L’euro
Origines, vertus et vices, crises et avenir
Jean-Pierre Vesperini
Dalloz
© Éditions Dalloz, 2013
Sommaire

Introduction

Chapitre 1. Les origines de l’euro Pourquoi a-t-on créé l’euro ?

I. – Les motivations politiques

II. – Les motivations économiques

Chapitre 2. Les vertus et les vices de l’euro

I. – Les vertus de l’euro

II. – Les vices de l’euro

Chapitre 3. Existe-t-il des remèdes aux trois vices fondamentaux de l’euro ?

I. – Peut-on pallier les conséquences négatives de l’intangibilité des taux de change entre les pays de la zone euro ?

II. – Peut-on pallier les conséquences négatives de l’unicité du taux de change de l’euro ?

III. – Peut-on pallier les conséquences négatives de la multiplicité des taux d’intérêt réels ?

Chapitre 4. Les crises des pays victimes de l’euro

I. – La crise de la Grèce

II. – La crise de l’Irlande

III. – La crise du Portugal

IV. – La crise de l’Espagne

Chapitre 5. Quel avenir pour l’euro ?

I. – L’impasse de la politique économique de la zone euro et la menace de son explosion

II. – La nécessité d’un changement radical de la politique économique de la zone euro

III. – Vers une scission de la zone euro

Conclusion

Annexes

Introduction
Longtemps, la zone euro a connu une faible croissance.
Inférieure naturellement à celle des pays émergents, mais aussi sensiblement inférieure à celle des États-Unis. C’était le signe qu’il y avait quelque chose de pourri au royaume de l’Euroland. Mais aujourd’hui, ce n’est plus seulement le temps maussade d’une faible croissance que la zone euro doit supporter, c’est l’orage qu’elle doit affronter avec la crise des dettes souveraines, la dépression de l’activité, la baisse de l’emploi et l’explosion du chômage.
Certes, comme le monde entier, la zone euro continue à souffrir des lointaines conséquences de la crise financière appa-rue aux États-Unis en 2007. Mais seule la zone euro se débat dans une crise dont la violence est plus forte qu’ailleurs et dont les causes lui sont propres parce qu’elles sont intimement liées aux vices fondamentaux de l’euro.
Quels changements doivent être apportés à l’euro pour que l’Europe puisse éviter sa destruction et retrouve la croissance ? C’est à cette question que cet ouvrage s’efforce de répondre.
Chapitre 1
Les origines de l’euro
Pourquoi a-t-on créé l’euro ?
Deux sortes de motivations sont à la base de la création de l’euro. Les premières sont politiques. Les secondes sont économiques.
I. – Les motivations politiques
Le désir de créer une monnaie partagée par les différents États européens est ancien.
Sans remonter aux utopies de la Renaissance, c’est au XIXe siècle que l’on vit la première réalisation concrète d’unification monétaire des pays européens. Elle se manifesta sous le Second Empire avec la création de l’Union monétaire latine à la suite de la conférence monétaire de 1865, présidée par Félix Esquirou de Parieu, réunissant autour de la France, l’Italie, la Belgique et Suisse. D’autres pays européens s’y associèrent par la suite en particulier la Grèce, la Russie, l’Autriche-Hongrie et l’Espagne. La conférence de 1867 à laquelle participèrent tous les États européens, mais aussi les États-Unis et l’Empire ottoman, avait l’ambition d’aller plus loin et de faire de cette monnaie une monnaie mondiale afin de favoriser la prospérité et la paix dans le monde. Mais l’Angleterre et la Prusse s’opposèrent à ce projet, ce qui anéantit cette généreuse et grandiose ambition. L’Union latine resta donc limitée à la majeure partie de l’Europe continentale ainsi qu’à quelques colonies d’Afrique et quelques pays d’Amérique latine. Cependant l’Union latine fonctionna de façon relativement satisfaisante jusqu’à la Première Guerre mondiale.
Le déclenchement du premier conflit mondial contraignit les puissances belligérantes à financer d’énormes dépenses de guerre, ce qui les amena à devoir décréter le cours forcé des billets de banque et à suspendre leur convertibilité en or. De ce fait, l’Union latine se trouva dans l’impossibilité de fonctionner et elle disparut après la Première Guerre mondiale.
