Droit des libertés
fondamentales

7e édition

2016

Louis Favoreu †

Patrick Gaïa

Richard Ghevontian

Professeurs à l'Université d'Aix-Marseille

Ferdinand Mélin-Soucramanien

Professeur à l'Université de Bordeaux

Annabelle Pena

Professeur

Otto Pfersmann

Professeur à l'EHESS

Joseph Pini

Professeur

André Roux

Guy Scoffoni

Professeurs à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence

Jérôme Tremeau

Professeur à l'Université d'Aix-Marseille

Éditions Dalloz – 2015

Table des MatiÈres

 ABRÉVIATIONS
 AVANT-PROPOS à la première édition
 INTRODUCTION
 BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE
PREMIÈRE PARTIE Les droits et libertés fondamentaux
Titre 1 L'hÉritage des droits fondamentaux
Chapitre 1 L'ÉMERGENCE ET L'AFFIRMATION DES DROITS DE L'HOMME
Section 1. LES ORIGINES DES DROITS DE L'HOMME
§ 1. Les fondements de l'idée des droits de l'homme
A. L'Homme
B. La limitation du pouvoir civil
§ 2. L'histoire des droits de l'homme
A. Les origines
1. Des penseurs
2. De « grands moments » et de « grands textes »
B. Les évolutions
1. L'approfondissement
2. L'infléchissement
3. La diffusion
Section 2. LA QUESTION DE LA RELATIVITÉ DES DROITS DE L'HOMME
§ 1. L'hétérogénéité des droits de l'homme
§ 2. La contestation des droits de l'homme
A. La contestation contre-révolutionnaire
B. La contestation marxiste
C. La critique personnaliste
D. La contestation élitiste et autoritariste
§ 3. La portée des droits de l'homme
A. Les droits de l'homme sont-ils universels ?
B. Les droits de l'homme sont-ils adaptés ?
Chapitre 2 DES DROITS DE L'HOMME AUX DROITS FONDAMENTAUX
Section 1. LES LIBERTÉS PUBLIQUES
§ 1. Définition et statut juridique des libertés publiques
A. Les libertés publiques
B. Le régime des libertés publiques
§ 2. Réalité et limites des libertés publiques
A. La domination
B. Les limites
Section 2. LES DROITS FONDAMENTAUX
Titre 2 Esquisse d'une théorie des droits fondamentaux en tant qu'objets juridiques
INTRODUCTION FONCTION DE LA THÉORIE ET CONSTRUCTION DE L'OBJET
§ 1. Fonction des théories politiques
§ 2. Fonction de la théorie du droit
§ 3. Le choix de l'objet
§ 4. Définition stipulative des « droits fondamentaux »
Chapitre 1 LES DROITS FONDAMENTAUX COMME NORMES DE DEGRÉ SUPÉRIEUR
Section 1. LES DROITS FONDAMENTAUX AU SENS STRICT : DES PERMISSIONS D'AGIR DÉTERMINÉES
Section 2. LES DROITS FONDAMENTAUX DANS LA HIÉRARCHIE DES NORMES
§ 1. Constitutionnalité
§ 2. Conventionnalité
§ 3. Supériorité hiérarchique dans d'autres domaines
§ 4. Hiérarchie des normes et détermination des droits
Chapitre 2 LES DESTINATAIRES DES DROITS FONDAMENTAUX
Section 1. LES BÉNÉFICIAIRES
§ 1. L'exigence constitutive d'universalité primaire
§ 2. Les discriminations secondaires
Section 2. BÉNÉFICIAIRES ET TITULAIRES
Section 3. BÉNÉFICIAIRES ET OBLIGÉS
CONCLUSION DU Titre 2 LA CLASSIFICATION DES DROITS ET LA QUESTION DES DROITS « SOCIAUX » OU « DROITS-CRÉANCES »
DEUXIÈME PARTIE La protection constitutionnelle des droits et libertés fondamentaux
Titre 1 CaractÈres gÉNÉraux de la protection constitutionnelle
Chapitre 1 L'INSCRIPTION CONSTITUTIONNELLE DES DROITS ET LIBERTÉS FONDAMENTAUX
§ 1. Droit comparé
§ 2. Droit français
Chapitre 2 LES GARANTIES DES DROITS ET LIBERTÉS FONDAMENTAUX
Section 1. LES GARANTIES DE FOND
§ 1. L'effet immédiat des droits fondamentaux
A. Droit comparé
B. Droit français
§ 2. La réserve de loi en matière de droits fondamentaux
A. Droit comparé
B. Droit français
§ 3. Le respect du contenu essentiel des droits fondamentaux
§ 4. Le caractère exceptionnel et conditionnel des suspensions de garantie
A. Droit comparé
B. Droit français
§ 5. L'aménagement de la procédure de révision de la Constitution
Section 2. LES GARANTIES JURIDICTIONNELLES
§ 1. Garanties assurées par la justice constitutionnelle
A. Droit comparé
B. Droit français
1. Garanties générales
2. Création d'une garantie spécifique
§ 2. Garanties assurées par la justice ordinaire
A. Droit comparé
B. Droit français
Chapitre 3 L'EXERCICE DES DROITS ET LIBERTÉS FONDAMENTAUX
Section 1. LES TITULAIRES ET BÉNÉFICIAIRES DES DROITS ET LIBERTÉS FONDAMENTAUX
§ 1. Personnes physiques et personnes morales
§ 2. Nationaux et étrangers
Section 2. LES DÉBITEURS DES DROITS ET LIBERTÉS FONDAMENTAUX
§ 1. Les pouvoirs publics
§ 2. Les personnes privées
Section 3. LES LIMITES À L'EXERCICE DES DROITS ET LIBERTÉS FONDAMENTAUX
§ 1. Les types de limites
§ 2. L'autorité compétente pour fixer les limites
§ 3. Les « limites aux limites »
Titre 2 Les droits protégés
Chapitre 1 LES DROITS-LIBERTÉS
Section 1. LES DROITS DE LA PERSONNE HUMAINE
§ 1. La dignité de la personne humaine
§ 2. La liberté individuelle
A. La notion de liberté individuelle
B. Une liberté fondamentale opposable aux privations de liberté
C. Les garanties constitutionnelles opposables aux privations de liberté
§ 3. La liberté personnelle
§ 4. La liberté d'aller et venir
A. La définition de la liberté d'aller et venir
B. La protection de la liberté d'aller et venir
§ 5. La liberté du mariage
A. Le statut constitutionnel de la liberté du mariage
B. La définition de la liberté du mariage
C. La protection constitutionnelle de la liberté du mariage
§ 6. Le droit au respect de la vie privée
A. Le processus de constitutionnalisation du droit au respect de la vie privée
B. La notion du droit au respect de la vie privée
C. La protection du droit au respect de la vie privée
§ 7. La liberté d'association
A. Droit étranger
B. Droit français
§ 8. La liberté d'enseignement
A. Droit étranger
B. Droit français
§ 9. La liberté de conscience et d'opinion
A. Droit étranger
B. Droit français
§ 10. La liberté d'expression et de communication
A. Droit étranger
B. Droit français
§ 11. Le droit de propriété
A. Droit comparé
B. Droit français
§ 12. La liberté d'entreprendre
A. Droit comparé
B. Droit français
§ 13. Le droit d'asile
A. Droit comparé
B. Droit français
§ 14. Le droit à mener une vie familiale normale
A. Une consécration constitutionnelle tardive
B. Une application effective
Section 2. LES DROITS DU TRAVAILLEUR
§ 1. La liberté syndicale
A. Les fondements constitutionnels
1. Droit comparé
2. Droit français
B. Les applications
1. La liberté des syndicats
2. La liberté des salariés
§ 2. Le droit de grève
A. Droit comparé 
B. Droit français
§ 3. Le droit à la participation
A. Droit comparé
1. La valeur constitutionnelle du droit à la négociation collective
2. Les implications du droit à la négociation collective
B. Droit français
1. Le régime
2. L'application
Chapitre 2 LES « DROITS-PARTICIPATION »
Section 1. LES DROITS-PARTICIPATION EN DROIT COMPARÉ
Section 2. LES DROITS-PARTICIPATION EN DROIT FRANÇAIS
Chapitre 3 LES DROITS-CRÉANCES
Section 1. LES DROITS-CRÉANCES EN DROIT COMPARÉ
§ 1. L'affirmation constitutionnelle des droits-créances
A. L'absence de reconnaissance expresse
B. L'étendue des droits-créances reconnus
§ 2. La portée juridique des droits-créances
A. Le degré de protection
B. La force contraignante
Section 2. LES DROITS-CRÉANCES EN DROIT FRANÇAIS
§ 1. Les droits-créances reconnus
A. Les droits au repos et à la protection de la santé
1. Le fondement constitutionnel
2. La mise en œuvre des droits
B. Le droit à la protection sociale et à la sécurité matérielle
1. Le fondement constitutionnel
2. Les implications
C. Le droit à l'instruction et à la culture
1. L'égal accès au droit
2. Les obligations de l'État
D. Le droit à la solidarité nationale
1. L'affirmation constitutionnelle du droit à la solidarité
2. La mise en œuvre de la solidarité nationale
E. Le droit à l'emploi
1. La valeur constitutionnelle du droit à l'emploi
2. La portée du droit à l'emploi
§ 2. Un droit créance non reconnu par  la Constitution : le droit au logement
A. « La possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent », objectif de valeur constitutionnelle
B. La confrontation de cet objectif de valeur constitutionnelle avec le droit de propriété
Chapitre 4 LES DROITS-GARANTIES
Section 1. LES GARANTIES GÉNÉRALES
§ 1. Le droit au juge
A. Une large consécration du droit au juge en droit comparé
1. L'affirmation du droit au juge dans la jurisprudence constitutionnelle américaine
2. La consécration générale du droit au juge dans les systèmes constitutionnels européens
B. Une consécration constitutionnelle finalement acquise en droit français
§ 2. Les droits de la défense
A. La consécration des droits de la défense en droit comparé
1. L'expérience américaine
2. Les expériences européennes
B. La consécration du principe de respect des droits de la défense en droit français
1. La nature du principe
2. Le champ d'application du principe
3. Le contenu du principe
§ 3. Le droit à la sécurité juridique
A. Une consécration variable du droit à la sécurité juridique en droit comparé
1. La reconnaissance du droit à la sécurité juridique dans les systèmes constitutionnels européens
2. La reconnaissance d'un droit à la sécurité juridique dans le système constitutionnel américain
B. La reconnaissance éventuelle d'un droit à la sécurité juridique en France : un principe en devenir
1. L'absence de consécration expresse d'un droit fondamental à la sécurité juridique
2. La reconnaissance « graduelle » d'un droit à la sécurité juridique
Section 2. LES GARANTIES EN MATIÈRE RÉPRESSIVE
§ 1. Le droit fondamental de n'être poursuivi et puni qu'en vertu d'une loi : le principe de légalité des délits et des peines
§ 2. Le droit à l'application de la non-rétroactivité des lois pénales d'incrimination plus sévère
§ 3. Le droit à l'application rétroactive de la loi pénale plus douce
§ 4. Le droit à ne se voir appliquer que les peines « nécessaires »
§ 5. Le droit à la présomption d'innocence
Chapitre 5 LE DROIT À L'ÉGALITÉ
Section 1. LES SOURCES CONSTITUTIONNELLES DU PRINCIPE D'ÉGALITÉ
§ 1. L'égalité déterminée
§ 2. L'égalité indéterminée
Section 2. L'INTENSITÉ DU CONTRÔLE DU PRINCIPE D'ÉGALITÉ
§ 1. La typologie des discriminations
A. Les discriminations expressément interdites par la Constitution
B. Les discriminations ayant pour effet de remettre en cause l'exercice de droits fondamentaux
C. Les discriminations entre situations de droit ou de fait
§ 2. La consécration de deux degrés d'intensité du contrôle juridictionnel
Section 3. LA CONCEPTION FRANÇAISE DES « DISCRIMINATIONS POSITIVES »
§ 1. Définition des discriminations positives
§ 2. Mise en œuvre des discriminations positives
A. Droit comparé
1. L'expérience américaine
2. Les expériences européennes
B. Droit français
§ 3. Limites à la création des discriminations positives
TROISIÈME PARTIE La protection européenne des droits et libertés fondamentaux
Titre 1 La protection des droits et libertés dans le cadre de  la cONVENTION EDH
Chapitre 1 LES CARACTÈRES DU SYSTÈME CONVENTIONNEL DE PROTECTION
Section 1. LES PRINCIPES D'ORGANISATION DU DISPOSITIF CONVENTIONNEL
§ 1. Le principe d'effectivité
A. L'absence de condition de réciprocité
B. L'applicabilité directe de la Convention
C. La primauté de la Convention
D. La consécration du droit de recours individuel
§ 2. Le principe d'équilibre
A. La subsidiarité du mécanisme de protection
B. L'expression de réserves à la Convention
C. Les limitations de droits
D. La reconnaissance d'une marge d'appréciation des États
Section 2. LA PORTÉE DU DISPOSITIF CONVENTIONNEL
§ 1. L'interprétation constructive de la Convention
A. Une interprétation dynamique
B. Une interprétation uniforme
§ 2. L'étendue des droits garantis
A. Les différenciations des droits garantis
B. Le développement des droits garantis
Chapitre 2 LE MÉCANISME DE PROTECTION
Section 1. LA MISE EN PLACE DE L'ORGANE DE CONTRÔLE : LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME
§ 1. La composition de la Cour
A. La désignation des juges
B. Le statut des juges
§ 2. La structure de la Cour
A. L'organisation générale
B. Les diverses formations de la Cour
§ 3. Les compétences de la Cour
A. La compétence consultative de la Cour
B. La compétence contentieuse de la Cour
Section 2. LA MISE EN ŒUVRE DU DISPOSITIF DE CONTRÔLE
§ 1. Le déclenchement du contrôle
A. La saisine de la Cour
B. La recevabilité de la requête
C. La phase d'instruction et de recherche d'une conciliation
§ 2. La phase de jugement au fond
A. La procédure suivie devant la Cour
B. Le contenu des arrêts rendus
§ 3. L'exécution des arrêts de la Cour
A. L'étendue de l'obligation d'exécution des États
B. La surveillance de l'exécution par les États
Chapitre 3 LES DROITS PROTÉGÉS
Section 1. LES DROITS-LIBERTÉS
§ 1. Le droit à la vie et le respect de l'intégrité physique et personnelle
§ 2. La liberté d'aller et venir
§ 3. Le droit au respect de la vie privée et familiale
A. Le droit au respect de la vie privée
B. Le droit au respect de la vie familiale
§ 4. La liberté de pensée, de conscience et de religion
§ 5. La liberté d'expression
A. Composantes et contenu de la liberté d'expression
B. Encadrement et restrictions
§ 6. Le droit de propriété
§ 7. La liberté de réunion et d'association
Section 2. LES DROITS-PARTICIPATION : LE DROIT À DES ÉLECTIONS LIBRES
Section 3. LES DROITS-CRÉANCES : LE DROIT À L'INSTRUCTION
§ 1. L'affirmation du droit à l'instruction
§ 2. La portée du droit à l'instruction
Section 4. LES DROITS-GARANTIES
§ 1. Le droit à la sûreté
§ 2. Le principe de la légalité des délits et des peines et la non-rétroactivité de la loi pénale
§ 3. Le droit au recours
§ 4. Le droit au procès équitable
A. Champ d'application
B. Les garanties résultant de l'article 6 de la Convention EDH
1. Les garanties applicables à tous les justiciables
2. Les garanties applicables aux personnes poursuivies pénalement
Titre 2 La protection des droits et libertés dans l'union européenne
CHAPITRE PRÉLIMINAIRE LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE ET LES DROITS FONDAMENTAUX : DE L'INDIFFÉRENCE À l'appropriation
Chapitre 1 LES SOURCES DE PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUX
Section 1. LA TRILOGIE DES SOURCES : DROIT COMMUNAUTAIRE ÉCRIT, TRADITIONS CONSTITUTIONNELLES COMMUNES, INSTRUMENTS INTERNATIONAUX
§ 1. Le droit communautaire écrit
§ 2. Le recours aux « traditions constitutionnelles communes aux États membres »
§ 3. La référence aux instruments internationaux de protection
Section 2. L'UNIFICATION DES SOURCES DE PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUX AU SEIN DES PRINCIPES GÉNÉRAUX DU DROIT de l'union européenne
§ 1. Caractérisation du processus
§ 2. Portée du processus
Chapitre 2 LES DROITS ET LIBERTÉS PROTÉGÉS
Section 1. LE « DROIT À L'ÉGALITÉ »
Section 2. LES « DROITS-LIBERTÉS »
§ 1. La liberté de circulation
§ 2. La dignité de la personne humaine
§ 3. La protection de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance
§ 4. La liberté de pensée, de conscience et de religion
§ 5. La liberté d'expression et d'information
§ 6. La liberté d'entreprise et le droit de propriété
§ 7. La liberté d'association et la liberté syndicale
Section 3. LES « DROITS-GARANTIES »
§ 1. Les garanties générales
§ 2. Garanties applicables en matière répressive
Section 4. LES « DROITS-PARTICIPATION »
Section 5. LES « DROITS-CRÉANCES »
Section 6. LES PRINCIPES GÉNÉRAUX DU DROIT COMMUNAUTAIRE APPUYANT LA PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUX
Chapitre 3 LES GARANTIES JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUX
Section 1. LES RECOURS JURIDICTIONNELS
Section 2. Les recours directs
§ 1. Recours directs contre les institutions
§ 2. Le recours en manquement
Section 3. Les recours indirects
§ 1. L'exception d'illégalité
§ 2. La procédure de renvoi préjudiciel
 INDEX ALPHABÉTIQUE

AVANT-PROPOS à la première édition

L'ouvrage est le fruit d'un travail d'équipe, comme l'avait été le Précis de droit constitutionnel, dont on retrouve d'ailleurs ici la plupart des auteurs.

Il est le résultat tout d'abord des expériences pédagogiques de beaucoup d'entre nous qui enseignent ou ont enseigné le « droit des libertés fondamentales » à la Faculté de droit et à l'Institut d'études politiques d'Aix et à la Faculté de droit d'Avignon. En outre, le cours de droit constitutionnel de première année fait déjà place à une initiation aux droits fondamentaux conformément à ce qui est prévu dans le Précis de droit constitutionnel. De ces expériences pédagogiques est née l'idée d'un manuel car il n'était pas possible d'en recommander un aux étudiants dans la mesure où ceux existant – nombreux et de grande qualité – ne correspondaient pas à la conception des droits et libertés fondamentaux exposée ci-après.

