiquement ce juge à condamner le défendeur. Tout cela permet de comprendre comment le préteur crée véritablement du droit.

Ainsi, par les actions utiles, le magistrat va étendre un droit dans des cas non prévus par la loi, mais qui peuvent se rattacher à l'esprit de celle-ci. Les actions fictives sont nettement plus hardies, et même surprenantes : le préteur ordonne au juge-arbitre (v. ss 99) de statuer « comme si », par ex., tel demandeur « était citoyen romain », alors qu'il s'agit d'un pérégrin. Mieux encore, le magistrat va écarter le ius civile, qu'il répute en quelques circonstances inacceptables, en donnant des exceptions qui vont paralyser une action fondée sur celui-ci. La force du droit prétorien se révèle ici de façon éclatante : elle repose sur l'imperium et, au-delà, sur la façon dont les Romains ont conçu leurs rapports avec leurs magistrats (v. ss 37).

La fixation définitive du texte de l'Édit ◊ On observe qu'au milieu du IIe siècle après J.-C. l'édit, à cause de la concurrence de la législation impériale (v. ss 115 s.), se fige et perd sa valeur créatrice. Vers 140, l'empereur Hadrien demande à un juriste, Julien, de regrouper les édits successifs en un seul Édit, dit perpétuel, et d'en classer les matières. Il ne s'agit donc pas d'une codification à proprement parler et, de plus, les 45 titres sont loin d'être tous cohérents entre eux. Ce travail n'a pas pour autant mis fin au droit des magistrats de prendre des édits, mais, dans les faits, il n'a pu que ralentir encore le tarissement de cette source du droit. Surtout, aucune unification des sources du droit n'a été opérée, et droit civil (ius civile) et droit prétorien (ius honorum) ont continué à coexister.

b) Le lien entre le droit prétorien et la procédure ◊ Le développement des institutions judiciaires correspond, d'une façon générale, à la construction d'une société intégrée, dotée d'une charpente administrative. Si la procédure est au départ de l'histoire de Rome fort peu élaborée (le procès est le fait des parties elles-mêmes, le magistrat ayant un rôle très restreint) on constate que, par la suite, et sans en principe bouleverser le vieux système, la procédure se transforme.

Ainsi, à l'époque classique, le procès conserve une structure encore très ancienne, celle de l'ordo iudiciorum privatorum (l'« ordre des instances privées » : on parle donc de procédure ordinaire, à laquelle sera opposée, au Bas-Empire, la procédure extraordinaire, c'est-à-dire menée en dehors de l'ordo ; v. ss 133 s.), qui s'organise en deux phases. Dans la première, les parties se présentent devant le préteur (phase in iure, devant ce magistrat), le demandeur assumant lui-même la comparution du défendeur en usant de procédures particulières, et exposent leur affaire. Mais le préteur ne juge pas lui-même : il renvoie les parties devant un juge (phase apud iudicem, devant le juge) qui est un simple citoyen, dont le nom est pris sur une liste. Une importante modification va être apportée à l'ordo, et va permettre par une voie extrêmement originale au préteur de créer du droit.

c) Origine de la procédure formulaire ◊ L'extension de Rome a une conséquence sur l'organisation de la justice : le développement du commerce et les rapports avec les pérégrins révèlent l'inadaptation de l'ancien système des actions de la loi : celles-ci, trop formalistes, réservées aux seuls citoyens et en nombre limité, étaient liées à une petite société agricole, de type familial et patriarcal, dominée par les gentes.

La formule ◊ Une nouvelle procédure va apparaître, et son nom vient de l'instruction écrite (formula) que le magistrat, dans la première phase du procès, va rédiger à l'intention du juge-arbitre qui, dans la seconde phase, va statuer. La formule décrit l'objet du litige, à partir des prétentions des parties, et ordonne au juge-arbitre de rendre une décision en fonction des preuves produites. L'origine de cette procédure est peut-être liée à l'activité du préteur pérégrin, chargé depuis le milieu du IIIe siècle de réglementer les litiges entre étrangers et romains : le procès ne pouvant se dérouler conformément au système des legis actiones, le préteur donnait au juge le moyen, tout de même, de statuer. L'introduction de la formule révèle une intervention plus grande de l'État dans l'ordo, puisque la nouvelle procédure puisait sa force dans l'imperium du préteur. Quoi qu'il en soit, deux lois vont officialiser la chose : une loi Aebutia (130 avant J.-C. ?) a donné aux plaideurs le choix entre l'ancienne et la nouvelle procédure, et la loi Iulia (17 avant J.-C.) supprime (sauf pour quelques rares situations) les actions de la loi, dont elle constate et entérine la décadence.

La procédure formulaire est désormais employée, d'abord d'une façon générale et ensuite, à cause de l'apparition de la procédure extraordinaire (v. ss 133), seulement comme procédure de droit commun. En effet, au cours du Ier siècle après J.-C. commence à se faire jour cette autre procédure, plus simple ; mais ses applications restent encore exceptionnelles. Ce n'est qu'à partir de Dioclétien que la procédure extraordinaire, ou administrative, s'imposera d'une façon absolue.

Les voies de recours sont indirectes, et dirigées contre le préteur (pour avoir mal organisé le procès) ou le juge-arbitre (pour avoir été partial). L'appel du jugement est fort mal organisé au début, faute de hiérarchie judiciaire, jusqu'au moment où l'empereur va apparaître comme le juge d'appel naturel.

La structure de la formule ◊ Le contenu de la formule va vite devenir véritablement de style, tout en s'adaptant à la variété des questions juridiques en débat. Ce contenu est indiqué par le préteur lors de son entrée en charge : c'est à cette occasion et par ce moyen technique que le magistrat peut sanctionner des droits nouveaux, en octroyant à cette fin un moyen procédural inédit. Le préteur est ainsi intervenu dans toutes les branches du droit en acceptant, dans des cas ainsi prévus par lui, d'accorder une action. Le cadre général de la formule est toujours le même. Dans le cas le plus simple, on trouve :

1) la désignation (nominatio) du juge. Il est choisi de l'accord des parties sur une liste de citoyens confectionnée à l'avance.

2) l'exposé de la demande (intentio), avec si nécessaire une précision sur la cause prétendue de l'obligation mise à la charge du défendeur (demonstratio). La multiplication des types de demandes a correspondu à un développement du droit, notamment par le recours à la fiction.

3) la condemnatio : le préteur ordonne au juge-arbitre de condamner ou d'absoudre le défendeur, au vu des preuves produites. La condemnatio a toujours un caractère pécuniaire 5.

D'autres clauses peuvent, le cas échéant, être adjointes : en particulier, la formule peut contenir une exception : c'est le cas lorsque le défendeur ne conteste pas directement la demande formée contre lui, mais entend invoquer un fait qui peut conduire le juge à débouter le demandeur.

Le rôle central du préteur ◊ L'examen de toutes les clauses envisageables révélerait sans difficulté toute la souplesse de la formule. On insistera surtout sur le rôle accru du magistrat dans cette nouvelle procédure. Certes les parties, comme dans les legis actiones, ont un rôle important (notamment pour lier le procès : litiscontestatio), mais la procédure formulaire constitue la ligne médiane entre le procès primitif, dans lequel la société politique a peu de place, et le procès moderne, où au contraire l'État donne toute la mesure de sa puissance.

Dans le cadre de la procédure formulaire, et en vertu de sa iurisdictio, le préteur « dit le droit » (car il fixe le cadre juridique du procès), tandis que le juge-arbitre vérifie si les preuves permettent, ou non, de le mettre en œuvre. De ce fait, le préteur a une activité créative, tandis que le juge-arbitre est renvoyé à un rôle plus passif

Il faut aussi relever que le préteur peut par ailleurs ordonner certaines mesures, en s'appuyant non plus sur sa iurisdictio, mais, en dehors de tout procès, sur son imperium. Il peut ainsi :

a) faire promettre à un particulier telle ou telle prestation. Ce sont les stipulations prétoriennes, dont un exemple est la cautio iudicatum solvi (engagement de payer une condamnation pécuniaire éventuelle), ou encore la cautio damni infecti (en cas de ruine imminente d'un immeuble, le propriétaire voisin reçoit l'assurance d'être indemnisé). Le bénéficiaire de la promesse, le moment venu, aura une action ex stipulatu (fondée sur la promesse) afin de recouvrer sa créance.

b) envoyer en possession une personne, c'est-à-dire lui conférer la détention provisoire d'un bien ou même d'un patrimoine. Cette missio in possessionem est certes une mesure d'exécution consécutive à un procès, mais elle est d'application plus large, lorsque la contrainte est nécessaire.

c) le préteur peut encore prendre des mesures énergiques par des interdits, afin de protéger l'ordre public et aussi des intérêts privés reconnus légitimes. Il s'agit au début d'interdire à une personne tel ou tel acte, mais ensuite les interdits pourront consister en des injonctions de faire. L'Édit perpétuel (v. ss 106) récapitule les diverses mesures, en particulier d'après leur but : les interdits les plus remarquables sont les interdits possessoires, car ils sont à la confluence des notions d'ordre public et d'intérêt privé. Protéger la possession intéresse sans doute la personne injustement dépossédée, mais vise aussi à éviter un trouble public.

d) les restitutions « en entier » (restitutiones in integrum) apparaissent comme les mesures prétoriennes les plus spectaculaires (elles apparaissent seulement vers la fin de la République), puisque le préteur peut purement et simplement annuler un acte, et rétablir le statu quo ante. Il écarte un acte conforme au ius civile en se fondant sur un principe supérieur, l'équité.

