§ 1. Notion de la promotion immobilière
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Définition du promoteur ◊ Le promoteur immobilier est l'agent économique qui réalise un ou plusieurs immeubles afin d'en faire acquérir la propriété à une ou plusieurs personnes nommées accédants à la propriété (plus brièvement accédants). Cette définition d'un caractère très général suscite immédiatement les remarques suivantes :
a) Le promoteur, à la différence du marchand de biens ou de l'agent immobilier, réalise l'immeuble. Toutefois et à la différence de l'entrepreneur, il ne le bâtit pas lui-même. Le promoteur joue le rôle d'intermédiaire économique sinon juridique entre les hommes de l'art et l'accédant . Il n'y a qu'un seul cas où le promoteur réalise l'immeuble, c'est celui du contrat de construction de maison individuelle où le promoteur est en même temps un constructeur. Sans doute faudrait-il parler dans ce cas seulement de « constructeur », mais comme ce professionnel est soumis à des règles analogues, il est d'usage de parler alors de « promoteur constructeur ».
b) La définition ne précise pas les modalités juridiques qui gouvernent l'accession à la propriété car leur diversité interdit toute formule de synthèse. La notion de promoteur a donc un contenu plus économique que juridique.
c) Implicitement la définition dénie la qualité de promoteur à celui qui construit l'immeuble pour le donner à bail. La notion de promotion suppose en effet une rentabilité à relativement court terme de l'opération.
Ces trois points seront successivement développés, ce qui permettra de tracer une première esquisse du promoteur.
A. Le promoteur en tant qu'intermédiaire économique
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Le promoteur entre les hommes de l'art et l'accédant ◊ Le rôle d'intermédiaire économique joué par le promoteur constitue l'aspect fondamental de son activité. On ne saurait parler de promotion lorsque le futur propriétaire de l'immeuble s'adresse directement à ceux qui l'édifient, c'est-à-dire aux architectes et entrepreneurs. En pareil cas l'intéressé se loge sur mesure et la situation peut être qualifiée d'artisanale. Mais cette forme d'artisanat n'existe plus dans la construction collective et elle connaît une régression dans le domaine de la construction individuelle. De plus en plus souvent, celui qu'on appelle l'accédant entre en rapport avec un promoteur ou assimilé, qui n'est pas nécessairement un commerçant au sens où l'entendent les juristes (sur ce problème, v. ss 35), mais qui remplit du moins une fonction commerciale lato sensu et dont l'intervention se traduit par une standardisation de l'immeuble mis à la disposition de l'accédant. L'appartement témoin et la maison-type en sont la preuve irréfutable.
Le promoteur toutefois ne se charge pas de l'édification matérielle, ni même de la conception architecturale. S'il fait prévaloir ses formules stéréotypées, c'est en raison de sa force économique qui lui permet de dresser, entre les hommes de l'art et l'accédant, un écran plus ou moins opaque. Par rapport au schéma artisanal, le schéma commercial comporte donc un personnage supplémentaire qui devient l'acteur principal.
Le nom de promoteur-constructeur retenu comme dénomination officielle par un important syndicat professionnel , ne doit pas induire en erreur. Si le promoteur est constructeur, c'est en ce sens qu'il fait construire l'immeuble. On doit cependant noter que certains promoteurs se livrent aux tâches d'édification. Mais ces personnages, de quelque nom qu'ils se nomment, cumulent simplement le métier d'entrepreneur ou de maître d'œuvre avec les fonctions d'intermédiaire habituellement dévolues à un tiers . Ainsi cette variante du schéma commercial n'en dément pas la justesse.
D'une façon générale, c'est la fonction qui fait le promoteur et non le titre que se donne l'intéressé : le terme de promoteur, peu apprécié du grand public, ne figure qu'assez rarement dans la dénomination de la société ou dans les documents professionnels.
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Les missions du promoteur ◊ Même amputées de la partie technique, les missions du promoteur sont multiples. La réalisation de l'immeuble, au sens où ce terme a été employé, implique en effet des activités très diverses. Le promoteur devra :
a) rechercher le terrain ;
b) établir le plan notamment financier de l'opération ;
c) obtenir les autorisations administratives et plus généralement se charger de tous rapports avec les administrations publiques ;
d) traiter avec les différents corps de métier en vue de la passation des marchés de travaux et surveiller l'exécution de l'ouvrage ;
e) souscrire les polices d'assurance nécessaires à la couverture des risques de l'opération ;
f) d'une façon générale, procéder à toutes les formalités de caractère juridique, administratif et fiscal que requiert la construction de l'immeuble.
Toute personne qui remplit cette fonction, souvent comparée à celle d'un chef d'orchestre, et qui la remplit à titre d'activité rémunérée, a nécessairement la qualité de promoteur. À l'inverse, il faut dénier cette qualité à la personne qui ne réalise pas elle-même l'opération , sauf le cas très particulier de la maîtrise d'ouvrage déléguée que nous verrons à la fin de cet ouvrage.
Il existe en outre un certain nombre de missions importantes que le promoteur a souvent l'occasion d'accomplir, mais qui n'entrent pas dans la définition même de sa fonction. Ces missions consistent : a) à trouver le terrain, lorsque l'accédant n'en est pas pourvu et à plus forte raison lorsque le promoteur lance une opération sans connaître ses futurs clients : dans ce dernier cas, le promoteur procède à la commercialisation en s'aidant au besoin des services d'un agent immobilier ; b) à trouver des sources de financement, pour son compte propre ou pour celui de l'accédant ; c) à coordonner les corps de métier, si le promoteur s'en croit capable ; d) à régler les litiges nés de la construction, lorsque des tiers prétendent subir un préjudice ; e) à gérer provisoirement l'immeuble achevé, etc.
Il faut enfin souligner que le promoteur fait toujours procéder à la construction par l'intermédiaire d'une société civile immobilière spécifique crée pour les besoins de la cause et qui s'interpose entre lui et l'accédant.
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Tentatives aux fins de définir la fonction du promoteur ◊ On a souvent tenté, mais sans grand succès, de synthétiser les différentes activités du promoteur. La Cour de cassation définit constamment le promoteur comme celui qui a l'initiative et le soin principal de l'opération immobilière . Le critère du soin principal paraît exact encore qu'un peu vague. À l'inverse le critère de l'initiative, qui précise la notion, ne correspond qu'à une partie de la réalité. L'initiative des programmes collectifs incombe autant aux groupes financiers qu'aux promoteurs et l'initiative de la construction individuelle revient le plus souvent à l'accédant .
Plus circonstanciée, mais tout aussi imparfaite, est la formule retenue par l'article 3 des statuts de la FNPC Le promoteur-constructeur est défini comme la personne physique ou morale « dont la profession ou l'objet est de prendre, de façon habituelle et dans le cadre d'une organisation permanente, l'initiative de réalisations immobilières et d'assumer la responsabilité de la coordination des opérations intervenant pour l'étude, l'exécution et la mise à la disposition des usagers des programmes à réaliser ». Outre qu'elle se réfère au critère contestable de l'initiative, cette définition présente au moins deux défauts. D'abord elle n'a trait et pour cause qu'au promoteur de métier, le seul qui puisse prétendre à se syndiquer : elle laisse de côté la catégorie un peu floue des promoteurs occasionnels, lesquels réalisent pourtant un certain nombre de logements chaque année. Ensuite la définition de la FPC écarte les personnes qui construisent des villas au coup par coup. Ces professionnels à vrai dire, sont souvent des entrepreneurs de bâtiment purs et simples, mais on doit les considérer comme promoteurs lorsqu'ils remplissent en outre une fonction d'intermédiaire et a fortiori lorsqu'ils se consacrent exclusivement à cette fonction .
B. Le promoteur, notion économique
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Promoteur capitaliste et promoteur prestataire de services ◊ Les définitions citées tout comme celle qui a été proposée en tête du présent ouvrage (v. ss 1), ont encore l'inconvénient de laisser dans l'ombre les modalités juridiques de l'accession à la propriété de l'immeuble, le terme d'accession étant à cet égard des plus évasifs . C'est que lesdites modalités varient sensiblement selon les conditions économiques de l'opération. Pour ne prendre qu'un exemple, le promoteur entendu au sens large ne conclut pas le même contrat avec la personne en quête d'appartement et avec le propriétaire de terrain qui souhaite une villa. Dans le premier cas le promoteur est un vendeur d'immeuble à construire ou à rénover ; dans le second il est un locateur d'ouvrage, constructeur d'une maison individuelle. Un facteur supplémentaire de diversification résulte de ce que le promoteur agit souvent par sociétés interposées.
Dès lors le promoteur échappe à toute définition juridique précise et ne peut être saisi que dans sa fonction économique d'intermédiaire. La notion a donc un contenu économique, ce qui ne veut d'ailleurs pas dire que, même à ce point de vue, elle soit exempte de complexité. En général, les économistes considèrent comme promoteur l'agent qui, par son travail de gestion, assure la transformation d'un capital monétaire en produit immobilier fini. Mais pour plus de précision il faut distinguer entre deux types de promoteurs, — abstraction faite pour l'instant des cas intermédiaires : le promoteur capitaliste et le prestataire de services.