La tragédie de la Première Guerre mondiale conduisit naturellement beaucoup d’Européens à désirer une unification de l’Europe pour éviter que cette tragédie ne se reproduise. C’est ainsi que Richard de Coudenhove-Kalergi, fondateur de l’Union Paneuropéenne, proclamera avec clairvoyance : « L’Europe ou la guerre ». Il préconisa en particulier la création d’une union douanière, ancêtre du Marché commun, ainsi que la mise en commun par la France et l’Allemagne de leurs ressources en charbon et en minerai. Mais le climat politique international n’était guère favorable à la mise en œuvre des idées de Coudenhove-Kalergi. La France, considérée à l’époque et se considérant elle-même comme la première puissance militaire du monde, n’était guère disposée à appliquer ce programme pacifiste. Quant à l’Allemagne, elle ne l’était pas davantage : vaincue, mais nullement anéantie, et aspirant à la revanche.
Il faudra donc malheureusement attendre un nouveau conflit tout aussi meurtrier pour que la France et l’Allemagne, cette fois l’une et l’autre totalement anéanties, comprennent l’absurdité et la nocivité de leur hostilité séculaire. « L’Europe ou la guerre » avait averti Coudenhove-Kalergi. « L’Europe n’a pas été faite, nous avons eu la guerre » constatait Robert Schuman dans sa célèbre déclaration du 9 mai 1950 où il exposait sous l’inspiration de Jean Monnet la méthode qu’il convenait d’adopter pour unifier l’Europe. C’est « par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait » que l’Europe se fera progressivement, déclarait-il.
C’est la raison pour laquelle, reprenant l’idée lancée sans succès avant guerre par Coudenhove-Kalergi, il proposait « la mise en commun des productions de charbon et d’acier » de la France et de l’Allemagne, c’est-à-dire des produits nécessaires à la fabrication des armes de guerre de façon à manifester que « toute guerre entre la France et l’Allemagne (serait) non seulement impensable, mais matériellement impossible ».
Dans l’esprit de Robert Schuman et de Jean Monnet, cette première réalisation concrète était le premier pas vers la constitution des États-Unis d’Europe qui devaient naturellement disposer d’une monnaie propre.
Par la suite, les errements de la IVe République, embourbée dans les guerres coloniales, et surtout le retour au pouvoir du général de Gaulle, viscéralement opposé à l’idée de voir la France se fondre dans un ensemble supranational, mirent provisoirement fin à la poursuite de ces desseins.
Pour autant, le rêve, né après la Seconde Guerre mondiale, dont Jean Monnet s’était voulu l’artisan, de faire de l’Europe un État fédéral et pour cela de la doter d’une monnaie européenne unique, demeurait toujours vivant. Il ressurgit naturellement dès que le général de Gaulle eut disparu. C‘est en effet en 1970 que fut établi le rapport Werner (Premier ministre du Luxembourg de cette époque) dont l’ambition était d’établir en dix ans l’union économique et monétaire de l’Europe avec une politique budgétaire « décidée au niveau communautaire » et une « monnaie communautaire unique ». Dans les faits, les années soixante-dix furent marquées par d’importants bouleversements monétaires qui s’avérèrent peu propices à la réalisation des réformes prévues dans le plan Werner.
À cet ancien rêve s’ajouta une nouvelle raison de créer une monnaie unique : la réunification allemande. En effet, François Mitterrand, dont les schémas de pensée étaient restés modelés par les conflits européens du XXe siècle, redoutait que cette réunification ne conduise l’Allemagne à mener une politique la détachant de l’Europe de l’Ouest pour se tourner vers l’Est en renouant avec les démons de l’Ostpolitik qui avaient été à l’origine de la Seconde Guerre mondiale. L’abandon du mark par l’Allemagne et la création d’une monnaie unique où viendraient se fondre toutes les monnaies européennes lui sembla être le moyen d’attacher définitivement l’Allemagne à l’Europe et de l’empêcher de suivre une politique étrangère indépendante. L’abandon du mark fut en quelque sorte le prix que l’Allemagne dut payer pour obtenir sa réunification
II. – Les motivations économiques
Dans la mesure où ces accords échouèrent à stabiliser les taux de change entre les monnaies européennes, les dirigeants européens arrivèrent à la conclusion que le seul moyen de résoudre le problème de la stabilisation des taux de change était de supprimer le problème en créant une monnaie européenne unique. Cependant, comme il arrive souvent en économie et comme nous aurons l’occasion de le vérifier, le problème que l’on croit régler en un point se déplace et fait naître un nouveau problème en un autre point. L’économie appartient par essence au domaine du vivant et l’on ne peut pas sans dommage lui appliquer de l’immuable.