Les conditions de ces restitutions sont, bien entendu, strictes : l'intervention du préteur n'a qu'un caractère subsidiaire, car il n'existe pas d'autre moyen de remédier à la situation qui lui est exposée. Plus facilement accordée aux mineurs, à cause de leur inexpérience des affaires, elle suppose, pour les majeurs, l'existence d'agissements moralement inadmissibles : dol, violence, menace, qui constitueront autant de délits prétoriens, avant de se transformer en vices du consentement, notion plus moderne. Le caractère exceptionnel de ces restitutions se révèle encore par la brièveté du délai ouvert (une année après l'acte litigieux).

3o La jurisprudence ◊ Elle poursuit son essor à l'époque classique.

a) Les prudentes (les jurisconsultes) poursuivent sous la République, et principalement, une activité pratique, qui consiste soit à donner des avis (respondere) aux plaideurs et aux juges, qui sont de simples citoyens et non des magistrats professionnels (v. ss 99), soit à rédiger des actes (cavere), soit enfin à diriger un procès (agere).

Leur méthode reste toujours empreinte d'esprit concret, mais, à cause même du développement quantitatif des règles de droit et aussi sous l'influence de la philosophie grecque, les jurisconsultes font œuvre de doctrine. Une science du droit apparaît et les Romains eux-mêmes considéraient comme des fondateurs du ius civile des auteurs du IIe siècle avant J.-C. (Manilius, Brutus, et Publius Mucius Scaevola). Le premier traité méthodique de droit, du début du Ier siècle est l'œuvre de Quintus Mucius Scaevola, fils du premier Scaevola. Sulpicius, au milieu du Ier siècle, avait donné le premier commentaire de l'édit du préteur. On ne connaît malheureusement que quelques fragments de ces œuvres, parce qu'ils ont été reproduits soit par Gaius dans ses Institutes, au IIe siècle après J.-C., soit, surtout, dans le Digeste de Justinien (v. ss 127).

En présence de situations nouvelles ces juristes, comme le préteur, proposent des solutions ; mais, à la différence de l'autorité du magistrat, celle des Prudentes n'a en principe qu'une valeur privée. En fait, elle a pourtant une grande force, car l'opinion voit dans les jurisconsultes les héritiers des pontifes.

b) La coïncidence entre l'Empire et le développement de la jurisprudence est remarquable. Pendant près de trois siècles, cet essor va correspondre à l'apogée de l'histoire romaine, devenue celle de tout l'Occident, et même au-delà. Elle a aussi occupé le vide consécutif à la fin de l'activité législative des comices et au second rôle joué par le Sénat en fait de loi.

Une première époque est caractérisée par l'existence de deux Écoles de jurisconsultes : les Proculiens et les Sabiniens, dont les différences sont mal connues. Les noms des plus illustres auteurs sont en revanche célèbres : Labéon, parmi les Proculiens, Sabinus, Julien et Gaius pour les Sabiniens. Seul un ouvrage de Gaius a été conservé, mais, à partir des fragments reproduits par Justinien dans le Digeste, les autres œuvres ont pu être identifiées : il s'agit, soit d'ouvrages de type savant, où sont commentés le ius civile ou l'Édit (ou même les deux droits en même temps : digesta), soit de travaux tournés vers la pratique (responsa, quaestiones ou disputationes, epistulae). Certains auteurs ont donné de véritables manuels : ainsi Gaius, vers le milieu du IIe siècle après J.-C., a donné ses Institutes, mais on trouve enfin des ouvrages moins ambitieux (regulae, sententiae).

Dans un second temps, les jurisconsultes entrent au service de l'empereur : ils ont désormais, outre leur activité traditionnelle, des fonctions officielles. Papinien est ainsi préfet du prétoire au début du IIIe siècle ; Paul et Ulpien occupent un peu après la même fonction. Le dernier grand juriste est Modestin. Leurs œuvres conservent un aspect pratique et relativement conservateur du point de vue juridique ; toutefois, elles s'imprègnent de principes supérieurs, d'origine grecque, comme l'équité et la règle morale. Pour Celse, le droit « est l'art de ce qui est équitable et bon » (ius est ars boni et aequi) ; pour Ulpien il faut « donner à chacun son droit » (ius suum cuique tribuere). On est loin désormais des premiers auteurs romains.

Le ius publice respondendi (= droit de répondre officiellement) ◊ Les avis des jurisconsultes n'ont eu pendant longtemps qu'une valeur privée (v. ss 92) mais Auguste a conféré à certains d'entre eux une autorité reconnue officiellement. Les empereurs ont continué d'accorder ce privilège à des juristes et, sur trois siècles, une trentaine d'entre eux en ont joui.

Les réponses de ces juristes n'ont pas la force d'une décision impériale, mais elles possèdent une qualité reconnue. Elles n'obligent donc pas le juge, même si celui-ci est incité à suivre une opinion d'une telle nature. Au fil du temps, les opinions accumulées des juristes sur une question donnée pouvaient être contradictoires et, afin de guider le juge, Hadrien établit une règle assez étonnante : si les opinions des auteurs ayant le ius publice respondendi coïncident, le juge doit se conformer à leur avis ; au cas de divergences, il recouvre sa liberté.

Le tarissement de la jurisprudence ◊ Elle est directement liée à l'absorption des juristes par les bureaux impériaux : ils perdent leur indépendance intellectuelle puisqu'ils participent désormais directement à l'élaboration du droit impérial. Sous le règne de Dioclétien (284-305) on préfère donc solliciter directement l'avis de l'empereur. L'unification des sources du droit (jurisprudence, au sens romain, et droit impérial) est alors réalisée.

B. Le droit impérial

La prédominance du droit impérial ◊ Il prend, sous le nom de « constitutions » – on va préciser le sens de ce mot ‑, la place laissée libre par l'affaiblissement des autres sources du droit, affaiblissement auquel d'ailleurs il contribue directement.

1o L'essor des constitutions impériales ◊ Il est lié directement au développement du pouvoir législatif impérial. Si Auguste, par politique, a refusé la cura legum (la charge des lois) que le peuple et le sénat lui offraient, il n'en est pas moins vrai qu'il prend des édits dans les provinces, et que le sénat défère sans difficulté à ses invites : le prince n'a pas théoriquement la compétence législative, mais il détient l'initiative des lois (v. ss 44).

Au IIe siècle, l'exercice du pouvoir législatif est admis, et justifié peut-être par le souvenir de délégations du pouvoir législatif à des magistrats sous la République : mais le contexte politique n'est plus du tout le même. Ulpien, au début du IIIe siècle, écrira que l'autorité des constitutions impériales est la même que celle de la loi ; ce propos sera illustré plus tard (v. ss 506) par l'adage « ce qui plaît au Prince a force de loi » (quod Principi placuit legis habet vigorem).

2o La typologie des constitutions ◊ Elles n'ont rien à voir avec un contenu « constitutionnel ».

a) On distingue en premier lieu les édits, qui n'ont de commun avec les édits des magistrats que le nom : il s'agit bien de lois à caractère général et permanent, fruit de la concentration entre les mains de l'empereur de l'imperium et de l'auctoritas.

b) Les décrets : il s'agit de décisions judiciaires, prises par l'empereur ou par le conseil impérial. En principe ces décrets n'ont donc pas d'effet général, puisqu'ils sont liés à la solution d'un litige déterminé ; mais, lorsqu'ils sont publiés, leur valeur de précédents est indiscutable.

c) Les rescrits sont des réponses faites par l'empereur ou son conseil à des questions posées par des fonctionnaires, des magistrats ou même de simples citoyens. La réponse est inscrite au bas de la demande, d'où son nom latin. Leur autorité théorique est la même que celle qui s'attache aux décrets mais, pour la même raison, ils ont de fait valeur obligatoire. Le développement des rescrits explique le déclin de l'activité de consultation des jurisconsultes (v. ss 114).

d) Les mandats sont des instructions administratives qui émanent des bureaux impériaux, mais quelquefois ils abordent le droit privé. Ils peuvent être adressés à un fonctionnaire particulier, mais, souvent, tous les gouverneurs de province en sont destinataires : ces mandats ont alors une portée générale. Théoriquement dotés d'une valeur temporaire, leurs dispositions sont souvent reconduites et, par là, les mandats obtiennent valeur permanente.

3o Le ius gentium ◊ Parallèlement à l'unification des sources du droit, on constate sous le Haut-Empire l'essor d'un système nouveau de droit, commun à tous les sujets de l'empire. Le droit des gens s'oppose ainsi au ius civile, propre aux citoyens romains. Les Romains ont certes toujours connu une dualité de sources (« droit civil »/droit prétorien) mais, avec les conquêtes, l'organisation des rapports entre Romains et étrangers de l'Empire, postule un système tout à fait nouveau.

De fait, le ius gentium présente des caractères originaux. Relativement syncrétique, il fusionne des mœurs juridiques différentes ; il s'agit surtout d'un droit des affaires, car sa vocation est née de celles-ci et, en conséquence, repose sur la simplicité, la bonne foi et l'équité. Il est sous-tendu par l'idée que tous les peuples connaissent des règles conformes au droit naturel (ius naturale), à l'exception toutefois de l'institution de l'esclavage : le droit naturel exige la liberté de tous les hommes, alors que le droit des gens admet l'esclavage.