Le promoteur capitaliste dispose de fonds qu'il investit dans l'acquisition d'un terrain et dans le financement de la construction, il a donc l'initiative et la maîtrise de l'opération. Les locaux construits par ses soins sont une véritable marchandise faisant l'objet d'une commercialisation et procurant normalement un bénéfice. Ce promoteur, selon l'étendue de ses ressources, réalise un programme plus ou moins important, parfois même une simple villa.
Le promoteur prestataire de services n'a d'autre capital que celui de son entreprise propre. Il travaille à la commande sur des terrains qui ne lui appartiennent pas et il ne participe pas au financement de l'opération. L'immeuble n'est pas pour ce promoteur une marchandise dont il reçoit la contre-valeur, mais l'aboutissement d'un certain nombre de démarches accomplies par lui et en contrepartie desquelles il perçoit une rémunération. Selon les cas, les prestataires réalisent des maisons à titre isolé pour le compte des accédants ou des programmes collectifs pour le compte par exemple d'un groupe financier . Dans cette dernière hypothèse, le promoteur prestataire de services peut être une filiale du groupe .
C. Le promoteur et l'accession à la propriété
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Exclusion de la construction locative ◊ Faut-il considérer comme promoteur la personne qui réalise l'immeuble en vue de le louer ? La question ne se pose que si cette personne construit pour son propre compte car la propriété de l'immeuble est la condition qui permet de le donner à bail. Ainsi l'on doit supposer que l'intéressé dispose de fonds suffisants pour acquérir le terrain et pour financer la construction. La véritable question consiste donc à savoir si le capitaliste qui réalise lui-même un immeuble locatif est un promoteur .
Or, un détenteur de capitaux ne mérite le nom de promoteur que s'il produit des locaux à titre de marchandise. Tel est le cas de celui qui construit en vue d'une commercialisation immédiate car cet investisseur récupère au plus vite les fonds qu'il a engagés dans l'opération. Le cycle de production relativement court, la rotation rapide du capital assurent alors une rentabilité maximale ; peu importe que cette rentabilité serve à procurer un bénéfice ou, dans le cas de certains promoteurs publics, à ménager les deniers de l'État. En revanche, le capitaliste qui construit un immeuble locatif doit attendre de nombreuses années avant que la masse des loyers perçus ne le fasse rentrer dans ses fonds. Loin de produire une marchandise, il substitue un capital en nature à son capital monétaire. L'opération apparaît donc comme un placement à long terme et non comme une affaire rentable à court ou moyen terme. Il n'a donc pas la qualité de promoteur, mais seulement celle de maître de l'ouvrage.
Ainsi le constructeur locatif n'est pas un promoteur. Toutefois ce raisonnement ne vaut plus lorsque le bail ou la formule équivalente ne fait que précéder l'acquisition du logement par son occupant. L'opération se rapproche alors d'une opération de promotion immobilière et elle s'en rapproche d'autant plus que la période d'occupation est plus brève . En pratique cette formule est surtout utilisée par ceux que l'on appelle les constructeurs sociaux, c'est-à-dire les promoteurs publics ou para-publics (organismes d'HLM en particulier) qui édifient des logements avec l'aide et sous le contrôle de l'État à l'intention des ménages défavorisés. Ceux-ci en effet pratiquent tout à la fois la vente pure, la location pure et les formules intermédiaires telles que location-attribution (périmée), location-vente (classique) ou location-accession (nouvelle, et destinée à supplanter les autres) .
Mais, pour ce qui les concerne, les promoteurs privés ne construisent pas d'immeubles locatifs pour les livrer eux-mêmes, car ils ne louent que leurs invendus, — en attendant de trouver un acquéreur. À cet égard il va de soi qu'un promoteur ne perd pas cette qualité lorsque par force ou même par choix il commercialise après l'achèvement. La commercialisation sur plans n'est qu'une modalité de la promotion — permettant d'associer l'accédant au financement — et non un élément de sa définition .
D. Première esquisse du promoteur
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Distinctions à établir ◊ Les réflexions qui précèdent ont révélé certains traits du promoteur qu'il importe maintenant de souligner. L'ensemble constituera une première ébauche du promoteur ou plutôt de ses différents visages car il s'agit de traits alternatifs.
a) Le promoteur est une personne physique ou morale. La gamme va de l'entreprise individuelle jusqu'aux puissantes sociétés anonymes. Les grands programmes sont l'œuvre de ces dernières.
b) Le promoteur est une personne privée, publique ou semi-publique. Toutefois les rapports juridiques que le promoteur entretient avec l'accédant relèvent toujours des mêmes règles, si l'on met à part quelques dérogations en faveur de certains organismes sous le contrôle de l'État (HLM, sociétés d'économie mixte dont le capital appartient pour plus de moitié à une personne publique, etc.).
c) À l'origine le promoteur ne réalisait que des programmes (immeubles collectifs ou groupes de maisons) et tel est encore le cas des grands promoteurs qui se veulent les plus représentatifs de leur profession. Toutefois on ne saurait méconnaître le développement plus récent, mais important, des opérations de promotion limitées à une ou deux villas individuelles.
d) Parmi les réalisations du promoteur, les immeubles collectifs sont à usage d'habitation, de bureaux ou de commerces, — alors que les maisons, groupées ou non, sont presque toujours à usage au moins partiel d'habitation.
e) Le promoteur prend l'initiative de l'opération, ou bien réalise celle-ci pour le compte d'un groupe financier, ou le cas échéant exécute des travaux supplémentaires à la demande des accédants eux-mêmes. Les promoteurs d'une certaine importance pratiquent plutôt les deux premiers types d'activités. La troisième, a priori moins ambitieuse, se distingue nettement des précédentes.
f) Le financement de l'opération incombe au promoteur, à des établissements financiers, ou à l'accédant. Lorsqu'un promoteur et un financier apportent concurremment leurs capitaux, tous deux se partagent le profit de l'opération. L'accédant ne finance à proprement parler la construction que lorsque le terrain lui appartient, mais même dans les autres cas (ainsi lorsque l'accédant achète un appartement sur plans), il aide au financement par ses versements antérieurs à l'achèvement de l'immeuble.
g) Le promoteur intervient directement ou par société interposée. Les promoteurs capitalistes utilisent la seconde méthode lorsqu'ils associent des investisseurs au financement de l'opération. À cet effet, ils constituent une société, distincte de la société de promotion, entre les différents participants : cet instrument juridique sert à commercialiser les locaux et, le cas échéant, à distribuer les bénéfices réalisés.
h) Le promoteur professionnel doit être considéré comme le promoteur par excellence. Toutefois de nombreux entrepreneurs ou agents immobiliers accomplissent à titre occasionnel des actes de promotion, à propos surtout de maisons individuelles. Les dispositions juridiques applicables aux promoteurs ne distinguent à peu près jamais selon le caractère occasionnel ou habituel de l'acte.
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Classification sommaire des promoteurs ◊ Les distinctions qu'on vient d'établir ne se recoupent qu'en partie, de sorte qu'il existe une grande variété de promoteurs. La pratique révèle toutefois l'existence de trois types dominants.
Le grand promoteur est une société anonyme qui réalise des opérations immobilières considérables de sa propre initiative ou comme filiale d'un groupe financier, mais toujours par l'entremise de sociétés particulières chargées de commercialiser chaque programme. Le moyen promoteur se distingue du grand surtout par la dimension plus modeste des programmes entrepris (ex. immeuble collectif de dix à vingt logements, lotissement comprenant une dizaine de villas).
L'un et l'autre pratiquent la promotion à titre professionnel en cumulant le cas échéant ce métier avec celui d'entrepreneur. Tous deux sont considérés par la FPC comme les seuls promoteurs dignes de ce nom. Toutefois cette organisation recrute ses effectifs parmi les promoteurs qui réalisent des immeubles verticaux . En effet les constructeurs de maisons individuelles, quelle que soit d'ailleurs la dimension de leur entreprise, appartiennent, du moins pour ceux qui sont syndiqués, à l'Union Nationale des Constructeurs de Maisons Individuelles (UNCMI). Le tout sans préjudice des promoteurs publics, non syndiqués par définition, mais qui représentent une force considérable (v. ss 43). Quant aux entrepreneurs-promoteurs, ils sont presque tous affiliés à la Fédération Française du Bâtiment .
Le petit promoteur est une entreprise individuelle de construction ou une société familiale qui réalise une villa sur le terrain de l'accédant (après lui avoir procuré ce terrain si besoin est) ou qui à la rigueur met en œuvre un programme collectif de cinq ou six logements. L'initiative et le financement de l'opération ne lui incombent que rarement, ses soutiens bancaires sont modestes ou nuls. Les grands promoteurs, qui craignent que son incompétence ou sa fragilité ne déconsidèrent la profession, lui dénient la qualité de promoteur. De son côté l'intéressé refuse souvent ce titre qui à ses yeux est synonyme de gigantisme, voire d'affairisme. Selon les cas il se présente comme agent immobilier ou entrepreneur (lorsque c'est là sa profession principale) ou sous le nom plus ambigu de constructeur.