Quoi qu’il en soit, le rapport Delors reprit en 1989 les conclusions du rapport Werner de 1970 sur la nécessité de créer une monnaie européenne unique et non commune. Précisons qu’avec la monnaie unique, les monnaies nationales sont supprimées. Au contraire, la monnaie commune existe parallèlement aux monnaies nationales.
À la différence du rapport Werner qui prévoyait l’institution d’une politique budgétaire communautaire, le rapport Delors préconisait la création d’une monnaie européenne unique en conservant l’autonomie des politiques budgétaires des différents pays européens. Conserver l’autonomie des politiques budgétaires était en effet nécessaire puisqu’aucun grand pays européen n’était prêt à abandonner cette autonomie, c’est-à-dire à perdre sa souveraineté. Mais créer la monnaie unique en conservant cette autonomie, c’était édifier une construction incohérente, comme l’a montré la crise des dettes souveraines. C’était aussi sans doute faire le pari que la monnaie unique obligerait finalement les peuples à abandonner cette autonomie et avec elle leur souveraineté, ce qui s’est effectivement produit avec le pacte budgétaire adopté sans aucune consultation des peuples, mais qui posera vraisemblablement de graves problèmes à l’avenir.
Le traité de Maastricht, signé en 1992, par les douze pays formant l’Union européenne fixa le principe de la création de la monnaie unique. La Grande-Bretagne, bien que signataire du traité de Maastricht, obtint de ne pas participer à la monnaie unique par une clause d’opting out. De même le Danemark, à la suite du référendum de 2000, bénéficia d’une clause d’opting out, mais sa monnaie, la couronne danoise, est étroitement liée à l’euro.
Les étapes de la création de l’euro se conformèrent aux trois phases prévues dans le rapport Delors.
La première phase, se terminant au 31 décembre 1993, se caractérisa par l’abolition du contrôle des changes et la libération des mouvements de capitaux.
La deuxième phase, allant du 1er janvier 1994 au 31 décembre 1998 se caractérisa par la création de l’Institut monétaire européen (IME), ancêtre de la Banque centrale européenne (BCE), afin de renforcer la coopération entre les Banques centrales ; elle prévoyait également l’interdiction faite aux Banque centrales d’accorder des concours au secteur public. Les conséquences de cette interdiction devaient se révéler redoutables par la suite, comme on le verra dans le déroulement de la crise de dettes souveraines (cf. infra, Chapitre 4, p. 99). C’est au cours de cette phase, en 1997, qu’entra en vigueur le Pacte de stabilité et de croissance destiné à encadrer les politiques budgétaires des États partageant la monnaie unique.
C’est également au cours de cette phase que la monnaie unique prit un nouveau nom en 1995 : au lieu de l’ECU (European Currency Unit) dont le nom sonnait mal pour les oreilles allemandes car il évoquait la vache (die Kuh), elle devint l’euro.
La troisième phase, allant du 1er janvier 1999 au 31 décembre 2001, se caractérisa par la fixation irrévocable des taux de change entre les monnaies participant au système de l’euro, par l’introduction de l’euro pour le règlement des opérations financières réalisées sur les marchés financiers et par la mise en œuvre de la politique monétaire par la BCE.
Enfin, la monnaie fiduciaire (billets et pièces) en euros fut introduite dans les différents pays de l’union monétaire le 1er janvier 2002.
Chapitre 2
Les vertus et les vices de l’euro
I. – Les vertus de l’euro
Deux grandes motivations, nous l’avons vu, sont à l’origine de la création de la monnaie unique. La première est politique : la monnaie unique devait avoir pour vertu de conduire à la fondation d’un État fédéral européen. La seconde est économique : la monnaie unique devait avoir pour vertu de faire disparaître l’instabilité des changes entre les monnaies européennes. Elle devait aussi avoir pour vertu de créer un vaste marché unifié des capitaux permettant une baisse des coûts de financement de l’économie européenne.