III. Le droit du Bas-Empire

Ius publicum et ius privatum ◊ La distinction, évidente pour les Modernes, ne s'est cependant dégagée à Rome que très lentement car, pendant fort longtemps, elle a été en quelque sorte masquée par d'autres divisions du ius considérées comme plus importantes, par exemple l'opposition entre droit sacré et droit profane. Cicéron le premier, vers le milieu du Ier siècle avant J.-C., fait état de la distinction, mais seulement en fonction de la source du droit, et non de son objet ou de sa finalité. C'est seulement à la fin de l'époque classique, et sous une influence hellénistique, que la différenciation entre les deux droits se perfectionne. Il revient à Ulpien, au début du IIIe siècle après J.-C. (v. ss 112) de la promouvoir, mais encore imparfaitement, et un travail mené par des juristes à partir de sa pensée a abouti ensuite à une conception dans laquelle le ius publicum régissait tous les rapports juridiques impliquant le populus romanus, c'est-à-dire l'État. Enfin, Justinien, dans ses Institutes (v. ss 127) dans une célèbre formule fait de la distinction la division suprême du droit (Publicum ius est quod ad statum rei romanae spectat ; privatum quod ad singulorum utilitatem : le droit public est ce qui concerne l'état des affaires romaines ; le droit privé ce qui concerne l'utilité des individus).

L'évolution du Bas-Empire ◊ L'avènement de la distinction est la traduction de la place de plus en plus grande qu'occupe désormais l'État. Elle permet de séparer radicalement deux sphères, mais il convient de relever que, d'une part, le droit public grandit rapidement au détriment du droit privé : ainsi, les délits publics se substituent aux délits privés, et la justice, désormais d'État, est rendue par des fonctionnaires (v. ss 133 s.). D'autre part, la correspondance entre les principes du droit public et du droit privé est, comme sous l'ancien droit romain, plus aisée à constater, mais elle s'effectue en sens inverse. À la monarchie impériale, devenue largement administrative (v. ss 65 s.) correspond une véritable captation, par l'État, des sources du droit et de la justice. Toutefois, l'évolution économique et sociale donne à la coutume une importance renouvelée.

A. Les sources du droit

Idée générale ◊ La concentration du pouvoir entre les mains de l'empereur entraîne la précipitation d'une évolution déjà fort nette au Haut-Empire : les diverses sources du droit s'unifient.

1o La jurisprudence ◊ La science du droit est désormais le fait de deux catégories de juristes bien distinctes : aux fonctionnaires impériaux qui rédigent les textes qui seront officiellement ceux de l'empereur, s'opposent des enseignants, surtout dans la pars orientalis de l'Empire (Constantinople ou Beyrouth) ; on trouve tout de même, comme en Gaule à Autun, des centres de diffusion.

L'œuvre de ces professeurs est tout à fait particulière car ils s'adonnent essentiellement à une mise en ordre du droit existant, et leur activité créatrice est secondaire. Cette restriction d'activité est due sans doute à la prépondérance de la production législative étatique, ainsi qu'au fait que l'interprétation du droit est réservée, depuis Constantin, à l'empereur lui-même.

La « loi des citations » ◊ La connaissance de la doctrine ancienne (du ius) et de ses éventuelles contradictions conduit d'ailleurs l'État à établir une sorte de guide, afin de trancher entre les opinions des jurisconsultes classiques. Après Constantin, qui, d'une part, privilégie Papinien au détriment de Paul et d'Ulpien et, d'autre part, confère une valeur obligatoire aux Sententiae (v. ss 112) de Paul, une constitution de Valentinien III, de 426, instaure une loi des citations : cinq jurisconsultes sont sélectionnés (Gaius, Papinien, Paul, Ulpien et Modestin) et seuls leurs avis peuvent être invoqués en justice (sauf s'ils citent eux-mêmes un autre auteur). En cas de divergences entre ces cinq auteurs, le juge devra se ranger à l'opinion de la majorité ; en cas d'égalité, l'avis de Papinien prévaudra. Ce mécanisme illustre l'abaissement de la culture juridique.

2o Les constitutions impériales ◊ Elles constituent désormais la seule source vivante du droit. Les anciennes sources ont disparu (lois, sénatus-consultes), ou ont été codifiées (Édit perpétuel) ou encore se sont sclérosées (jurisprudence). Le mot lex en vient à désigner la production juridique impériale. Les mandats et les édits (leges generales) viennent régler des matières dans leur ensemble, tandis que les rescrits et les décrets traitent de situations particulières.

La division de l'Empire en deux parties n'empêche pas qu'en théorie tout au moins, les actes législatifs (mandats et édits) soient réputés s'appliquer à l'ensemble, les textes pris pour une partie étant reçus dans l'autre. En 438 le Code théodosien (v. ss 125) est ainsi reçu tant en Occident qu'en Orient : la langue officielle reste d'ailleurs le latin, et c'est seulement Justinien qui lui adjoindra le grec. Il est évident qu'en pratique, les difficultés devaient être considérables.

a) Les premières codifications ◊ L'ampleur de l'expérience juridique romaine, tant dans sa durée que sous ses multiples facettes, avait provoqué une accumulation énorme de textes, d'origines diverses. Ce fait, matériel, se conjugue à partir de la fin du IIIe siècle, avec l'affaiblissement de la réflexion juridique, qui se manifeste par la rédaction d'abrégés d'œuvres doctrinales importantes (comme celles de Gaius ou de Paul) dont on se contente désormais, et aussi par la rédaction d'ouvrages consacrés à une question déterminée (par ex. la dot), mais où l'auteur se borne à rassembler les avis d'anciens jurisconsultes. Le dessèchement de la pensée juridique est ainsi avéré.

Afin de faciliter la connaissance des leges, et d'authentifier les textes législatifs, le Bas-Empire a vu naître des Codes. Il s'agit dans un premier temps d'œuvres purement privées, et d'ampleur d'ailleurs limitée : ainsi le Code Grégorien, reproduit une sélection de constitutions promulguées de 150 à 295, tandis que le Code Hermogénien, plus tardif, est plus complet. L'État lui-même va ensuite donner un recueil du droit impérial vivant : un Code officiel est rédigé, regroupant les constitutions depuis Constantin, au début du IVe siècle, jusqu'en 438, date de la promulgation de ce Code en Orient par Théodose II et en Occident par Valentinien III.

Il s'agit là d'une œuvre considérable, en premier lieu à cause de son ampleur, puisque le Code comprend 16 livres, correspondant aux sources du droit, au droit privé, au droit public, et au droit ecclésiastique (l'Église est devenue religion d'État : v. ss 77) et reproduisant de façon chronologique les constitutions impériales. Le grand intérêt de cette compilation est aussi, en second lieu, qu'elle renferme le seul droit romain connu en Occident (avec l'ajout des leges promulguées entre 438 et 476), puisque le Code de Justinien interviendra alors que l'Empire d'Occident aura disparu, et qu'il ne sera véritablement utilisé par les Européens qu'au XIIe siècle (v. ss 458).

b) Les compilations de Justinien ◊ Il faut les replacer dans le cadre du travail de restauration menée en général par cet empereur : après avoir tenté de reconstruire l'unité de l'Empire, et reconquis certains territoires occidentaux, Justinien entend en 528 doter l'Empire d'une législation commune. L'ambition est exceptionnelle, car il s'est agi de regrouper à la fois le ius (la doctrine) et les leges (les constitutions) ; elle a été réalisée très rapidement, à Constantinople, par une équipe d'avocats et de professeurs, dirigée par Tribonien, lui-même ancien enseignant reconverti dans les bureaux impériaux. Ces compilations comportent plusieurs volets.

Les diverses œuvres ◊ Elles sont au nombre de quatre.

a) Le Code, terminé en 529, renferme toutes les constitutions impériales depuis Hadrien jusqu'à Justinien. Il s'agit d'un texte officiel, qui s'impose tel quel aux juges. Une seconde édition est donnée en 534. L'ouvrage est divisé en 12 livres, subdivisés eux-mêmes en titres, au sein desquels les leges apparaissent selon leur succession chronologique. Les livres sont consacrés aux matières suivantes : droit ecclésiastique (livre I), droit privé (livres II à VIII), droit pénal (livre IX), droit public (livres X à XII).

b) Alors que Tribonien, pour rédiger le Code, pouvait s'aider des compilations antérieures, il en va tout autrement pour le Digeste, consacré au ius, et pour lequel il faut regrouper les opinions des jurisconsultes dotés du ius publice respondendi (v. ss 113). Le travail a été réparti en trois masses : commentaires de l'Édit, commentaires sur le droit civil (ius civile) et œuvres de Papinien ; en trois ans, les commissaires ont dépouillé plus de 2 000 ouvrages et lu 3 millions de lignes, en les réduisant à 150 000 ! Le Digeste est promulgué en 533. De même que pour le Code, les extraits de doctrine contenus dans le Digeste ne peuvent plus être discutés. Justinien donne ainsi valeur officielle à la jurisprudence classique, sous une réserve que l'on va indiquer (v. ss 129). Le Digeste est divisé en 50 livres (d'où son appellation, en grec, de Pandectes), eux-mêmes subdivisés en titres, recouvrant les trois masses de textes à explorer. Chacun des titres coiffe des fragments, c'est-à-dire des extraits d'œuvres.

c) Justinien a encore ordonné la rédaction d'un manuel de droit, les Institutes, à partir d'anciens ouvrages didactiques donnés par Gaius, Ulpien ou Paul. Il est publié en 533. Il examine successivement le droit des personnes, le droit des choses et les modes d'acquérir, les successions et les obligations.

d) Enfin, un dernier ouvrage est venu recueillir les constitutions publiées par Justinien depuis 534, afin de compléter le Code. Ce sont les Novelles.