Il reste que le législateur applique à toutes ces catégories des règles d'inspiration similaire qui, implicitement ou explicitement, reposent sur leur qualité commune de promoteur. Naturellement les classifications légales ne se fondent pas sur une typologie forcément approximative, mais sur l'existence de schémas juridiques précis et très divers. Ces schémas sont nés de la pratique : aussi ne peut-on comprendre les règles juridiques applicables aux promoteurs qu'après une étude historique de la promotion immobilière.
§ 2. Histoire de la promotion immobilière
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Plan suivi ◊ La nécessité de recourir à un intermédiaire spécialisé ne se fait que peu sentir pour la construction d'une simple villa ou d'un immeuble collectif modeste. Ainsi le promoteur n'est guère apparu tant que la plupart des réalisations immobilières ne dépassaient pas cette échelle. En fait c'est le développement récent de la construction collective de masse qui a donné naissance à la profession de promoteur. Mais à partir du moment où la fonction d'intermédiaire a conquis son autonomie, certains professionnels ont envisagé de l'appliquer mutatis mutandis à la construction individuelle et le public n'a pas tardé à constater qu'en ce domaine un intermédiaire pouvait jouer un rôle utile.
Ainsi, dans un premier temps, la construction collective a engendré un certain style de promoteurs. Puis, dans un second temps, des promoteurs d'un autre style se sont intéressés à la construction individuelle. Par construction individuelle, il faut entendre la construction d'une maison unique : le promoteur qui acquiert un grand terrain pour y faire édifier une trentaine de villas réalise évidemment une opération collective, un programme de maisons individuelles, et non une construction individuelle . Ceci précisé, on étudiera l'histoire de la promotion immobilière dans l'un et l'autre domaine.
A. Le promoteur et la construction collective
1. Histoire économique
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Rareté des actes de promotion avant la première guerre mondiale ◊ La promotion immobilière semble avoir été pratiquée, sous le nom de spéculation, dès le moment où l'économie est parvenue à un stade précapitaliste avancé. C'est ainsi qu'Hardouin-Mansart s'associa des financiers tels que Law pour construire et commercialiser les immeubles qui bordent la place Vendôme. Plus près de nous, le banquier Laffitte lotit le parc de Maisons après avoir réalisé bon nombre d'hôtels particuliers sur les parcelles, à telle enseigne que la ville ainsi créée, — Maisons-Lafitte —, allait porter son nom, ce dont peu de promoteurs peuvent se vanter. À la même époque, des entrepreneurs ou des architectes acquéraient parfois des terrains pour construire en vue de la vente (édification d'un immeuble de rapport cédé ensuite à une personne en quête de placement). Mais ces cas restaient marginaux.
Les opérations collectives existaient pourtant avant le xxe siècle, que ce soit sous la forme du lotissement ou de l'immeuble divisé par étages. Mais dans la plupart des cas elles ne donnaient lieu à aucun acte de promotion. Le plus souvent la construction sur les parcelles loties était réalisée à titre individuel par les acquéreurs et non par le lotisseur. Ce dernier, qui se bornait alors à imposer un cahier des charges, ne jouait aucun rôle d'intermédiaire et l'acquéreur du lot s'adressait directement aux entrepreneurs.
Quant aux immeubles collectifs, l'expansion urbaine consécutive à la révolution industrielle en avait multiplié le nombre, mais ce type de construction était réalisé en vue de la location et non de la commercialisation. Au xixe siècle en effet, la disparité des revenus empêchait la majorité des Français d'accéder à la propriété. Pour la minorité aisée, la construction d'un immeuble locatif devenait ainsi le meilleur des placements : très sûr en raison de la stabilité monétaire, et avantageux dans la mesure où la demande de logements restait sensiblement supérieure à l'offre. La construction d'un grand immeuble locatif, bien que n'étant pas en soi une opération de promotion (v. ss 6), aurait pu du moins donner lieu à un acte d'intermédiaire si le propriétaire du terrain avait cru bon de confier la réalisation à un prestataire spécialisé. Mais cette idée ne venait à personne car au xixe siècle les données juridiques et pratiques de la construction étaient beaucoup moins complexes que de nos jours. Ainsi lorsqu'un détenteur de capitaux faisait édifier un immeuble de rapport par un architecte et un entrepreneur, ces trois personnes se partageaient sans difficulté les tâches d'organisation, si bien que la fonction d'intermédiaire n'avait aucune autonomie.
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Esquisse de la promotion immobilière dans l'entre deux guerres ◊ Les destructions dues à la première guerre mondiale avaient créé un déséquilibre entre l'offre et la demande de logements. Pour éviter la hausse inconsidérée des loyers, l'État recourut à la taxation, mais tombant dans l'excès contraire il taxa à un trop bas niveau. Ce fait ajouté à celui de l'inflation désormais endémique devait détourner les capitaux de la construction locative. Ainsi la crise du logement ne cessa de croître.
Ne pouvant se loger en location, un nombre relativement important de personnes décidèrent de construire. Mais dans les villes, la cherté du terrain leur interdisait d'envisager la réalisation d'une maison particulière. La construction en copropriété, qui de surcroît diminue proportionnellement les frais d'édification et d'entretien, permit de résoudre cette difficulté. Ce n'était d'ailleurs pas une invention récente. Après l'incendie qui avait ravagé Rennes au xviiie siècle, la population locale appauvrie par cette catastrophe avait déjà eu recours à cette solution. Dans le même temps, les habitants de Grenoble avaient développé leur ville en hauteur faute de pouvoir l'étendre au-delà de ses remparts. Ces deux exemples illustrent le double argument qui aujourd'hui encore joue en faveur de la copropriété : le manque relatif d'argent et de place.
À partir des années 1920 et dans toute la France désormais, des citadins allaient se grouper pour construire un immeuble collectif à frais communs. Mais comme l'opération devenait sans cesse plus complexe, il apparut bientôt qu'un des futurs copropriétaires (celui qui avait le plus de compétence et de loisirs) ferait bien d'en assumer l'organisation. Ce personnage ressemblait à un promoteur : c'était un promoteur in partibus.
Peu à peu, l'idée d'une spécialisation se fit jour. Certaines personnes imaginèrent de chercher un terrain, de réunir les futurs copropriétaires et de réaliser l'immeuble pour le compte de ces derniers, — le tout contre rétribution. Cette fois, c'étaient bien des promoteurs, quoiqu'on ne les désignât pas encore sous ce nom. Mais ils intervenaient surtout comme prestataires de services et leur activité, à la veille de la seconde guerre mondiale, ne relevait pas encore d'un véritable métier.
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Développement accéléré de la promotion après 1950 ◊
1) Causes de ce développement. Le premier essor de la construction en copropriété n'avait pas empêché l'aggravation de la crise du logement. Celle-ci, au lendemain de la seconde guerre mondiale, atteignit son paroxysme. Le législateur s'efforça d'y remédier par la célèbre loi du 1er septembre 1948 qui ne réglementait les loyers que pour les immeubles existant à cette date. A contrario les parties fixaient librement le prix du bail dans les immeubles à venir, — mesure propre à encourager la construction locative. Mais c'est la construction en vue de l'accession à la copropriété qui devait connaître un développement spectaculaire.
Le phénomène s'explique aisément. Dès lors que les immeubles existants étaient déjà occupés par des locataires ou par des occupants maintenus dans les lieux, la personne en quête de logement n'avait d'autre ressource que d'habiter un immeuble neuf. Mais si cette personne était entrée dans un immeuble neuf en qualité de locataire, elle aurait dû payer un loyer libre, c'est-à-dire élevé. Or, à tant faire que de débourser chaque mois des sommes importantes, autant valait emprunter des fonds, acheter l'appartement et rembourser sa dette en vingt ans. Les mensualités versées au banquier excédaient sans doute ce qu'aurait été le montant d'un loyer, mais l'avantage d'accéder à la propriété compensait ce sacrifice supplémentaire, d'ailleurs limité par l'effet de l'inflation. Là-dessus, deux facteurs amenèrent un très grand nombre de personnes à franchir le pas : le développement du crédit à la construction (à partir de 1950) et, quelques années plus tard, la prospérité économique. L'État en particulier mit en place un système de prêts spéciaux à taux réduit qui lui coûtait évidemment moins cher que s'il avait dû construire lui-même et qui eut un rôle considérable d'incitation .
Dès lors les capitaux se dirigent de nouveau vers la construction collective, mais ils n'ont plus la même origine qu'au xixe siècle. À cette époque, la construction, qui était à usage locatif, drainait l'épargne du père de famille. De nos jours, les immeubles sont réalisés en vue de la commercialisation et ce genre d'opération, évidemment plus rentable, attire les capitaux d'affaires. Quant aux économies du père de famille, elles servent désormais à l'acquisition du logement.