La rédaction de l'ouvrage a été rendue possible par les travaux de recherche menés depuis une vingtaine d'années au sein du Groupe d'Études et de Recherches sur la Justice Constitutionnelle. Le point de départ a été le colloque international de février 1981 consacré au thème « Cours constitutionnelles et droits fondamentaux » 1 qui marque une prise de conscience du phénomène en droit constitutionnel comparé, mais aussi dans le cadre européen, puisque les positions et solutions de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de justice des Communautés européennes furent exposées lors de ce colloque. Depuis, des tables rondes internationales et des cours ont été organisés presque chaque année sur des thèmes de droits et libertés fondamentaux : droit de propriété (1985) ; interruption volontaire de grossesse (1986) ; principe d'égalité et droit de suffrage (1989) ; principe de non-rétroactivité des lois (1990) ; droits constitutionnels des étrangers (1994) ; statut constitutionnel des juges du siège et du parquet (1995) ; Constitution et médias (1995) ; école, religion et Constitution (1996) ; Constitution et élections (1996) ; discriminations positives (1997) ; droit constitutionnel comparé du travail (1997) ; droits et libertés des étrangers en situation irrégulière (1998) ; Constitution et bioéthique (1998) ; droit constitutionnel, droit communautaire et droit européen (1999) ; liberté constitutionnelle de religion (2000) ; Constitution et sécurité juridique (2000) ; Constitution et secret de la vie privée (2000).

Les comptes rendus de ces tables rondes et cours ont été publiés dans l'Annuaire international de justice constitutionnelle, et sont venus s'ajouter aux chroniques de jurisprudence constitutionnelle régulièrement publiées dans le même Annuaire. En outre, de nombreuses thèses ont été soutenues sur des thèmes de droits fondamentaux, notamment : le principe d'égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel (1996) ; la liberté individuelle et la liberté d'aller et venir dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel (1998) ; le statut constitutionnel des étrangers (1999) ; le droit constitutionnel du commencement de la vie (2000) ; le droit constitutionnel de la sanction pénale (2000) ; la liberté constitutionnelle de religion (2000) ; les droits constitutionnels des travailleurs (2001). D'autres sont en cours, parmi lesquelles on peut citer : l'intimité et la Constitution (étude comparative des cas français et espagnol) ; l'orientation sexuelle et les droits fondamentaux ; les droits-créances et la Constitution ; les effets horizontaux des droits fondamentaux ; femmes et Constitution.

Enfin, la Revue française de droit constitutionnel fait une large place aux droits fondamentaux dans ses articles et ses chroniques régulières.

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Ce long travail de réflexion et d'approfondissement a conduit à faire une présentation des droits fondamentaux qui respecte les préceptes du droit comparé et corresponde aux principes originels de la théorie des droits fondamentaux (qui est d'origine étrangère) tout en tenant compte de la spécificité de la situation française et notamment de son héritage historique.

Comme dans le précédent Précis, il y a eu partage du travail à partir d'un plan adopté en commun. Joseph Pini a rédigé le titre relatif à « l'héritage des droits fondamentaux » et Otto Pfersmann, dans un second titre, a tracé « l'esquisse d'une théorie des droits fondamentaux », titres qui constituent les deux piliers essentiels de la partie générale. Patrick Gaïa a pris en charge « la protection des droits fondamentaux dans le cadre de l'Union européenne » (titre 2 de la troisième partie). Guy Scoffoni est l'auteur des chapitres 1 et 2 du titre 2 de la troisième partie, consacrés à la protection des droits fondamentaux dans le cadre de la Convention européenne, ainsi que de la mise au point de la première section du chapitre « Les droits-garanties ». À Ferdinand Mélin-Soucramanien sont imputables le chapitre traitant de « l'exercice des droits fondamentaux » ainsi que le chapitre intitulé « le droit à l'égalité » (deuxième partie). Richard Ghevontian et André Roux ont rédigé le long chapitre relatif aux « droits protégés dans le cadre de la Convention européenne des droits de l'homme » (troisième partie). André Roux a traité plus particulièrement du droit au respect de la vie privée et familiale, de la liberté d'expression, du droit de propriété, et du procès équitable, et Richard Ghevontian les autres droits. Richard Ghevontian a, en outre, mis au point certains paragraphes consacrés aux droits-participation et aux droits-libertés en droit constitutionnel : libertés d'association, d'expression, de conscience et d'opinion, et André Roux ce qui a trait aux droits du travailleur ainsi qu'aux droits-créances. À Jérôme Trémeau est revenu de traiter les « garanties de fond » des droits fondamentaux ainsi que plusieurs des droits-libertés : droit de propriété, liberté d'enseignement, liberté d'entreprendre. Le reste m'a incombé ainsi que la coordination d'ensemble avec le concours d'André Roux. Les auteurs remercient le professeur Annabelle Pena du précieux concours qu'elle leur a apporté s'agissant de la liberté individuelle.

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L'équipe de rédaction ainsi présentée a conscience que ce travail appelle de nombreux perfectionnements et adjonctions mais espère qu'une nouvelle édition lui permettra d'améliorer l'ouvrage et de tenir compte des observations et critiques qui enrichiront la réflexion aujourd'hui soumise aux lecteurs.

Elle n'oublie pas cependant qu'elle a d'abord rédigé ce « Précis » pour répondre aux besoins des étudiants de licence mais aussi, éventuellement, de troisième cycle, ainsi qu'à ceux qui préparent l'examen d'entrée aux centres de préparation à la profession d'avocat.

Louis Favoreu

Aix, 3 octobre 2000

INTRODUCTION

Ce précis s'intitule « Droit des libertés fondamentales » non seulement parce que telle est désormais l'appellation du cours de licence auparavant dénommé « Libertés publiques », mais aussi parce que le contenu de la discipline a changé et que dès lors la modification, à laquelle nous ne sommes pas étranger, n'est pas fortuite.

Le cours de « Libertés publiques » a été créé par la réforme des études de droit de 1954 mais, même si les premiers « polycopiés » sont publiés assez vite, celui qui fut l'initiateur principal de cet enseignement – le professeur Jean Rivero – ne fait paraître la première édition de son célèbre manuel de « Libertés publiques » qu'en 1973, au moment même d'ailleurs où la notion de droits fondamentaux commence à émerger en France.

L'enseignement des « libertés publiques » se développe dans un contexte particulier, essentiellement baigné des principes et des concepts de droit administratif, ce qui explique d'ailleurs que la plupart des auteurs de manuels soient des administrativistes. Les « libertés publiques » se situent dans un système légicentriste à un niveau législatif et apparaissent essentiellement comme des concessions ou des limites arrachées à l'administration par leur principal défenseur, le Conseil d'État (alors que le rôle du juge judiciaire est marginalisé, même lorsque la Constitution (article 66) lui confie expressément la sauvegarde de la liberté individuelle). D'où l'importance donnée aux questions de régime préventif ou répressif, d'exécution forcée, de voie de fait, de déclaration ou d'autorisation préalable, toutes questions qui n'existent qu'en fonction du pouvoir exécutif et de la nécessité de limiter ses prérogatives, sans exagérer cependant. Ce qui est significatif de ce point de vue c'est que, même pour les libertés touchant au droit pénal et à la procédure pénale, on se préoccupe exclusivement des agissements de la police 2 en matière de vérification ou de contrôle d'identité, de garde à vue, de détention arbitraire ; mais on ne s'intéresse pas aux questions fondamentales de présomption d'innocence, de droits de la défense, de droit au juge, d'impartialité et d'indépendance des magistrats qui ne concernent pas le comportement de l'administration et que le juge judiciaire lui-même – notamment la Cour de cassation – ne prend pas en charge. Ce qui conduit les auteurs de cours et de manuels à n'inclure, à l'origine, dans la liste des libertés publiques, qu'un certain nombre de libertés : par exemple Jean Rivero ne retient que la sûreté, les libertés corporelle et de déplacement, la liberté d'opinion, la liberté religieuse, les libertés de la presse et de la radio-télévision, la liberté d'enseignement, les libertés de réunions, de rassemblement et d'association. D'autres libertés sont laissées de côté parce qu'elles relèvent d'autres branches du droit : la liberté syndicale et le droit de grève du droit du travail, la liberté individuelle de la procédure pénale, le droit de propriété du droit civil ; « mieux vaut les passer sous silence que d'en donner une vue incomplète et déformée ». Et, à notre sens, Jean Rivero a raison car ce qui est souvent présenté aujourd'hui, ce sont des exposés successifs de matières différentes. Le véritable domaine des libertés publiques au sens originel, tel qu'il est défini par l'énumération donnée plus haut, c'est bien le droit administratif tel que le juge administratif le développe pour limiter les abus de l'administration.

Les libertés et droits fondamentaux – que, par convention, nous dénommerons soit « libertés fondamentales » soit « droits et libertés fondamentaux », soit le plus fréquemment « droits fondamentaux » – se situent dans une toute autre perspective, même si, comme il est montré ci-après dans la première partie, il y a un « héritage commun ». Tout n'est plus défini à partir de l'administration et de ses excès. Les droits fondamentaux, comme il est exposé dans le titre 2 de la première partie, ont un autre point de départ : les droits fondamentaux sont reconnus aux personnes physiques et morales par des textes et normes supralégislatifs comme des « permissions » opposables aux prérogatives des trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) et même à celles des institutions supranationales. Et selon ce que décide la Constitution ou les textes supranationaux, les droits fondamentaux peuvent couvrir un champ beaucoup plus vaste que celui des libertés publiques.

Alors peut-on mélanger les deux au nom d'un syncrétisme de bon aloi ? Ce n'est pas évident du tout car non seulement les perspectives de départ sont très différentes ainsi que les niveaux normatifs – infralégislatif ou législatif pour les libertés publiques, supralégislatif pour les libertés fondamentales – mais en outre, leur mode opératoire est distinct : les libertés publiques opèrent comme des limitations des prérogatives du pouvoir exécutif et notamment de la police en provoquant une définition concrète du régime de certaines activités ; tandis que les droits fondamentaux, sont, en quelque sorte, des créateurs de « réflexe » ou des « germes » ou encore des « sources de rayonnement » destinés à faire évoluer les concepts de base des diverses matières concernées. En outre, les droits fondamentaux ne peuvent être placés au sommet d'édifices ou d'empilements de couches successives que sont devenues aujourd'hui les libertés publiques, ne serait-ce que parce que les fondements de l'édifice ne sont pas ceux des droits fondamentaux, lesquels obéissent à la logique d'un système différent.

Dès lors on comprendra mieux que le pavillon « droits fondamentaux », recouvre aujourd'hui des marchandises très diverses. Ainsi tel ouvrage intitulé « Droits et libertés fondamentaux » contient en réalité pour l'essentiel les exposés successifs de matières concernées ou susceptibles d'être concernées par les droits fondamentaux, exposés qui ont été confiés – à juste titre si l'on a en mémoire les remarques de Jean Rivero – à des spécialistes de chacune de ces matières : droit civil, droit du travail, droit pénal, droit commercial, etc.

Les droits fondamentaux constituent un ensemble ou un système indépendant des matières concernées : ainsi n'est-il pas besoin de connaître les diverses disciplines énumérées ci-dessus pour recevoir l'enseignement de libertés fondamentales. Les droits fondamentaux ne sont pas un point d'aboutissement et ne se trouvent pas au carrefour de ces disciplines : les droits fondamentaux sont situés en amont, et non pas en aval, en ce sens que toute discipline devrait, au moment d'être enseignée, être déjà « ensemencée » par les droits fondamentaux. ce qui conduit à estimer que, comme aux États-Unis ou en Allemagne, l'enseignement des droits fondamentaux devrait se situer au niveau des premières années. On pourrait très bien concevoir la création d'un cours annuel de deuxième année consacré à l'ensemble des droits fondamentaux, constitutionnels et européens. Ainsi en est-il dans les facultés de droit allemandes, à ceci près cependant que le cours annuel est exclusivement consacré aux droits fondamentaux constitutionnels. Ceci montre qu'il n'est pas question, comme le craignent certains, que le cours de droit constitutionnel soit progressivement « envahi » par les droits fondamentaux et ne devienne ainsi un cours à l'américaine. En fait, si un tel aménagement des enseignements était adopté, les droits constitutionnels institutionnel et normatif pourraient faire l'objet d'un cours en première année et le droit constitutionnel des libertés en deuxième année.

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Plusieurs options ont été prises lors de la conception de l'ouvrage, outre l'option fondamentale qui vient d'être exposée.

Tout d'abord, l'unité des droits fondamentaux est consacrée dans la première partie au travers du rappel de l'héritage et de l'esquisse d'une théorie générale visant à clarifier le concept et à distinguer les différentes catégories qu'il regroupe. Toutefois, leur protection est examinée de manière distincte parce qu'en premier lieu, il est beaucoup plus clair et pédagogique d'examiner séparément les systèmes constitutionnel et européen ; en deuxième lieu, cette méthode a le mérite de faire apparaître le caractère peu logique du doublement, et parfois, du triplement des catalogues et des protections juridictionnelles, alors surtout qu'est en cours d'élaboration une Charte des droits fondamentaux de l'Europe des quinze ; enfin, est mis en lumière également le fait que la protection européenne ne doit pas nécessairement, et en toute hypothèse, s'imposer, car la qualité des protections constitutionnelles justifie – ou devrait justifier – l'affirmation du caractère subsidiaire de la protection européenne.

Certes, en droit français, la protection constitutionnelle n'est pas aussi complète qu'elle ne l'est par exemple, en République fédérale d'Allemagne. Mais si, et c'est encore une des options prises, nous avons voulu nous en tenir aux libertés fondamentales que le Conseil constitutionnel a réellement consacrées, il a été systématiquement fait référence au droit comparé, afin de montrer que les jurisprudences constitutionnelles étrangères offrent des ressources considérables et inexploitées qui sont pourtant chaque année présentées par l'équipe internationale qui alimente l'Annuaire international de justice constitutionnelle, dont le XXXe volume vient de paraître. Entendre ainsi affirmer que sans la Convention européenne des droits de l'homme, la protection des droits fondamentaux ne serait pas assurée, est pour le moins étrange.

Autre choix opéré en cohérence avec les orientations générales adoptées : les droits fondamentaux étant ceux qui sont opposables aux divers pouvoirs, y compris au pouvoir législatif, et qui sont protégés par les juges constitutionnels ou européens, ont été écartés les droits reconnus notamment par les pactes des Nations unies dès lors qu'ils ne correspondent pas aux critères ci-dessus. De même n'ont pas été prises en considération les protections assurées par l'ombudsman ou médiateur.

 

Plan de l'ouvrage

Première partie : Les droits et libertés fondamentaux

Deuxième partie : La protection constitutionnelle des droits

et libertés fondamentaux

Troisième partie : La protection européenne des droits

et libertés fondamentaux

BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE

Cette bibliographie a été conçue de la manière suivante, compte tenu notamment de la conception de l'ouvrage exposée en avant-propos. Tout d'abord, ne sont cités que les ouvrages généraux, les ouvrages spécialisés étant – sauf exception – cités dans les bibliographies figurant à la fin de chaque chapitre. Ensuite, la date de parution est indiquée immédiatement après le nom de l'auteur. Enfin, la bibliographie de droit comparé se trouvera essentiellement en fin de chaque chapitre.

I – Instruments bibliographiques à utiliser en appui de l'enseignement

Grands arrêts

Berger (V.) [2014], Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, 13e éd., Sirey, 880 p. – Boulouis (J.), Chevallier (R.-M.), Fasquelle (D.), Blanquet (M.) [2002], Grands arrêts de la jurisprudence communautaire, Tome 2, Paris, Dalloz, 5e éd., 768 p. – Favoreu (L.) et Philip (L.) [2013], Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, 17e éd. – Renoux (Th. S.) et de Villiers (M.) [2013], Code constitutionnel, Litec, 1501 p. – Sudre (F.) [2002], Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 128 p. – Sudre (F.), Marguenaud (J.-P.), Andriantsimbazovina (J.), Gouttenoire (A.), Levinet (M.) [2014], Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, Paris, PUF, coll. Themis, 7e éd., 854 p. – Sudre (F.), Tinière (R.) [2007], Droit communautaire des droits fondamentaux (Recueil de décisions de la CJCE), Bruylant, 337 p. – Verpeaux (M.), de Montalivet (P.), Roblot-Troizier (A.), Vidal-Naquet (A.) [2011], Droit constitutionnel, Les grandes décisions de la jurisprudence, Coll. Thémis, PUF – Zoller (E.) [2000], Grands arrêts de la Cour suprême des États-Unis, PUF, coll. Droit fondamental, 1328 p.

Périodiques

Annuaire International de justice Constitutionnelle (AIJC) [Depuis 1985] Economica-PUAM – Revue Francaise de Droit Constitutionnel (RFDC) [Depuis 1990] (4 numéros par an), PUF – Revue trimestrielle des droits de l'homme (RTDH) [Depuis 1990], Bruylant – Revue universelle des droits de l'homme (RUDH) (12 numéros par an), N.P. Engel. – Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux [depuis 2002], Presses universitaires de Caen – L'Europe des libertés Revue d'actualité juridique [depuis 2000], Faculté de droit de Strasbourg – La Revue des Droits de l'Homme, CREDOF, Paris-Ouest Nanterre (Revue électronique : http://revdh.org)– Revue des droits et libertés fondamentaux, http://www. revuedlf.com.

Recueils de textes

Ardant (Ph.) [1993], Les textes sur les droits de l'homme, PUF, coll. Que sais-je ?, no 2538, 127 p. – Oberdorff (H.) et Robert (J.) [2013], Libertés fondamentales et droits de l'homme. Textes français et internationaux, 11e éd., Montchrestien, 876 p. – Lascombe (M.) de Gaudemont (Ch.) (2013), Code constitutionnel et des droits fondamentaux Dalloz-Sirey- Masclet (J.C.) [1988], Textes sur les libertés publiques, PUF, coll. Que sais-je ?, no 2407, 127 p.