Le Corpus iuris civilis ◊ Après le Code de Théodose et avant les Basiliques de Léon VI le Sage (promulguées à la fin du IXe siècle), les quatre œuvres publiées sous l'autorité de Justinien constituent une étape essentielle dans l'expression du droit romain. On donnera à cet ensemble, mais seulement au Moyen Âge, le nom de Corpus iuris civilis (opposé au Corpus iuris canonici, propre au droit de l'Église, v. ss 495). Ce corpus, dès sa découverte en Occident au XIIe siècle, va susciter un mouvement intellectuel fondamental dans l'histoire de la pensée juridique (v. ss 457 s.).

L'esprit des compilations de Justinien ◊ Il faut bien garder à l'esprit le but du travail entrepris : il a été pratique, car les commissaires devaient faire œuvre synthétique de droit positif. Ce principe, selon une théorie traditionnellement acceptée par les historiens, les a donc conduits, d'une part, à rejeter les règles de droit dépassées, d'autre part, à concilier des opinions ou des constitutions contradictoires. Cette dernière tâche, de rajeunissement et de conciliation, porte le nom d'interpolations car elle a abouti à ce que les rédactions du Code ou du Digeste non seulement pratiquent des coupures dans les textes, mais aussi à ce qu'ils modifient les œuvres originales. En définitive le Digeste, en particulier, ne reproduit pas telles quelles ces œuvres, et tout un travail a été effectué par les historiens afin de tenter de retrouver les textes originaux et, ainsi, de connaître l'évolution du droit romain.

L'initiative de Justinien, si elle a donné à l'Occident une somme juridique exceptionnelle, a eu cependant un effet malheureux : du fait de la codification, les textes originaux ont revêtu peu d'intérêt aux yeux des juristes de l'époque, et ont disparu. En peu de temps, toute la littérature juridique utilisée par les compilateurs s'est évanouie.

Cette conséquence est d'autant plus regrettable que le droit que donne Justinien a longtemps été considéré comme beaucoup plus évolué que le droit classique romain. La toilette du droit classique est certes considérable : on a voulu supprimer des distinctions traditionnelles, telles que par exemple l'opposition entre ius civile et ius honorum (droit prétorien), ou en atténuer d'autres (comme le couple « droit civil »/droit des gens). Justinien, malgré son souhait affirmé de respecter la tradition, a aussi pris en compte des données récentes, comme l'influence de l'Orient ou du Christianisme.

Toutefois, des recherches récentes tendent à montrer que les retouches apportées par les rédacteurs du Digeste seraient bien moins importantes, et qu'en réalité Justinien aurait tout de même, et peut-être à cause de la rapidité même de la rédaction du Digeste, reproduit essentiellement le droit classique et accordé peu d'attention au droit réellement pratiqué à son époque.

3o La coutume ◊ Le Bas-Empire lui redonne vie, jusqu'à lui conférer une importance aussi grande qu'à la loi. Il est paradoxal de voir se former alors une véritable théorie de la coutume, alors que l'État est omnipotent et que sa législation, fort abondante, n'est même plus concurrencée par la doctrine. La raison du renouveau de l'attrait de la coutume est néanmoins claire : elle s'inscrit dans l'ensemble des transformations qui, du monde antique, vont faire sortir une nouvelle société.

a) La notion ◊ La coutume repose sans doute sur son ancienneté et sa constance, mais l'intérêt renouvelé du Bas-Empire pour la coutume tient en partie à une découverte : faute d'avoir conservé des assemblées législatives, on constate, comme l'ont fait Aristote et Cicéron, que la coutume repose elle aussi sur le consentement des populations, sous la réserve qu'il est seulement tacite. S'ajoute à ce sentiment la vérification du caractère raisonnable, c'est-à-dire conforme à la ratio, de la coutume ; cette recherche paraît être la marque des idées chrétiennes et annonce les préoccupations qui seront celles du Moyen Âge (v. ss 423).

Quels sont les rapports de la loi et de la coutume ? La coutume s'impose certes dans le silence de la loi (praeter legem), mais qu'en est-il lorsqu'il y a concurrence ? L'argument tiré de la supériorité de la loi, fondée sur sa légitimité (la volonté impériale étant supposée être la volonté des citoyens) se heurte au fondement populaire de la coutume et, en définitive, il est admis que la coutume peut jouer contra legem, la loi étant frappée de désuétude et tacitement abrogée.

b) Les coutumes locales et le « droit vulgaire » ◊ Le droit romain, dans sa pureté classique, a toujours rencontré des obstacles dans les provinces.

1) D'une part, des coutumes locales se sont maintenues. L'immensité de l'Empire et la diversité des populations jouent incontestablement contre la volonté d'imposer à tous un seul droit, d'autant que les Romains, lors des conquêtes, ont laissé aux vaincus la faculté de conserver leurs lois personnelles, lorsqu'elles ne heurtaient pas l'ordre public romain et, en bref, la domination romaine. Cette situation devait être à l'origine de véritables conflits de lois, dont on ignore la solution. Peu à peu, ces lois se sont muées en autant de coutumes locales qui, au Bas-Empire, influencent le droit applicable à tous les habitants d'une région ; par ce biais il s'est produit des transformations de ce droit, différentes selon les lieux, et plus ou moins considérables selon les domaines.

En particulier, face au droit officiel, certaines provinces orientales connaissent une sorte de mélange de règles d'origine romaine ou purement locale. Ce phénomène a été facilité par l'usage de langues différentes du latin. Malgré l'édit de Caracalla de 212, le prestige de Rome et la supériorité technique du droit romain, la pénétration de celui-ci dans les provinces n'a pas annihilé le substrat juridique local.

2) D'autre part, un « droit vulgaire » s'est formé. Issu entièrement de la pratique, son fond est certes bien romain, mais celui-ci, à cause d'un manque d'attention à ses cadres théoriques classique, subit d'importantes adaptations et déformations, notamment en ce qui concerne la propriété. Une grande confusion vient affecter diverses institutions juridiques. Il faut toutefois bien noter que l'apparition du droit vulgaire est surtout le fait, vers la fin du IIIe siècle apr. J.-C., des provinces occidentales de l'Empire. Ainsi, en Gaule les coutumes ont disparu et le droit romain s'est mieux imposé, moyennant tout de même des adaptations et une simplification.

B. La procédure extraordinaire

Nouveauté de la procédure extraordinaire ◊ À partir de la fin du IIIe siècle après J.-C. apparaît une troisième étape de l'histoire de la procédure romaine. Après que la procédure formulaire ait elle-même succédé aux actions de la loi (v. ss 109), et alors que, dans ces deux cadres, l'ordo iudiciorum privatorum était respecté (c'est-à-dire la procédure en deux phases, in iure et apud iudicem, v. ss 99) la procédure administrative va désormais abandonner l'ordo : d'où son nom de procédure extraordinaire, c'est-à-dire hors de l'ordo. La justice est désormais rendue par un fonctionnaire, dans une seule phase. L'État s'est substitué au juge-arbitre et, bien entendu, ce changement est conforme à l'orientation générale du Bas-Empire. Ce système judiciaire décrit par les compilations du Bas-Empire, constituera un modèle pour les savants du Moyen Âge, en premier lieu, pour la justice ecclésiastique et, ensuite, royale. Au-delà, l'exemple de la procédure extraordinaire est encore présent dans l'ordonnance sur la procédure civile de 1667 et, par l'intermédiaire de celle-ci, dans le code de procédure civile de 1806.

1o Origines ◊ La procédure extraordinaire a d'abord été suivie en matière de contentieux administratif : l'ordo ne s'applique pas à cette matière, qui se développe au diapason du renforcement de l'État romain et des conquêtes, du fait que les hauts fonctionnaires sont en même temps juges de leur administration. Par ailleurs, l'empereur développe sa propre juridiction, en dehors également de l'ordo. Enfin, le système du citoyen juge-arbitre, surtout dans les provinces, paraît avoir été abandonné au profit d'un juge délégué par le gouverneur, qui exerce en province les compétences du préteur : la distinction des deux phases en est d'autant atténuée, et le gouverneur, concentrant les attributions administratives et judiciaires, devient le juge naturel. Au IIe siècle après J.-C. l'Italie est dotée de quatre iuridici, qui sont en même temps administrateurs et juges ; ils observent eux aussi la procédure extraordinaire.

À Rome même, le préteur urbain, continue à organiser les procès, mais la procédure extraordinaire va tout de même entrer en concurrence avec l'ordo. D'une part, l'empereur est non seulement le juge d'appel des gouverneurs de province, mais il est encore saisi directement par des plaideurs, soit pour délivrer un rescrit, soit même pour rendre une décision par un décret (v. ss 117). Ce faisant, l'empereur agit en dehors de l'ordo. D'autre part, de nombreux hauts fonctionnaires font de même : il s'agit : 1) du préfet du prétoire, qui juge au nom de l'empereur, 2) du préfet de la ville, chargé de la police de Rome, 3) du préfet des vigiles, qui dirige au départ la lutte contre les incendies mais dont la compétence s'est étendue aux questions intéressant les immeubles, ainsi que par extension aux rapports entre propriétaires et locataires, et 4) du préfet de l'annone, qui s'occupe du ravitaillement de la Ville.