2) Conséquences du développement de la promotion. Pour ajuster l'offre considérable de capitaux à la demande non moins considérable de logements, il fallait un intermédiaire spécialisé. Ainsi le développement de la construction a donné naissance, dans les années 1950, à la profession de promoteur. Pour des raisons évidentes, les futurs copropriétaires ont eu tôt fait d'abandonner l'initiative de l'opération. C'est donc le promoteur qui s'est chargé de trouver le terrain et le financement, de diriger la réalisation et de commercialiser les locaux. Le processus de concentration capitaliste ayant joué son rôle habituel, les promoteurs ont réalisé des opérations immobilières de grande envergure comportant parfois des centaines ou des milliers de logements. On peut parler à cet égard d'une révolution immobilière analogue à la révolution industrielle.
Les promoteurs réalisent trois sortes de programmes : a) l'immeuble vertical répond à la définition classique de la copropriété par appartements ; b) le groupe horizontal de maisons individuelles est selon les cas une copropriété (lorsque certains éléments font l'objet d'une appropriation collective : chauffage, espaces réservés aux loisirs, etc.) ou un groupement d'habitations (simple juxtaposition de propriétés divises) ; c) le grand ensemble, à la fois vertical et horizontal, comporte un certain nombre d'immeubles collectifs et des éléments communs à tous ces immeubles. Afin de répondre aux besoins les plus urgents, les promoteurs ont d'abord construit des immeubles verticaux dans les villes et des grands ensembles à la périphérie. Par la suite, ils ont également réalisé des groupes horizontaux dans des zones faiblement urbanisées, en recherchant une clientèle a priori plus aisée.
Ainsi la propriété a cessé d'être le privilège de la minorité . Or, le développement de l'accession à la propriété a continué bien que trois éléments en aient ralenti le rythme, à savoir : le freinage consécutif à la réforme fiscale du 15 mars 1963, la quasi-résorption de la crise du logement (sauf à Paris et à sa périphérie) et surtout la crise économique survenue à partir de 1973. Cette dernière a durement touché la construction des immeubles verticaux (toutefois remplacée par la restauration d'immeubles anciens). Mais la construction des maisons individuelles groupées ou non a mieux résisté, surtout au début, à la crise. Et tout porte à croire que le phénomène — irréversible — de la promotion immobilière persistera malgré la fin de la période de grande croissance économique .
2. Histoire juridique
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Présentation générale ◊ La diversité et la complexité des techniques de promotion sont le fruit d'une histoire brève, mais particulièrement dense et marquée par la recherche de formules appropriées. Or, la difficulté tient pour l'essentiel à l'insuffisance relative des capitaux dont disposent les promoteurs.
Le promoteur, si ses fonds propres suffisaient à l'achat du terrain et au financement de la construction, commencerait par réaliser l'immeuble et ne céderait les différents lots qu'une fois la construction achevée. Ainsi ce promoteur vendrait clés en mains, donc sans recours à aucune technique juridique particulière puisqu'il utiliserait le moule de la vente immobilière classique. L'accédant bénéficierait alors d'une protection maximale et le présent ouvrage n'aurait pas d'objet.
Mais à la différence des builders américains qui pratiquent couramment la vente clés en mains, les promoteurs français doivent recourir à des capitaux extérieurs s'ils ne veulent pas réduire considérablement la dimension de leurs opérations. Ces capitaux sont apportés par des établissements financiers et surtout par l'accédant lui-même dont les versements interviennent en majeure partie au cours de l'édification. Ainsi l'accédant court le risque de perdre ses acomptes si le promoteur ne parvient pas à terminer l'immeuble et à tout le moins il peut redouter que l'immeuble achevé ne présente pas les caractéristiques en prévision desquelles il avait donné son consentement.
Il fallait donc inventer des formules qui tout à la fois associent l'accédant au financement de l'opération et le protègent contre ses risques, ce qui ne va pas sans contradiction. La sécurité de l'accédant apparaît comme une nécessité primordiale, mais elle ne doit pas masquer un autre impératif difficilement conciliable avec le premier : celui de faciliter l'action du promoteur ou à tout le moins de ne pas accabler ce dernier sous le poids de contraintes qui finiraient par détourner les capitaux du secteur immobilier. Ainsi nul ne s'étonnera que les solutions ne soient apparues qu'après de nombreux tâtonnements. On peut à cet égard discerner trois étapes.
Une première phase, antérieure à la seconde guerre mondiale, correspond à la prime enfance de la promotion immobilière. Elle se caractérise par la mise en place de techniques a priori peu dangereuses pour les accédants, mais malcommodes pour le promoteur naissant.
La deuxième phase, qui va de 1950 à 1967, est marquée par une crise de croissance. Les promoteurs améliorent l'instrument juridique, mais sans souci des risques courus par l'accédant, victime de trop nombreux scandales. Toutefois l'intervention désormais nécessaire des pouvoirs publics n'atteindra que lentement une pleine efficacité .
La troisième phase, entamée en 1967, doit être considérée comme l'âge adulte de la promotion, la mise au point de techniques perfectionnées ayant permis de réaliser un équilibre entre les intérêts de l'accédant et ceux du promoteur.
a. La prime enfance (1918-1939)
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La méthode de Grenoble ◊ La tradition grenobloise de construction en copropriété a donné naissance au premier système connu de construction collective en vue de l'accession. Cette méthode, qui paraît aujourd'hui archaïque, a essaimé dans toute la France aux environs de 1930. À l'origine, elle servait à l'usage des particuliers, mais les ancêtres du promoteur actuel ont pu la domestiquer au prix d'une légère variante.
La version originale se décomposait en cinq temps : a) les futurs copropriétaires faisaient acheter le terrain par l'un quelconque d'entre eux ; b) l'acquéreur du terrain cédait des millièmes à ses partenaires, ce qui créait une indivision ; c) l'un des indivisaires recevait mandat de conclure les marchés et d'en surveiller l'exécution ; d) les indivisaires, par le jeu de l'accession, acquéraient au fur et à mesure de l'édification un droit de propriété également indivis sur les constructions ; e) une fois l'immeuble achevé, les indivisaires procédaient au partage en nature, c'est-à-dire par appartements, de sorte que l'indivision faisait place à la copropriété .
Cette méthode subissait une transformation lorsqu'un promoteur avant la lettre prenait l'initiative de l'opération. Ce personnage acquérait le terrain, cédait les millièmes et se faisait consentir un mandat, évidemment salarié, afin de réaliser la construction. Il jouait donc le rôle d'un prestataire, sauf en ce qui concerne l'achat et la revente du terrain. Ainsi, même entre les mains des premiers promoteurs, la méthode de Grenoble demeurait une technique de construction à frais communs qui ne permettait pas de se livrer à une véritable commercialisation des locaux .
Le système présentait d'ailleurs deux inconvénients, et cela quelle que soit la manière dont on l'utilisait : l'un résidait dans la règle de l'unanimité, applicable à toutes les indivisions ; l'autre tenait à la difficulté d'obtenir des crédits devant la réticence des banquiers à accepter une hypothèque portant sur une part indivise.
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La construction en société ◊ Pour éviter les inconvénients de l'indivision, les praticiens se tournèrent vers la technique sociétaire car la constitution d'une société entre les futurs copropriétaires permettait d'écarter la règle de l'unanimité. En outre, la société empruntait elle-même en donnant une hypothèque sur le terrain dont on lui avait fait l'apport. De même il n'y avait plus besoin de mandat, le gérant de la société ayant pouvoir de traiter au nom de celle-ci conformément aux décisions de la majorité. Après l'achèvement de la construction, la société était dissoute et l'immeuble faisait l'objet d'un partage en nature, c'est-à-dire par lots. C'est ce qu'on a parfois appelé la méthode de Paris.
Ici surgissait une grave difficulté. La société, dont le rôle se bornait à transformer en immeuble le capital des associés, ne réalisait de ce fait aucun bénéfice, l'attribution finale des lots n'étant à cet égard que le partage du capital lui-même. Ainsi la société encourait la nullité. Au surplus, la formule n'éliminait pas complètement la règle de l'unanimité qui conservait son empire dans le cas fréquent où le coût de la construction se révélait supérieur aux prévisions : en effet le droit commun des sociétés interdit à la majorité d'augmenter les engagements des associés. De toute manière les associés souhaitaient échelonner leurs versements en fonction de l'avancement des travaux : or, à cette fin ils ne pouvaient recourir qu'à un système de libération progressive du capital social qui manquait encore de souplesse.
Ces différents obstacles furent levés par la loi du 28 juin 1938 qui valida la société malgré l'absence de bénéfice et lui permit de recourir à des appels de fonds supplémentaires. Afin d'encourager les particuliers à construire, le législateur ne posait qu'un minimum de règles impératives et notamment il autorisait la constitution sous une forme sociale quelconque (civile, anonyme, coopérative, etc.), de sorte que la société se distinguait seulement par son objet qui consistait à construire en vue de l'attribution.