En admettant que la fondation d’un État fédéral européen soit souhaitable, force est de reconnaître que quinze ans après que la monnaie unique ait été créée, le projet fédéral européen n’a pas avancé d’un pouce.
Sans vouloir analyser davantage les raisons de cet échec, il apparaît assez clairement que les différents États européens ne souhaitent pas se fondre dans un État fédéral européen. La crise des dettes souveraines, examinée plus loin (cf. infra, Chapitre 4, p. 99) a montré en effet les limites de la solidarité européenne qui serait pourtant le fondement essentiel d’un État fédéral européen.
Certes, les partisans d’un État fédéral européen souhaitent exploiter la crise des dettes souveraines pour opérer une mutualisation des dettes de tous les États européens, qui conduirait à l’établissement d’un vaste budget européen aboutissant lui-même à la création d’un État fédéral européen.
Mais si les gouvernements des États fortement endettés, au premier rang desquels on rencontre le gouvernement italien de Mario Monti, seraient prêts à renoncer à leur souveraineté au profit d’un État fédéral européen pourvu que cet État les décharge du poids de leur dette, en revanche les gouvernements des États dont la situation financière est satisfaisante, au premier rang desquels se trouve le gouvernement allemand d’Angela Merkel, se sont jusqu’à présent refusés à pratiquer cette mutualisation des dettes.
On ne peut évidemment pas exclure qu’un jour un gouvernement allemand accepte cette mutualisation. Mais dans ce cas, on devrait tout de même reconnaître que le fédéralisme auquel conduirait cette mutualisation ne se ferait pas comme le souhaitaient à l’origine ceux qui voyaient l’euro comme l’instrument de création d’un État fédéral européen. Dans leur conception en effet, l’euro aurait dû conduire à l’établissement de « solidarités nouvelles » pour reprendre les mots de Robert Schuman de sorte que c’est de la volonté commune des peuples et des États européens que serait né cet État fédéral européen.
Si finalement le gouvernement allemand devait accepter cette mutualisation, ce n’est pas par un sentiment de solidarité qu’il éprouverait à l’égard des États endettés de la zone euro. C’est bien plutôt sous la contrainte qu’il accepterait cette mutualisation, dans le souci d’éviter que la faillite de ces États n’ait des conséquences catastrophiques sur son économie. Dans ce cas, l’État fédéral européen ressemblerait plus à un mariage forcé qu’à une union harmonieuse. Ce qui amènerait à douter de sa pérennité.
L’euro n’a donc pas réussi à faire avancer l’Europe sur la voie du fédéralisme et s’il venait un jour à le faire par le biais de mutualisation des dettes, ce serait malheureusement dans de mauvaises conditions.
À côté de cet objectif politique, l’euro devait atteindre plusieurs objectifs économiques : il devait d’abord mettre fin à l’instabilité des changes. Il devait ensuite aboutir à créer un vaste marché des capitaux permettant d’abaisser les coûts de financement des pays de la zone euro.
La disparition de l’instabilité des changes devait elle-même, en éliminant le risque de change dans les transactions internationales, développer les échanges entre les pays européens et favoriser ainsi la croissance de la zone euro.
Il est clair que l’euro a mis fin à l’instabilité des taux de change entre les monnaies des pays de la zone euro puisqu’il a supprimé ces taux de change. La suppression de cette instabilité a donc été radicale. Et il est incontestable que cette suppression présente de nombreux avantages : elle facilite le calcul économique, elle supprime les coûts de couverture contre les variations de taux de change ainsi que les frais dus au change des monnaies.
Une autre vertu était accordée à l’euro : il devait abaisser les coûts de financement des économies européennes en permettant la constitution d’un vaste marché des capitaux à la fois profond et liquide au sein de la zone euro par la « désegmentation » des différents marchés de capitaux nationaux.
Pendant longtemps en effet les investisseurs ont cru à la fiction que l’euro était irréversible et que si jamais un État de la zone euro venait à connaître des difficultés budgétaires faisant douter de sa solvabilité, les autres États manifesteraient à son égard une solidarité totale. Le défaut d’un État de la zone euro était donc inenvisageable. Dans ces conditions, il n’y avait pas lieu de distinguer la dette de la Grèce de celle de l’Allemagne.