La contamination touchera même l'activité du préteur lui-même, car il va juger directement certains litiges qui n'ont jamais par le passé été réglés dans le cadre de la procédure en deux phases : ainsi, les contestations d'honoraires des membres des professions libérales (médecins, avocats, etc.), liés à des prestations que les Romains n'analysent pas comme un louage de services mais comme un mandat dont la gratuité est de principe, sont réglées par le préteur extra ordinem.

En définitive, la procédure formulaire et le procès en deux phases sont abandonnés peu à peu : à la fin du IIIe siècle après J.-C. la transformation est achevée, même à Rome, et aucun texte officiel ne semble être intervenu, contrairement à ce qui s'était passé lors de l'abandon des actions de la loi (v. ss 109).

2o Caractères de la procédure extraordinaire ◊ La grande nouveauté est donc l'unicité du déroulement du procès, tranché par un fonctionnaire qui réunit en sa personne les attributions du préteur et le rôle du juge-arbitre. La justice est désormais simplifiée car étatisée, et le fonctionnaire, ayant hérité de l'imperium prétorien, assure lui-même l'exécution de ses décisions.

Un autre trait doit être relevé : si l'ancien formalisme disparaît, la procédure devient en revanche entièrement écrite. Sous l'ancienne procédure, seule la formule l'était, et l'on constate clairement ici la conséquence du caractère administratif de l'évolution. Ce changement justifie aussi le fait que la justice devient payante. Ce même caractère permet la réorganisation de toutes les étapes du procès, aussi bien en ce qui concerne : 1) la citation en justice (litis denuntiatio, puis citation par libelle) opérée par le juge lui-même, que 2) le cadre physique du procès, car le juge siège désormais en un lieu clos, le tribunal, et non plus sur le forum, qu'encore 3) les voies d'exécution, diligentées par le juge et, qu'enfin 4) la refonte des voies de recours, particulièrement révélatrice d'une justice d'État. Appeler d'un juge inférieur à un juge supérieur, y compris jusqu'à l'empereur (en fait le préfet du prétoire), suppose la mise en place d'une véritable hiérarchie judiciaire ; tel est désormais le cas. Il existe, outre l'appel, plusieurs voies de recours, soit dirigées contre le juge lui-même, notamment en cas d'allégation à son encontre de partialité, soit fondées sur un vice de procédure : une action en nullité est alors ouverte.

Les preuves ◊ Le juge-arbitre, dans le cadre de l'ordo iudiciorum privatorum, rend sa décision en suivant son intime conviction. Les adages en la matière (tel, par exemple, qu'actori incumbit probatio), n'avaient pas véritablement de portée juridique bien précise. Le Bas-Empire, en revanche, a mis au point tout un système de preuves rationnelles, écrites ou testimoniales, la faveur, contrairement à la pratique ancienne, allant maintenant aux premières ; cette évolution se comprend, dès lors que le juge est un fonctionnaire.

Conclusion ◊ L'évolution a été très nette, et le Bas-Empire a fait disparaître l'ordo iudiciorum privatorum, qui, quoique sous le contrôle du magistrat, restait encore fortement imprégné par le principe qui avait présidé à son apparition (v. ss 99). L'organisation judiciaire est devenue un simple volet de l'organisation administrative. Mis à part, les essais de développement de l'arbitrage, auquel les premiers chrétiens avaient recours pour leurs litiges, le système est d'ailleurs complet, puisque les administrateurs sont en même temps les juges, et que l'appel est porté devant l'administrateur supérieur. Fruit d'une longue évolution, on comprend que l'organisation judiciaire du Bas-Empire ait pu constituer un véritable modèle historique.

PREMIÈRE PARTIE

LE MOYEN ÂGE

1o La France et ses origines immédiates ◊ La France médiévale commence avec les Capétiens, à la condition toutefois que l'on admette que l'émergence de ce qui va être une Nation est chose fort lente, que l'on constate au détour de tel ou tel événement politique et juridique. Ainsi, l'avènement d'Hugues Capet, en 987, n'a pas en soi une importance capitale, loin de là même, et ce n'est que rétrospectivement que l'on a donné à cette date valeur symbolique. En réalité, la « France » ne commence à exister qu'un peu plus tard, sans doute au XIe siècle, quoique le fait national soit sans doute plus tardif.

La question des origines est en réalité inépuisable, car il ne faut pas confondre le domaine géographique, les données de population et l'adhésion à des valeurs communes. Ainsi, la Gaule romaine a incontestablement une grande importance dans l'histoire de la formation de la France, et l'on a vu précédemment que les Gaulois, fortement romanisés, avaient reçu l'empreinte de Rome. L'écroulement de l'Empire d'Occident a certes détruit un cadre politique, mais n'a pas fait disparaître pour autant une culture juridique : la France du Haut Moyen Âge en conserve même assez bien le souvenir, entretenu en particulier par l'Église.

Cet apport romain va être, en Gaule comme ailleurs, en lutte avec des conceptions politiques et juridiques fort différentes, et même opposées, liées aux envahisseurs barbares, en particulier Francs. C'est de cette confrontation, au Haut Moyen Âge, qu'est née une nouvelle société, dont la France médiévale est issue, et elle est aussi importante du point de vue du droit public que du droit privé.

2o Les invasions barbares ◊ L'empire romain est en butte aux agressions extérieures depuis longtemps : une première migration est intervenue au milieu du IIe siècle. Mais c'est au cours du Ve siècle que les Romains (le mot désignant tous les peuples empreints de romanité), dont la société est affaiblie pour des raisons internes (v. ss 69 s.), ne parviennent plus à contenir les Barbares, d'autant que certains groupes étaient déjà installés en Gaule, avec l'accord des autorités (v. ss 68). La Gaule, en particulier, voit ainsi s'établir trois peuples : les Wisigoths, en Aquitaine, les Burgondes, dans la vallée du Rhône, et les Francs vers le Rhin, la Meuse et l'Escaut.

Pendant quelque temps, une autorité romaine subsiste, et parvient même, avec l'aide de certains des peuples barbares, à en repousser d'autres, comme les Huns d'Attila, en 451. Mais, au total, l'État romain paraît se désagréger. Lorsqu'en 476 un chef barbare dépose le dernier empereur d'Occident, l'événement paraît n'avoir aucunement frappé les esprits, car les nouveaux maîtres étaient déjà en place. L'essentiel est ailleurs.

3o Le heurt des mentalités ◊ Les mœurs et les coutumes des Barbares étaient en effet radicalement différentes de ceux des Gaulois romanisés et, pendant une longue période, ces dissemblances ont subsisté. Une fusion s'est toutefois produite, dont l'intérêt, même en droit privé, sera souligné (v. ss 527 s.) car elle détermine un point d'équilibre entre tradition romaine et apport barbare ; mais le point de départ doit être évoqué.

Les peuples germaniques étudiés par César et Tacite, bien avant les migrations, sont en effet essentiellement nomades, peu enclins donc à l'agriculture. Les familles sont fortement unies par les liens du sang, et l'une des manifestations est la solidarité pénale : la vengeance privée s'exerce sur tous les proches du délinquant. Les coutumes, orales, sont surtout destinées à réprimer les délits, et permettent, en lieu et place de la vengeance, d'obtenir une réparation en nature (wergeld) (v. ss 397). On observe enfin une organisation politique rudimentaire, dans le cadre de la tribu, avec un roi élu par les grandes familles. La guerre permet au roi de gagner en puissance et, lors des invasions, chaque peuple a son roi, dont le « royaume », fruit de la conquête, sera transmis à l'un de ses descendants.

Une particularité retient tout particulièrement l'attention : le comitatus, c'est-à-dire une sorte de compagnonnage militaire, qui groupe autour d'un guerrier toute une troupe (comites, étymologiquement « ceux qui vont avec »). Il s'agit d'hommes libres, mais qui se lient à leur chef par un serment, et lui sont entièrement dévoués ; même en temps de paix, ils lui restent très proches.

Conclusion ◊ On constate aisément l'abîme qui sépare ces peuplades et la romanité. Aux lendemains des invasions, aucune assimilation ni même aucune synthèse n'est possible : la fusion ne pourra qu'être progressive, et les formes politiques ainsi que la justice ou encore les règles de fond ne pourront qu'être fort différentes de celles que les Romains avaient instaurées en Gaule. Il importe de noter l'importance de cette période car, quelle que soit son ancienneté, on y trouve tous les ingrédients qui sont à l'origine de la France moderne.

Plan ◊ On étudiera successivement les institutions politiques (Chapitre 1), la justice (Chapitre 2), les sources du droit (Chapitre 3) et, enfin, la formation du droit privé (Chapitre 4).

Haut Moyen Âge et Moyen Âge ◊ On distingue traditionnellement une première période, le Haut Moyen Âge, qui correspond aux monarchies franques (Mérovingiens et Carolingiens) (Section 1), et une seconde, le Moyen Âge français, qui correspond aux dynasties fondées par les Capétiens et les Valois (Section 2). Comme on va le voir, cette distinction a une portée qui dépasse de loin les simples successions : alors que le Haut Moyen Âge se caractérise par la confrontation entre les traditions romaine et barbare, le Moyen Âge français présente une tout autre problématique.

