Gens du Voyage
droit et vie quotidienne en France
Marc Bordigoni
© Éditions Dalloz, 2013
SOMMAIRE

Introduction. Gens du Voyage, Roms... De qui parle-t-on ?

I. Bohémiens et vagabonds (1850-1911)

II. Le contrôle des nomades (1912-1938)

III. L’internement (1939-1946)

IV. La reprise du voyage (1947-1969)

V. Du bord des chemins aux aires d’accueil, l’insécurité pour… les Voyageurs (1970-2013)

Conclusion

Bibliographie

Introduction
Gens du Voyage, Roms… De qui parle-t-on ?
En premier lieu une différence !
Les uns ont pu voter pour l’élection présidentielle de 2012 : les gens du Voyage car ils sont citoyens français ; les autres, les Roms migrants, selon l’appellation commune, sont citoyens d’un autre État de la communauté européenne – Roumanie, Bulgarie, République tchèque, Slovaquie, Slovénie – ou hors de la communauté européenne – Serbie, Croatie, Albanie (Kosovo), Macédoine…
Les gens du Voyage ont-ils tous pu voter en mai 2012 comme tous les citoyens français de plus de 18 ans ? Cela n’est pas si sûr. Il fallait évidemment qu’ils soient inscrits sur les listes électorales. Mais quelle liste électorale ? Celle de l’endroit où ils se trouveront au mois de mai 2012 ? Le plus souvent non. Membres de la « communauté des gens du voyage » selon la définition inscrite dans la loi de 2000, leur « habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles », en clair des caravanes ; ils sont soumis à une réglementation différente de leurs concitoyens. Ils doivent détenir un titre de circulation créé par une loi datant de 1969. Pour voter, ils doivent être inscrits sur la liste électorale de leur « commune de rattachement ». De quoi s’agit-il ?
La loi de 1969 a prévu que certains citoyens français sont des gens « sans résidence ou domicile fixe » car vivant en caravane et qui ont vocation à se déplacer pour exercer leur profession ou par « tradition culturelle ». Afin de pouvoir exercer leurs droits de citoyens (voter par exemple), ils doivent demander leur rattachement à une commune. Mais la loi précise que ce rattachement est soumis à l’avis du maire et du préfet du département ; de plus il ne peut y avoir plus de 3 % de « gens du voyage » rattachés à la même commune. Et la loi précise qu’il faut être rattaché à cette commune depuis plus de trois années afin de pouvoir faire valoir son droit à voter (pour mémoire : n’importe quel citoyen français peut se faire inscrire sur la liste électorale de la commune dans laquelle il vit après six mois de résidence).
L’évidence du caractère discriminatoire entre citoyens français d’une telle disposition législative a été relevée par la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE). Le candidat à l’élection présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy, avait pris l’engagement de résoudre cette question rapidement, ce qu’il n’a pas fait durant les cinq années de son mandat. Plus : par deux fois, en 2011, la majorité parlementaire a refusé l’examen d’amendements qui avaient pour but d’abroger les articles discriminatoires de la loi de 1969. Pour nombre de « gens du voyage », c’est-à-dire de titulaires d’un titre de circulation, les choses se passent ainsi : par tradition familiale datant du début du XXe siècle, ils ont des attaches avec un lieu particulier (un « petit pays » comme ils aiment à le dire, une commune le plus souvent rurale) où leurs ancêtres étaient honorablement connus et où les maires acceptaient leur rattachement. Toujours inscrits dans les registres de ces communes (Aveyron, Tarn-et-Garonne, Champagne, Loire atlantique, etc.), ils mènent leur vie dans d’autres régions et ne repassent dans leur commune de rattachement que pour honorer leurs morts si les tombes des ancêtres sont là ou pour « faire les papiers ». Bien souvent, leurs activités économiques les font vivre en périphérie des grandes villes et peu nombreux sont ceux qui retournent vers leur commune de rattachement uniquement pour exercer leur droit de vote – à quelques exceptions près comme par exemple pour les élections municipales où leurs voix peuvent permettre de maintenir de bonnes relations avec le maire sortant ou son successeur.
Quant aux « Roms migrants », la question de leur participation aux élections n’est pas de mise : citoyens de leur pays d’origine, c’est « là-bas » que la question se pose. Encore qu’en droit la question pourrait se poser de leur participation aux élections locales (municipales) et aux élections européennes comme peuvent l’exercer les citoyens communautaires qui résident depuis plus de six mois dans une commune française.