II – Ouvrages généraux sur les droits de l'homme et les libertés

Bioy X. [2014], Droits fondamentaux et libertés publiques, coll. Cours, LGDJ-Lextenso, 813 p. – Burdeau (G.) [1972], Les libertés publiques, Paris, LGDJ, 4e éd., 457 p. – Burgorgue-Larsen (L.) [2003], Libertés fondamentales, Paris, Montchrestien, coll. Pages d'amphi, 347 p. – Cabrillac (R.), Frison-Roche (M.-A.), Revet (T.) (dir.) [2012], Libertés et droits fondamentaux, Paris, Dalloz, 18e éd., 907 p. – Charvin (R.), Sueur (J.-J.) [2007], Droits de l'homme et libertés de la personne, Paris, Litec, 5e éd., 291 p. – Colliard (C.-A.), Letteron (R.) [2005], Libertés publiques, Paris, Dalloz, coll. Précis, 8e éd., 569 p. – Costa (J.-P.) [1986], Les libertés publiques dans le monde, Paris, STH, 271 p. – Delmas-Marty (M.), Lucas de Leyssac (C.) (dir.) [2002], Libertés et droits fondamentaux, Paris, Seuil, 2e éd. 468 p. – Dupré de Boulois (X.) [2010], Droits et libertés fondamentaux, coll. Licence Droit, PUF, 256 p. – Fialaire (J.), Mondielli (E.), Graboy-Grobesco (A.) [2012], Libertés et droits fondamentaux, Ellipses, 2e éd., 678 p. – Hennette-Vauchez (S.), Roman (D) [2013], Droits de l'Homme et libertés fondamentales, Hypercours, Dalloz – Heymann-Doat (A.) [1997], Le régime juridique des droits et libertés, Paris, Montchrestien, 2e éd., 152 p. ; Heymann-Doat (A.), Calvès (G.) [2008], Libertés publiques et droits de l'homme, Paris, LGDJ, Coll. Systèmes, 9e éd., 288 p. – Israël (J.) [1998], Droit des libertés fondamentales, Paris, LGDJ, 596 p. – Latour (X.), Pauvert (B.) [2006], Libertés publiques et droits fondamentaux, Levallois-Perret, Studirama, 336 p. – Lebreton (G.) [2009], Libertés publiques et droits de l'homme, Paris, Sirey, 8e éd., 569 p. – Leclercq (C.) [2003], Libertés publiques, Paris, Litec, 5e éd., 368 p. – Letteron (R.) [2012], Libertés publiques, coll. Précis, Dalloz – Levinet (M.) [2010], Théorie générale des droits et libertés, Bruylant, coll. Droit et Justice, 648 p. ; [2010], Droits et libertés fondamentaux, Que sais-je ?, PUF, 128 p. – Madiot (Y.) [1991], Droits de l'homme, Paris, Masson, 230 p. – Madiot (Y.) [1998], Considérations sur les droits et les devoirs de l'homme, Bruxelles, Bruylant, 264 p. – Mélin-Soucramanien (F.) [2014], Libertés fondamentales, Dalloz, coll. « Mémentos », Paris, 2014 – Morange (J.) [2007], Manuel des droits de l'Homme et libertés publiques, Paris, PUF, coll. Droit fondamental, 278 p. – Morange (J.) [2007], Libertés publiques, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 8e éd., 127 p. – Mourgeon (J.) [2003], Les droits de l'homme, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 8e éd., 128 p. – Oberdorff (H.) [2013], Droits de l'homme et libertés fondamentales, 4e éd., Paris, LGDJ, 552 p. – Pontier (J.-M.) [2010], Droits fondamentaux et libertés publiques, Paris, Hachette, coll. les Fondamentaux, 4e éd., 158 p. – Prélot (P.H.) [2010], Droit des libertés fondamentales, HU Droit, Hachette, 320 p. – Renucci (J. F.) [2007], Traité de droit européen des droits de l'homme, LGDJ, 1135 p. – [2013] Droit européen des droits de l'Homme, 5e éd., LGDJ, 480 p. – Richer (L.) [1982], Les droits de l'homme et du Citoyen, Paris, Economica, 406 p. – Rivero (J.), Moutouh (H.) [2003], Les libertés publiques, Paris, PUF, coll. Thémis, t. 1, 9e éd., 271 p. ; t. 2, 7e éd., 269 p. – Robert (J.), Duffar (J.) [2009], Droits de l'homme et libertés fondamentales, Paris, Montchrestien, 8e éd., 907 p. – Renoux (Th. S.) (dir.) [2011], Protection des libertés et droits fondamentaux, La Documentation française, 2e éd., 2011, 398 p. – Roche (J.), Pouille (A.) [2008], Libertés publiques et droits de l'homme, Paris, Dalloz, 16e éd., coll. Mémentos, 220 p. – Rolland (P.) [1995], La protection des libertés en France, Paris, Dalloz, coll. connaissance du droit, 136 p. – Sériaux (A.), Sermet (L.), Viriot-Barrial (D.) [1998], Droits et libertés fondamentaux, Paris, Ellipses, 224 p. – Stirn (B.) [2006], Les libertés en question, Paris, Montchrestien, coll. clefs, 6e éd., 160 p. – Stirn (B.), Fairgrieve (D.), Guyomar (M.) [2006], Droits et libertés en France et au Royaume-Uni, Paris, Odile Jacob, 300 p. – Sudre (F.) [2015], Droit européen et international des droits de l'homme, Paris, PUF, coll. Droit fondamental, 12e éd., 967 p. – Tronquoy (P.) (dir.) [2000], Les libertés publiques, Paris, La documentation française, coll. cahiers français, 100 p. ; Turpin (D.) [2004], Libertés publiques et droits fondamentaux, Paris, Le Seuil, 623 p. – Turpin (D.), Masclet (J.-C.) (dir.) [2009], Libertés et droits fondamentaux, Sup'Foucher, coll. LMD, 367 p. – Wachsmann (P.) [2008], Les droits de l'homme, Paris, Dalloz, coll. connaissance du droit, 5e éd., 198 p. – Wachsmann (P.) [2013], Libertés publiques, Paris, Dalloz, coll. Cours, 7e éd., 730 p.

III – Ouvrages étrangers sur les droits fondamentaux

Alexy (R.) [1985], Theorie der Grundrechte, Nomos Verlags-gesellschaft (trad. espagnole [1997], Téoria de los derechos fundamentales, Madrid, Centro de Estudios Constitucionales, 607 p. ; trad. anglaise [2002], A theory of constitutional rights, Oxford, Oxford University Press, 462 p.) – Diez-Picazo (L.-M.) [2008], Sistema de derechos fundamentales, Madrid, Civitas, 3e éd., 598 p. – Isensee (J.), Kirchof (P.) [2000], Handbuch des Staatsrechts der Bundesrepublik Deutschland. Allgemeine Grundrechtslehren, Traité du droit de l'État de la République fédérale d'Allemagne : volume 5, théories générales des droits fondamentaux, C.F. Müller – Miranda (J.) [2008], Manual de direito constitucional, Tomo IV, Direitos fundamentais, Coimbra, Coimbra Editora, 4e éd., 472 p. – Novak (J.-E.) Rotunda (R.-D) [2004], Constitutional Law, West Publishing Co., 7e éd., 1652 p – Pace (A.) [2003], Problematica delle libertà costituzionale, Parte generale, 3e éd., Padoue, CEDAM, 352 p. – Peces-Barba Martinez (G.) [2004], Théorie générale des droits fondamentaux, Paris, LGDJ, Coll. Droit et société, 497 p. – Rubio Llorente (F.) [1995], Derechos fundamentales y principios constitucionales, Barcelone, Ariel Derecho, 793 p. – Stone (G.R.), Seidman (L.M.), Sunstein (C.R.), Tushnet (M.) [1999], The First Amendment, Aspen Publisherc, Inc. – Tribe (L.) [1999-2000], American Constitutional Law, The Foundation Press, vol. 1, 1999 ; vol. 2, 2000. – Van Alstyne (W.-W.) [1997], First Amendment, Cases and Materials, The Foundation Press, University Casebook Series, 1064 p. – Weber (A.) [2000], Fundamental rights in Europe and North America, Part. A, La Haye-Londres-New-York, Kluwer Law International.

IV – Dictionnaires et encyclopédies

Andriantsimbazovina (J.), Gaudin (H.), Marguénaud (J.-P.), Rials (S.), Sudre (F.) [2008], Dictionnaire des Droits de l'Homme, Quadrige, PUF, 1074 p. – Chagnollaud (D.), Drago (G.) (dir.) [2006], Dictionnaire des droits fondamentaux, Dalloz, 745 p. – Juris– Classeur Libertés (depuis 2007), Lexis-Nexis Juris-Classeur.

V – Colloques, tables rondes et cours internationaux

Colloques : Cours constitutionnelles européennes et droits fondamentaux [1981], Paris-Aix-en-Provence, Economica-PUAM, 1981, 284 p. – Droit constitutionnel et droits de l'homme [1987], AFC, Paris – Aix-en-Provence, Economica-PUAM, 122 p. – La déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la jurisprudence [1989], Conseil constitutionnel, Paris, PUF, coll. recherches politiques, 259 p. – Conseil constitutionnel et Cour européenne des droits de l'homme [1990], Rousseau (D.), Sudre (F.), Paris, STH. – Cours constitutionnelles et droits fondamentaux (nouveau bilan : 1981-1991), [1991], Aix-en-Provence, AIJC 1991, vol. VII. – La constitutionnalisation des branches du droit [1996], Paris-Aix-en-Provence, Economica-PUAM, 1998.

Tables rondes internationales (Aix-en-Provence) organisées par l'Institut d'études ibériques et ibérico-américaines (Université de Pau et des Pays de l'Adour, CNRS-UMR 6201), le Centre de droit et de politique comparés Jean-Claude Escarras (Université du sud Toulon Var CNRS-UMR 6201) et le Groupe d'études et de recherches sur la justice constitutionnelle (Université Paul Cézanne-Aix-Marseille III, CNRS-UMR 6201) : Le droit de propriété dans les jurisprudences constitutionnelles européennes [1985], AIJC 1985, vol. I. – L'interruption volontaire de grossesse dans les jurisprudences constitutionnelles européennes [1988], AIJC 1986, vol. II. – La liberté de l'information [1989], AIJC 1987, vol. III. – Principe d'égalité et droit de suffrage [1991], AIJC 1989, vol. V. – Le principe de non-rétroactivité des lois [1992], AIJC 1990, vol. VI. – Constitution et partis politiques [1995], AIJC 1993, vol. IX. – Le statut constitutionnel des juges du siège et du parquet [1996], AIJC 1995, vol. XI. – L'école, la religion et la Constitution [1997], AIJC 1996, vol. XII. – Les discriminations positives [1998], AIJC 1997, vol. XIII. – Les droits et libertés des étrangers en situation irrégulière [1999], AIJC 1998, vol. XIV. – Constitution et sécurité juridique [2000], AIJC 1999, vol. XV. – Constitution et secret de la vie privée [2001], AIJC 2000, vol. XVI. Immunités constitutionnelles et privilèges de juridiction [2002], AIJC 2001, vol. XVII. – Lutte contre le terrorisme et protection des droits fondamentaux [2003], AIJC 2002, vol. XVIII. – Constitution et élections [2004], AIJC 2003, vol. XIX – Justice constitutionnelle, justice ordinaire, justice supranationale : à qui revient la protection des droits fondamentaux en Europe ? [2005], AIJC, 2004, vol. XX,. – Constitution et famille(s) [2009], AIJC 2008, vol. XXIV. – Le juge constitutionnel et la proportionnalité [2010], AIJC 2009, vol. XXV – Constitutions et droit pénal [2011], AIJC 2010, vol. XXVI. – Les droits culturels [2014], AIJC 2013, vol. XXIX.

Cours internationaux (Aix-en-Provence) organisés par le Groupe d'études et de recherches sur la justice constitutionnelle (Université d'Aix-Marseille III, CNRS-UMR 6055) : Les droits constitutionnels des étrangers [1995], AIJC 1994, vol. X. – Constitution et médias [1996], AIJC 1995, vol. XI. – Constitution et élections [1997], AIJC 1996, vol. XII. – Le droit constitutionnel comparé du travail [1998], AIJC 1997, vol. XIII. – Constitution et bioéthique [1999], AIJC 1998, vol. XIV. – Droit constitutionnel, droit communautaire et droit européen [2000], AIJC 1999, vol. XV. – La liberté constitutionnelle de religion, [2001] AIJC 2000, vol. XVI. Interprétation de la constitution par le juge constitutionnel [2002], AIJC 2001, vol. XVII, – La protection de la vie privée [2003], AIJC 2002, vol. XVIII. – La loi [2004], AIJC 2003, vol. XIX – Urgence, Exception et Constitution [2009], AIJC 2008, vol. XXIV. – Juge constitutionnel et droit pénal [2010], AIJC 2009, vol. XXV – Hiérarchie(s) et droits fondamentaux [2011], AIJC 2010, vol. XXVI. – Les effets des décisions des juridictions constitutionnelles [2012], AIJC 2011, vol. XXVII, La multiplication des garanties et des juges dans la protection des droits fondamentaux [2014], AIJC 2013, vol. XXIX.

VI – Sites Internet

Juridictions françaises

Conseil constitutionnel :

www.conseil-constitutionnel.fr

Conseil d'État :

www.conseil-etat.fr

Cour de cassation :

www.courdecassation.fr

Juridictions et institutions européennes

Cour européenne des droits de l'homme :

www.echr.coe.int

Cour de justice de l'Union européenne :

curia.europa.eu

Conseil de l'Europe :

www.coe.int

Union européenne :

www.europa.eu

european-convention.eu.int

(site de la Convention pour la constitution européenne)

Cours constitutionnelles européennes

Cour constitutionnelle italienne :

www.cortecostituzionale.it

Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine :

www.ccbh.ba

Tribunal constitutionnel espagnol :

www.tribunalconstitucional.es

Tribunal constitutionnel fédéral allemand :

www.bundesverfassungsgericht.de

Tribunal constitutionnel portugais :

www.tribunalconstitucional.pt

Tribunal fédéral suisse :

www.bger.ch

Cour constitutionnelle belge :

www.arbitrage.be

Autres juridictions constitutionnelles

Cour suprême des États-Unis :

www.supremecourtus.gov

www.law.cornell.edu

www.lib.uchicago.edu

Cour suprême du Canada :

www.scc-csc.gc.ca

Cour constitutionnelle d'Afrique du Sud :

www.constitutionalcourt.org.za

PREMIÈRE PARTIE

Les droits et libertés fondamentaux

Plan ◊ Les droits et libertés fondamentaux se sont affirmés dans l'ordre juridique interne comme dans l'ordre juridique international (et notamment européen).

Ils constituent l'aboutissement d'une longue évolution historique marquée par l'émergence, la consécration et la juridicisation des droits de l'homme et le renforcement de leur protection à travers des garanties juridictionnelles de plus en plus perfectionnées.

Après avoir retracé cette évolution (Titre 1), il conviendra d'approfondir, d'un point de vue théorique, la définition des droits et libertés fondamentaux, afin d'en faire ressortir les principaux caractères et de bien marquer leur spécificité par rapport à des notions comme celles de « droits de l'homme » ou de « libertés publiques » qui ne se situent pas sur le même plan, ce qui permettra au demeurant de mieux appréhender la place et le rôle des droits et libertés fondamentaux dans les systèmes juridiques (Titre 2).

Formation progressive du concept de droit fondamental ◊ Il convient de prendre en considération que les droits fondamentaux sont un concept de formation progressive. Le mouvement de leur émergence et de leur affirmation correspond d'abord à celui des droits de l'homme (Chapitre 1), dont ils constituent la juridicisation la plus achevée, même si cette dernière ne s'est, en France, opérée qu'au prix d'une longue étape intermédiaire, celle des libertés publiques (Chapitre 2).

Primauté historique de la notion de droits de l'homme ◊ Les droits fondamentaux doivent beaucoup aux droits de l'homme, notion a priori plus familière quoiqu'en définitive peu précise, et surtout peu opératoire. Pour mesurer l'établissement progressif, dans toutes ses étapes, du concept de droits fondamentaux envisagé dans une dimension historique, il importe de revenir sur les origines de l'idée et de la notion de droits de l'homme (Section 1).

L'analyse ne saurait toutefois s'en tenir à cette seule démarche. En effet, si reconnu soit-il depuis son apparition, au moins dans ses principes essentiels, le concept de droits de l'homme apparaît comme juridiquement faible et, plus largement, comme entaché d'une relativité qui a motivé le développement d'autres notions (Section 2).

Section 1. LES ORIGINES DES DROITS DE L'HOMME

Les droits de l'homme, idée et conquête ◊ Les droits de l'homme constituent l'achèvement de valeurs et de principes généraux et l'aboutissement d'une évolution inscrite dans l'histoire de la philosophie, dans laquelle ils puisent en premier lieu leurs racines. Mais ils sont aussi une conquête et le résultat d'un processus politique historique.

§ 1. Les fondements de l'idée des droits de l'homme

Fondements intellectuels de la notion ◊ L'idée des droits de l'homme, riche en développements, demeure au départ simple : celle de facultés d'agir reconnues à chaque individu, antérieurement à et au-dessus de toute institution publique ou privée. Le seul énoncé de cette rapide définition fait clairement ressortir les fondements philosophiques principaux du concept, par contraste d'ailleurs, ou en complémentarité, de la définition plus théorique des droits fondamentaux. En toute hypothèse, une telle approche suppose l'admission d'un certain nombre de postulats.

A. L'Homme

Dignité et universalité ◊ En premier lieu, il a fallu qu'émerge et s'enracine la prise en considération de la dignité et de l'universalité de chaque être humain. En ce qui concerne la dignité, l'influence de plusieurs courants et doctrines apparaît remarquable : celle des Stoïciens, qui proclament l'universalité de l'homme-individu, fils de Zeus et citoyen du monde en même temps que le caractère divin des lois de la nature, mais aussi la pensée judéo-chrétienne, conforme à l'enseignement de l'Ancien et surtout du Nouveau Testament. L'œuvre et le message de l'Église, mais aussi la Réforme protestante, ont nettement pesé dans les origines de l'idée de droits de l'homme.

Identité et individualité ◊ La proclamation de ces droits supposait aussi la reconnaissance de l'identité des individus, peu évidente dans la pensée de l'Antiquité et du Moyen Âge, tant d'un point de vue philosophique qu'anthropologique. Il s'agissait, du point de vue des idées, de passer d'un certain holisme à un individualisme subjectiviste. Une telle reconnaissance est sans doute due, tout d'abord, au courant stoïcien et au christianisme, déjà cités. Mais elle doit largement à l'évolution induite par la philosophie nominaliste. Ce bouleversement considérable est pleinement intervenu, dans son influence, à partir de la fin du xiiie et au début du xive siècle, à l'inspiration principale de Guillaume d'Ockham et de John Duns Scot, mais, dans sa dimension métaphysique, traversait la philosophie de Parménide à la « Querelle des Universaux ».

La vieille question, synthétisée par Porphyre (234-305) dans l'Isagogè (introduction) aux Catégories d'Aristote, consistait à savoir si les concepts relèvent de l'ordre des choses ou des idées (ou formes). Pour certains, elle structure toute la philosophie antique. La tendance les qualifiant de voces (noms) plutôt que res (choses) est antérieure, dans la philosophie médiévale, au xive siècle : c'est Roscelin, au xie siècle (le maître de Pierre Abélard), qui est considéré comme le père véritable du nominalisme, et c'est sa controverse avec Saint Anselme de Canterbury (1033/34-1109) qui posa les termes de la Querelle des Universaux. Mais, à la fin du xiiie siècle et au xive, l'influence du nominalisme l'emporte sur celle du réalisme jusqu'alors dominant depuis Aristote.

Cette philosophie implique une place considérable donnée au concept de sujet. Certes, l'idée d'individu n'est pas, comme une certaine analyse a tendu à le répandre (celle de Condorcet, ou, indirectement, de Numa Fustel de Coulanges dans La Cité antique), absente de l'Antiquité et du Moyen Âge : en l'absence d'une telle référence, la démocratie athénienne n'aurait pu fonctionner, ni même, peut-être, toute une évolution de l'art s'opérer. L'apport du nominalisme tient à ce qu'il conduit à envisager l'individu de manière singulière, en considération seulement de lui-même et pour lui-même, indépendamment notamment de toute référence à un statut ou toute appartenance à un groupe. Une telle évolution a aussi permis l'émergence de la notion de droit subjectif (en premier rang le droit de propriété), à partir d'une célèbre controverse théologique relative à la propriété du Christ sur sa tunique.

L'influence considérable du nominalisme dans l'ensemble de la pensée occidentale se mesure à la lecture des œuvres philosophiques et scientifiques postérieures, du point de vue envisagé ici. L'exemple de celle de René Descartes (1596-1650) apparaît très significatif. Alors que le célèbre philosophe a très peu écrit sur les questions politiques, certains auteurs (P. Guenancia, Descartes et l'ordre politique, 1983) ont vu dans la doctrine du cogito et l'idée que la nature humaine désigne non ce qui est commun à tous les hommes, mais ce qui est spécifique à l'homme par le fait qu'il pense, une forte affirmation de l'individualité et l'existence d'une limite infranchissable par la société.