Section 1. LE HAUT MOYEN ÂGE

Idée générale ◊ Par-delà la succession de deux dynasties franques, dont les représentants sont, du fait des invasions, les maîtres de la Gaule, l'intérêt de la période résulte de la rencontre entre tradition romaine et coutumes barbares, d'où des institutions hybrides, ainsi que de la place de plus en plus grande occupée par l'Église. Selon les dynasties, c'est le premier aspect, ou le second, qui est prépondérant. Dans les deux cas, les assemblées d'hommes libres, typiques des mœurs barbares, déclinent ou disparaissent, pour laisser la place à l'influence de « grands ».

Le rôle de l'Église ◊ Il convient de le souligner dès à présent, car il est considérable à cette époque. Dotée d'une doctrine ferme et d'une organisation déjà structurée au temps de l'empire chrétien du Bas-Empire, où elle s'est développée, l'Église, lors des migrations barbares, accueille ceux-ci. Elle est restée, après la disparition de l'État romain, la seule force organisée en place.

L'importance de l'Église va alors grandir, tant dans sa dimension spirituelle, à cause du baptême de Clovis et de la conversion du peuple franc, que temporelle, du fait des nombreuses donations dont les rois aussi bien que les humbles l'honorent : la qualité de grand propriétaire foncier, que l'Église va conserver jusqu'à la Révolution, remonte aux temps francs. Il faut encore ajouter que l'Église conserve une tradition intellectuelle, legs de la romanité, et que cette spécificité lui vaudra sans doute un grand prestige, mais aussi, de la part des Carolingiens surtout, une véritable association à leur pouvoir.

On distingue traditionnellement, en se fondant sur le changement de dynastie, la royauté mérovingienne (§ 1) et la royauté carolingienne (§ 2). Mais il faut observer que, malgré les caractéristiques propres à ces deux moments, l'évolution de la société et des esprits est constante : malgré les efforts des Carolingiens, on s'achemine vers une nouvelle forme d'organisation.

§ 1. La royauté mérovingienne

L'unification de la Gaule ◊ Clovis, au début roi de Tournai, et ses fils parviennent, dans un premier temps, à réunir sous son autorité les divers peuples francs (Saliens, Ripuaires) et, dans un second temps, à établir la suprématie franque sur les autres peuples déjà présents – outre les Gallo-Romains – en Gaule (Wisigoths, repoussés en Espagne, et Burgondes). Un royaume est ainsi créé, la Francia.

1o La conversion de Clovis ◊ Il est tout à fait remarquable que la tradition ait lié la conversion de Clovis au christianisme à une victoire militaire contre les Alamans. Face aux Wisigoths, déjà christianisés mais hérétiques, et malgré les efforts de ces Barbares en vue d'apaiser l'Église (concile d'Agde, de 506) et les Gallo-Romains, par la promulgation du Bréviaire d'Alaric, contenant le droit romain qui leur est applicable (v. ss 401), les évêques ont préféré soutenir Clovis. Ce dernier, avant de livrer bataille (à Tolbiac ? en 496 ?), aux Alamans, qui sont des barbares païens, invoque le « Dieu de Clotilde » son épouse et, vainqueur, se fait baptiser, ainsi que le peuple franc. Il a de la sorte mieux assuré son pouvoir sur les populations chrétiennes, et cet événement majeur inaugure une véritable tradition politique qui voit l'Église se préoccuper de choses temporelles. Au cas particulier, celle-ci a véritablement aidé Clovis à s'imposer, en particulier en le considérant comme l'héritier de l'ancien pouvoir romain.

Dans cette ligne, on ne peut être surpris de voir cette même Église, lorsqu'il apparaîtra que les successeurs de Clovis sont incapables d'assurer la paix, en particulier du fait de l'invasion arabe, prêter la main à un changement de dynastie, en aidant alors un Carolingien à asseoir son pouvoir (v. ss 155).

2o La conception du pouvoir ◊ Quel que puisse être le souci de maintenir la tradition romaine, les faits montrent qu'en réalité les Mérovingiens, quant à la conception de l'État, apportent plus qu'ils ne reçoivent.

a) La fin de la notion d'État (respublica) ◊ Les Mérovingiens ont cherché à maintenir les institutions administratives de la Gaule romaine ; mais ils n'ont pas réussi à perpétuer un État faute, malgré quelques apparences, d'en percevoir et s'approprier la notion.

1) Les apparences. On constate en effet que les rois cherchent à se situer dans la lignée de Rome, en se parant de titulatures romaines : ainsi Clovis, par exemple, obtient d'Anastase, empereur de Byzance, continuateur de l'empire romain d'Orient, le titre d'« Auguste », « patrice des Romains » ainsi que les insignes du consulat. Ce besoin de légitimation, auquel l'Église donne tout son concours, ne va pourtant pas très loin, car en réalité le roi mérovingien reste un chef de guerre : il est essentiellement le rex francorum, le roi des Francs, alors même le royaume est peuplé, outre les Francs, de Burgondes et de Gallo-Romains.

2) Les mentalités. L'origine de cette incapacité à concevoir un ordre étatique tient à la mentalité des dirigeants francs et, si l'autorité d'un roi peut être forte, elle n'est pas fondée sur un concept juridique de droit public mais sur un pouvoir de fait, extrêmement concret : le pouvoir de ban, le droit de commandement (bannum). Le roi mérovingien est resté, d'abord, un chef de guerre. On est loin de l'abstraction avec laquelle les Romains concevaient l'État, et le sens de certains mots évolue en conséquence : par exemple, publicus ou fiscus signifie désormais « ce qui appartient au roi », et non à l'État. Tout devient question de rapports concrets.

Les liens personnels ◊ C'est ainsi que les sujets doivent obéissance au souverain, non pas parce que celui-ci représente l'État, mais seulement parce que, lorsqu'il est parvenu au pouvoir selon les formes franques, par l'élévation sur le pavois, ils ont prêté serment de fidélité (leudesamium) non à la fonction, mais bien à la personne. Le renouvellement, plus ou moins périodique, de ce serment démontre son caractère particulier. À titre de réciprocité, le roi doit à ses sujets la protection (mundium), afin de respecter un contrat : les liens d'homme à homme, familiers aux peuples barbares, non seulement n'ont pas disparu, mais ils se renforcent, car on estime que, seuls, ils permettent l'exercice du pouvoir sur un grand territoire.

Les Mérovingiens ont le prestige d'une famille tenue pour divine et ils se sont bien affranchis des assemblées populaires, prolongements des mœurs barbares (champ de mars) ; mais ils doivent composer avec d'autres puissantes familles et avec de véritables clans, fort ignorants de l'idée de respublica. Surtout, le roi mérovingien considère le royaume comme sa propriété, au sens du droit privé.

b) La conception patrimoniale du pouvoir ◊ Ce trait est encore plus frappant, et montre toute la distance qui sépare le pouvoir mérovingien de celui des empereurs romains, même du Bas-Empire. En effet, le roi franc est, d'abord, un grand propriétaire, dans le sens où il conçoit son royaume comme sa propriété. Cette conception explique qu'en cas de délits, le roi perçoit, à titre personnel, le tiers de la composition pécuniaire payée par l'auteur (ou ses proches) à la victime (ou sa famille) (v. ss 397) : ce n'est plus une peine publique. Il n'y a plus de finances publiques et la notion même d'impôt s'estompe : les impôts directs, qui supposent une administration fiscale structurée et attentive, se figent et se simplifient, au bénéfice des impôts indirects, plus facile à percevoir, comme les péages ou les tonlieux.

Qui plus est, le roi dispose du royaume comme de sa chose. Il n'y a plus de distinction réelle entre domaine public et domaine privé. Le roi franc dispose des terres à sa guise, accorde des exemptions d'impôts, ou même concède à un fidèle ou à des églises le droit de percevoir des redevances. Surtout, à sa mort, le titre royal reste à ses héritiers mâles (car les filles sont exclues de la succession, exactement comme elles le sont pour n'importe quelle succession ordinaire), mais cette hérédité, qui aurait pu fonder une lignée royale puissante, se heurte à une règle d'origine barbare et toujours très vivante : le partage du royaume entre fils. Il ne faut cependant pas croire que cette pratique soit totalement exclusive d'une conscience étatique, l'Empire romain ayant lui aussi été à plusieurs reprises divisé. Par ailleurs, les capitales choisies par chacun des rois sont traditionnellement proches les unes des autres. À chaque génération interviennent ainsi des réunifications qui supposent, comme le narre Grégoire de Tours, guerres et violences, et qui renforcent d'ailleurs, dans l'esprit de celui qui l'emporte, l'idée de patrimonialité.

Le gouvernement central du royaume en porte la marque : les officiers du palais, chacun en charge d'un officium, donc en théorie d'une fonction, servent moins un pouvoir abstrait que la personne même du roi : la haute fonction publique est, d'une certaine façon, domestiquée. Quant à l'administration locale, un comte, aux pouvoirs indifférenciés, remplace les fonctionnaires du Bas-Empire : la spécialisation des fonctions disparaît et le comte dirige l'administration générale, s'occupe de l'armée et des finances, et rend la justice. Le mot même de comte renvoie à un lien concret avec le roi (v. ss 140).