En second lieu, une égalité de traitement ?
Le président de la République française en juillet 2011 (N. Sarkozy) connaît parfaitement cette différence entre les gens du voyage et les Roms. Pourtant il n’hésite pas à convoquer une réunion exceptionnelle à l’Élysée ayant pour objet « les problèmes que posent les comportements de certains parmi les Roms et les gens du Voyage ».
Quels sont les points communs aux Roms et gens du voyage au-delà de l’appartenance commune à ce monde quelque peu exotique des Tsiganes ? On l’apprend dans la suite donnée à cette réunion : ils vivent dans des « campements illégaux ». Il s’agirait donc de gens pouvant occuper de manière temporaire, voire s’éternisant, des espaces publics ou privés sur lesquels ils n’ont aucun droit et ce parce qu’ils seraient « nomades ».
Alors, Gitans, Tsiganes… ?
Le lecteur de la presse quotidienne nationale ou régionale, s’il a un peu de mémoire, pourra aisément se souvenir que, de tout temps, ces mots n’avaient pas le même sens et que, en France, s’il voulait résumer à un de ses proches une information lue dans le journal, il aurait le plus souvent dit « tu as vu cette histoire à propos des Gitans ? ».
Les Gitans sont ces « gens-là », ceux qui ont la particularité de vivre « chez nous », depuis toujours ou de passage, dont chacun sait qu’ils sont tout à la fois humains comme nous, peut-être et souvent sûrement français, même s’ils se disent « andalous », « catalans » voire « espagnols », ou bien encore « manouches », « roms », « vanniers », « yéniches », plus rarement « forains » ou maintenant « voyageurs », et pourtant ils sont différents. Ils cultivent apparemment cette « plus petite différence » dont Lévi-Strauss et Freud ont parlé. Cette manière d’être dans la connivence avec l’autre et en même temps générer le sentiment d’une distance certaine et constante, mais non irréductible, si, par exemple, l’amour s’en mêle ou l’opportunité de « faire des affaires ».
1) Le choix des mots
Il ne sera question, dans ce livre que des « gens du Voyage ».
Dès qu’il est question de « ces gens-là » les choses se compliquent, à commencer par savoir comment les appeler. Certains renvoient à une période historique précise – Égyptiens à la France d’ancien régime, Nomade apparaît à la fin du XIXe siècle, gens du voyage à la seconde moitié du XXe siècle. D’autres se réfèrent à des différences de culture et d’histoire des familles – Manouches est employé à propos des familles dont les ancêtres ont longtemps séjourné dans cette partie de l’Europe dominée par la culture germanique, Gitans pour celles qui sont imprégnées de culture ibérique. Mais là encore les choses se compliquent, en ne considérant que la situation française. Le mot « gitan » est couramment employé en France pour désigner tous ces « gens-là », qu’ils vivent en caravane, en maison, en appartement ou en bidonville, qu’ils soient manouches, roms, yéniches ou quoi que ce soit d’autre. Mais ce mot « gitan » désigne plus précisément, à d’autres moments et selon qui l’emploie, ces personnes dont les ancêtres sont venus d’Espagne (parfois en étant passés par l’Afrique du Nord). Essayons de préciser l’emploi des différentes appellations, en tout cas telles qu’elles sont utilisées dans ce livre.
Égyptiens
C’est ainsi que les premiers documents en français qualifient ces familles à l’allure étrange qui circulent en Europe occidentale dès le XVe siècle (l’époque de Jeanne d’Arc). Il disparaît assez rapidement pour désigner ceux qui sont considérés comme les ancêtres des Tsiganes contemporains.
Tziganes, Tsiganes
En français, le terme apparaît au début du XIXe siècle ; il a été emprunté au russe. Il s’écrit alors « tzigane ». Cette graphie est celle de la période qui va grosso modo du début du XIXe à la première moitié du XXe siècle. Pourtant, dès cette dernière période, une autre manière de l’écrire apparaît : « Tsigane ». La graphie « Tzigane », quant à elle, est tombée en désuétude au fil du XXe siècle. Certains expliquent cette disparition du z au profit du s par souci de ne pas rappeler constamment la période de l’extermination des Tziganes, le z évoquant le mot allemand Zigeuner. Pourtant en France deux importantes associations ont choisi une graphie différente pour leur nom. Ce sont l’ASNIT – Association nationale et internationale des Tziganes – et l’UFAT – Union française des associations tsiganes.
