Finances publiques

MÉMENTOS DALLOZ

série droit public

Jacques Buisson

sous la direction de Yves Jégouzo
Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Plan détaillé
Introduction
Présentation générale des Finances publiques
Cette introduction a pour objet principal de présenter l’objet et le contenu des Finances publiques. À l’effet d’y parvenir, il s’agit d’abord de définir les Finances publiques, ensuite de montrer l’évolution historique qu’elles ont connue, puis d’établir les sources de cette discipline, enfin de présenter le plan poursuivi par cet ouvrage.
§ 1 – 
Définition
Jean Bodin écrivait en 1576 dans La République : « Les finances publiques sont le nerf de l’État ». Ce disant, selon MM. Gaudemet et Molinier (Finances publiques, Monchrestien, p. 11 s.), Bodin souhaitait montrer que les finances publiques étaient à la fois le miroir de l’État et le moteur de l’État : miroir, dans la mesure où un État peut apparaître comme libéral ou interventionniste en fonction des prélèvements qu’il opère sur les personnes, des actions qu’il conduit et des dépenses qu’il effectue ; moteur, dans la mesure où les finances publiques permettent à l’État d’agir sur l’économie, ou à tout le moins d’en régulariser le cours, mais également d’agir sur la vie politique (pour assurer la paix civile, pour éviter des mouvements populaires liés à la précarité ou à la pauvreté, l’État procède à des redistributions sous forme d’impôts négatifs, tels que la prime pour l’emploi ou PPE, le revenu de solidarité active ou RSA).
Cette première approche peut donner à penser que les finances publiques sont étroitement liées au seul État, à l’exclusion de toute autre organisation ou collectivité. Et il est vrai que l’histoire montre que la matière financière s’est d’abord développée en étroite relation avec l’État. En effet, les démocraties modernes sont toutes nées du principe de consentement à l’impôt, issu de la Magna Carta de 1215 en Angleterre, et consacré sous la Révolution française par la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen (art. 13 et 14), principe qui a conduit à l’apparition du régime parlementaire.
En bref, les finances publiques ont été à la fois cause et conséquence de l’État. Cause, en tant qu’elles ont conduit à la création de l’État, conséquence de l’État, en tant qu’elles ont permis la construction d’un droit, le droit financier qui se décline lui-même en plusieurs composantes (droit budgétaire, droit de la comptabilité publique).
Mais avec l’évolution du temps, notamment au XXe siècle (2 guerres mondiales, crise économique de 1929, suivie ultérieurement de crises multiformes, développement et prise en compte des besoins sociaux), les finances publiques ont vu leur domaine s’accroître considérablement : l’acteur principal des finances publiques n’est plus le seul État, car autour de lui est apparu un nombre considérable d’autres acteurs, plus ou moins indépendants, mais toujours dans sa mouvance, qui se sont profondément inspirés des méthodes et des règles initiées au niveau de l’État (collectivités territoriales, Sécurité sociale, Union européenne...).
Actuellement, le domaine des finances publiques se caractérise par l’existence d’une part de prélèvements obligatoires – qui peuvent prendre la forme de l’impôt, mais aussi toute autre forme –, d’autre part par des dépenses dont l’objet peut être des plus varié, tout en étant dominé par l’intérêt général.
Il est alors possible de définir les finances publiques à partir des normes européennes de la Comptabilité nationale (SEC 2010) comme étant les finances des administrations publiques, qui sont constituées par :
– l’État et les établissements publics administratifs nationaux ;
– les collectivités territoriales et les établissements publics administratifs locaux ;
– la nébuleuse que constitue la Sécurité sociale.
Il convient également de prendre en compte les finances de l’Union européenne, dans la mesure où l’Union dispose de ressources propres (qui lui appartiennent en propre), qui ne sont pas de simples contributions d’État, et qui ont un impact réel sur les finances de l’État.
Il s’agira ici d’étudier les ressources et les dépenses de ces administrations publiques, principalement sous l’angle des règles de droit auxquelles elles sont soumises, mais aussi sous l’angle économique.
§ 2 – 
Historique
Le droit des finances publiques est le fruit d’une longue évolution. Pour s’en tenir à la période contemporaine, il prend consistance avec les États généraux réunis en mai 1789, il se développe en même temps que le régime parlementaire sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, il prend toute son ampleur sous la IIIe République qui révèle la puissance du Parlement. La IVe République tend à préserver l’héritage de la République précédente, mais laisse apparaître les mutations ultérieures (décret du 19 juin 1956). Enfin, la Ve République consacre la primauté de l’Exécutif et remanie en conséquence le droit budgétaire ; c’est le fait tout d’abord de l’ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances (en vigueur jusqu’en 2005), puis, à la suite de tentatives de réformes ayant échoué (budget fonctionnel, RCB), de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001, dite LOLF (en vigueur depuis le 1er janv. 2006).