Les auteurs de la loi ne pouvaient prévoir que ce libéralisme serait ultérieurement mis à profit par des promoteurs peu scrupuleux et se retournerait contre les accédants. À l'époque en effet, les promoteurs étaient encore peu nombreux et ils intervenaient plutôt à la manière discrète du prestataire de services : le promoteur acquérait le terrain, puis réunissait les futurs copropriétaires en une société à laquelle il cédait ce terrain et dont il se faisait nommer le gérant salarié. Or, ce procédé ne présentait pas beaucoup de risques pour l'accédant car la société conservait ici son rôle originel en ce qu'elle demeurait une technique de construction en commun. Ce n'est qu'après la seconde guerre mondiale que les promoteurs capitalistes allaient la transformer, non sans danger pour l'accédant, en un instrument de commercialisation.
b. La crise de croissance (1950-1967)
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La cession de parts sociales ◊ Le développement accéléré de la promotion nécessitait une adaptation des structures juridiques. Le seul instrument existant, qui allait bientôt reléguer la méthode de Grenoble au rang de curiosité historique, était la société de la loi de 1938. Or, cette formule présentait un double inconvénient lié au fait que le législateur l'avait conçue comme une sorte de mutuelle et non comme un outil capitaliste. D'une part la construction, qui sous peine de complications ne devait commencer qu'après constitution de la société, aurait été retardée si le promoteur avait attendu d'avoir réuni tous les futurs copropriétaires. D'autre part le promoteur capitaliste et plus généralement tous les investisseurs potentiels n'avaient a priori que faire d'une société inapte à réaliser des bénéfices.
Pour résoudre ces difficultés, il suffisait d'observer que les parts ou actions de la société confèrent le droit de se faire attribuer le local correspondant et que dans ces conditions leur cession équivaut sur le plan économique à la vente d'un lot. La solution consistait donc à constituer la société dès l'acquisition du terrain en prenant comme seuls associés les financiers et le promoteur lui-même, de sorte que ce dernier procédait simultanément à la réalisation de l'immeuble et à la recherche de la clientèle. À mesure que les acquéreurs se présentaient, les parts leur étaient cédées, — naturellement avec bénéfice. Paradoxalement les associés d'origine percevaient un bénéfice bien que la société elle-même n'en réalisât aucun.
Ce procédé offrait un double avantage. D'une part les futurs copropriétaires étaient associés au financement de la construction puisque le règlement des appels de fond leur incombait à partir du jour où ils entraient dans la société : ainsi le promoteur pouvait lancer l'opération avec un capital réduit. Mais d'autre part les futurs copropriétaires n'étaient pas associés aux décisions fondamentales concernant le plan de l'opération et la configuration de l'immeuble à réaliser. Les fondateurs de la société, par hypothèse peu nombreux, réglaient ces différents points en petit comité compte tenu de leurs intérêts commerciaux. Puis ils proposaient au public un projet définitif, d'ailleurs en cours d'exécution et concrétisé par une maquette. Ainsi l'accédant ressemblait beaucoup plus à un acheteur d'appartement qu'à un associé véritable.
Promoteurs et financiers avaient donc transformé la société en technique de commercialisation. Comme l'initiative des programmes collectifs échappait aux accédants, presque toutes les sociétés de la loi de 1938 furent désormais utilisées de cette manière, — les hypothèses de constitution directe par les futurs copropriétaires devenant exceptionnelles.
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Les inconvénients de la cession de parts ◊ L'inconvénient majeur du système était de ne comporter aucune protection de l'accédant contre les entreprises d'un promoteur malhonnête ou simplement incompétent. Or, l'absence de réglementation attirait vers la profession des personnes de moralité douteuse. De nombreux scandales ont jalonné les années parfois dites du far-west de la construction. Il existait à cet égard deux manières de dépouiller l'accédant.
La plus raffinée, et qui n'a guère ému l'opinion, consistait à faire représenter l'un des futurs appartements par un nombre dérisoire de parts que le promoteur souscrivait et se gardait de céder. Comme les appels de fonds étaient proportionnels au nombre des parts, cela revenait à dire que les coassociés du promoteur lui offraient cet appartement. Or, l'article 1134 C. civ. s'oppose en principe à ce que le juge révise la répartition.
La seconde manière était beaucoup plus voyante. Le promoteur cédait les parts pour une somme qui ne correspondait pas à l'avancement réel des travaux et laissait aux associés le soin d'achever l'immeuble, — tâche pour laquelle ils n'avaient pas de compétence et qui nécessitait une rallonge. Le procédé, fort répandu, a suscité la réaction des tribunaux et du législateur.
La jurisprudence est intervenue sur trois fronts : a) elle a infligé des dommages-intérêts à la personne qui ne mène pas jusqu'à son terme l'opération dont elle a pris l'initiative ; b) en se fondant sur le plan financier que le promoteur soumet à l'administration pour obtenir des prêts spéciaux, le juge a décidé non sans un certain arbitraire que le bénéfice produit par les cessions ne pourrait excéder la marge prévue au plan ; c) enfin certains arrêts, en dépit de l'article 1694 C. Civ., ont condamné le cédant à garantir les vices cachés de l'appartement.
L'audace de la jurisprudence s'expliquait par le caractère tardif et limité de la réaction législative. Celle-ci devait comporter deux étapes : a) le décret du 10 novembre 1954, assorti de sanctions pénales par la loi du 7 août, dotait la société d'un conseil de surveillance et imposait diverses obligations de renseignement au cédant. Cette mesure était insuffisante et elle ne s'appliquait de toute manière qu'aux opérations réalisées avec l'aide de prêts spéciaux à la construction. b) Devant l'échec rencontré par un projet de loi déposé en octobre 1961, qui avait pour objet de réglementer l'ensemble de la matière, le gouvernement prit un décret en date du 9 juillet 1963 qui reprenait certaines dispositions du projet. Ce texte accordait des avantages fiscaux importants au cédant lorsque celui-ci fournissait des renseignements détaillés sur l'immeuble à construire et s'engageait à régler les appels de fonds excédant la limite prévue au contrat de cession, — cet engagement devant lui-même être cautionné par un établissement financier de premier plan. Cette garantie se révéla très efficace. C'est elle qui, bien plus que la menace des sanctions pénales, permit d'écarter de la promotion les éléments indésirables.
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Recherche d'une solution meilleure ◊ Même assainie, la cession de parts ne satisfaisait personne. L'accédant, qui raisonnait en acquéreur pur et simple, ressentait comme une corvée les obligations inhérentes à sa qualité d'associé. De son côté, le promoteur présidait aux destinées d'une société ingouvernable puisque les futurs copropriétaires, c'est-à-dire en fait les adversaires de ce promoteur, allaient tôt ou tard y détenir la majorité.
La solution eût été que le promoteur vendît les lots eux-mêmes au lieu des parts d'associé donnant droit à ces lots. Mais encore eût-il fallu obtenir de l'acheteur qu'il versât des fonds avant l'achèvement. Or, ce point heurtait une tradition bien établie car on a toujours vu le vendeur faire crédit à son acheteur et jamais l'inverse, — la vente d'une chose future étant par trop inhabituelle. Au surplus, la fiscalité antérieure à 1963 pénalisait doublement la vente d'immeuble : a) cette opération supportait les droits d'enregistrement auxquels les cessions de parts échappaient en revanche dans une large mesure ; b) l'administration taxait dans tous les cas le profit de la vente alors qu'elle n'imposait les plus-values consécutives aux cessions de parts que dans la mesure où le bénéficiaire avait la qualité de marchand de biens.
La loi du 15 mars 1963 mit fin à cette discrimination et posa le principe contraire de neutralité fiscale en vertu duquel les mêmes impositions allaient désormais s'appliquer aux deux opérations. À partir de ce moment, certains promoteurs commencèrent à pratiquer une vente dite sur plans ou en état futur d'achèvement. Mais faute d'une réglementation précisant les droits et obligations des deux parties, ce contrat entrait assez difficilement dans les mœurs. Il suscitait la méfiance non seulement du public, mais des promoteurs eux-mêmes qui craignaient que l'absence de règle n'incitât les tribunaux à charger le vendeur d'obligations très lourdes.
c. L'âge adulte (depuis 1967)
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La loi du 3 janvier 1967 ◊ En s'inspirant de la pratique antérieure, la loi du 3 janvier 1967 réglemente, sous le nom de vente d'immeuble à construire, le contrat par lequel le vendeur s'engage à édifier l'immeuble dans un certain délai. Elle prévoit deux modalités : vente à terme et vente en état futur d'achèvement. En fait les promoteurs privés n'utiliseront que la seconde formule qui leur paraît plus facile à manier. L'originalité de cette vente en état futur tient à ce que le transfert de propriété et le versement du prix interviennent à mesure de l'édification.
La loi prévoit en outre des garanties dont le contenu s'inspire du décret du 9 juillet 1963, mais avec cette différence que le vendeur ne peut y échapper en renonçant aux faveurs fiscales . Le législateur en effet impose ces garanties chaque fois du moins que le contrat porte sur un immeuble à usage d'habitation. Le vendeur doit non seulement conclure ce contrat sous la forme authentique et fournir de nombreux renseignements, mais surtout justifier qu'une caution de premier plan s'engage à verser les sommes nécessaires à l'achèvement de la construction ou au remboursement des acomptes. Le promoteur, à la vérité, peut éviter le recours au cautionnement en offrant des garanties dites intrinsèques qui sont en fait moins onéreuses, mais aussi moins efficaces. Pratiquement le système favorise les grands promoteurs qui ont toutes facilités pour obtenir des cautionnements.