Camps-volants, nomades
Il s’agit d’un mot en usage dans la seconde moitié du XIXe. Il désigne les Tsiganes mais aussi toutes les personnes, nombreuses, qui vivent sur les routes à cette période (travailleurs saisonniers, ouvriers de chantier, artisans et commerçants nomades, vagabonds…) que l’on appelle aussi nomades. Parmi cet ensemble hétéroclite, d’autres termes distinguent les Tsiganes : romanichels, bohémiens, bohémiens-romani, etc.
Sans domicile fixe (SDF)
Le terme apparaît à la toute fin du XIXe siècle. La justice distingue parmi les nomades ceux qui ont un domicile (la roulotte) de ceux qui dorment à l’hôtel, dans des granges, sous des tentes ou dehors. En cela, elle s’oppose à la police et la gendarmerie qui considèrent que la roulotte ne constitue pas un domicile. La loi de 1969 emploie l’expression « sans domicile fixe » (SDF) pour désigner ceux que la loi de 1912 nommait « nomades ». SDF change de sens à la fin du XXe siècle pour désigner les personnes à la rue.
Manouche, Yéniche, Sinti, Rom, Rrom…
Tous ces mots désignent des sous-groupes au sein du monde du Voyage. Il en existe d’autres encore (Sinti, Sinté, Rabouin, Vanniers, Forains, Circassiens, Zongrois…). Pour un Voyageur ou une personne qui connaît ce monde du Voyage, ils permettent de savoir à quel réseau familial il a affaire, dans quelle histoire particulière du monde du Voyage s’inscrit la famille, arrivée en France bien avant la Révolution française, au milieu du XIXe siècle ou au début du XXe, venant d’Allemagne, d’Italie, de Suisse, des Balkans ou de Russie.
Selon les régions françaises, des mots issus des langues régionales peuvent encore être employés : boumian en Provence, maramian dans le Berry, etc.
Gens du voyage
Dans les pages qui suivent, il a été décidé d’employer les termes « gens du Voyage », « Voyageur » et « Voyageuse ». Les mots voyage, voyageur, voyageuse sont d’un usage courant avec un sens précis connu de tous. Écrire Voyage permet de distinguer deux réalités, le voyage au sens habituel et le Voyage qui désigne alors l’espace d’inscription de citoyens français qui s’appellent eux-mêmes Voyageurs et Voyageuses.
Comme on l’aura compris à travers la question du droit de vote aux prochaines élections, c’est par le prisme du droit que nous esquisserons une approche des réalités différentes de ces mondes. Le corpus des textes législatifs, réglementaires ou des circulaires officielles ne saurait être exhaustif tant ils sont nombreux.
Pour bien saisir le sens des textes qui s’appliquent de nos jours, il faut remonter rapidement à la fin du XIXe car c’est à ce moment de notre histoire et de celle de l’ensemble de l’Europe que l’on trouve l’expression claire de la pensée qui perdure quant au contrôle que les États entendent exercer sur ce qui paraissait être des « populations flottantes ».
La présentation du contexte de ces lois et documents divers tentera de rendre compte de leurs effets concrets dans la vie quotidienne des personnes à qui elles se sont appliquées et pour les plus récentes s’appliquent toujours.
2) Combien sont-ils ? Recensements des populations itinérantes et d’origine nomade
Le recensement de 1895
Et parmi les nomades étrangers dont les identités et activités sont relevées par la gendarmerie en ce mois de mars 1895, nombreux sont ceux qui ne sont en rien liés aux familles tsiganes.
La difficulté de ce recensement, pour la gendarmerie, a dû consister dans la définition du champ d’investigation, car les mots employés – « nomades » et « Bohémiens » – renvoient à des évidences pour lesquelles, pourtant, il a fallu effectuer des arbitrages pas toujours évidents faute de consignes claires. Il semble tout de même que :
Le moindre des paradoxes du recensement de 1895 est qu’il mobilise des moyens considérables (la gendarmerie sur tout le territoire national, les préfectures) avec des consignes à la fois claires et évidentes et pourtant pleines d’ambiguïtés donnant ainsi lieux à des arbitrages très variables : les vagabonds solitaires ont parfois été l’objet de toute l’attention des gendarmes et parfois totalement laissés de côté. Mais comme tout recensement, ou grande enquête statistique organisée par les services de l’État, et quelles qu’en soient les conditions réelles d’exécution, celui de 1895 produit des chiffres.