L’État présentait de manière classique ses finances sous la forme de moyens mis à la disposition de ses divers ministères, sans pour autant faire apparaître les finalités de son action. L’idée de prendre en compte les buts que l’État poursuit est née en 1973, à l’instar du modèle des États-Unis, et s’est concrétisée par la création du budget fonctionnel ; le budget fonctionnel présentait les dépenses publiques non plus par crédits affectés aux ministères, mais par grandes fonctions exercées par l’État : éducation et culture, santé, agriculture, logement, extérieur, défense... Ce budget fonctionnel, séduisant par sa présentation, mais se révélant peu utile et peu efficace (il s’agissait d’un simple document d’information, remis aux parlementaires) fut supprimé en 1989.
La technique de la RCB est là encore inspirée de la technique américaine du PPBS (Planning, Programming, Budgeting System), mise en œuvre à partir de 1961 par le Secrétaire d’État à la Défense, M. Mac Namara, ancien PDG de Ford Motor Company, en vue de gagner la Guerre du Vietnam et appliquant à la gestion publique les méthodes de management en vigueur dans le secteur privé. La RCB entendait étudier les choix budgétaires de manière rationnelle et scientifique en utilisant une méthode se déroulant en trois étapes : 1) dans une première étape, il s’agissait de définir les objectifs poursuivis par une action publique ; par exemple, la Direction des routes du ministère de l’Équipement avait le choix entre deux objectifs différents : opter pour la fluidité du trafic routier (donc favoriser la vitesse maximale des véhicules) ou opter pour la sécurité optimale (donc réduire les accidents de la route) ; 2) dans la deuxième étape, une fois l’objectif fixé, il convenait de recenser les coûts et les avantages respectifs des moyens utilisés pour réaliser cet objectif ; dans l’exemple retenu (diminution des accidents), les moyens envisagés sont variés (multiplication des autoroutes, aménagement des carrefours dangereux...) et pas nécessairement budgétaires (limitation de vitesse) ; en principe, ce sont les moyens les plus rentables et les moins onéreux qui sont pris en compte ; 3) lors de la troisième étape, on mesure les résultats obtenus au moyen d’indicateurs systématiques (tels que le nombre et la gravité des accidents de la route) ; ces indicateurs permettent de corriger les moyens retenus dans la deuxième étape.
Première partie
Les finances de l’État
Les finances de l’État sont étudiées par référence à la notion de budget, entendu dans un sens large comme étant à la fois l’acte juridique et le document qui retrace les recettes et les dépenses de l’État. Eu égard à leur volume, ces dépenses et ces recettes ne sont pas neutres sur le plan économique.
Pour appréhender ce « budget » (qui pour l’État s’appelle loi de finances, LF), plusieurs questions se posent :
1. Les documents budgétaires sont-ils sommaires ou très détaillés ? Ces documents sont-ils soumis à des règles de présentation de nature à en rendre la lecture aisée ?
2. Qui prépare les documents budgétaires ? Est-ce le Gouvernement ou le Parlement ? Comment ces documents sont-ils préparés ?
3. Une fois le budget adopté, quelles sont les règles qui s’appliquent pour son exécution ? S’agit-il notamment d’un fonctionnaire ordinaire ou au contraire d’un fonctionnaire spécialement habilité à cet effet ?
4. Le budget n’étant qu’un acte d’autorisation, il convient d’en contrôler l’exécution ; par conséquent, à quels types de contrôle est soumise l’exécution du budget ? S’agit-il de contrôles effectués en cours d’exécution ou de contrôles n’intervenant qu’après exécution ?
C’est précisément la réponse à ces questions qui va déterminer le plan de cette première partie, organisée en 4 titres : Les règles de présentation budgétaire ; L’élaboration et le vote de la loi de finances ; L’exécution des lois de finances ; Le contrôle de l’exécution des lois de finances.
Titre 1 - Les règles de présentation budgétaire
Chapitre 1 - La distinction budget-loi de finances
Chapitre 2 - Les principes budgétaires
Chapitre 3 - La structure générale des lois de finances
Titre 2 - L’élaboration et le vote de la loi de finances
Chapitre 1 - L’élaboration du projet de loi de finances
Chapitre 2 - Le vote de la loi de finances
Titre 3 - L’exécution des lois de finances
Chapitre 1 - Le pouvoir réglementaire en matière budgétaire
Chapitre 2 - L’exécution comptable de la loi de finances
Chapitre 3 - L’exécution financière de la loi de finances
Titre 4 - Le contrôle de l’exécution des lois de finances
Chapitre 1 - Les contrôles administratifs
Chapitre 2 - Les contrôles juridictionnels
Chapitre 3 - Le contrôle du Parlement
Titre 1
Les règles de présentation budgétaire
Le document budgétaire étant le document fondamental qui traduit la politique économique de l’État, sa présentation est soumise à des règles qui ont pour objet d’en assurer à la fois la lisibilité et l’exhaustivité. Ces règles conduisent à opérer une distinction entre budget et loi de finances (chap. 1), puis à préciser les principes budgétaires qui régissent le droit financier (chap. 2), enfin à présenter la structure générale de la loi de finances (chap. 3).