Le concept de sujet, qui trouve un point d'enracinement philosophique approfondi dans la pensée d'Emmanuel Kant et demeure fondamental, traduit, en tout cas, un profond changement à la fois dans la pensée philosophique et dans la pensée juridique.

Reste ouvert le débat philosophique sur le point de savoir si, comme on le considère généralement, c'est l'individualisme de type cartésien qui a pu produire les droits de l'homme, ou un postulat plus « altruiste » qui en a permis l'émergence, ainsi que le pense notamment Emmanuel Levinas à la lumière de sa philosophie de l'altérité (cf. T. Ndayizigiye, Réexamen éthique des droits de l'homme sous l'éclairage de la pensée d'Emmanuel Levinas, Peter Lang, 1997).

B. La limitation du pouvoir civil

En second lieu, c'est l'affirmation de l'existence de principes limitatifs du pouvoir civil, antérieurs et supérieurs à toute institution humaine, qui a aussi contribué à la fondation des droits de l'homme, tout comme la distinction du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel, à l'invitation du Christ demandant de « rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Matthieu, XXII, 21). Au même titre que l'affirmation de l'origine divine de l'autorité, de l'Antigone de Sophocle à Saint Paul (« Nulla potestas nisi a Deo » : Rom., XIII, 1 ; phrase à la longue postérité même si, dans son contexte, elle visait pourtant à justifier la soumission au pouvoir civil), les doctrines du droit naturel y ont également contribué de manière décisive. Dans son approche classique, particulièrement celle de la pensée de Saint Thomas d'Aquin (1225-1274) s'appuyant avant tout sur Aristote et approfondissant la Révélation et les Pères, le jusnaturalisme proclame la primauté de la justice comme fin et l'identité du droit et du juste. Dans ses conceptions modernes (c'est-à-dire post-thomistes après le xive siècle), celles encore chrétiennes de Francisco Vitoria (1493-1546), Francisco Suarez (1548-1617) ou Saint Robert Bellarmin (1542-1621) – héritiers et continuateurs du thomisme –, puis de plus en plus laïcisées de Hugo Grotius (1583-1645), Samuel Pufendorf (1632-1694), Christian Wolff (1679-1754) – auteurs dont l'influence dans la pensée juridique a été considérable – ou Jean-Jacques Burlamaqui (1694-1748), il affirme l'existence de règles intemporelles et communes au genre humain, qui se confondent peu à peu avec une sorte de morale valable pour tous en tout temps, intériorisée comme l'affirme Kant, et parmi lesquelles vont figurer les droits individuels et le respect qui leur est dû.

On peut aussi mesurer, avec le recul, l'influence certaine, quoique ambiguë, des courants anglais et français d'opposition à la monarchie absolue. En Angleterre, la confrontation entre Charles Ier Stuart et ses ministres et le Parlement (par la voix de ses membres les plus influents, dont John Pym), renforcée par l'opposition des puritains et surtout des presbytériens écossais (y compris par les armes), est l'occasion de réaffirmer les prérogatives et franchises parlementaires, mais aussi les libertés des sujets (dont la propriété et la liberté de conscience et de religion), mais débouche sur la violence, l'exécution de deux monarques (en 1641 et 1649) et sur la dictature d'Oliver Cromwell. Parmi les partisans militaires de celui-ci, les Niveleurs (Richard Overton, William Walwyn, et surtout John Lilburne, le principal rédacteur de l'Agreement of the People, leur texte le plus célèbre) vont plus loin et, outre l'abolition de la monarchie et de toute autorité religieuse, militent pour la justice sociale, l'égalité de tous les hommes et contre le colonialisme. En France, au xvie siècle, les monarchomaques, catholiques et surtout protestants, en ont appelé aux libertés traditionnelles des Français, voire aux droits et à la volonté du peuple, pour condamner les ambitions du pouvoir royal toujours plus fort (sur des motivations d'abord religieuses, là encore). En Écosse, aux environs de la même époque, c'est la religion presbytérienne qui inspire également un mouvement monarchomaque. Par la suite, les acteurs et défenseurs de la Fronde, tel Paul de Gondi, cardinal de Retz (1613-1679), de hauts personnages, comme François de Fénelon (1651-1715), archevêque de Cambrai exilé (dans Les Aventures de Télémaque de 1694 publiées en 1699, ou les Tables de Chaulnes de 1711, tous deux destinés au duc de Bourgogne) ou Louis, duc de Saint-Simon (1675-1755 ; dans ses célèbres Mémoires, rédigées de 1694 à sa mort), ont invoqué les libertés contre l'autorité royale, mais défendaient surtout les droits et privilèges aristocratiques rognés par le pouvoir royal, sous couvert du projet de monarchie tempérée (c'est aussi le cas, dans une bien moindre mesure, chez Montesquieu). Pierre Jurieu (1637-1713), fameux prédicateur protestant, défend, quant à lui, surtout après la révocation de l'Édit de Nantes (dans ses Lettres pastorales) la liberté de conscience et l'idée d'une monarchie limitée par un pacte fondateur entre le Roi et ses sujets.

§ 2. L'histoire des droits de l'homme

Au-delà de leur généalogie, les droits de l'homme ont aussi une histoire, marquée à la fois de grands noms de la pensée politique et de moments célèbres.

A. Les origines

1. Des penseurs

Le libéralisme et les courants ultérieurs ◊ Bien que l'idée de liberté, sans même remonter à l'Antiquité, soit, dans son acception moderne, le résultat d'influences anciennes (cf. not. P. Chaunu, La liberté, Fayard-Idées-forces, Paris 1987), le progrès et l'enracinement des droits de l'homme ont beaucoup dû à l'œuvre de grands penseurs et auteurs marquants de l'histoire des idées qui, par leur contribution majeure, ont par ailleurs construit et jalonné le libéralisme, qui demeure historiquement et idéologiquement leur berceau, avant les contributions ultérieures et divergentes à leur développement.

Locke et Montesquieu ◊ Parmi ces noms célèbres et leurs œuvres, on peut notamment retenir John Locke. La construction de cet Anglais un temps exilé en Hollande et contemporain de la « Glorieuse Révolution » de 1688 accorde une place centrale et essentielle aux droits individuels et à la liberté à travers les développements de ses deux Traités sur le gouvernement civil (le second, le plus connu, date de 1690).

Le second Traité ne saurait toutefois être lu sans considération pour le premier, plus théologique mais essentiel à la compréhension de la pensée lockienne dans ses références.

Pour Locke, dans l'« état de nature », l'homme est avant tout titulaire de droits individuels, au premier rang desquels la liberté et la propriété. Devant la nécessité d'assurer un arbitrage entre les droits et de garantir la sécurité commune, se forme l'institution politique, sur un mode contractuel reposant sur la confiance et fondé sur une mise en commun (une « fiducie »), et à laquelle les individus transfèrent partiellement et temporairement leurs droits. On mesure ainsi à plus d'un titre la place centrale occupée par l'idée des droits de l'individu dans le schéma lockien. Ils apparaissent non seulement comme la base et l'origine de la construction de l'institution politique exerçant l'autorité, mais aussi et surtout comme la justification de la limitation du pouvoir, y compris à travers sa théorie de la séparation des pouvoirs. En effet, lorsque l'auteur distingue entre pouvoir législatif, pouvoir d'exécution (à la fois le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire du système de Montesquieu) et le « pouvoir fédératif » (celui de conduire les relations internationales), il projette dans l'espace politique le droit individuel de déterminer les règles de sa propre conduite, celui de les faire respecter et celui d'entretenir des rapports avec autrui. Et si l'État, ou le Roi qui l'incarne, exerce pouvoir d'exécution et pouvoir fédératif, la société garde le pouvoir législatif qu'elle exerce par la voie de ses représentants. Cette conception très caractéristique de la pensée libérale classique a contribué à affirmer l'importance des droits de l'homme, et trouve même quelques échos dans le droit positif, comme en témoigne encore le IXe Amendement à la Constitution des États-Unis 3, signe de l'influence de ses idées sur les « Pères Fondateurs ».

Sur plusieurs points importants, le système de Locke ne s'éloigne pas radicalement de celui de Thomas Hobbes (1588-1679), célèbre auteur du De cive (1642) et surtout du Léviathan (1651). Opposant loi de nature, qui commande la recherche de la paix et découle de la raison, et droit de nature, qui consiste en la liberté de subsister convenablement et exprime l'instinct de conservation, Hobbes part d'un individualisme véritable qui va de pair avec la liberté de l'individu. Toutefois, l'« état de nature » qu'il décrit à l'origine de son système est un état où la domination des passions pousse à la violence et au désordre. Dès lors, la formation d'un corps politique absorbant tous ses membres (à l'image du Léviathan, monstre biblique) et dans lequel les individus aliènent la totalité de leur liberté devient inévitable et justifie les préventions nourries à l'égard de la pensée de Hobbes considérée comme légitimant le totalitarisme, même si l'aliénation est volontaire et si un tel usage de la liberté répond à une nécessité rationnelle.

La singularité de la pensée de Hobbes ressort aussi d'une rapide comparaison avec le système de Baruch Spinoza (1632-1677). La construction du grand penseur solitaire, mis au ban de sa communauté juive d'Amsterdam pour rationalisme et choisissant une vie recluse de labeur manuel, s'en avère assez proche. Toutefois, l'État, qui ne peut être contesté, se doit d'agir conformément à sa nature et selon son être, c'est-à-dire conformément à la raison et dans la limite de la puissance mesurée qui marque sa nature. Au-delà, il agit contre cette dernière. En outre, si les sujets doivent obéir à la loi positive, il n'est pas concevable qu'ils se dépouillent de leur propre nature. L'État doit donc agir selon sa fin propre : garantir la paix civile, et se soumettre à sa propre loi. Au-delà, Spinoza demeure aussi pour sa défense et sa contribution décisive à la liberté de conscience et de pensée.

Alors qu'il vient d'être évoqué, la question peut se poser de l'apport de Charles Louis de Montesquieu (1699-1755). Certes, son nom demeure à jamais associé à la doctrine de la séparation des pouvoirs. Il n'en est pas le premier auteur, mais il l'a formulée de la manière moderne la plus largement admise aujourd'hui dans le chapitre VII du livre XI de L'Esprit des Lois (1748) en décrivant, sous une forme idéalisée, la « Constitution d'Angleterre », et en ouvrant ainsi la voie à une systématisation d'ailleurs divergente et parfois abusive.

La lecture et la mise en œuvre de la pensée de Montesquieu, d'un côté par les rédacteurs de la Constitution fédérale américaine de 1787, et de l'autre par les révolutionnaires français, puis par la tradition du droit public de notre pays, en constituent dans l'un comme dans l'autre cas une déformation plus ou moins grande.

C'est aussi à Montesquieu que l'on doit l'affirmation et la démonstration de l'importance décisive de la séparation des pouvoirs pour la garantie de la liberté politique. Mais il faut noter que la construction de cet éminent auteur n'intègre pratiquement pas les droits de chaque homme, dont on sait, par ailleurs, qu'elle ne correspondait que peu à son engagement personnel et à ses motivations intellectuelles, plus soucieuses de la promotion de l'idée d'une monarchie équilibrée et tempérée par le rôle de l'aristocratie.

Rousseau ◊ De même, malgré son influence considérable (Kant ne le qualifia-t-il pas, avec emphase, de « Newton du monde moral » ?), Jean-Jacques Rousseau (1714-1778) pourrait ne pas être rangé par les auteurs capitaux sur la question. Il est vrai que sa pensée politique, principalement formulée dans Du contrat social (1762), s'intéresse au problème des droits de l'homme, « né libre » et « partout dans les fers » selon la célèbre première phrase de cet ouvrage. Sa construction cherche avant tout à résoudre la difficulté de justifier et organiser la vie en société politique et l'autorité de l'institution par une théorie de la représentation qui aboutit à un système totalisant où la place de l'individu et ses droits se trouvent en définitive considérablement minorés. Mais son intérêt pour les aspects philosophiques et aussi politiques des droits de l'homme ne se dément pas dans son intérêt particulier pour la question de l'égalité (Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité entre les hommes, 1755 ; Projet de Constitution pour la Corse, 1763 ; Considérations sur le gouvernement de Pologne, 1764). L'un des principaux apports originaux de Rousseau aura tenu à son essai inédit de conciliation entre pouvoir et liberté, qui préfigure la construction marxiste. Mais la postérité a surtout retenu (et déformé), d'une part l'affirmation que le but de la société est la garantie de la liberté naturelle de l'homme, d'autre part que c'est la loi qui est « l'expression de la volonté générale » et ne saurait, par conséquent, être un instrument d'oppression. Sa construction est plus complexe que ce résumé faussé (l'aboutissement du raisonnement pseudo-rousseauiste à la souveraineté parlementaire constitue un travestissement de la pensée de l'auteur) qui a pourtant inspiré et fondé une grande partie de la tradition des droits de l'homme et des libertés publiques. Il est vrai que l'état de nature est un état égalitaire, et que l'inégalité naît, selon Rousseau, du progrès et de l'appétit de consommation, le premier expliquant, avec le développement des échanges, la naissance de la propriété comme institution inégalitaire. La construction de l'État vise alors, si l'on y veille, à garantir l'ordre sans remédier aux inégalités fondées par nature sur la richesse, et où les pauvres aliènent leur liberté sans contreparties. Pour établir un système favorable à la liberté de tous, un véritable contrat social doit être conclu, dans lequel chacun aliène la totalité de sa liberté. Tous sont alors égaux à la fois en tant que citoyens formant le corps politique (la République) et comme sujets se soumettant à la volonté de ce dernier en tant que volonté générale à laquelle ils participent. Ce corps politique est le véritable et unique souverain, sa souveraineté étant à la fois inaliénable, indivisible et infaillible. Les lois constituent un élément essentiel de l'ensemble, dans la mesure où, générales et abstraites, elles protègent de tout arbitraire les citoyens qui obéissent à eux-mêmes en s'y conformant. L'erreur dans les références ultérieures à la pensée de Rousseau tient notamment dans le contresens sur le terme de loi, qui vise les règles posées à l'origine et non les textes changeants de la démocratie représentative (de manière plus générale, la loi rousseauiste n'est pas la loi du Parlement).

Les physiocrates ◊ Le courant des physiocrates, plus souvent mentionné pour ses travaux économiques, doit être rapidement cité. Pierre-Paul Lemercier de la Rivière (1719-1801), et surtout François Quesnay (1694-1774), dans un opuscule sur le droit naturel et dans ses Maximes générales du gouvernement économique d'un royaume agricole, développent une conception politique proche au départ de celle de Locke, aboutissant à un système où les lois positives doivent être conformes aux lois naturelles (dont le contenu n'est pas déterminé). Toutefois, Quesnay considère les inégalités comme constitutives de l'état de nature, et ne défend pas du tout la séparation des pouvoirs. Mais surtout, c'est la réflexion des physiocrates sur la propriété et la richesse, d'abord agricoles, qui a sans doute contribué à renforcer le soin de protéger la propriété privée.

Voltaire, d'Alembert, Condorcet ◊ D'autres auteurs célèbres de l'histoire et de la littérature se sont, pour leur part, plus distingués dans la querelle des droits de l'homme par leur engagement personnel que par leurs constructions intellectuelles. Voltaire (François Marie Arouet, dit – 1694-1778) est resté célèbre pour son combat contre l'intolérance et pour ce qu'il considère être la liberté religieuse et qui tient surtout à la liberté de conscience, tout spécialement par son engagement au cours de l'emblématique « affaire Calas ».

Le combat pour la réhabilitation de Jean Calas et de sa famille (après « l'affaire Sirven », autre cause célèbre) est devenu rapidement le symbole de la lutte contre le fanatisme religieux et pour la tolérance. Les faits eux-mêmes, non totalement appréhendés, et les éléments du contexte local ont conduit à relativiser la portée véritable de l'affaire, nonobstant son retentissement symbolique 4. Le rôle de Voltaire n'en est que plus évident.

Mais il fut aussi un propagateur des idées de Locke (Discours sur l'homme, 1738 ; Poème sur le désastre de Lisbonne, 1756). Il n'y a pas chez Voltaire de système politique construit ni de réflexion a priori. En revanche, on trouve une crainte méprisante de la démocratie populaire (l'article « Démocratie » du Dictionnaire philosophique, même s'il ne la réfute pas totalement, l'illustre clairement), une préférence pour la monarchie anglaise et son système de garantie des libertés, et le choix du despotisme éclairé, propre à assurer le progrès et à mettre un terme ou un frein à l'influence de l'Église sur l'État.

Certains articles de l'Encyclopédie (1747-1766) principalement dirigée par Denis Diderot (1713-1784) un temps accompagné par Jean d'Alembert (1717-1783) ont également marqué la lutte pour les droits de l'homme (« Fanatisme », sous la plume de Voltaire, a, entre autres, fait date).

Même s'il est plus connu pour son œuvre scientifique et sa réflexion sur la place de la Raison et les rapports possibles entre science et politique (en particulier la recherche du mode optimal d'établissement de décisions politiques rationnellement pertinentes), le nom de Marie Jean Antoine de Condorcet (1743-1794) peut être également cité, pour sa contribution, même atypique, à la pensée révolutionnaire et malgré sa faveur pour un certain despotisme éclairé en France (et ses espoirs déçus).

Paine ◊ Il faut enfin réserver sans doute une place particulière à Thomas Paine (1737-1809). Ce n'est pas en raison de son parcours certes peu ordinaire : cet Anglais, sympathisant de la cause des insurgés américains (on considère que son ouvrage de 1776, The Common Sense, joua un rôle décisif dans le soulèvement des habitants des treize colonies), devint secrétaire de la commission des Affaires étrangères du Congrès, puis citoyen français en août 1792 (pour son œuvre en faveur des droits de l'homme), membre du comité de rédaction de la nouvelle Constitution et député notamment du Pas-de-Calais à la Convention, pour finir en prison avec la chute des Girondins (favorable à la condamnation de Louis XVI, il s'opposa fermement à la mort du Roi) et échapper de justesse à la guillotine. C'est sa réponse à l'ouvrage de 1790 d'Edmund Burke (Réflexions sur la Révolution de France) qui l'a rendu célèbre, concrétisant d'ailleurs l'influence de la Révolution américaine sur le mouvement français (alors qu'il est moins cité à ce titre que Benjamin Franklin ou Thomas Jefferson). Dans son Droits de l'homme en réponse à l'attaque de Monsieur Burke sur la Révolution française de 1791, Paine s'attache à défendre et illustrer la conception dominante du xviiie siècle concernant les droits de l'homme, dans une fidélité par ailleurs très nette à la pensée de Locke. Il rejette ainsi l'idée du caractère supérieur et bienfaisant d'uns construction uniquement fondée sur la coutume et la tradition, et argumente en faveur d'un système rationnel et général sans coupure avec les principes jusnaturalistes modernes.