À partir de 1968, date d'entrée en vigueur de la loi, la vente en état futur connaît un succès qui s'explique par son adaptation aux problèmes de la promotion. Ce contrat éclipse assez rapidement la cession de parts. La loi du 3 janvier 1967 s'applique sans difficulté majeure si l'on met à part l'inévitable et endémique contentieux des vices cachés. L'assainissement de la promotion se poursuit et les scandales n'y sont désormais pas plus nombreux que dans d'autres secteurs de l'économie .
Le développement de la vente en état futur entraîne celui d'un nouveau type de société : la société civile ayant pour objet la construction et la vente des lots. On sait que le promoteur associe généralement des financiers à ses opérations, ce qui l'amène à constituer une société distincte pour la commercialisation de chaque programme. Tant qu'il n'existait aucun mode de commercialisation en dehors de la cession de parts, cette société distincte ne pouvait être évidemment qu'une société de la loi de 1938, laquelle offrait d'ailleurs l'avantage considérable de la transparence fiscale. Puis, afin d'encourager la formule de la vente, le législateur accorda des avantages fiscaux similaires aux sociétés de vente (art. 28, loi du 23 déc. 1964). Ainsi débarrassée de son handicap initial, la société de vente allait être en mesure de supplanter sa rivale dès que la vente en état futur prendrait elle-même son essor, c'est-à-dire en pratique après l'entrée en vigueur de la loi du 3 janvier 1967.
De fait, les sociétés de vente dites de l'article 28 se développent à partir de 1968. Par voie de conséquence, la société de la loi de 1938 entre en déclin. Bientôt elle ne subsistera plus que dans deux cas particuliers : a) lorsque les futurs copropriétaires sont associés dès l'origine, ce qui concerne en fait les coopératives ; b) lorsque l'immeuble doit servir de résidence de vacances à des personnes qui chaque année disposeront du même appartement à la même époque : ici la vente de l'immeuble aux différents usagers ruinerait le système puisqu'elle donnerait naissance, à propos de chaque appartement, à une indivision par hypothèse précaire et inorganisée, de sorte que le seul mode de commercialisation possible est la cession de parts donnant droit à une jouissance périodique .
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La loi du 16 juillet 1971 ◊ Ce texte complète l'édifice législatif de 1967. Tout d'abord son titre I dote les sociétés civiles de vente d'un statut approprié, d'ailleurs très souple puisque devant servir à la commodité des investisseurs et non à la protection des accédants. Ces derniers en effet n'entrent à aucun moment dans la société dès lors qu'ils lui achètent purement et simplement leur lot.
Beaucoup plus rigide est le statut des sociétés qu'on appelle désormais d'attribution pour les distinguer des sociétés de vente. Ces sociétés d'attribution prennent la suite de celles que régissait la loi du 28 juin 1938, texte abrogé et remplacé par le titre II de la loi nouvelle. Les caractères fondamentaux de la société demeurent inchangés, mais le législateur améliore le fonctionnement : répartition plus juste des frais, possibilité de remboursement en cas de lésion, etc. De surcroît la société, lorsqu'elle construit à usage d'habitation, doit conclure un contrat dit de promotion immobilière, réglementé par le titre IV de la loi, et qui impose des garanties très lourdes au promoteur.
Le titre III concerne les coopératives de construction. Le législateur a craint que certains promoteurs n'utilisent cette formule pour tourner les règles applicables aux autres modes de commercialisation. En substance la coopérative a l'obligation soit de consentir une vente en état futur à l'accédant, soit de conclure un contrat de promotion avec le promoteur. Véritable pavé de l'ours, ce système trop rigide n'a guère favorisé l'essor du secteur coopératif.
En tout cas l'accédant fait l'objet, au moins dans le secteur du logement, d'une protection désormais sans faille puisque, quel que soit le mode de commercialisation choisi par le promoteur, cet accédant se trouvera toujours dans l'un ou l'autre des deux cas suivants : ou bien il achète en état futur et bénéficie des garanties afférentes au contrat de vente ; ou bien il entre dans une société immobilière, et cette dernière bénéficie elle-même des garanties afférentes au contrat de promotion. En fait le caractère draconien de ce dernier contrat incite les promoteurs à utiliser la formule plus équilibrée de la vente en état futur.
En revanche, le réseau protecteur devient plus lâche dans le domaine de la construction à usage de commerces ou de bureaux. Le législateur a estimé que c'est le besoin de se loger qui met l'accédant à la merci du promoteur, observation qui paraît confirmée par le faible nombre de scandales observé en dehors du secteur du logement : il semble en effet que le promoteur donne spontanément des garanties, ne serait-ce que pour des raisons commerciales .
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Textes plus récents ◊ À partir de 1972 et pendant plus de dix ans, la promotion immobilière va vivre sur son acquis législatif. Tout au plus doit-on citer deux textes qui, bien que ne visant pas exclusivement ce secteur, l'ont tout de même touché au premier chef. D'une part la loi du 4 janvier 1978 a rendu l'assurance-construction obligatoire tant au regard des constructeurs et assimilés (architectes, entrepreneurs, mais aussi prestataires les plus divers) que des maîtres d'ouvrage (y compris par conséquent les sociétés immobilières de vente, d'attribution, etc.). D'autre part la loi du 13 juillet 1979 a mis sur pied un système propre à permettre que « l'acquéreur » — au sens large — d'un logement puisse se dégager de son contrat lorsqu'il n'obtient pas les fonds nécessaires au financement de son acquisition.
Par la suite, la persistance de la crise économique a incité les pouvoirs publics à élaborer une formule nouvelle de commercialisation, cette fois spécifique de la promotion immobilière. Il s'agit de la location-accession, organisée par la loi du 12 juillet 1984 et dont on attendait qu'elle relance le marché en attirant une clientèle a priori peu solvable. Comme on le sait, les banques n'accordent les prêts nécessaires à l'acquisition qu'aux personnes réunissant déjà une quantité suffisante de fonds propres dite apport personnel. Or, les ménages modestes ne remplissent pas cette condition et n'ont d'autre ressource que de se loger en location en attendant d'économiser peut-être les sommes nécessaires. D'où l'idée d'un contrat par lequel l'accédant occupe d'abord les locaux à la façon d'un locataire et aura ensuite la faculté, mais non pas l'obligation, d'acquérir son logement. La loi, bien entendu, oblige celui qu'elle appelle le vendeur — en réalité l'éventuel vendeur — à fournir des garanties : garantie d'achèvement lorsque le contrat est conclu avant cet événement ; garantie de remboursement pour le cas où l'accédant n'ayant pas levé l'option, le vendeur doit lui restituer les sommes périodiquement versées en sus de celles qui représentent la contrepartie de la jouissance. Théoriquement ce système ne manque pas d'attraits. Mais en pratique le souci peut-être excessif de protéger l'accédant — notamment en lui offrant une porte de sortie peu coûteuse — décourage les promoteurs d'utiliser une formule qui leur fait supporter le risque du financement sans aucune certitude de commercialiser l'immeuble.
Le même souci de mettre en œuvre une politique d'accession sociale à la propriété, dans le cadre des 20 % de logements sociaux imposés par l'article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain, dite SRU, du 13 décembre 2000, a conduit les pouvoirs publics à inciter les organismes de HLM à réaliser sous forme de location-accession des constructions neuves. Ces incitations consistent notamment en des prêts spécifiques prévus par un décret no 2004-286 du 26 mars 2004.
Par ailleurs, le législateur a réglementé la commercialisation de l'immobilier de loisir sous forme de périodes de jouissance ; ce fut l'objet de la loi du 6 janvier 1986 relative aux sociétés d'attribution d'immeubles en jouissance à temps partagé. Comme son intitulé l'indique, ce texte institue une société d'attribution de type nouveau (par opposition aux sociétés d'attribution qu'on peut désormais appeler classiques ) afin d'organiser la réalisation, la commercialisation et surtout la gestion — particulièrement complexe ainsi qu'on s'en doute — des résidences à temps partagé. Cette question a également suscité l'intérêt des autorités européennes qui ont pris une directive du 26 octobre 1994 dont la transposition en droit interne s'est traduite par le vote (tardif) de la loi du 8 juillet 1998 « concernant la protection des acquéreurs pour certains aspects des contrats portant sur l'acquisition d'un droit d'utilisation à temps partiel de biens immobiliers ».
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Loi « ENL » du 13 juillet 2006 ◊ L'importance croissante des opérations de réhabilitation de l'habitat ancien a enfin conduit le législateur à réglementer ce secteur d'activité donnant naissance à la « Vente d'immeuble à rénover », contrat étroitement inspiré de la classique vente d'immeuble à construire. Quoiqu'en apparence plus simple et moins contraignante que la vente d'immeuble à construire, la vente d'immeuble à rénover met en place un certain nombre de dispositions qui risquent fort de décourager beaucoup de promoteurs. En particulier l'obligation de fournir pour toute vente d'immeuble à rénover une garantie bancaire d'achèvement, et cela quelle que soit l'importance des travaux ! On peut se demander si le législateur n'est pas tombé une fois de plus dans le piège de la surprotection de l'accédant à la propriété, comme dans la location-accession et le contrat de construction de maison individuelle (v. ss 24).