3o L'échec mérovingien ◊ Il est moins dû à l'incapacité des « rois fainéants » (successeurs du dernier roi affublé de ce qualificatif : Dagobert, 629-639) qu'à l'action de forces plus ou moins anciennes.

La montée des aristocraties terriennes ◊ Elle est le résultat de la rencontre des tendances domaniales, déjà écloses sous le Bas-Empire, et de l'existence de clans francs très puissants. Le maire du palais (major domus) est évidemment issu de l'une d'entre elles : en théorie premier officier de la maison royale, il exerce en réalité peu à peu le pouvoir, et recherche à rendre cette charge héréditaire : le mérovingien a là un rival potentiel, qui s'appuie sur une clientèle de grandes familles, d'autant qu'il finira par y avoir un seul maire du palais pour l'ensemble des trois royaumes.

Le changement de dynastie ◊ Ses origines remontent aux conquêtes des Arabes. Après avoir soumis les Wisigoths, en Espagne, ils envahissent la Gaule et sont arrêtés à Poitiers en 732 par Charles Martel, maire du palais : le vainqueur est aussitôt considéré comme le sauveur non seulement du royaume, mais aussi de l'Église. Ce capital de prestige va permettre à Pépin le Bref, fils de Charles Martel de perpétrer un coup d'État, en détrônant – avec l'appui du Saint-Siège – le dernier roi mérovingien. Pépin accède à la royauté (751) ; pour légitimer son usurpation, il a recours à la cérémonie du sacre, qui apparaît pour la première fois.

§ 2. La royauté carolingienne

L'union avec l'Église ◊ L'entente entre Pépin et le Saint-Siège va être définitivement scellée par un épisode militaire. En 754, Pépin accédant à la demande du Pape, défend Rome contre les Lombards et fait don au Saint-Siège des conquêtes territoriales réalisées, qui formeront le noyau de l'État pontifical ; en contrepartie, le Pape sacre de nouveau Pépin, ainsi que ses deux fils, dont Charlemagne. De la sorte, la nouvelle dynastie est, dès son origine, étroitement liée à l'Église.

I. La restauration de l'autorité publique

Les grandes caractéristiques ◊ Elle est surtout l'œuvre de Charlemagne, qui succède à Pépin en 768, et repose sur un principe fondamental : l'entente entre le souverain et l'Église. L'importance de celle-ci dans la conception de la royauté, non seulement au Moyen Âge mais même jusqu'à la fin de l'ancien Régime, remonte ainsi aux Carolingiens. Au VIIIe et au début du IXe siècle, l'influence ecclésiastique explique une large renaissance intellectuelle, la redécouverte de la culture antique et, en particulier, l'attrait du mythe impérial, à l'image de Rome.

A. L'Empire

La restauration de l'idée impériale ◊ L'apogée de ces retrouvailles est la cérémonie de l'an 800, lorsque le pape Léon III proclame Charlemagne empereur d'Occident. Cette renovatio imperii (= restauration de l'Empire) a sans doute pour objectif de ressusciter des notions romaines comme celle d'État et, plus particulièrement, de fonction royale (officium, ministerium). Elle donne au roi tout le prestige d'un successeur de Rome, car Clovis n'avait unifié que la Gaule, tandis que Charlemagne gouverne l'Occident. Les Carolingiens, dans un cadre territorial où la Gaule n'est plus qu'une partie du fait de la conquête d'une grande partie de l'Italie, de l'Espagne du nord et de la Germanie, restaurent d'abord l'État.

La réorganisation de l'administration ◊ Elle est la conséquence du renouveau de l'État. Le principal officier est le chancelier, qui remplace le maire du palais, dont les Carolingiens savent tout le danger. Le chancelier est toujours un clerc, car seuls les ecclésiastiques ont l'instruction suffisante pour l'emploi. Cet officier dirige le service où sont rédigés les actes royaux ; il dirige aussi la chapelle royale. La création de la chancellerie correspond au renouveau de l'écrit en matière d'administration et au retour à un pouvoir hiérarchique. Le tout permet une production législative importante (v. ss 404). Au plan local, des inspecteurs itinérants (missi dominici) contrôlent les agents locaux : il s'agit là d'une création originale des Carolingiens, symbolique au surplus de leur union avec l'Église puisque, souvent, ces inspections sont pratiquées par un comte et un évêque. Par ailleurs l'élite du monde carolingien, composée de clercs et de laïcs, est réunie dans des plaids généraux : ils remplacent les assemblées populaires. Le résultat est qu'entre le peuple et le roi s'intercale une réunion de « grands » : relais du pouvoir lorsque celui-ci est fort, ils deviennent vite un écran lorsque le monarque est faible.

Deux particularités retiennent encore l'attention. D'une part, l'axe de l'empire carolingien est plus continental que méditerranéen, ce qui annonce le déplacement des activités humaines vers des régions septentrionales d'où viendront plus tard essor économique et renouveau urbain. D'autre part, le nouveau pouvoir est, beaucoup plus que l'empire romain ou même la royauté mérovingienne, influencé par l'Église.

B. L'Empire chrétien

L'Empire chrétien ◊ La royauté, par rapport aux Mérovingiens, est en effet beaucoup plus religieuse : le Carolingien s'affirme roi des Francs « par la grâce de Dieu » (Dei gratia Francorum rex). Cet aspect, pour l'avenir, est même plus important que la restauration de la notion d'empire. La cérémonie du sacre, imitée sans doute des Wisigoths ou des Anglo-Saxons, est surtout d'origine biblique, et elle confère au roi le caractère d'un personnage pseudo-ecclésiastique, une sorte d'« évêque du dehors ».

Toutefois, la nature affirmée de la royauté carolingienne, si elle permet aux évêques, très présents dans l'entourage du souverain, d'influencer celui-ci, autorise en retour le roi à intervenir dans les affaires ecclésiastiques. Il règne sur le peuple de Dieu. Sans doute cette intervention est-elle propre à assurer le succès de l'Église, mais elle est aussi conçue comme une façon d'assurer l'autorité du monarque. Quelle que soit la volonté des évêques, la théocratie carolingienne est le fait du roi.

II. La permanence des forces de désagrégation

Les difficultés ◊ L'échec carolingien est la conséquence des tendances économiques qui sont apparues depuis le IIIe siècle, ainsi que des mentalités d'origine barbares : conception patrimoniale du pouvoir et force des liens personnels. Les désordres, dus essentiellement aux Normands, mettent à jour les faiblesses structurelles du renouveau. On assiste à une conjonction des facteurs de crise.

A. L'abandon de l'Empire unifié

Les partages ◊ L'expérience carolingienne, dans sa dimension la plus intense, a été de très courte durée. Dès la mort de Charlemagne, en 814 et l'avènement de son fils, Louis le Pieux, les mentalités barbares refont surface : partages de territoires, à la mort des souverains et guerres claniques ruinent la construction. Il est remarquable que Charlemagne lui-même ait ainsi organisé en 806 sa succession (divisio imperii) ; quant à Louis le Pieux, l'ordinatio imperii de 817 montre qu'il entend certes maintenir l'indivisibilité de l'Empire, mais sans pouvoir mettre fin aux pratiques de partage puisque les fils puînés recevront des royaumes théoriquement subordonnés au pouvoir de leur aîné, héritier du titre impérial. L'Église ne peut rien contre des forces qui, après avoir lézardé l'empire romain, s'affirment désormais au grand jour : un Carolingien occupera bien jusqu'au Xe siècle la dignité impériale mais, en réalité, ce n'est plus alors qu'un souvenir. La réalité politique est ailleurs.

Le partage le plus important est celui de Verdun, en 843, pratiqué entre les fils de Louis le Pieux. L'empire éclate en trois parties : Louis le Germanique reçoit la Francia orientalis (à l'est du Rhin), Charles le Chauve obtient la Francia occidentalis (les régions à l'ouest de l'Escaut, de la Meuse et du Rhin). Lothaire prend, outre la dignité impériale (ses frères sont seulement rois) un territoire situé entre les deux royaumes, qui va de la mer du Nord à l'Italie. L'idéal impérial est sauf, mais, en réalité, l'acte de Verdun donne naissance à des entités qui préfigurent, tout particulièrement pour la France, l'émergence des nations modernes.

B. Les forces de dissociation

Tendances lourdes et faits conjoncturels ◊ Deux facteurs négatifs se conjuguent à partir du milieu du IXe siècle.

1) En premier lieu, le mouvement ancien qui diminue le rôle des villes et promeut l'essor des domaines ruraux se poursuit et va bientôt atteindre, avec la féodalité, son résultat extrême. La contraction de l'économie, constatée dès le IIIe siècle (v. ss 70), est tout à fait défavorable au maintien d'une unité politique de grande dimension, reposant sur le contrôle d'un pays à partir de villes prospères. En ce sens, l'expansion de l'Islam ruine le commerce méditerranéen et consomme la rupture entre Orient et Occident.

2) En second lieu, et en particulier dans la Francia occidentalis, des difficultés conjoncturelles se font jour. En particulier, les incursions normandes, au IXe siècle, désolent le pays et, surtout, le désorganisent : les populations voient alors leur salut dans la présence de chefs militaires locaux, qui s'appuient sur des points fortifiés à leur propre initiative. Un fait important se produit alors, qui modifie de façon fondamentale la conception des rapports sociaux et politiques : le pouvoir s'abaisse au niveau de la défense militaire concrète, et la notion même du pouvoir délaisse l'abstraction pour laisser la place aux serments de fidélité, aux rapports personnels.