Les investisseurs pouvaient au contraire profiter des taux d’intérêt légèrement plus élevés offerts par la Grèce tout en bénéficiant d’une sécurité aussi grande sur la dette grecque que sur la dette allemande. De son côté, la Grèce, comme d’autre pays, l’Italie, l’Espagne, le Portugal ou l’Irlande, pouvaient bénéficier, grâce à cette fiction, de taux d’intérêt beaucoup plus faibles que ceux qu’ils auraient dû payer s’ils avaient gardé leur monnaie.
Le système de l’euro semblait ainsi n’avoir que des avantages et pour les investisseurs qui profitaient sans risque des faibles différences de taux d’intérêt entre les États de la zone euro, et pour les pays qui s’endettaient à des coûts très inférieurs à ceux qui correspondaient à leur véritable situation budgétaire.
La crise a fait voler en éclats cette fiction et ces certitudes.
Au lieu d’un vaste marché « désegementé », nous assistons au contraire à une « resegmentation » du marché des capitaux avec des différences de taux d’intérêt (spreads) considérables entre les pays de la zone euro.
La manière très critiquable dont les responsables européens ont géré la crise grecque, et plus généralement la crise des dettes souveraines (cf. infra, p. 130) explique que deux risques nouveaux soient apparus qui n’existaient pas auparavant et qui sont à l’origine de ces différences de taux d’intérêt : d’abord le risque de défaut, c’est-à-dire le risque qu’un État ne puisse pas rembourser sa dette et fasse par conséquent défaut sur une partie de sa dette. En effet, lorsque la crise de la dette éclata, les États européens assurèrent les investisseurs qu’ils viendraient en aide à la Grèce et ne la laisseraient pas faire défaut. Effectivement, ils accordèrent à la Grèce un ensemble de prêts bilatéraux et créèrent un Fonds destiné à venir en aide aux pays de la zone qui rencontreraient des difficultés (cf. infra, p. 110). Mais par la suite, ils décidèrent de laisser la Grèce faire défaut sur sa dette et obligèrent les investisseurs privés à abandonner plus de la moitié de la valeur des créances qu’ils détenaient sur l’État grec (cf. infra, p. 119). Cette décision devait évidemment amener les investisseurs à redouter que d’autres États de zone euro puissent aussi faire défaut sur leur dette et fit naître par conséquent un risque de défaut sur les dettes souveraines de tous les États de la zone euro dont la situation budgétaire est fragile.
Ensuite, le second risque apparu est le risque de convertibilité, c’est-à-dire le risque qu’un État sorte de la zone euro et convertisse sa dette libellée en euros dans sa monnaie nationale qui serait dévaluée par rapport à l’euro. À cet égard, les nombreuses déclarations faites, imprudemment ou intentionnellement, par différents responsables politiques de la zone euro évoquant une sortie possible de la Grèce hors de la zone euro n’ont pu qu’attiser les craintes que cet État, et après lui sans doute d’autres États, ne sortent de la zone euro.
De cette analyse des vertus de l’euro, on peut conclure que la monnaie unique n’a pas favorisé la naissance d’un État fédéral européen, comme le souhaitaient ses promoteurs, et qu’elle n’a pas non plus abouti à créer un vaste marché unifié des capitaux.
En définitive, la seule vertu de l’euro, indéniable, est d’avoir fait disparaître l’instabilité des changes entre les monnaies des pays européens. La disparition de cette instabilité est évidemment précieuse puisqu’elle présente de nombreux avantages (commodité de la suppression des opérations de change, réduction de l’incertitude, suppression des coûts de couverture des changes et des frais de change).
Mais si l’euro possède une vertu indéniable, il présente aussi malheureusement des vices fondamentaux. Alors que tout le monde comprend quelle est la vertu de l’euro – le voyageur qui franchit la frontière séparant deux pays de la zone euro la comprend immédiatement –, les vices de l’euro, eux, sont plus cachés et leurs effets ne s’appréhendent pas simplement. « Der Teufel steckt im Detail » (« Le diable se cache dans les détails »), comme nous en avertit le proverbe allemand.