Chapitre 1
La distinction budget-loi de finances
L’essentiel
Cette distinction est apparue progressivement avant d’avoir été consacrée par la Constitution de 1958 et les lois organiques subséquentes. Cependant dans le langage courant, les deux notions sont largement confondues.
Historique
Contenu
Selon la loi organique du 1er août 2001 (art. 1er), « les lois de finances déterminent, pour un exercice, la nature, le montant et l’affectation des ressources et des charges de l’État, ainsi que l’équilibre budgétaire et financier qui en résulte ». La formulation est quasiment la même que celle figurant dans l’ordonnance du 2 janvier 1959, à la notable exception près que désormais les lois de finances ne fixent plus elles-mêmes un équilibre économique et financier, puisqu’elles se bornent à fixer un équilibre budgétaire et financier.
Cependant, l’article 1er poursuit : « Les lois de finances tiennent compte d’un équilibre économique défini, ainsi que des objectifs et des résultats des programmes qu’elles déterminent ».
Plusieurs éléments ressortent de cette définition :
– la loi de finances fixe l’équilibre budgétaire et financier, c’est-à-dire la politique budgétaire ; mais pour ce faire, la loi de finances tient compte d’un équilibre économique qu’elle ne définit pas elle-même, qui est distinct de la politique budgétaire, et qui ressort des agrégats économiques tirés de la Comptabilité nationale tels le taux de croissance économique, le poids des prélèvements obligatoires... La loi de finances a donc pour objet d’établir non plus la politique économique de l’État, mais seulement sa politique budgétaire et financière, sans pour autant faire abstraction de l’environnement économique dans laquelle elle se situe ;
– la loi de finances tient également compte des programmes qu’elle fixe, tant dans leurs objectifs que dans leurs résultats. Cette formulation, qui vise la cohérence et les finalités de l’action de l’administration, tend à la recherche de la performance dans les services publics.
Le budget est défini à l’article 6 de la LOLF : « Les ressources et les charges budgétaires de l’État sont retracées dans le budget, sous forme de recettes et de dépenses.
Le budget décrit, pour une année, l’ensemble des recettes et des dépenses budgétaires de l’État. »
Il ressort de cette définition que le budget constitue la partie comptable (ou chiffrée) de la loi de finances. Le budget se borne en effet à décrire les recettes et les dépenses, alors que la loi de finances fixe et décrit la politique budgétaire du Gouvernement et ses moyens d’action.
En conséquence, la loi de finances inclut le budget, mais elle dépasse largement ce cadre comptable dans la mesure où elle détermine la politique budgétaire.
Aussi fondamentale que soit cette distinction, les deux notions sont souvent confondues dans la pratique. Le langage courant, mais aussi les textes utilisent les termes de budget (discussion budgétaire, budget de l’année n...) aux lieu et place de loi de finances.
Les diverses sortes de lois de finances
Il existe quatre catégories de lois de finances :
– la loi de finances initiale (LFI) ou loi de finances de l’année, qui prévoit et autorise pour l’année à venir, les recettes et les dépenses de l’État ; c’est actuellement la loi de finances la plus importante (en raison du temps consacré à sa préparation et à son vote), mais eu égard à son caractère prévisionnel, elle comporte des aléas qui doivent être corrigés en cours d’exécution ;
– la loi de finances rectificative (LFR), encore appelée collectif budgétaire, intervient en cours d’année pour modifier (ou rectifier) les dispositions de la loi de finances de l’année (art. 35 LOLF), précisément pour tenir compte des aléas non prévus ou imprévisibles. On en dénombre généralement 1 ou 2 par an, mais ce chiffre est parfois dépassé à l’occasion de changements politiques (élections présidentielles de 1981 et 2012) ou de crises économiques (choc pétrolier de 1975, crise économique de 2008) où l’on en a compté jusqu’à quatre (en 2010 et 2011) ;
– la loi de règlement constate les résultats financiers de chaque année civile et approuve les différences entre les résultats et les prévisions de la loi de finances de l’année, complétée par les lois de finances rectificatives. Elle clôt l’exercice et intervient donc a posteriori. La fonction de cette loi de constat, jusqu’à présent peu prisée des parlementaires, devrait être renforcée par la LOLF ;
– les lois prévues par l’article 45 LOLF. Sont des lois de finances les lois adoptées selon des procédures d’urgence en cas de dépôt tardif du projet de loi de finances de l’année, ayant pour effet d’empêcher son adoption par le Parlement avant le début de l’exercice. Deux sortes de lois sont visées : les lois qui portent sur la première partie du projet de loi de finances, les lois qui autorisent la perception des impôts existants. Ces lois sont exceptionnelles.