1° La destruction de l'État ◊ Les deux phénomènes se rejoignent lorsque le Carolingien, pour s'attacher la fidélité des « grands » leur donne des terres ou même leur concède des droits régaliens, renforçant la formation de véritables seigneuries foncières. Plus encore, par des diplômes d'immunité, il soustrait certains domaines à l'action des comtes, qui se voient interdire d'y entrer : conséquence de la méfiance que ceux-ci peuvent entretenir sur leur rôle exact, la mesure est évidemment des plus perverses, car elle détruit l'État.

Les Carolingiens ont, outre l'envoi de missi dominici (v. ss 158) tenté de contrôler les pouvoirs locaux. Reprenant une création mérovingienne, ils ont voulu que certains comtes, dotés du titre de ducs (de dux : commandant militaire), en encadrent d'autres. Le résultat n'a pas été heureux, pas plus que la création, vers 860, de grands commandements régionaux afin de faire face aux menées normandes : comtes et ducs se préoccupent plus d'asseoir localement leur autorité personnelle que d'œuvrer dans l'intérêt du roi (v. ss 165).

Le poids des mentalités et la promotion du serment comme lien politique ◊ L'Église, dont cependant l'influence croît à proportion de la diminution de l'autorité royale, ne parvient pas à assurer la cohésion du pays. L'échec carolingien est aussi celui de l'Église, car l'idée d'État, sur le modèle romain, n'a jamais été reçue que par une petite élite, essentiellement composée de clercs.

L'obéissance des sujets, dans le prolongement des mœurs mérovingiennes et, au-delà, barbares (v. ss 150) reste fondée sur le serment, et non sur le respect d'une notion abstraite. Les Carolingiens, lors de leur accession à la royauté, ont toujours demandé la prestation de ce serment par les hommes libres.

Une confusion va alors se produire entre, d'une part, le serment prêté au roi et, d'autre part, les serments prêtés par des personnes (les vassi) à d'autres (les seniores, ou domini), alors que la nature des deux actes est radicalement différente. L'aboutissement de cette confusion est réalisé en 847 lorsque, par le capitulaire de Mersen (v. ss 545), Charles le Chauve demande aux hommes libres de devenir vassaux de « grands », ceux-ci devenant à leur tour vassaux du roi. Le pouvoir revêt désormais le caractère d'un contrat : ses effets sont positifs lorsque la royauté peut se faire obéir mais, au cas contraire, l'autorité de l'État n'en est que plus encore diminuée, car elle ne touche plus directement les sujets : le relais des seniores constitue un écran, qui médiatise le pouvoir.

2o Le rôle des comtes ◊ Pivots du pouvoir carolingien, les comtes du fait des circonstances et, surtout, des désordres générés par les incursions normandes, vont constituer une force délétère.

a) L'irrévocabilité des comtes ◊ Alors qu'il est de l'essence d'un État de pouvoir disposer de ses hauts fonctionnaires, le Carolingien s'est peu à peu dessaisi de cette faculté. L'origine de cette perte d'autorité tient au mode de rémunération des comtes : faute d'argent, ils sont rétribués par la jouissance de domaines impériaux, à titre de beneficium. Obtenir un comitatus signifie donc obtenir une charge de comte, et en même temps un bénéfice. Or celui-ci, comme tous les « bénéfices » (v. ss 555 s.), tend à devenir viager et, en conséquence, la fonction le devient aussi. En 843, Charles le Chauve doit admettre que seul un plaid général peut révoquer un comte : or le plaid général rassemble les pairs de celui-ci.

b) L'hérédité des fonctions ◊ Le sens exact du capitulaire de Quierzy-sur-Oise, de 877 doit être rappelé, car sa portée n'est pas d'instaurer l'hérédité de droit des comtes. Dans des circonstances particulières, le roi prévoit simplement que si, pendant son absence, l'un de ses comtes meurt, le fils, provisoirement, exercera la fonction du père. Il n'en demeure pas moins que cette mesure de circonstance traduit un pas essentiel vers une nouvelle atteinte au pouvoir de l'État. Dans les faits, l'hérédité s'insinue jour après jour, au point qu'à la fin du IXe siècle comtes et ducs sont devenus indépendants du roi : théoriquement ils servent celui-ci, mais, en réalité, ils tendent à exercer un pouvoir autonome et héréditaire. Ce fait est d'autant plus intéressant que, désormais, la royauté ne jouit plus automatiquement du même principe.

Le changement de dynastie ◊ Malgré des efforts quelquefois couronnés de succès, le carolingien ne peut lutter efficacement contre les Normands, et renonce à défendre Paris. En revanche, l'un de ses chefs militaires, le comte Eudes, fils de Robert le Fort, dux entre Seine et Loire, a défendu la ville. En 887 Charles le Gros est déposé, et Eudes est proclamé roi un an après : s'en est fini du caractère héréditaire de la royauté, reconnue aux Carolingiens. Pour autant, Eudes ne crée pas une nouvelle dynastie, car la réalité du pouvoir est désormais aux mains des « grands » qui, au gré de leurs intérêts politiques, désignent un Carolingien ou un Robertien pendant un siècle. La désagrégation politique entre dans sa phase la plus aiguë.

Section 2. LE MOYEN ÂGE FRANÇAIS

Seigneuries et royauté ◊ Le fractionnement territorial se produit au cours du Xe siècle et dans la première moitié du XIe siècle. À l'unité politique et administrative succède un morcellement, dont l'ampleur est très variable : tantôt se maintiennent ou se constituent de grandes principautés (ex. : Flandre, Bourgogne, Bretagne, Normandie), tantôt la dégradation ne laisse subsister que les comtés (ex. : Anjou, Maine) ; l'extrême avancée de la dissociation donne naissance à de petites seigneuries autonomes, comme en Ile-de-France.

Ces différences géographiques cachent cependant une réalité commune, car principautés et comtés peuvent résulter d'un simple assemblage de seigneuries restreintes et, surtout, la nature du pouvoir exercé par un « prince » ou un simple châtelain est exactement la même : elle procède de l'appropriation de prérogatives de puissance publique, quelle que soit la puissance que celle-ci confère au titulaire. Les châteaux deviennent les centres de la vie politique, économique et sociale : l'« enchâtellement » généralisé des XIe et XIIe siècles rend compte du fait que l'autorité publique a atteint son niveau géographique le plus bas, qui est celui où peut s'exercer efficacement la défense concrète des hommes. Juridiquement, la défaillance de l'État carolingien fait surgir une autre armature de la société : la seigneurie banale et, plus précisément justicière.

En ce sens, la féodalité n'est pas une décadence, pas plus que ne l'a été la fin de l'Empire romain d'Occident : la féodalité est seulement le résultat de l'adaptation du pouvoir politique à des réalités sociales et économiques particulières. Les réalités féodales se sont développées en dehors de tout modèle théorique, mais elles ont eu raison des principes fondamentaux du droit public romain. Le mouvement qui a emporté l'idée de res publica a été freiné par la renaissance carolingienne mais, en fin de compte, celle-ci n'a pu empêcher une évolution qui a repris son cours au milieu du IXe siècle.

La place de la royauté ◊ L'institution royale n'a pourtant jamais disparu, mais elle s'est anémiée. Ainsi, au début du Moyen Âge, le roi à l'exception de son domaine (v. ss 195) n'exerce plus d'autorité réelle sur le royaume : celui-ci est morcelé, et aux mains de seigneurs plus ou moins puissants. La royauté est étrangère au monde féodal. Néanmoins, la souveraineté est virtuellement intacte, et toujours présente au plan des idées : on connaît la date du sacre et les actes privés sont, dans tout le royaume, très souvent datés d'après les années de règne du roi.

L'importance des notions ◊ L'étude du renouveau royal ne pose aucune difficulté particulière : il s'organise autour de la notion d'État selon le modèle romain, désormais tempéré par le thème aristotélicien et thomiste du bien commun. Le juriste qui, à tort ou à raison, organise sa pensée autour de cette notion d'État est ici en terrain familier. Il n'en va pas de même pour l'étude du monde féodal ou seigneurial, car il présente une forme d'organisation des rapports humains opposée à l'État : de ce fait il convient, si l'on veut éviter de graves confusions, de définir avec précision les concepts.

§ 1. L'ordre seigneurial

Seigneurie et État ◊ La nouvelle organisation de la vie sociale est quelque peu déconcertante car, d'une part, elle s'est construite contre l'État et, d'autre part, elle mêle des réalités diverses mais qui, toutes, concourent à son succès. Au total, les diverses seigneuries prennent le relais, chacune dans un espace géographique plus ou moins étendu, de l'autorité publique défaillante, et l'ordre que les seigneurs s'efforcent d'instaurer peut néanmoins permettre aux populations de bénéficier d'avantages. La nouveauté, par rapport à l'ordre étatique carolingien, est que les seigneurs agissent essentiellement en vue de satisfaire leurs intérêts personnels.

I. Complexité de la seigneurie

Une nouveauté ◊ La singularité de la seigneurie, du moins lorsqu'elle atteint son âge mur et bien que ses origines puissent être anciennes, surprend le juriste moderne, tant cette réalité est différente de la notion d'État (romaine et moderne). Ceci impose de bien mettre en évidence sa nature exacte.

A. Les définitions