La commission extraparlementaire prend appui sur ce travail pour estimer le nombre de Bohémiens circulant en France à la fin du XIXe siècle : vingt-cinq mille.
Le recensement de 1960
En septembre 1961 et en mars 1962 a eu lieu un recensement des itinérants et des personnes d’origine nomade (Tsiganes).
Les ministres de l’Intérieur et de la Santé publique et de la population ont défini l’objet et les modalités de ce recensement dans une notice destinée aux commissariats de police et aux brigades de gendarmerie chargés du recensement.
Extrait de la « notice sur le recensement des populations itinérantes ou d’origine nomade »
L’existence de personnes vivant ou exerçant leur profession sur la voie publique, la présence dans certains quartiers bidonvilles de personnes d’origine nomade, traditionnellement connues sous les noms de bohémiens, romanichels, tsiganes, gitans, yennish, etc., sont à l’origine de nombreux problèmes qui intéressent ces personnes elles-mêmes, souvent misérables, et les personnes au milieu desquelles elles vivent.
Le gouvernement entend poursuivre à leur égard une politique constructive d’avenir. Il sera tenu le plus grand compte des désirs et des traditions légitimes. Des modalités de vie moins difficile, plus adaptées à l’état actuel de notre civilisation seront envisagées et proposées. L’action sociale sera amplifiée. Si certaines de ces personnes, les forains en particuliers, comptent parmi les Français les plus évolués, d’autres doivent faire l’objet d’une véritable promotion en ce qui concerne le logement, l’instruction, le travail. Pour résoudre ces problèmes et assurer sa promotion, il est nécessaire de disposer de données précises. Un recensement a donc été décidé. Il est destiné à fournir des informations statistiques entièrement anonymes. Il importe que les intéressés, entièrement anonymes. Il importe que les intéressés, qui devront être abordés avec toute la compréhension désirable, sachent que le recensement n’est pas organisé pour procéder à des contrôles individuels concernant par exemple l’identité, mais dans leurs seuls intérêts.
I.– DÉFINITION DES PERSONNES À RECENSER
Le recensement doit porter sur :
1) Les personnes vivant, au moment du recensement, en roulotte ou sous la tente pour des motifs, notamment professionnels, autres que de tourisme, de sport ou de santé. Ces personnes doivent être recensées même si elles ne vivent ainsi qu’occasionnellement, ont un domicile fixe et ne sont pas titulaires d’un des carnets de forain ou de nomades prévus par la loi du 16 juillet 1912 sur la réglementation des professions ambulantes (voir ci-dessous le cas particulier des cirques importants).
2) Les personnes titulaires d’un des carnets de forains de nomades prévus par la loi du 16 juillet 1912.
3) Les personnes appartenant à des groupes d’origines nomades dont les comportements diffèrent de celui des populations au milieu desquelles elles se trouvent : Bohémiens, Tsiganes, les Yennish, Kalderashs, Manouches, etc. (à l’exception des Nord-Africains musulmans non gitans), que ces personnes vivant en tribu, en famille ou isolément.
Toutefois, dans les bidonvilles et quartiers où se rassemble un nombre important de ces personnes, il devra, le cas échéant être procédé au recensement des individus (quelle que soit leur origine) qui mènent une vie semblable à la leur si la situation des uns et des autres est solidaire : il faut en effet que puissent être recueillies les informations nécessaires à une action sociale d’ensemble sur le quartier ou le bidonville. L’origine nomade de la famille ou de l’individu sera précisée sur les imprimés.
II.– CLASSIFICATION ADOPTÉE DANS LA PRÉSENTATION DES IMPRIMÉS
Les personnes recensées appartiendront souvent à deux ou trois des catégories ci-dessus définies. Aussi a-t-on adopté une autre classification fondée sur le degré d’itinérance ou de sédentarisation, mieux adapté à la nature des renseignements statistiques à recueillir :
a) Itinérants : se déplaçant de façon permanente.
b) Mi-sédentaires : voyageant une partie de l’année, généralement à la belle saison et hivernant chaque année dans un même lieu déterminé, où ils peuvent ou non disposer d’un logement.
c) Sédentaires : fixés localement, et ayant, en principe, cessé de voyager.
III.– DURÉE DU RECENSEMENT
Les opérations de contrôle se dérouleront au cours d’une semaine entière, du lundi au dimanche, qui sera fixée par circulaire.