2. De « grands moments » et de « grands textes »

Un « mouvement » historique ◊ Construction philosophique et idéologique, les droits de l'homme constituent également un « mouvement » historique, marqué par des événements dont la principale trace demeure de « grands textes » de référence en la matière. Les auteurs précités s'y sont trouvés immergés, ils y ont parfois pris part et, en toute hypothèse, ces faits ont imprimé leur pensée autant qu'ils y ont laissé leur empreinte. Dans ces textes célèbres, on retrouve aussi tout l'héritage, notamment jusnaturaliste moderne, déjà évoqué.

En Angleterre ◊ Cette histoire politique des droits individuels dans leur acception moderne s'est d'abord écrite en Angleterre. Dès le début du Moyen Âge, la confrontation des traditions les plus anciennes de ce pays aux apports normands et au modèle politique différent qui y correspondait, a non seulement fait lentement émerger les structures et certains grands principes du modèle de régime parlementaire classique, mais a aussi poussé à l'affirmation précoce, et souvent conflictuelle, de l'idée de limitation du pouvoir temporel également par les droits de l'individu.

C'est l'opposition des grands féodaux à l'autorité monarchique qui se voulait forte, mais se trouvait affaiblie par le discrédit de Jean sans Terre, régent en l'absence de son frère Richard Cœur de Lion, qui explique la concession par le prince de la Magna Carta (Grande Charte de juin 1215), premier texte de proclamation de droits de l'homme tels le droit de propriété, la liberté d'aller et venir en temps de paix ou certaines garanties du procès criminel : impartialité des juges, intervention d'un jury, légalité, nécessité et proportionnalité des peines, outre des principes d'organisation parmi lesquels le consentement à l'impôt.

De même, plus tard, les tensions provoquées par le mode absolutiste de règne des Stuart, rois d'Écosse devenus également souverains d'Angleterre et d'Irlande, d'un royaume tourmenté par les questions religieuses, vont engendrer l'enchaînement d'événements violents et tragiques tout au long des xvie et xviie siècles. Les étapes déterminantes et les secousses vers l'établissement des fondements, puis des formes, du régime politique moderne de la Grande-Bretagne, se distinguent également par des textes et documents marquants. En juin 1628, la Pétition des Droits, adressée à Charles Ier lors de la session du Parlement (une puissante opposition s'y manifeste, conduite par Thomas Wentworth), réclame le respect du consentement à l'impôt et revendique l'importance de certains droits rappelés comme les libertés anglaises traditionnelles limitatives du pouvoir royal, notamment le principe de légalité et de nécessité des peines et l'essentiel de la liberté individuelle.

Surtout, après une longue période de troubles peu favorable aux libertés individuelles, l'occasion de l'accession au trône de Marie II Stuart, fille de Jacques II, souverain catholique, et de son époux Guillaume d'Orange, prince protestant et staatshouder des Provinces Unies appelé au secours de la paix civile, après leur arrivée de Hollande, fournit le prétexte de l'affirmation de l'importance de droits essentiels à travers le Bill of Rights de février 1689, et surtout de leur supériorité sur la législation « ordinaire » et le pouvoir normatif royal. Déjà, sous le règne de Charles II, la déclaration liminaire de Breda (1660) souhaite garantir la liberté de conscience jointe à une amnistie générale (toutefois, plusieurs textes ultérieurs posent et réaffirment notamment l'exclusion des catholiques de la succession au Trône et de toute fonction officielle), alors que l'adoption de l'Habeas Corpus Act en 1679 permet de jeter les bases, toujours actuelles, des garanties essentielles de la liberté individuelle prise en la sûreté. En 1701, l'Acte d'Établissement sur le trône de la nouvelle souveraine Anne, fille de Guillaume et Marie, réaffirme pour sa part le devoir de respect des droits et libertés par la Couronne et le Parlement, et notamment de la liberté religieuse. Décisifs dans l'histoire politique et juridique britannique, ces textes de référence se sont avérés essentiels dans l'histoire universelle des droits de l'homme, avant tout en tant que source d'inspiration, au moins autant que l'aura été le fameux « modèle de Westminster », schéma-type du parlementarisme classique.

Aux États-Unis ◊ Par la diffusion de la tradition juridique britannique, mais aussi par les éléments propres de leur histoire politique et intellectuelle, les États-Unis d'Amérique ont apporté une contribution majeure à l'expansion de l'idée des droits de l'homme et des libertés individuelles. Tout d'abord, si la doctrine de la souveraineté parlementaire n'est évidemment pas absente des esprits de l'autre côté de l'Atlantique, la volonté croissante d'émancipation, puis d'indépendance, a donné un relief tout particulier à celle de la limitation du pouvoir, en premier lieu celui de la puissance coloniale, permettant à bref terme, dans un contexte intellectuel favorable à l'autorité incontestée de la loi, l'émergence d'une justice constitutionnelle dont l'exercice incombe à tous les tribunaux. Ensuite, l'influence des idées et des auteurs libéraux en même temps que de « l'Esprit des Lumières » (qui ne les recoupe pas exactement et déterminera également des courants violemment antilibéraux) a fortement marqué l'esprit des constituants américains, ainsi qu'en témoignent la plupart de leurs écrits. Les textes politico-juridiques eux-mêmes reflètent l'esprit du temps, favorable aux droits de l'homme inaliénables, imprescriptibles et antérieurs à toute construction humaine. La Déclaration d'Indépendance des États-Unis d'Amérique de juillet 1776, qui proclame la croyance de ses rédacteurs en une vérité « évidente d'elle-même, que tous les hommes sont créés égaux, qu'ils sont dotés par leur Créateur de certains droits inaliénables, et que parmi ces droits figurent la vie, la liberté et la recherche du bonheur », en constitue un célèbre exemple.

Là encore, l'inspiration de Locke est évidente. Par la « recherche du bonheur », il faut entendre autant la référence à une idée chère au xviiie siècle que ce nous appellerions aujourd'hui liberté générale d'agir ou, plus précisément, liberté d'entreprendre.

Les premières véritables déclarations de droits adoptées par certaines des treize anciennes colonies devenues des États (la déclaration de Virginie de juin 1776 demeure la plus célèbre ; on peut également citer, dans la même année, celles de Pennsylvanie, de Caroline du Nord et du Maryland, celle du Massachusetts en 1780, celle du New Hampshire en 1783) le sont autant. On notera d'ailleurs le choix délibéré du terme « déclaration », cohérent au regard de la conception alors dominante des droits de l'homme, que l'on ne saurait que proclamer ou révéler et non créer ou constituer (sur la question générale des « déclarations de droits », cf. C. Fauré, Ce que déclarer des droits veut dire : histoires, PUF, Politique d'aujourd'hui, Paris, 1997).

Dans ces conditions, il peut apparaître surprenant que la Constitution fédérale de septembre 1787, adoptée à l'issue de longues et délicates discussions sur la forme de l'État et l'équilibre des pouvoirs, et au terme de dix années d'application des Articles de la Confédération, ne contienne pas de véritable déclaration des droits et libertés. La lecture du Fédéraliste, très instructive sur la mentalité constitutionnelle et politique dominante, révèle le peu d'empressement des constituants fédéraux à inclure une déclaration des droits dans la Constitution fédérale. D'une part, le principe même de consigner dans le texte constitutionnel des droits et libertés apparaissait suspect, alors qu'une Constitution est avant tout un pacte voulu par le peuple, qui est ainsi le meilleur gardien de ses droits en ne déléguant que les pouvoirs strictement nécessaires aux nouvelles autorités fédérales 5. D'autre part, les déclarations des droits des États étaient jugées suffisantes, d'autant que l'autorité des organes fédéraux n'était, à l'origine, conçue que comme compétence d'attribution. Néanmoins, l'active opposition dite « antifédéraliste » lors de la ratification de la Constitution de 1787 fit valoir que le pacte entre gouvernants et gouvernés supposait l'affirmation des droits de ceux-ci. Dès lors, le premier Congrès élu (quoique « fédéraliste ») en organisa la constitutionnalisation formelle.

Dans le Xe Amendement, on retrouve une trace de l'idée originelle : « Les pouvoirs qui ne sont pas délégués aux États-Unis par la Constitution ou qui ne sont pas refusés par elle aux États, sont réservés aux États respectivement ou au peuple ».

C'est donc sous la forme d'amendements à la Constitution que les droits et libertés principaux se trouvent intégrés aux normes constitutionnelles fédérales. Les dix premiers amendements (la Constitution fédérale en comprend aujourd'hui vingt-six), introduits en novembre 1791 et plus souvent présentés en un ensemble appelé Bill of Rights dans la tradition constitutionnelle américaine et par analogie, protègent ainsi la liberté de religion, d'expression, de réunion et d'assemblée et de pétition (Ier Amendement), le droit de détenir et porter des armes (IIe Amendement), protègent les personnes et les propriétés (IIIe, IVe et Ve Amendements), et posent diverses garanties en matière pénale et processuelle (jury, procès équitable, garanties de procédure, proportionnalité et nécessité des peines : du Ve au VIIIe Amendement). Des amendements ultérieurs sont venus compléter le dispositif, par exemple le XIIIe (1865) qui abolit définitivement l'esclavage, mais surtout le XIVe Amendement introduit en 1868, conséquence juridique de la Guerre de Sécession et de la victoire de l'Union, qui garantit (Section 1), outre l'accès possible de tous à la citoyenneté, d'une part une forme d'égalité (la « clause d'égale protection des lois »), d'autre part le bénéfice effectif des garanties juridiques (la « clause de due process of law »).

Fondamental dans le système constitutionnel de protection des droits et libertés aux États-Unis, cet amendement a, entre autres, permis de « neutraliser » une première jurisprudence de la Cour suprême fédérale déclarant le Bill of Rights inopposable aux États (cf. Baron v. Baltimore, 32 US (7 Pet.) 243-1833). Sur le plan doctrinal, un débat subsiste sur le point de considérer que, selon une position encore dominante, l'adoption du XIVe Amendement a marqué le passage d'une conception jusnaturaliste à une vision plus positiviste des droits et libertés ou si, au contraire, il renforce la philosophie très libérale et non étatiste de ces mêmes droits. D'autres amendements (XVe, XIXe, XXVIe) ont progressivement élargi le droit de vote.

De plus, la jurisprudence a progressivement, et irrégulièrement, élargi et enrichi le champ des droits, par exemple le droit au respect de l'intimité et de la vie privée (privacy : cf. Griswold v. Connecticut, 381 US 479, 1965).

En France ◊ C'est plus tardivement que la France a apporté sa marque à l'anthologie des droits de l'homme, alors que certains de ses penseurs, qui en avaient influencé fortement l'idéologie, ont été « reçus » et suivis à l'étranger avant et plus fidèlement que dans leur pays, et alors que les transformations politiques ont été plus précoces dans les autres pays cités (mais pas toujours moins violentes). Au titre des « grands textes », la contribution française est évidemment avant tout celle de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Ce document, adopté par la nouvelle Assemblée nationale constituante formée depuis juin de la réunion des représentants des ordres des États généraux, devait constituer le Préambule de la future Constitution du royaume, finalement établie et promulguée en septembre 1791 ; elle fut effectivement promulguée en tête de la charte fondamentale, mais de manière séparée, de sorte que l'on ne peut sans abus parler de préambule alors que la Constitution de 1791 en comprend un. Les Constitutions successives de la France comprendront, pour la plupart d'entre elles, une proclamation des droits et libertés, soit dans un Préambule (1946), soit dans le corps même du texte constitutionnel (ans VIII, X et XII, 1814, 1815, 1830, 1848, et même le projet de Constitution du Maréchal Pétain de 1943), soit par juxtaposition (1791, 1793, an III), parfois de manière succincte, avec des originalités (déclaration des devoirs dans la Constitution de l'an III, proclamation jusnaturaliste dans le Préambule de la Constitution de 1848).

L'exception notable est celle des lois constitutionnelles de 1875, texte de compromis et d'attente. C'est malgré tout sur la question de la référence aux libertés de 1789 que la consolidation politique progressive de la République (après son institutionnalisation durable) se sera accélérée : la célèbre « crise du 16 mai 1877 », date du renvoi par le Président Mac-Mahon du ministère Jules Simon coupable, à ses yeux, d'avoir accepté un ordre du jour anticlérical à la Chambre le 4 mai précédent, a bien été déclenchée par une réaction hostile de la majorité républicaine aux thèses du Syllabus de Pie IX.

Mais la référence à la Déclaration de 1789 demeurera toujours présente, au moins politiquement, mais souvent au-delà, même par simple renvoi : c'est ainsi que procèdent les rédacteurs de la Constitution du 14 janvier 1852 et du sénatus-consulte du 21 mai 1870 (articles 1er). C'est également la méthode retenue par les rédacteurs de la Constitution du 4 octobre 1958 : la référence à la Déclaration de 1789 (et au Préambule de la Constitution de 1946) est contenue dans le Préambule de la Constitution, un tel renvoi ayant fourni au Conseil constitutionnel une base propre à mettre en évidence la valeur constitutionnelle positive de ces textes.

Cf. 39 DC du 19 juin 1970, Rec. p. 15 ; 44 DC du 16 juillet 1971, Rec. p. 29, L. Favoreu et L. Philip, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel (GD), 17e éd., Dalloz, Paris, 2013, no 27 ; 51 DC du 27 décembre 1973, Rec. p. 25.

Plus sans doute par sa qualité de rédaction ou pour des raisons géopolitiques que par sa seule origine nationale, la Déclaration de 1789 fut indéniablement inspiratrice à son tour, véritable étendard de la « Grande Nation » (J. Godechot) française et conformément au parti pris universaliste de ses rédacteurs (Duport et Mirabeau pour son imposant Préambule, l'archevêque libéral de Bordeaux Champion de Cicé comme coordinateur de la rédaction de son texte même). La question de son originalité fut un temps plus discutée. À cet égard, on se souvient d'une célèbre querelle, sur fond de rivalités politiques et intellectuelles, qui opposa, au début du xxe siècle, le Français Eugène Boutmy et l'Autrichien Georg Jellinek. Le second considérait la Déclaration comme une simple copie sans originalité des textes américains, eux-mêmes largement influencés par la Réforme, et donc par l'esprit germanique, le seul, selon lui, à avoir conservé l'idée et le goût de la liberté individuelle (cf. Die Erklärung des Menschen und Bürgesrechte, 4e éd. À partir de la 3e, Duncker und Humblot, Munich-Leipzig, 1927), alors que le premier y voyait une expression inédite et remarquable du génie national français.

À travers ses dix-sept articles, la Déclaration de 1789 expose avant tout une philosophie des droits de l'homme marquée par des caractères singuliers. Tout d'abord, on peut être frappé, particulièrement dans le préambule, par la référence explicite à la transcendance, qui pourrait apparaître curieuse à l'achèvement des Lumières, mais traduit une forme de déisme alors assez répandu (et peut-être, nonobstant l'esprit du siècle, la reconnaissance implicite d'un héritage plus lointain). Miroir des mentalités d'une partie agissante de la France au début de la Révolution, la Déclaration exprime également un net individualisme, qui constitue l'un des signes les plus forts de la rupture avec l'ordre de l'Ancien Régime. Comme d'autres textes juridiques de la même époque, qui en tirent des conséquences précises (le « décret d'Allarde » des 2 et 17 mars 1791, qui abolit, à la suite de la réforme fiscale instituant notamment la patente sur les commerçants et les artisans, les droits de maîtrise et, par là, les jurandes et corporations ; la « loi Le Chapelier » adoptée le 14 juin 1791 – et étendue le 20 juillet à l'agriculture – en réponse aux conséquences sociales de la précédente, et qui interdit les syndicats professionnels, les actions collectives et pose le principe de la liberté du travail), la charte des droits ne reconnaît ces derniers qu'aux individus, sans mention d'aucun groupe ou communauté, ni même des droits susceptibles d'être exercés collectivement. Mais ce sont les caractères abstrait et universaliste de la démarche de ses auteurs qui ont sans doute le plus retenu l'attention. La recherche du bonheur de l'Homme et la proclamation des droits du genre humain, nonobstant l'intitulé de « Déclaration des droits de l'homme et du citoyen », la reconnaissance de droits et libertés conçus de manière générale et abstraite, sans considération de leur finalité ni de leur garantie effective, semblent des traits à ce point distinctifs de la Déclaration que l'on oppose classiquement une tradition française, universaliste et abstraite, à une tradition anglo-saxonne, concrète et garantiste, des droits de l'homme. Outre la divergence des options doctrinales, déjà mentionnée (débat Burke/Paine), la rédaction même des déclarations de droits majeures de part et d'autre de la Manche ou de l'Atlantique tend à conforter cette présentation. Mais l'évolution juridique des droits de l'homme vers les droits fondamentaux a privé la distinction de portée véritable. Enfin, et sur le même terrain de comparaison, la place de la loi et du législateur, protecteur et garant des droits de la Déclaration (neuf articles renvoient à la loi, dont trois commençant par l'expression même « La loi… »), témoigne de l'importance et de la confiance accordée à l'institution législative. On peut y voir le fondement autant que l'expression du légicentrisme longtemps dominant dans le droit public français (même si le préambule affirme que « les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en [seront] plus respectés »). Le contraste n'est que plus frappant, par exemple, avec le Bill of Rights américain, dont la méthode caractéristique consiste plutôt à déterminer tout ce que le législateur ne peut pas faire.

Plus précisément, les auteurs de la Déclaration ont souhaité, à côté de l'affirmation de principes d'organisation de l'État (art. 3 : souveraineté nationale ; art. 12 : nécessité d'une force publique au service de l'intérêt général ; art. 13 et 14 : principe du consentement à l'impôt et de l'égalité devant les contributions publiques ; art. 15 : principe de responsabilité de tout agent public ou titulaire d'une charge publique ; art. 16 : nécessité de la séparation des pouvoirs et de la garantie des droits dans un ordre constitutionnel), mettre en avant et garantir « la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression » (art. 2), le principe de légalité des restrictions à la liberté (art. 7), le principe de légalité, de nécessité, de proportionnalité et de non-rétroactivité des sanctions (art. 8), la présomption d'innocence (art. 9), la liberté d'opinion et de conscience (art. 10), la liberté d'expression des pensées et des opinions (art. 11), les conditions à une privation de propriété privée justifiée par l'utilité publique (art. 17), tout en rappelant le principe et les conditions des limites à la liberté (art. 4), et la règle selon laquelle les restrictions à la liberté sont d'exception (art. 5).

Ce point constitue une claire illustration du légicentrisme : la liberté, garantie par la loi, est limitée par la loi, et « l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits », et qui « ne peuvent être déterminées que par la loi ».

Quant à l'égalité, la Déclaration la proclame de naissance entre tous les hommes dès son article 1er, mais, de manière tout aussi significative, ne l'inscrit pas parmi les « droits naturels et imprescriptibles de l'homme » énumérés à l'article 2. Toutefois, l'article 6 de la Déclaration consacre l'égalité devant la loi et le principe d'égal accès aux emplois et dignités publics (pour une présentation des différents projets discutés en 1789, cf. C. Fauré, Les déclarations des droits de l'homme de 1789, nouv. éd., Payot, Paris, 1992).