B. Le promoteur et la construction individuelle
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Apparition d'un nouveau style de promoteur ◊ Les actes de promotion limités à la construction d'une maison sont sans doute aussi anciens que le métier d'entrepreneur. En effet l'entrepreneur qui se trouve à court de commandes répugne à licencier ses ouvriers. Aussi préfère-t-il puiser dans ses économies pour acheter un terrain et construire une villa en vue de la vente. Ainsi pratiquée, la promotion n'est toutefois qu'un pis-aller dicté par les circonstances. Elle ne devient un phénomène digne d'attention que lorsque des personnes, entrepreneurs ou autres, interviennent comme intermédiaires d'une façon à la fois délibérée et systématique, ce qui n'a pas été le cas tant que la construction des maisons individuelles suivait un rythme lent. Or, il faut attendre la seconde moitié du xxe siècle pour que ce secteur connaisse une brusque expansion sous l'influence conjuguée de trois facteurs bien connus : la saturation des villes, d'où naît le désir d'établir sa résidence secondaire ou même principale dans des zones faiblement urbanisées ; la diffusion de l'automobile qui en principe facilite les déplacements imposés par ce mode de vie ; l'enrichissement, condition de l'accession à la propriété.
Aussi ne faut-il pas s'étonner que des professionnels aient cherché à rationaliser la construction individuelle en y introduisant des méthodes commerciales ou industrielles lato sensu. Toute la difficulté consistait à lancer le mouvement. Mais dès lors que la clientèle a accepté les premières maisons-types, le succès est allé grandissant car chaque réalisation contribuait à lancer la mode et à soutenir la publicité. Plutôt que de faire confiance à leur imagination, de nombreux accédants ont bientôt préféré commander un ouvrage dont ils avaient déjà vu l'équivalent en grandeur nature. En outre le procédé permettait de réduire non seulement la dépense de l'accédant, mais le temps que celui-ci consacre à surveiller la conformité de l'ouvrage puisque les entrepreneurs s'appuient sur une solide routine.
Les professionnels spécialisés ont d'abord été : a) des entrepreneurs, qui intervenaient surtout dans le cas où l'accédant disposait d'un terrain ; b) des agents immobiliers, qui par définition procurent les terrains et qui par extension procédaient à la réalisation des immeubles. Puis, dans les années 1960, sont apparus des promoteurs à part entière. Ces promoteurs, sauf en ce qui concerne les préfabriqués, intervenaient surtout comme prestataires de services et la plupart d'entre eux attendaient la commande de l'accédant pour construire. Aussi le problème de la commercialisation et des techniques juridiques appropriées à celle-ci ne s'est-il guère posé. D'une façon générale, la simplicité de l'opération évitait au promoteur d'avoir à chercher des formules originales, les contrats traditionnels de mandat ou de louage d'ouvrage faisant aussi bien l'affaire.
Toutefois une protection de l'accédant s'imposait d'autant plus qu'indépendamment des cas de malhonnêteté, bon nombre de professionnels, par manque d'organisation ou de capitaux, côtoyaient sans cesse la faillite. Les pouvoirs publics ont dû réagir en imaginant des techniques spécifiques. Ils l'ont fait à de nombreuses reprises, et en dernier par la loi du 19 décembre 1990 relative au contrat de construction d'une maison individuelle.
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Évolution législative ◊
1) Les débuts de la réglementation. La promotion des immeubles collectifs, qui répondait aux besoins les plus urgents, a précédé celle des maisons individuelles. Le même décalage se retrouve naturellement dans les interventions du législateur. Il est même aggravé par le fait que les scandales, beaucoup moins spectaculaires dans ce domaine, n'ont pas immédiatement alerté l'opinion. À vrai dire une amorce de réglementation existait dès 1954 puisque le décret précité du 10 novembre 1954, grâce à la généralité de ses termes, pouvait s'appliquer à la construction individuelle, mais ce texte n'apportait de toute façon qu'une protection notoirement insuffisante (v. ss 17).
La première réglementation spécifique allait résulter d'un décret du 8 octobre 1958 (abrogé en 1971) qui toutefois ne concernait que les « constructions légères préfabriquées à usage d'habitation ». Outre que la notion de construction légère faisait difficulté, le texte ne visait évidemment ni les modèles dits lourds qui ont proliféré par la suite, ni les maisons-types construites selon des procédés classiques. En fait, ce décret ne fut guère appliqué, ce qui paraît d'autant plus regrettable qu'il contenait des innovations intéressantes : obligation d'évaluer (quoiqu'à titre indicatif) les travaux d'équipement à la charge de l'accédant, obligation de conclure le contrat sous condition suspensive d'obtention du permis de construire, etc.
Vient ensuite un nouveau texte de portée générale : la loi du 3 janvier 1967 relative à la vente d'immeubles à construire. Bien que ses auteurs aient surtout songé aux immeubles collectifs, cette loi s'applique sans discussion possible à la vente des maisons individuelles et d'ailleurs le décret d'application du 22 novembre 1967 adapte le mécanisme de la garantie d'achèvement à ce cas particulier. L'accédant se trouve donc protégé chaque fois que son partenaire a la qualité de vendeur en état futur. Mais cela suppose que ce partenaire lui cède tout à la fois le terrain et la maison à construire. En revanche, lorsqu'un promoteur ou un entrepreneur-promoteur s'engage à édifier l'immeuble sur le terrain de l'accédant, le contrat, qui n'entraîne par lui-même aucun transfert de propriété, échappe aux dispositions de la loi du 3 janvier 1967. Or, tel était bien le cas le plus fréquent.
2) La loi du 16 juillet 1971. Au vide législatif antérieur, la loi du 16 juillet 1971 substituait le trop-plein puisqu'elle créait deux contrats risquant de faire double emploi. D'une part son article 33 (devenu CCH, art. L. 222-1) imposait — et continue à imposer — la conclusion d'un contrat de promotion immobilière à toute personne qui s'engage à faire édifier un immeuble à usage d'habitation (lequel peut être aussi bien une maison individuelle qu'un immeuble collectif) sur le terrain de l'accédant. D'autre part, l'article 45 de la loi (devenu CCH, art. L. 231-1) réglementait d'une manière impérative le contrat par lequel une personne se charge de construire une villa dont le plan a été proposé au propriétaire du terrain. Or, dans le cas où un promoteur réalisait des maisons-types sur le sol appartenant à l'accédant, nul ne savait si les parties avaient le choix entre les deux statuts ou si l'un doit évincer l'autre...
Le législateur définit le contrat de promotion comme un mandat, mais qui, à titre dérogatoire, comporte une obligation de résultat à la charge du promoteur mandataire. Ce dernier répond non seulement des désordres imputables aux entrepreneurs, mais des dépassements du prix plafond qui figure obligatoirement au contrat, une caution devant s'engager à verser les sommes excédentaires en cas d'insolvabilité du promoteur. D'une façon générale, les auteurs de la loi ont entendu protéger l'accédant de la même manière que s'il avait acheté en état futur. Cette confusion des genres ne va pas sans incohérence. En effet le promoteur, à la différence d'un vendeur en état futur ou d'un entrepreneur, se présente ici comme un prestataire de services. N'ayant pas le profit de la construction, il ne devrait pas en assumer les risques.
En revanche, le contrat de construction de maison individuelle est une variante de louage d'ouvrage. La réglementation édictée en 1971 reprenait en les étoffant certaines solutions du décret de 1958 : caducité du contrat en cas de refus du permis de construire ou des prêts spéciaux, évaluation obligatoire des travaux d'équipement incombant à l'accédant. Mais cette fois l'évaluation avait le caractère d'un engagement véritable puisque l'accédant pouvait obliger son partenaire à exécuter les travaux pour le prix prévu. En outre une caution devait garantir la livraison au prix convenu et, en cas de refus de l'autorisation de construire, le remboursement des acomptes versés.
En pratique il était fort difficile de déterminer le champ d'application respectif du contrat de promotion immobilière et du contrat de construction de maison individuelle. Cette difficulté a été très largement gommée par la loi du 19 décembre 1990.
3) La loi du 19 décembre 1990. Cette loi apporte des éléments de relative simplification, et d'autres de complication.
La simplification tient à une délimitation plus claire du champ d'application du contrat de construction de maison individuelle. Désormais ce contrat s'applique — et non celui de vente d'immeuble à construire — lorsque le constructeur « procure indirectement » le terrain. De même il semble qu'il s'applique dès l'instant que ses conditions sont remplies, même si celles du contrat de promotion immobilière le sont également ; ainsi, en cas de concurrence, il a priorité sur cet autre contrat.
La complication résulte de ce que la loi institue deux contrats suivant qu'il y a ou non « fourniture de plan ».
Le contrat avec fourniture de plan reprend le schéma général de la réglementation antérieure, mais en l'alourdissant afin d'accroître la protection de l'accédant : accroissement du nombre des mentions obligatoires, institution de clauses déclarées abusives, insertion de nombreuses conditions, et surtout obligation de fournir une garantie de livraison, c'est-à-dire de bonne « exécution des travaux prévus au contrat, à prix et délais convenus ». En outre ces règles, qui visent comme par le passé l'immeuble à usage d'habitation ou à usage professionnel et d'habitation, s'appliquent même si ledit immeuble comprend deux logements, et non plus un seul.