a) Le recensement des itinérants et semi-sédentaires en cours de déplacement devra avoir lieu obligatoirement le premier jour de la période ainsi prescrite. Pour éviter les omissions et contestations, il importe, en effet, que ces personnes soient recensées à une date précise.
b) Les sédentaires et semi-sédentaires stationnant à leur point habituel d’attache, pourront être recensés durant toute la période considérée.
Indications statistiques
En 1962, les Études tsiganes publient les résultats du recensement. Il comprend un dénombrement des familles et un dénombrement des personnes pour les quatre-vingt-dix départements français.
Nombre de familles itinérantes : 5 756
Nombre de familles mi-sédentaires : 5 148
Nombre de familles sédentaires : 6 831
Nombre de personnes itinérantes : 26 650
Nombre de personnes mi-sédentaires : 21 396
Nombre de personnes sédentaires : 31 105
Total : 79 196
Un commentaire de ces chiffres est publié par Pierre Join-Lambert :
« Les sédentaires recensés paraissent exclusivement d’origine tzigane, alors que les itinérants et les mi-sédentaires comprennent des personnes d’origines très variées. Sur le plan des études tsiganes, le nom des sédentaires recensés présente un intérêt particulier.
On peut considérer qu’une proportion relativement faible d’itinérants a échappé au recensement (il y a eu cependant des déplacements de roulottes pour l’éviter), mais qu’une proportion beaucoup plus importante des Tsiganes sédentarisés n’a pas été recensée. Le chiffre de 31 150 sédentaires qui résulte pour l’ensemble de la France (abstraction faite du Cantal qui a été omis) du recensement de mars 1961 constitue un minimum ; il doit être fortement augmenté. Dans certaines grandes villes, comme Paris, les Tsiganes sédentaires n’ont pas en fait été dénombrés. Dans d’autres, les intéressés ont soigneusement dissimulé leur véritable origine. Il semble que le nombre des Tsiganes et Gitans sédentaires soit de l’ordre de 50 000.
Une conclusion très claire peut être dès maintenant tirée du recensement : la très grande majorité des Tsiganes est sédentarisée
 ».
L’enquête de 1972
« En 1972, le ministère de l’Intérieur a prescrit une enquête pour connaître le nombre de sédentaires exerçant une activité ambulante et ayant fait la déclaration prévue à l’article 1er de la loi, ainsi que le nombre de titulaires de titres de circulation ».
D’après les indications fournies par le ministère de l’Intérieur, on a recensé dans les départements de la métropole :
– 47 596 sédentaires pratiquant des activités ambulantes, au sens de la loi de 1969 et du décret du 31 juillet 1970, en possession du récépissé de marchands ambulants,
– 31 918 titulaires de livrets spéciaux A et B de circulation,
– 1 296 titulaires de livrets de circulation,
– 7 012 titulaires de carnets de circulation.
1980 : une nouvelle enquête
Huit ans après la première, une nouvelle enquête a été prescrite par le ministère de l’Intérieur, dont les résultats sont publiés dans Études tsiganes. Ceux-ci font apparaître, par rapport à 1972 une augmentation très sensible des possesseurs de récépissé de marchands ambulants et des titres de circulation :
– le nombre de possesseurs de récépissés de marchands ambulants est passé en effet de 47 596 à 92 954,
– celui des sans domicile ni résidence fixe, titulaires des livrets spéciaux a augmenté de 31 918 à 64 176,
– celui des titulaires de carnets de circulation de 1 296 à 4 448,
– celui des titulaires de carnets de circulation est passé de 7 012 à 15 312.
Une analyse détaillée de chacune des situations tente de donner un début d’explication de ces accroissements et se conclut par :
« Il faut le constater, aucune étude approfondie n’a été faite sur la démographie des gens du voyage. À plusieurs reprises, une telle étude a été demandée aux pouvoirs publics. Cette demande n’a pas jusqu’ici eu de suite. Aucun chercheur privé n’a, à notre connaissance, entrepris de recherche précise sur la question. On doit le regretter non seulement d’un point de vue scientifique, mais aussi et surtout parce que la connaissance de la démographie des gens du voyage est indispensable pour agir de façon efficace et constructive.
Il faut souhaiter que cette lacune soit rapidement comblée. »
Dans la préface d’un recueil de communications de démographes autour de la question des minorités et des pratiques statistiques à ce sujet dans divers pays du monde, Jacques Magaud écrit :