B. Les évolutions

Plan ◊ Si, dans la première grande période considérée (avant l'Indépendance américaine et la Révolution française), les auteurs considérés ont joué un rôle au moins intellectuel dans la diffusion de l'idée des droits de l'homme, la contribution de leurs successeurs vaut, sur la deuxième période, nécessairement plus comme une référence et une réflexion parfois critique sur le sujet. En outre, d'autres courants et tendances sont venus infléchir et compléter la tradition dominante, libérale classique, des droits de l'homme. Enfin, l'idée des droits de l'homme s'est concrétisée à l'échelle internationale tout en se diffusant dans le monde, au moins dans le discours.

1. L'approfondissement

L'évolution et la scission de la pensée libérale ◊ La défense et illustration des droits individuels doit également beaucoup à des auteurs postérieurs. Le récit de l'œuvre de ces auteurs est, parallèlement, celui de l'histoire du libéralisme après Locke et Adam Smith. Dès lors, on comprend aisément que toute présentation des auteurs ayant écrit sur la question des droits de l'homme ne puisse être que partielle. En outre, cette précision liminaire n'est pas sans importance pour la question précise des droits des individus, dans la mesure où, tout spécialement en France, il apparaît possible de distinguer deux tendances principales du courant libéral. La première est celle que l'on peut qualifier, avant l'heure, de libertarienne dans la mesure où, affirmant la « souveraineté de l'individu » (Pierre Lemieux), elle développe une radicale méfiance à l'égard de l'État et de tout phénomène construit ou de tout ensemble organique, comme la Nation, et met très fortement l'accent sur les droits individuels. La deuxième pourrait être dite libérale-étatique ou libérale-nationale, et caractérise une grande partie des grands hommes politiques français habituellement rangés parmi les libéraux (François Guizot – 1787-1874 – et Pierre Royer-Collard – 1763-1845 –, principaux représentants du courant des « doctrinaires », politiquement libéral plus que philosophiquement). Adhérant aux fondements individualistes essentiels du libéralisme, elle n'en écarte ni ne néglige pour autant le rôle de l'État et la place de la Nation, de sorte que les droits individuels occupent une moindre place, quoique toujours importante, dans le système de ces auteurs où l'impression est parfois celle de « l'effacement de l'individu » (Lucien Jeaume). La coexistence de ces deux courants explique pour partie l'évolution et le visage actuel du libéralisme, et aide à rendre compte à la fois de l'incontestable diversité et de la réelle unité des points de vue.

En outre, le recul du temps et de la réflexion par rapport aux événements et aux idées révolutionnaires en France et en Europe constitue un autre élément essentiel de compréhension de la pensée des auteurs du xixe siècle, dont l'idée de liberté et de démocratie n'est plus exactement la même que celle de leurs devanciers, et se rapproche peu à peu de la nôtre.

Constant et Tocqueville ◊ À partir de ces considérations d'ensemble, l'apport considérable de plusieurs auteurs du xixe et du xxe siècle peut être mis dans sa perspective et apprécié à sa juste valeur. Parmi ceux qui auront contribué à enrichir et approfondir la réflexion philosophique et politique sur les droits de l'homme et les libertés, il convient ainsi de mentionner, en premier lieu (chronologiquement) Benjamin Constant (1767-1830). Descendant d'émigrés huguenots né à Lausanne, il connut une carrière politique riche et mouvementée : législateur, conseiller d'État à la fin de sa vie, peu courageuse et parfois opportuniste (opposant à Bonaparte, il le supplie pourtant de le nommer au Tribunat en 1802 avant de s'en faire exclure ; dénigrant durement Napoléon, il accepte de rédiger l'Acte additionnel aux Constitutions de l'Empire en 1815) quoique toujours alignée sur une opposition libérale modérée. Son destin politique et personnel, étroitement associé à sa maîtresse et égérie, Germaine de Staël, a laissé plus de souvenirs que son œuvre littéraire. Constant aura certes marqué l'histoire de la pensée politique et constitutionnelle par son projet de régime et sa théorie du « pouvoir neutre » qui fait incontestablement de lui l'un des pères intellectuels du constitutionnalisme libéral (la foi dans la Constitution comme gardienne de la liberté) et du parlementarisme classique. Mais, en matière de droits et libertés, et bien que son système fût peu démocratique (prévoyant le suffrage censitaire de principe, se méfiant de l'idée de souveraineté, en particulier celle du peuple, sans en rejeter complètement le principe, et condamnant l'égalité), c'est précisément son analyse très moderne (notamment d'un point de vue psychologique) et pénétrante des formes de la liberté qui demeure mémorable. La distinction qu'il établit, dans son discours à l'Athénée royal en 1819, entre la « liberté des Anciens » d'une part, qui se traduit par la participation aux affaires publiques (décisions politiques, guerre), et la « liberté des Modernes » d'autre part, « jouissance paisible de l'indépendance privée », a fait date. À partir d'elle, il exprime nettement sa préférence pour la deuxième, qui repose sur l'affirmation des droits et libertés « classiques » et leur épanouissement. Dans le même temps, il souligne que la première suppose la liberté dans les affaires publiques, mais implique une abdication consentie de la liberté privée ; ainsi, il s'oppose aux projets constitutionnels et aux analyses reposant sur cette conception de la liberté et débouchant sur la tyrannie qu'ils favorisent (visant par là notamment Rousseau et Mably).

La pensée d'Alexis de Tocqueville (1805-1859) a connu une postérité plus considérable encore, à travers le succès posthume de ses œuvres. D'illustre ascendance, ce magistrat légitimiste, rallié à Louis-Philippe mais ne trouvant pas sa place dans le nouveau régime, abandonne ses fonctions judiciaires et part en voyage officiel d'études aux États-Unis en 1831. Il en ramène une description analytique de la société et des institutions américaines, qu'il perçoit comme l'avenir de la démocratie européenne (les deux premiers livres de De la démocratie en Amérique), complétée de ses réflexions sociologiques propres (les deux livres suivants du même ouvrage). Puis il entame une carrière politique : député à partir de 1839, conseiller général de la Manche, il est membre de l'Assemblée constituante en 1848, et ministre des Affaires étrangères durant quelques mois en 1849. Son éloignement des affaires publiques à l'avènement de Napoléon III lui procure le loisir de rédiger son autre grande œuvre, L'Ancien Régime et la Révolution, dont la poursuite est interrompue par la mort (tout comme la rédaction de ses Souvenirs, publiés à titre posthume). L'intérêt porté à la pensée de Tocqueville est d'abord autre que théorique au sens strict ou doctrinal : dans son étude de la démocratie américaine comme dans celle des origines de la Révolution française, son approche neuve et pénétrante de sociologie historique demeure une référence méthodologique. Il ne développe donc pas une théorie des droits de l'homme. En revanche, son apport original tient dans une réflexion constante sur le problème délicat et très moderne des rapports entre liberté, égalité et démocratie (cf. entre autres, J.-C. Lamberti, La notion d'individualisme chez Tocqueville, PUF, 1970).

Question pérenne, même si la réflexion sur le sujet a, par la suite, parfois cherché à justifier a posteriori la démocratie contemporaine, l'interventionnisme de l'État et le modèle idéologique social-démocrate : l'ouvrage principal de John Rawls (A Theory of Justice, 1971 ; trad. française : Théorie de la justice, 1986), qui a connu un retentissement considérable, apparaît à cet égard particulièrement caractéristique.

Dégageant une tendance profonde, ancienne et continue à l'égalité croissante dans un mouvement qu'il juge irrépressible, Tocqueville met l'accent sur le risque que la démocratie purement individualiste et égalitaire fait peser à terme sur la liberté individuelle. A contrario, il développe l'idée d'un système de limitation du pouvoir et des effets de la souveraineté majoritaire par les voies les plus classiques, mais aussi par le renforcement des « corps intermédiaires », privés comme publics (les collectivités locales), face à la puissance d'État.

Spencer et Mill ◊ On peut être surpris, surtout du point de vue français de l'histoire de la pensée politique, de voir figurer ici deux auteurs connus avant tout pour leur développement de l'utilitarisme anglo-saxon, et, pour le premier, par une analyse systématique cherchant à transposer à l'univers social la théorie darwinienne de l'origine des espèces. Pourtant, leur réflexion moderne sur la liberté, la démocratie et les droits individuels mérite d'être rappelée. Dans la pensée d'Herbert Spencer (1820-1903), l'individu prime sur la société, dont il possède le droit de s'affranchir. La légitimation du pouvoir de la société peut être alors recherchée soit dans la démocratie majoritaire « pure », soit dans une conception plus élaborée reconnaissant dans l'existence de droits naturels la limite à la décision majoritaire. Spencer rejette la logique de la Déclaration de 1789, dont il considère qu'elle laisse trop de pouvoir à la loi, puisque l'appréciation des limites à l'action du législateur inhérentes au bien commun est laissée à la majorité elle-même. C'est donc l'existence de limites en soi à l'action de la majorité, et à l'intrusion croissante et auto-justifiée de l'État dans la vie des individus, qu'il faut affirmer. La majorité n'a de pouvoir de décision que limité et valable dans certains cas seulement, l'individu conservant la capacité d'agir et de s'émanciper dès que l'action majoritaire dépasse le point ultime qu'il avait lui-même fixé à son devoir d'obéissance.

John Stuart Mill (1806-1873), lui aussi, admet, à rebours de Rousseau, la possibilité de l'oppression majoritaire et la contradiction entre la liberté et le devoir d'obéissance de l'individu, fût-il seul de son opinion. Devant la crainte des dérives conformistes de la démocratie représentative (dont il reconnaît aussi cependant les mérites), et au nom de son attachement à la liberté individuelle (et, plus spécialement, à la liberté de pensée), il élabore une théorie exigeante des limites à l'intervention de l'État dans les comportements individuels et propose une forme d'équilibre des pouvoirs. La philosophie utilitariste développée par son père James n'est pas absente, lorsqu'il ajoute à la première théorie de la quantité des plaisirs, celle de la qualité des plaisirs.

Hayek ◊ L'œuvre de Friedrich von Hayek (1899-1992), Prix Nobel d'économie en 1974 pour ses travaux des années 1930 (mais qui dépasse largement l'économie tant par son champ d'analyse que par sa portée) illustre, à la suite des auteurs précédents et avec les autres personnalités de « l'école autrichienne » (Carl Menger, Ludwig von Mises notamment), le renouveau de la pensée libérale et d'une tradition antiétatique des droits individuels (en particulier dans La route de la servitude, La Constitution de la liberté ou encore Droit, législation et liberté). Dans sa critique du constructivisme et du positivisme juridique, comme dans son analyse sceptique de la démocratie représentative majoritaire et de ses dérives, il renoue avec une tradition affirmant le primat de l'individu et de ses droits naturels (quelle que soit par ailleurs son idée de la nature). Une telle position, et son influence réelle (quoique minoritaire) dans les idées contemporaines, sont notables plus d'un point de vue diachronique que synchronique, alors que la juridicisation ultime des droits de l'homme dans les droits fondamentaux est aujourd'hui largement admise.

2. L'infléchissement

Le problème de l'égalité ◊ Comme il a déjà été mentionné, le problème de l'égalité n'est que brièvement traité en tant que tel dans la Déclaration de 1789. Pourtant, la question n'était évidemment pas absente de la réflexion sur les droits de l'homme. Ainsi, certains penseurs, précurseurs du socialisme utopique, voire du marxisme et du gauchisme, ont inclus la revendication des droits de l'homme dans leurs projets. Les abbés Jean Meslier (1664-1729 ; auteur en particulier du Testament, violemment anticlérical et hostile aux hiérarchies sociales) et Guillaume Raynal (1713-1796 ; Histoire philosophique des deux Indes, 1770, également anticlérical), Morelly (dates inconnues ; auteur entre autres du Code de la nature), Gabriel de Mably (1709-1785 ; frère aîné de Condillac, auteur des Entretiens de Phocion, sur les rapports entre philosophie et morale, mais surtout, pour l'intérêt du sujet, le Traité de la législation ou Principe des Lois, 1776, au milieu d'une œuvre abondante en quinze volumes), ou encore Gracchus Babeuf (François Noël, dit – 1760-1797 ; inspirateur du Manifeste des Égaux de Sylvain Maréchal, critique « de gauche » de la Révolution, et meneur, en 1796, de la Conspiration des Égaux avec Darthé, avortée et réprimée), ont surtout marqué l'histoire des droits de l'homme par leur forte contestation de l'ordre social de l'Ancien Régime et même du projet révolutionnaire, mais aussi des idées libérales attachées à la propriété notamment, et par leur militantisme égalitariste, précurseur du communisme moderne. En ce sens, et même s'ils s'inscrivent à rebours de la tradition dominante des droits de l'homme, leur place reste importante, en tant qu'ils auront initié une autre « tradition ».

Une ligne révolutionnaire plus « égalitaire » s'est exprimée et illustrée dans la Constitution du 24 juin 1793, jamais appliquée en tant que telle, mais référence historique et idéologique.

L'idée mythique de la Révolution républicaine et populaire de 1792-11793 contre la Révolution « bourgeoise » de 1789 restera longtemps ancrée, chez les anarchistes comme pour le Marx de La Guerre civile en France, 1871 (mais dont l'analyse et le système évolueront après l'échec ouvrier de juin 1848 et surtout l'aventure de la Commune de 1871). Dans les premières institutions soviétiques (Constitution de 1924 en particulier), certains ont vu une filiation directe.

Placé dès son origine (l'élection d'août 1792) sous le signe du suffrage universel masculin (art. 25 et 29 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1793, art. 2, 4 et 7 de la Constitution), le régime de la Convention accorde une place beaucoup plus importante à l'égalité.

Le choix de principe de la démocratie directe donnait au suffrage universel une véritable portée, même si un dixième seulement des électeurs (les plus révolutionnaires) prit part à l'élection de la Convention. Par la suite, la Constitution de l'an III et celle de l'an VIII conservèrent le principe du suffrage universel (art. 2, 8 et 17 s. de la Constitution du 5 fructidor an III, et art. 20 de la Déclaration des droits et devoirs ; art. 2 et 7 de la Constitution du 22 frimaire an VIII), mais, dans la première, au niveau des seules Assemblées primaires appelées à désigner les électeurs, et, dans la seconde, dans les assemblées locales établissant la première liste communale de confiance.

Résultat d'un très difficile compromis entre Girondins et Jacobins, peu modifiée à l'issue du coup de force du 2 juin 1793 et de l'élimination des premiers par les seconds, la Déclaration des droits en tête de la Constitution, tout en reprenant assez largement celle de 1789 (sous l'influence girondine, de Condorcet notamment, qui, quoique matérialiste, affirmait le primat des droits individuels sur le « collectif »), fait désormais, dans son article 2, de l'égalité l'un des droits essentiels (le premier), avec la liberté, la sûreté et la propriété (malgré Robespierre, par ailleurs très méfiant quant aux aspects économiques et sociaux de l'égalité). La Déclaration des droits et des devoirs de l'homme et du citoyen de 1795 reprend largement les formules de 1793, et mentionne les mêmes droits dans son article 1er, mais en ne plaçant l'égalité qu'en deuxième position, et en prenant soin de la définir (art. 3) comme la seule égalité juridique. C'est la Constitution du 4 novembre 1848 qui consacrera définitivement en France la place de l'égalité générale et abstraite au fronton des droits de l'homme en adoptant comme « principe » la devise toujours actuelle de la République : Liberté, Égalité, Fraternité (art. IV du Préambule). La comparaison avec les textes anglo-saxons notamment éclaire l'originalité et la singularité de la démarche française d'alors. Toutefois, il importe de noter que la revendication égalitaire, sur le plan électoral, parlementaire et plus largement social, s'est aussi exprimée en Angleterre, notamment dans le très disparate mouvement « chartiste ».

Tirant son nom de la « Charte du peuple » élaborée en 1838 par William Lovett et Henry Hetherington, syndicalistes londoniens, le mouvement, qui va des ex-conservateurs méthodistes aux socialistes en passant par les libéraux, réclama en trois étapes (1834-1839, 1841-1842, 1847-1849) et obtint en partie (jusqu'à l'échec final) le suffrage universel, le vote secret, la révision du découpage électoral et la création d'une indemnité parlementaire (pour permettre la représentation ouvrière et moyenne à la Chambre des communes), mais aussi la réduction de la durée quotidienne du travail, et, au-delà, une plus grande égalité sociale. Les syndicats (ou leur proto-forme) s'y illustrèrent avec vigueur, aux côtés des libéraux qui demandaient l'abrogation des « lois sur les pauvres » ; certains théorisèrent le recours à la grève générale.

La question sociale et ses répercussions ◊ Le mouvement général des idées philosophiques et des références culturelles explique à lui seul en grande partie l'évolution des doctrines politiques au xixe siècle, soit qu'elles émergent (même non dénuées de liens avec des idées plus anciennes), soit qu'elles s'infléchissent ou s'enrichissent. Mais l'environnement social a aussi pesé d'un poids réel pour faire de la « question sociale » une grande préoccupation du siècle.

En Angleterre, la poursuite de la révolution industrielle commencée au xviiie siècle, la difficile sortie de près de deux décennies d'économie de guerre et de blocus et le régime des prix agricoles rendent précaire la situation de nombre d'ouvriers et de petits artisans. En France, les débuts de l'industrialisation véritable du pays (les conditions d'utilisation des machines et les travaux encourageant, dans les cas de faible revenu familial, le travail des enfants), les effets du Code civil sur la propriété agricole, la baisse des prix industriels et des salaires et un même régime protégé de prix agricoles aboutissent au même résultat, comme en attestent les rapports du préfet Villeneuve-Bargemont (dans le Nord de 1828 à 1830) et du docteur Villermé (Tableau de l'état physique et moral des ouvriers dans les fabriques de coton, de laine et de soie, 1840).

L'influence croissante des courants socialistes (non marxistes) ◊ Le contexte philosophique de la fin du xviiie siècle et de la première moitié du xixe apparaît, avec le recul, propice à une évolution de l'idée des droits de l'homme par imprégnation. La pensée très influente de Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831), qui aboutit à faire de l'État la totalité qui englobe et soumet la famille, la société civile et l'individu, le positivisme systématisé par Auguste Comte (1798-1857) et largement diffusé, remettaient en cause certains fondements ou postulats de la doctrine classique des droits de l'homme. Mais ce sont les divers courants socialistes, d'abord non marxistes, qui émergent et s'expriment au cours du siècle qui ont exercé une influence directe et progressivement infléchi l'idée et le contenu de ces droits.

Perplexes devant l'évolution du système économique et le contexte social, certains commencent par tenter de penser la révolution industrielle. Le comte Claude Henri de Saint-Simon (1760-1825 ; arrière-petit-neveu du duc), compagnon d'armes de George Washington, échappé de peu à la guillotine et progressivement ruiné par de mauvaises affaires et des largesses, se veut le partisan de la raison organisatrice et du progrès scientifique et technique (sa pensée marquera largement celle de Comte, qui fut son secrétaire à partir de 1818), et propose un système d'organisation économique et social alternatif au capitalisme libéral donnant la priorité aux capacités et aboutissant à un gouvernement technocratique de la société (sa fameuse parabole sur les politiques et les producteurs de 1819 fit grand bruit et est demeurée célèbre). Dans la période des précurseurs du socialisme proprement dit, Charles Fourier (1772-1837), petit commerçant ruiné, très hostile à la religion et à la propriété, tire de sa « théorie des mouvements » le projet de communautés ouvrières de vie et de production, les célèbres phalanstères, d'où tout lien privé (matrimonial notamment) et toute appropriation seraient bannis. L'Anglais Robert Owen (1771-1858), talentueux industriel et réformateur zélé, tente à plusieurs reprises (notamment aux États-Unis) une expérience proche.