Le contrat sans fourniture de plan est une nouveauté : il s'appliquera à tout contrat de louage d'ouvrage « n'entrant pas dans le champ d'application (du contrat précédent) et ayant au moins pour objet l'exécution des travaux de gros œuvre, de mise hors d'eau et hors d'air » d'un immeuble défini comme précédemment, et destiné au même maître de l'ouvrage. Ce contrat, qui jusqu'ici relevait du droit commun du louage d'ouvrage, se trouve soumis à une réglementation du même type, bien que plus légère, que le contrat avec fourniture de plan : mentions obligatoires, prix forfaitaire et définitif, et surtout garantie de livraison identique à celle de l'autre contrat.
L'ensemble de cette réglementation, qui est expressément déclarée d'ordre public, est entré en vigueur le 1er décembre 1991. Elle a été complétée par deux décrets d'application du 27 novembre 1991 et par deux arrêtés des 27 et 28 novembre 1991.
Près de vingt ans après la promulgation de cette nouvelle réglementation, le bilan est pour le moins décevant : le contrat est trop contraignant, trop compliqué, mal conçu et la garantie de livraison a un coût littéralement prohibitif. On assiste du coup à une véritable explosion des opérations frauduleuses destinées à éluder le régime protecteur : pseudos contrats de « maîtrise d'œuvre », fausses « maîtrises d'ouvrage déléguées », faux louages d'ouvrage, etc.
§ 3. Présentation du droit de la promotion immobilière
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Définition du droit de la promotion immobilière ◊ L'apparition des promoteurs s'explique par deux facteurs : une forte demande d'accession à la propriété, ce qui suppose une société riche ; une grande complexité de l'opération, ce qui suppose une société diversifiée. Mais l'unique raison qui a déterminé la naissance d'un droit spécifique de la promotion immobilière tient à ce que les modalités de l'accession sont définitivement fixées avant l'achèvement de la construction et sont en outre le plus souvent accompagnées de règles protectrices d'ordre public en faveur de l'accédant. On peut en conséquence définir le droit de la promotion immobilière comme l'ensemble des règles juridiques qui régissent l'accession à la propriété des immeubles à réaliser par les promoteurs.
Toutefois ce droit tend à s'annexer les règles applicables à la construction de l'ouvrage par les différents professionnels du bâtiment, — phénomène normal puisque le promoteur joue le rôle d'intermédiaire entre l'homme de l'art et l'accédant. On admettra donc que le droit de la promotion immobilière est le droit qui régit l'ensemble des rapports juridiques noués par le promoteur en vue de faire édifier l'immeuble par les hommes de l'art et de faire accéder le client à la propriété de cet immeuble.
Cette définition laisse de côté l'étude des rapports que le promoteur ou l'accédant entretiennent avec la collectivité locale concernée ou l'administration de l'Équipement (droit de l'urbanisme), avec le Trésor (fiscalité immobilière) ou avec les organismes de crédit (prêts à la construction). Le présent ouvrage ne traitera donc pas de ces questions, sauf à y faire de nécessaires et fréquentes allusions.
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Caractères généraux du droit de la promotion immobilière ◊ En tant qu'hommes d'affaires, les promoteurs auraient jugé plus conforme à leurs intérêts spéculatifs que le droit de la promotion immobilière fût intégré au droit commercial. Mais la protection de l'accédant, qui encore une fois inspire en majeure partie ce droit , s'accommode mieux de la rigidité du droit civil. Au surplus la tradition, malgré la retouche subie en 1967 par l'ancien article 632 du Code de commerce (art. L. 110-1 du nouveau Code), veut que l'immeuble échappe au droit commercial. Ainsi le droit de la promotion immobilière est fondamentalement une branche du droit civil, qui toutefois pousse quelques rameaux dans le domaine du droit commercial puisqu'on doit tenir compte de l'existence des sociétés coopératives et aussi de ce que les sociétés d'attribution peuvent être constituées sous forme de société anonyme.
Le fondement protecteur du droit de la promotion immobilière lui confère un caractère impératif (en tout cas dans le secteur du logement) et un aspect fortement notarial. Il est fréquent que, pour protéger l'accédant, le législateur impose la forme authentique ou à tout le moins qu'il en fasse le prix d'une faveur fiscale. Dans ce cas, les obligations de renseignement prescrites par la loi (au nombre desquelles la communication, préalable à tout engagement de l'accédant, du règlement de la future copropriété) s'exécutent sous la responsabilité du notaire. Si l'on ajoute à cet impératif de protection les raisons traditionnelles qui justifient l'intervention d'un notaire en matière immobilière (nécessité d'établir les origines de propriété, de procéder aux formalités de publicité foncière, etc.), on comprend pourquoi dans la plupart des cas les contrats conclus avec l'accédant ainsi que les statuts des sociétés immobilières sont rédigés sous forme notariée. En fait le notaire apparaît comme le conseiller attitré tout à la fois de l'accédant et du promoteur. Tel est du moins le cas lorsque l'opération de promotion immobilière se réalise sous la forme de vente d'immeuble à construire ; en revanche le contrat de construction de maison individuelle comme le contrat de promotion immobilière restent des actes sous seing privé qui échappent à l'intervention du notaire, ce qui nuit d'ailleurs à la protection de l'accédant.
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Sources du droit de la promotion immobilière ◊ En la forme, le droit de la promotion immobilière est celui qui résulte de la loi no 67-3 du 3 janvier 1967 (mod. L. no 67-547 du 7 juill. 1967) et de la loi no 71-579 du 16 juillet 1971 (mod. L. no 72-649 du 11 juill. 1972) ainsi que de leurs textes d'application : décret no 67-1166 du 22 décembre 1967 (mod. D. no 72-489 du 13 juin 1972) et décrets nos 72-1235 à 1239 du 29 décembre 1972. À ce corpus sont venues s'ajouter la loi no 84-595 du 12 juillet 1984 relative à la location-accession, la loi no 86-18 du 6 janvier 1986 relative aux sociétés d'attribution d'immeubles en jouissance à temps partagé, la loi no 90-1129 du 19 décembre 1990 relative au contrat de construction d'une maison individuelle et ses décrets d'application, la loi no 98-566 du 8 juillet 1998 régissant les contrats portant sur l'acquisition d'un droit d'utilisation à temps partiel de biens immobiliers » et enfin la loi « ENL » no 2006-872 du 13 juillet 2006 qui a créé le contrat de vente d'immeuble à rénover, étroitement inspiré de la vente d'immeuble à construire. La plupart de ces textes figurent au Code de la construction et de l'habitation, les uns à la partie législative (et désormais précédés de l'initiale L), les autres à la partie réglementaire (et précédés de l'initiale R). La correspondance entre les matières et les numéros d'articles s'établit de la manière suivante :
– Société de vente : L. ou R. 211-1 s.
– Société d'attribution : 212-1 s.
– Coopérative : 213-1 s.
– Contrat de promotion immobilière : 221-1 s., 222-1 s.
– Contrat de construction de maison individuelle : 231-1 s.
– Dispositions diverses de la loi du 16 juillet 1971 : 241-1 s.
– Vente d'immeuble à construire : 261-1 s.
– Vente d'immeuble à rénover : 262-1 s. et 111-6-2-1.
Les lois du 12 juillet 1984 et du 6 janvier 1986 n'ont pas été introduites dans le Code de la construction et de l'habitation et celle du 8 juillet 1998 a été insérée dans le Code de la consommation aux articles L. 121-60 s.
À ces sources, il convient d'incorporer, dans la mesure où les textes précités y renvoient largement, les dispositions relatives à la responsabilité et à l'assurance en matière de construction , — et cela bien que ces dispositions s'appliquent aussi en dehors du domaine de la promotion immobilière. Enfin les règles de base trouvent leur complément dans divers textes comme la loi dite Scrivener du 13 juillet 1979 (art. L. et R. 312-1 s., C. consom.) qui, tout en ne régissant pas spécifiquement la promotion immobilière, revêt en la matière une grande importance.
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Plan de l'ouvrage ◊ Le promoteur est la personne qui réalise un immeuble en vue de l'accession. La première partie de l'ouvrage sera consacrée à la réalisation de l'immeuble. La seconde partie traitera de l'accession à la propriété de l'immeuble.
À vrai dire, c'est par facilité de langage qu'on parle ici de propriété. Ce terme doit être compris dans un sens large, comme recouvrant toutes les hypothèses où l'accédant bénéficie d'un droit réel sur l'immeuble : nue-propriété, usufruit, droit issu du bail à construction ou de l'emphytéose . De même il faudrait tenir compte du cas extrêmement particulier des résidences à temps partagé où l'accédant n'acquiert qu'un droit de jouissance qui n'a même pas les caractères d'un droit réel (v. ss 19, en note, et 21). Mais ces nuances ne pouvaient apparaître dans l'intitulé d'un plan sans en alourdir et peut-être même en obscurcir la formulation.