La pensée de ces précurseurs a exercé une influence variable, mais globalement importante. Le saint-simonisme « littéral » et sectaire (celui de Prosper Enfantin – 1796-1864 – et d'Armand Bazard – 1791-1832 –, et de la « colonie » de la rue de Ménilmontant à Paris) n'a pas sérieusement survécu à sa référence. En revanche, l'impact intellectuel des aspects rationalistes et technocratiques de la pensée de Saint-Simon sur les industriels, banquiers, hommes d'affaires et nombre d'administrateurs a été considérable, notamment par l'intermédiaire du journal Le Globe (créé en 1824) dirigé par Pierre Leroux (1797-1871), socialiste théoricien de la « solidarité » (contre la « dissociation » et sa conséquence, la « fausse propriété » des biens). Quant à Fourier, très raillé de son vivant, c'est par l'intermédiaire de son principal disciple, Victor Considérant (1808-1893), et du journal La Démocratie pacifique créé par celui-ci en 1843, que son influence a été considérable dans les milieux ouvriers évolués, peu à peu acquis à ses idées d'association, d'organisation collective du travail et de coopératives ouvrières de consommation.

Les socialismes (français) non marxistes forment un ensemble disparate. Certains s'inspirent du christianisme (souvent « relu »), comme Philippe Buchez (1796-1865), véritable socialiste chrétien, député en 1848 et fondateur de la revue L'Atelier (auteur de l'Essai d'un traité complet de philosophie au point de vue du catholicisme et du progrès en 1840) ou Constantin Pecqueur (1801-1887), qui prône l'institution d'un État populaire républicain fondé sur le suffrage universel et maître des moyens de production et des matières premières (Théorie nouvelle d'économie sociale et politique, 1842) et défend une nouvelle morale universelle (le « philadelphisme »).

D'autres, plus nombreux, se proclament avant tout athées. Parmi eux, se rattachent à la tradition communiste et montagnarde de Babeuf (transmise par un de ses rares compagnons survivants, Philippe Buonarroti – 1761-1837) Auguste Blanqui (1805-1881), infatigable révolutionnaire longtemps emprisonné (inventeur de l'expression « dictature du prolétariat »), et Armand Barbès (1809-1870), député d'extrême gauche en 1848, son compagnon d'émeutes. Étienne Cabet (1788-1856), ancien avocat, député d'extrême gauche en 1831, promeut, à travers son journal Le Populaire, l'idée, répandue dans les milieux ouvriers, d'une possible évolution sociale pacifique et développe un modèle communiste dans son utopie « icarienne » (Voyage en Icarie, 1839). Louis Blanc (1811-1882), historien et journaliste à La Revue du Progrès (1839), a eu une influence considérable, par ses écrits (L'organisation du travail, 1839) comme par sa carrière politique (seul membre socialiste du Gouvernement provisoire de février 1848, député de 1871 à 1876), en tant que théoricien du collectivisme, mis en œuvre par l'État dans les « ateliers sociaux » (les Ateliers nationaux qui fonctionnèrent de février à juin 1848). Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865), ouvrier autodidacte devenu imprimeur puis journaliste, est plus difficilement classable, mais a fortement marqué l'histoire des idées. Adversaire de la propriété privée (Qu'est-ce que la propriété ?, 1840 : « La propriété, c'est le vol. ») et du capital, il cherche surtout à réformer profondément le système et la société capitalistes en réconciliant les classes. Opposé à toute forme d'autorité institutionnalisée, il prône l'organisation collective et le secours réciproque. Il est ainsi considéré comme l'inspirateur de l'anarchisme, mais aussi du syndicalisme et du mutuellisme, et comme un théoricien moderne d'un fédéralisme libertaire. Sur ces divers points, comme sur son anti-matérialisme, il s'opposa rapidement et irréductiblement à Marx, leur antagonisme structurant l'histoire du mouvement ouvrier en France.

Au-delà de leur diversité et de leur influence respective, les traits communs de ces différents courants apparaissent bien, par contraste avec plusieurs points de la tradition classique libérale qui sous-tend la philosophie première des droits de l'homme : contestation de la place de la propriété (ou de son caractère individuel), primauté du travail, exigence d'égalité sociale, émancipation politique et intellectuelle des couches défavorisées, recherche de la justice sociale.

Le développement de nouveaux droits ◊ C'est principalement l'influence de ces idées et doctrines qui peut expliquer la reconnaissance de droits complémentaires et différents de ceux de la première génération libérale classique. Il convient de préciser immédiatement que l'inscription de ces droits nouveaux dans les déclarations ultérieures et autres textes constitutionnels témoigne de la prédominance, parmi ces courants, des tendances non utopiques, c'est-à-dire de celles qui n'évacuent pas (à l'image d'Owen par exemple) le problème de l'État en dissociant démocratie sociale et politique.

Dès la Constitution de 1793, on trouve ainsi consacrés le droit aux « secours publics » qui consiste en le devoir pour la société de procurer du travail ou des moyens de subsistance à ceux hors d'état de travailler (art. 21 de la Déclaration), et le droit à l'instruction (art. 22). Mais c'est la Constitution de 1848 (malgré le tournant imprimé après la répression des émeutes ouvrières de mai-juin) qui marque probablement le véritable changement en la matière, accentuant d'ailleurs par là même la différence susceptible d'être relevée entre la tradition européenne continentale (et internationale au xxe siècle) et la tradition anglo-saxonne. Inspiré par Considérant et Blanc, le droit au travail suscite notamment cinq jours de débats pendant les travaux de l'Assemblée constituante, les uns invoquant le précédent révolutionnaire et républicain et la justice sociale, les autres (dont Tocqueville et Adolphe Thiers) leur opposant les risques de dérive inhérents selon eux à une telle reconnaissance. Le point VIII du Préambule de la Constitution du 4 novembre rappelle, parmi les devoirs de la République, celui d'ouvrir l'instruction au plus grand nombre, d'« assurer l'existence des citoyens nécessiteux » en leur procurant du travail ou une subsistance (à défaut de la famille), et de protéger le citoyen dans son travail. L'article 13 de la Constitution demeure la disposition-clé des nouveaux droits économiques et sociaux : outre qu'elle garantit la « liberté du travail et de l'industrie », « la société favorise et encourage le développement du travail par l'enseignement primaire gratuit, l'éducation professionnelle, l'égalité de rapports entre le patron et l'ouvrier, les institutions de prévoyance et de crédit, les associations volontaires et l'établissement, par l'État, les départements et les communes, de travaux publics propres à employer les bras inoccupés ; elle fournit l'assistance aux enfants abandonnés, aux infirmes et aux vieillards sans ressources, et que leurs familles ne peuvent secourir ». Quant à la Fraternité, qui vient s'inscrire dans la devise de la République, son origine peut être trouvée autant dans le message évangélique que dans l'idée de Saint-Simon d'une religion nouvelle basée sur ce principe et ferment de la cohésion de la société. On relèvera d'ailleurs que c'est le texte de 1848 qui abolit définitivement l'esclavage dans les colonies françaises qui avait été supprimé aux débuts de la République, puis rétabli sous le Consulat ; l'affranchissement était bien l'un des grands « oubliés » de la Déclaration de 1789, malgré l'active propagande de la Société des Amis des Noirs fondée en 1788 et animée par d'éminentes figures de la Révolution (entre autres Condorcet, Siéyès, Mirabeau, La Fayette).

Après la Libération, en France, la continuité des droits économiques et sociaux, interrompue depuis 1852, est renouée et amplifiée, dans la fidélité aux idées et projets de la Résistance : la Déclaration des droits du projet constitutionnel du 19 avril 1946 (rejeté par référendum le 5 mai) inclut une longue et riche liste de ces droits (art. 22 à 39), y compris le droit de propriété dont la protection classique est complétée d'une disposition sur ses fins sociales et ses limites (art. 36). Le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui reprend une partie du texte précédent, consacre comme « principes politiques, économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps » (al. 2), le droit d'obtenir un emploi et la non-discrimination en matière professionnelle (al. 5), la liberté syndicale et la liberté d'adhésion (al. 6), le droit de grève pour tous, y compris les fonctionnaires (al. 7), le droit à la participation à « la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises » (al. 8), le droit à la protection sociale et matérielle et à la protection de la santé (al. 10 et 11), le droit à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture (al. 13).

L'ensemble des dispositions du Préambule de la Constitution de 1946 a aujourd'hui valeur constitutionnelle en droit positif français : cf. Cons. const., décis. n° 44 DC du 16 juillet 1971, préc. ; 54 DC du 15 janvier 1975, Rec. p. 19 ; GD, op. cit., no 15.

Les textes étrangers postérieurs à 1945 intègrent également des droits à caractère économique et social, conformément à une conception européenne de la modernité constitutionnelle et politique.

Cf. par exemple art. 29 à 47 de la Constitution italienne de 1947 ; art. 21 à 23 de la Constitution grecque de 1975 ; art. 28, 35, 36, 37, 38 et 39 à 52 de la Constitution espagnole de 1978 ; art. 53 à 79 de la Constitution portugaise de 1976 révisée en 1982 et 1989 (la plus fournie d'Europe occidentale de ce point de vue). En République fédérale d'Allemagne, le caractère social de la République fédérale, proclamé à l'art. 20 de la Loi fondamentale, est interprété de manière vaste et extensive.

Le « ralliement » catholique et son incidence ◊ Dans la présentation de l'évolution de l'idée des droits de l'homme et de leur contenu, il convient sans doute d'accorder une attention rapide à la question du « ralliement » de l'Église catholique, dont la doctrine est longtemps demeurée la seule radicalement hostile à la philosophie classique des droits de l'homme. Au-delà de l'intérêt de la présentation de certains courants doctrinaux complémentaires de ceux déjà évoqués, il est clair que ce rapprochement progressif a entraîné dans sa direction une frange considérable de l'opinion européenne et mondiale, faisant même du Saint-Siège un allié de la politique des droits de l'homme, d'un certain point de vue.

La pensée catholique libérale et sociale ◊ Dans le foisonnement des idées du xixe siècle en France, des réflexions et des sensibilités catholiques aux libertés et aux problèmes sociaux se sont manifestées, dans des directions il est vrai différentes. Ainsi, Louis de Bonald (1754-1840), dans son effort de démonstration de la supériorité d'une monarchie tempérée et rationnelle (Théorie du pouvoir politique et religieux dans la société civile, démontrée par le raisonnement et par l'histoire, 1796), développe une idéologie décentralisatrice très favorable aux libertés communales (sans se faire malgré tout l'avocat des libertés individuelles). À la même époque, Félicité de La Mennais, devenu Lamennais (1782-1854), prêtre incertain puis défroqué, se fait d'abord le défenseur de l'autorité pontificale et fait preuve d'un ultramontanisme zélé, voyant dans le catholicisme le seul rempart contre la révolution sociale, mais refusant de l'identifier à la monarchie (La religion considérée dans ses rapports avec l'ordre politique et civil, 1825 ; Des progrès de la Révolution et de la lutte contre l'Église, 1829). Dans son journal L'Avenir (créé au début de la Monarchie de Juillet), il défend les libertés locales, la liberté d'association, de presse, d'enseignement, et l'extension du droit de suffrage politique, et milite pour la séparation de l'Église et de l'État, trouvant un grand écho chez les fidèles. Puis, très touché par la misère ouvrière, il évolue vers une pensée beaucoup plus sociale (Paroles d'un croyant, 1834 ; Le livre du Peuple, 1837 ; De l'esclavage moderne, 1839), dans laquelle il dénonce le règne de l'argent, le pouvoir de l'État et les hiérarchies muettes devant le « nouvel esclavage » ; il demeure toutefois attaché à la liberté individuelle et à la propriété privée, pour lui intimement liées (il ne faut donc pas abolir la propriété, mais y faire accéder le plus grand nombre). À ses côtés, Charles de Montalembert (1810-1870), membre de la Chambre des Pairs puis de l'Assemblée constituante et du Corps législatif de l'Empire, a défendu, en demeurant fidèle à Rome, la liberté d'enseignement et les libertés religieuses, notamment dans Le Correspondant. Henri Lacordaire (1802-1861), dominicain, resta, lui aussi, attaché à l'autorité romaine et défendit la liberté et les droits des plus faibles dans L'Avenir, puis dans ses célèbres sermons (« Entre le fort et le faible, c'est la loi qui protège et la liberté qui opprime »).

Le souhait de diffuser et amplifier le magistère pontifical sur les questions sociales (exprimé principalement dans l'encyclique Rerum novarum de Léon XIII en 1891) a conduit certains catholiques sur la voie de la réflexion et de l'action militante. Le comte Albert de Mun (1841-1914) crée les Cercles ouvriers (Ma vocation sociale, 1911), tandis que le marquis René de la Tour du Pin (1834-1924) développe un modèle où la société est placée, comme un tout organique, sous la volonté de Dieu (dans une perspective peu libérale). Dans le même temps, Marc Sangnier (1873-1950), fondateur du Sillon (journal et mouvement), suscite un influent mouvement de revendication d'une plus grande liberté intellectuelle et théologique dans l'Église, et d'organisation d'une éducation populaire, qui connaît rapidement des tensions internes et qui sera désavoué par le Saint-Siège (Sangnier se soumit, contrairement à Lamennais), cependant que Jacques Piou (1838-1932) fonde au Parlement l'« Action libérale populaire », ébauche d'un parti chrétien-démocrate.

La levée progressive des oppositions du Saint-Siège ◊ Alors que plusieurs personnalités, y compris ecclésiastiques, avaient participé de manière décisive aux débuts de la Révolution, et que, durant le xixe siècle, des courants nouveaux se réclamant du catholicisme avaient rencontré un réel écho parmi les fidèles (et ne sont donc pas demeurés neutres pour la suite), l'Église a longtemps manifesté son opposition à la doctrine des droits de l'homme et à ses tenants. Les choix idéologiques et politiques du nouveau régime (ainsi que la confiscation des biens de l'Église et des ordres et la « Constitution civile du clergé » de 1790) furent condamnés par Pie VI en mars 1791 (Quod aliquandum). Malgré le ralliement temporaire du Saint-Siège et du clergé sous le Consulat et une partie de l'Empire (à partir du Concordat de 1801), l'opposition pontificale ne fléchit pas : Grégoire XVI (Mirari vos, en 1832, qui condamne l'Avenir et les idées de Lamennais), puis Pie IX (Quanta cura, suivie du Syllabus en 1864), réitèrent la condamnation des principes révolutionnaires de 1789, des droits de l'homme et du libéralisme politique en général. Le changement intervient surtout avec l'avènement de Léon XIII (Pontife et non plus Roi), qui cherche à réconcilier spirituel et temporel (Immortale Dei, 1885 ; Sapientiae christinae, 1890), mais surtout développe une doctrine des « droits innés » de l'homme et de leur fondement moral, insistant en particulier sur le caractère social de ces droits, sur la dignité du travail et fondant ainsi la « doctrine sociale de l'Église » (spécialement dans Rerum novarum, en 1891 ; également Tra le sollecitudine, 1892). Dans le même temps, les catholiques français se rallient progressivement à la République, sur la recommandation du Saint-Siège et du haut clergé (cf. en ce sens, la déclaration d'Alger du cardinal Lavigerie en 1891). À partir de là, et malgré des tensions (anticléricalisme virulent en France à la fin du xixe et au début du xxe siècle, condamnation par Pie X du Sillon en 1910), la position de l'Église devient plus favorable.

Une doctrine catholique des droits de l'homme ◊ En évoquant la position contemporaine des autorités catholiques sur les droits de l'homme, il convient de rappeler tout d'abord certains textes et documents importants. Si l'enseignement et l'approfondissement de la doctrine sociale de l'Église se sont poursuivis après 1891 (souvent à des dates anniversaires de Rerum novarum : par exemple Quadragesimo anno en 1931, Laborem exercens en 1981, Centesimus annus en 1991), d'autres textes ont abordé la question de manière plus globale. Le magistère pontifical s'est d'abord exprimé en réaction directe à la montée des totalitarismes communiste et nazi : sous le pontificat de Pie XI, Divini Redemptoris et Mit brennender Sorge, en 1937 ; sous Pie XII, Summi Pontificatus en 1939 et les messages radiodiffusés de Noël 1942 et 1944, dans lesquels on trouve une proposition (la première émanant d'une autorité non laïque) de « Déclaration des droits fondamentaux de la personne humaine » de portée universelle, nonobstant la controverse sur sa position vis-à-vis de l'attitude des nazis. Il a aussi été formulé dans des circonstances moins dramatiques : encyclique Pacem in terris (1963) de Jean XXIII (le premier texte pontifical évoquant directement la Déclaration universelle des droits de l'homme comme un « signe des temps », après les encouragements à l'ONU de Pie XII) et Populorum progressio (1967) de Paul VI, constitution Gaudium et spes et déclaration Dignitatis humanae du Concile Vatican II (1965), mais aussi de nombreux discours et interventions depuis Paul VI. Ainsi Jean-Paul II pouvait-il déclarer aux membres de la Cour et de la Commission européenne des droits de l'homme : « Il ne fait pas de doute que la notion de “droits de l'homme”, surtout telle qu'elle a été consacrée par la Déclaration universelle de 1948 des Nations unies, est devenue une sorte de bien commun de l'ensemble de l'humanité [...]. En un mot, l'Église est l'alliée de tous ceux qui défendent les libertés véritables de l'homme. Car la liberté est inséparable de la vérité que tout être humain recherche et qui rend les êtres humains véritablement libres ».

Cependant, il faut aussi préciser le sens et la teneur des droits et libertés défendus avant tout par l'enseignement de l'Église. Son message vise des droits innés de l'homme, dans la tradition jusnaturaliste classique (thomiste et post-thomiste immédiate), mais également objectifs et « sociaux » au sens qu'ils doivent s'exercer dans les communautés (famille, société, nation, Église), dans le respect de ces dernières et d'autrui, c'est-à-dire en résumé en tant qu'ils sont indissociables de devoirs et ne sauraient être conçus et appréhendés de manière individualiste.

3. La diffusion

Caractéristiques ◊ L'évolution de l'histoire des droits de l'homme, dans ses développements les plus récents, se caractérise aussi par leur expansion et leur diffusion au-delà des revendications nationales et de l'aire occidentale. Désormais, leur importance est, au moins dans son principe, admise formellement par pratiquement tous les États et les régimes. Cette diffusion a pris, particulièrement au xxe siècle, la forme de documents internationaux de portée plus ou moins générale. Il s'agit d'un développement considérable des droits de l'homme, d'un point de vue quantitatif, mais aussi qualitatif, dans la mesure où, conformément à l'idée d'une société internationale développée facteur de progrès et de paix, et en écho des anciennes doctrines jusnaturalistes du « droit des gens », on recherche désormais dans les actes internationaux un moyen d'imposer plus fortement le respect des droits de l'homme aux États.

L'internationalisation des droits de l'homme ◊ La proclamation des droits de l'homme dans des textes internationaux est sans doute à la fois le signe de leur reconnaissance et la revendication de leur universalité, tout en traduisant une recherche de plus grande effectivité (aussi grande que celle de l'ordre international). Peut-être faut-il également y voir un mouvement « naturel » des droits de l'homme à la fois conforme à leur essence et en accord avec un ensemble de plus en plus globalisé, non sans poser de questions (sur ces différents aspects, à travers le problème particulier du rapport entre droits de l'homme et famille dans une perspective internationale et globalisée, cf. A.-J. Arnaud, Entre modernité et mondialisation, LGDJ, 1998, p. 77-104).

Elle marque effectivement le xxe siècle (particulièrement après 1945), mais ne semble pas commencer avec lui. En effet, le droit international coutumier prescrivant depuis longtemps la jouissance d'un minimum de droits et libertés au profit des étrangers, ou des conventions comme le traité de juillet 1827 (par lequel France, Grande-Bretagne et Russie s'engagent à intervenir en Grèce au nom des intérêts du commerce, de la paix en Europe et « d'un sentiment d'humanité ») ou la convention de Genève d'août 1864 fondant la Croix-Rouge (et le « droit humanitaire »), pourraient être considérés comme les premières manifestations d'une protection internationale de certains droits de l'homme. Si leur intérêt, de ce point de vue, ne peut être minoré, un pas décisif restait cependant encore à franchir : de tels documents ou corps de règles n'imposaient pas encore aux États le respect des droits de leurs propres ressortissants.

Ce sont sans doute les traités marquant la fin de la Première guerre mondiale qui, dans leurs stipulations relatives aux minorités nationales, ont marqué le franchissement de cette étape.

Les premières clauses, parfois très détaillées, se retrouvent dans le Traité de Versailles (juin 1919), à propos de l'indépendance de la Pologne, et dans celui de Saint-Germain-en-Laye (sept. 1919), à propos de celle de la Tchécoslovaquie. Outre les droits culturels, religieux et autres des minorités, des mécanismes nouveaux de garantie sont prévus : révision des stipulations à la seule majorité du Conseil de la Société des Nations, saisine du Conseil par un de ses membres au sujet d'une violation ou d'un risque de violation, intervention de la Cour permanente de justice internationale pour régler les différends quant à l'interprétation des stipulations. Les mêmes innovations furent reprises notamment dans les traités particuliers avec les vaincus : traités de Saint-Germain-en-Laye (avec l'Autriche), de Neuilly (nov. 1919 ; avec la Bulgarie), de Trianon (juin 1920 ; avec la Hongrie), de Lausanne (juill. 1923 ; avec la Turquie), comme avec les États agrandis (nouvelle Yougoslavie dans le traité de Saint-Germain-en-Laye ; Roumanie dans le traité de Paris de décembre 1919 ; Grèce dans le traité de Sèvres d'août 1920).

En outre, il fut admis que les membres des minorités pouvaient adresser des pétitions au Conseil de la SDN. (instruites par des comités ad hoc, avec publicité possible et saisine du Conseil et de la Cour) ; un système similaire fut prévu pour les territoires sous mandat (pétitions auprès de la Commission permanente des mandats du Conseil de la SDN).

Le Traité de Versailles (partie XIII) prévoyait également la création d'un autre système original de protection des droits sociaux : celui de l'Organisation Internationale du Travail (inspirée par le Français Albert Thomas). Outre le principe de la représentation tripartite (État-employeurs-salariés) au sein des instances et le pouvoir de proposition et de délibération de ces dernières sur des conventions d'amélioration des conditions de travail, le Bureau International du Travail (organe permanent) peut recevoir des réclamations de délégués ou d'organisations professionnelles, les instruire et aller jusqu'à les transmettre à la CPJI. Ce mécanisme, repris dans la Constitution de l'OIT d'octobre 1946, fonctionne toujours.

Les Nations unies, conformément à l'esprit et à certaines stipulations de la Charte fondatrice de San Francisco de juin 1945, ont contribué très largement à l'internationalisation des droits de l'homme, vers une dimension universelle. L'étape capitale fut celle de l'adoption par l'Assemblée générale des Nations unies, à Paris le 10 décembre 1948, de la résolution 217 (III) portant Déclaration universelle des droits de l'homme (principalement rédigée par le Français René Cassin). Ce texte, qui n'est juridiquement pas une convention internationale, demeure malgré tout un document de référence, proclamant une grande variété de droits essentiels, d'ailleurs non dissociés des devoirs de l'homme (notamment sociaux). La recherche d'une protection universelle et générale des droits de l'homme est ensuite allée plus loin avec l'adoption, en annexe de la résolution 2200 (XXI) de l'Assemblée générale du 16 décembre 1966, de deux Pactes internationaux (dits de New York), l'un relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, l'autre relatif aux droits civils et politiques (seul le premier fut ratifié par les États marxistes). Ces deux véritables traités, non seulement garantissent divers doits et libertés, mais instaurent également un système de garantie, sous forme de rapports au Comité des droits de l'homme des Nations unies pour le premier, de recours individuels au même Comité pour le second, dans l'ensemble peu contraignante. De nombreuses conventions dites particulières ont également été adoptées dans le cadre de l'ONU (sans prendre même en compte les traités fondateurs de certaines organisations rattachées, comme l'UNESCO ou l'OMS).

On peut citer, parmi les plus marquantes : la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (décembre 1948), la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (décembre 1965), la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (ouverte à la signature en mars 1980), la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (décembre 1984), la Convention relative aux droits de l'enfant (novembre 1989).

Des systèmes régionaux ou particuliers de protection ◊ Un développement singulier des droits de l'homme à l'échelon supra-étatique a été l'adoption de déclarations particulières des droits et la mise en place de systèmes régionaux de protection des droits de l'homme, dans un souci de rendre cette protection plus efficace et, peut-être aussi, de l'élaborer dans un cadre plus homogène et moins disparate que l'ensemble de la communauté internationale. La création du Conseil de l'Europe, en mai 1949, a constitué une étape essentielle de ce point de vue. Un de ses buts étant d'affirmer et de protéger la communauté de valeurs de ses membres et la liberté individuelle, les libertés politiques et la prééminence du droit, c'est dans son cadre qu'a été institué, par le traité de Rome du 4 novembre 1950, le système régional le plus développé et efficace de protection des droits et libertés, celui de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dite Convention européenne des droits de l'homme (en partie rédigée par le Français Pierre-Henri Teitgen). Dans le même cadre, des conventions spécialisées ont également été adoptées, généralement plus contraignantes que les conventions internationales correspondantes : ainsi de la Charte sociale européenne (signée à Turin en octobre 1961), ou de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (novembre 1987). On relève aussi que la protection des droits et libertés se développe dans le cadre de l'Union européenne, après une longue période de carence, et conformément aux objectifs que ses membres se sont fixés.

Le mouvement de régionalisation des droits de l'homme s'est manifesté sur d'autres continents. Ainsi, le préambule et des articles de la Charte de l'Organisation des États américains, créée en avril 1948, proclament l'attachement des États membres aux droits de l'homme, l'Organisation ayant même adopté en mai 1948 une Déclaration américaine des droits de l'homme. En novembre 1969, la Convention américaine relative aux droits de l'homme signée à San José a mis en place un système de protection assez proche de celui de la Convention européenne (avant la réforme des neuvième et onzième protocoles), en rappelant et élargissant notamment le rôle de la Commission interaméricaine des droits de l'homme (instituée en 1959, pour formuler des recommandations et pour examiner, officiellement depuis 1965, des réclamations individuelles), et en créant une Cour interaméricaine des droits de l'homme (la Convention est entrée en vigueur en 1978 ; vingt-cinq États l'avaient ratifiée en juin 1998, parmi lesquels ne figurent pas les États-Unis).

En Afrique, la Charte de l'Unité africaine, signée en mai 1963 à Addis-Abeba, affirme l'adhésion des membres de l'Organisation de l'Unité africaine à la Déclaration universelle de 1948. L'Organisation a adopté une Charte africaine des droits de l'homme en juin 1981 (dite Charte de Banjul, entrée en vigueur en 1986), qui instaure un mécanisme politique peu contraignant de garantie. En janvier 2004 a été installée une Cour africaine des droits de l'homme. Le monde islamique a souhaité également se doter de certains instruments. Après avoir créé en septembre 1968 une Commission régionale permanente des droits de l'homme (outil de simple promotion), le Conseil de la Ligue arabe a adopté au Caire, en septembre 1994, la Charte arabe des droits de l'homme. Des autorités religieuses de l'Islam ont avancé des propositions, sans statut juridique : la Déclaration islamique des droits de l'homme élaborée en 1979 (par le secrétariat général de l'Organisation de la Conférence islamique), et la Déclaration islamique universelle des droits de l'homme, proclamée à Paris en septembre 1981 (par le Conseil islamique pour l'Europe).

Les systèmes américain et africain se sont eux aussi dotés de conventions à objet particulier.

L'obligation des droits de l'homme ◊ Au-delà de leur reconnaissance universelle et de la recherche de systèmes de protection plus « resserrés » et efficaces, le signe le plus net de la diffusion des droits de l'homme tient sans doute dans leur reconnaissance « rhétorique » et politique. Désormais, et de plus en plus, les droits de l'homme deviennent une obligation pour tous les États, au moins dans le discours officiel. Ce mouvement récent tend à s'amplifier. Alors que, pour des raisons notamment idéologiques, les droits et libertés constituaient un sérieux point de discorde entre les « blocs » de la guerre froide, au point de justifier à titre principal l'adoption séparée de deux pactes internationaux en 1966 dans le cadre de l'ONU, déjà l'Acte final de la Conférence d'Helsinki en août 1975 (séance de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe, regroupant États d'Europe de l'Ouest et de l'Est, États-Unis et Canada) avait formulé les bases d'une reconnaissance commune de l'importance des droits de l'homme (principe VII), pour les pays de l'Ouest comme de l'Est de l'Europe (même s'ils ont continué à être gravement bafoués par la suite), fournissant ainsi un soutien et une référence pour nombre de « dissidents » et d'opposants politiques des pays socialistes d'Europe centrale et orientale (l'un des plus célèbres, le Soviétique Andreï Sakharov, créa un mouvement s'appuyant explicitement sur ce texte). Ce document, dépourvu de tout caractère contraignant et dont l'application des principes était laissée à la discrétion des États, eut pourtant un grand impact moral, de sorte que, par la suite, des solutions plus exigeantes ont pu être mises en place. À Vienne, en janvier 1989, la CSCE s'est dotée d'un catalogue fourni des droits de l'homme et, depuis la Déclaration de Moscou d'octobre 1991, un système de contrôle international par des experts et des rapporteurs existe, renforcé par la possibilité, depuis le Document de Prague de janvier 1992, de prévoir des mesures politiques sans le consentement de l'État intéressé en cas de violation grave et persistante des droits de l'homme, et par de nouvelles instances, comme le Haut commissariat pour les minorités nationales (entre-temps, la CSCE est devenue l'Organisation pour la Coopération et le Développement en Europe). La Charte de Paris pour une nouvelle Europe de novembre 1990 consacre l'importance de la « dimension humaine » pour les membres de la CSCE (les droits et libertés ainsi que la « troisième corbeille », c'est-à-dire un certain nombre de questions humanitaires : rapprochement des familles par exemple) et la place sous la triple dimension des droits de l'homme, de la démocratie pluraliste et de l'État de droit.

Longtemps considérés comme une aspiration généreuse et marginale par les diplomates, les droits de l'homme sont devenus une sorte de standard international. Tout État souhaitant trouver une pleine place dans la société internationale doit, au moins déclarer à défaut de pratiquer (car les violations des droits de l'homme demeurent très nombreuses), le respect et la promotion des droits et libertés. L'exigence peut être plus forte, comme, par exemple, lorsqu'il est demandé aux États souhaitant intégrer le Conseil de l'Europe d'adhérer sans restrictions à la Convention européenne des droits de l'homme (y compris le recours individuel et la juridiction obligatoire de la Cour européenne). Depuis 1989, très clairement, l'adhésion de nouveaux membres au Conseil de l'Europe se trouve ainsi subordonnée à de strictes conditions, l'article 3 du Statut du Conseil de l'Europe précisant par ailleurs que « tout membre du Conseil de l'Europe reconnaît le principe de la prééminence du Droit et le principe en vertu duquel toute personne placée sous sa juridiction doit jouir des droits de l'homme et des libertés fondamentales ». Dans les cas où la raison d'État et les intérêts commerciaux et stratégiques l'emportent largement, les droits de l'homme parviennent aujourd'hui à se faire une place croissante. Les relations avec la République populaire de Chine constituent un clair exemple de cette évolution timide mais réelle.

La remise en cause du statut traditionnellement « protégé » de l'État et de ses dirigeants au regard du droit international semble même s'accentuer sur le terrain des droits de l'homme. L'idée d'un « droit d'ingérence » dans les affaires internes d'un État de la protection des ressortissants de ce dernier et, plus largement, des droits et libertés, paraît progresser après être longtemps demeurée très marginale et en restant toujours très ambiguë et floue.

La puissance du mouvement peut sans doute se mesurer à ses effets. C'est partiellement ou principalement le droit d'ingérence qui a officiellement justifié, depuis les opérations américaines en Somalie en 1992-1993, plusieurs interventions armées récentes au nom de la communauté internationale, du Rwanda au Timor oriental et au Kosovo. Pour autant, un réel effort de clarification paraît devoir s'imposer. Outre que le caractère sélectif des interventions dans les États conduit à relativiser le droit (ou le devoir) d'ingérence, face à la multiplicité et à la gravité des atteintes aux droits de l'homme, et à le priver de la haute portée morale que ses partisans revendiquent pour lui, les conditions et les limites de son exercice restent à définir précisément, comme demeurent à expliciter les principes du délicat équilibre entre diplomatique et humanitaire.

La tendance la plus récente à la mise en accusation et à la condamnation pour violation des droits de l'homme sur leur propre territoire, par des juridictions étrangères ou internationales (Tribunal pénal de La Haye pour l'ex-Yougoslavie, Tribunal pénal d'Arusha pour le Rwanda, désormais la Cour pénale internationale décidée en 1998 et un tribunal spécial pour les crimes de guerre et crimes contre l'humanité en Sierra Leone), d'agents publics, voire de chefs d'État ou de gouvernement, en rupture avec une tradition internationale solidement établie d'immunité, reflète elle aussi cette évolution. À ce jour, seul un ancien chef d'État, appréhendé dans un pays étranger, s'est vu finalement jugé par la justice de son pays, au moment où d'autres responsables publics ont été accusés et sont recherchés devant des juridictions internationales. Pour que la dignité et la crédibilité du mouvement soient véritablement acquises, il importe désormais que bien d'autres, anciens et actuels dirigeants, connaissent sous peu le même sort.

Section 2. LA QUESTION DE LA RELATIVITÉ DES DROITS DE L'HOMME

Plusieurs interrogations ◊ Le tableau succint de l'histoire et de l'évolution de l'idée des droits de l'homme attestant de leur reconnaissance toujours plus large, tant d'un point de vue quantitatif que qualitatif, poser la question de la relativité des droits de l'homme peut sembler incongru. Pourtant, plusieurs séries d'éléments conduisent à des précautions méthodologiques, voire à une remise en cause plus sérieuse ou à une contestation, en toute hypothèse à la conclusion de leur caractère juridiquement imparfait et inadéquat au but élevé de protection que leur philosophie et les valeurs qu'ils portent leur assignent. Si les droits de l'homme comme idée demeurent importants et utiles, leur imperfection comme instrument de protection apparaît tout aussi incontestable.

§ 1. L'hétérogénéité des droits de l'homme

Des droits différents ◊ Une première réserve susceptible d'être formulée à l'encontre des droits de l'homme, qui fragilise leur « capacité » comme notion ou catégorie juridique, tient sans doute à leur hétérogénéité. Ainsi que le laisse entrevoir la succession des doctrines et des événements qui viennent d'être rappelés, ils recouvrent des aspirations, couvrent des domaines et expriment des revendications parfois fort différents, formant en définitive un ensemble dont l'unité catégorielle peut se révéler fragile.

Les « générations » de droits de l'homme ◊ Du point de vue des origines et des références, l'existence de « traditions » des droits de l'homme non seulement complémentaires, mais contradictoires dans leurs postulats et leurs objectifs, ne peut être niée. D'un point de vue plus technique, une présentation devenue classique des droits de l'homme reflète assez clairement l'hétérogénéité de l'ensemble. L'habitude a été prise de classer les droits et libertés en « générations », selon un mode qui permet à la fois de les différencier dans la forme et de rendre compte de la succession historique de phases complémentaires tant dans la revendication que dans la reconnaissance.

Droits de la première génération ◊ La première génération, celle de la Déclaration française de 1789 ou du Bill of Rights américain, correspond, dans cette typologie, aux droits et libertés les plus fondamentaux : sûreté, liberté d'aller et venir, liberté de conscience et de religion, liberté d'expression, égalité devant la loi et les charges publiques, propriété, garanties pénales essentielles… L'ensemble de ces droits se caractérise avant tout par la nature et la qualité de leurs titulaires : tout homme en dispose de par sa naissance et a normalement le droit d'en jouir, sous des conditions et dans des limites elles-mêmes dûment définies ; l'individu seul est concerné, même si certaines libertés, comme celle de réunion, s'exercent en commun. Une autre caractéristique distinctive de ces droits est de consister en des libertés, des « facultés d'agir » déterminant une sphère d'autonomie individuelle et supposant, en conséquence, l'abstention de la puissance publique dans les domaines qu'elles protègent, le rôle des pouvoirs publics (au premier rang desquels les autorités représentatives et délibérantes) se bornant à en assurer la garantie et à protéger la liberté en général.

Droits de la deuxième génération ◊ À la première génération est venue s'ajouter une deuxième dans la formation de l'ensemble des droits de l'homme. Cette deuxième génération correspond, chronologiquement, aux droits nouveaux proclamés notamment à partir du Préambule de la Constitution française de 1848, et fortement présents dans les Constitutions postérieures à 1945 comme dans celles des États socialistes : droit au travail et à l'emploi, droit à la protection sociale, droit à l'instruction et à la culture, droit de grève, droit à la participation, droits de la famille, droits spécifiques des étrangers… Sur les deux points considérés comme essentiels de la définition précédente, première et deuxième génération des droits de l'homme se distinguent. Les droits de la deuxième génération sont reconnus à tous, mais le plus souvent en tant que membres de catégories déterminées par des critères en rapport avec le système de production ou en fonction d'une situation sociale (ce qui explique la dénomination courante de « droits économiques et sociaux ») ; ils sont, selon l'expression de Georges Burdeau, des droits de « l'homme situé ». En outre, à l'opposé de la première génération, ces droits supposent non une abstention, mais une intervention de la puissance publique propre non seulement à les garantir, mais aussi à assurer leur mise en œuvre effective par la création de régimes juridiques ou d'institutions leur donnant une portée concrète (établissements scolaires, hôpitaux, Sécurité sociale, etc.). La sémantique même semble confirmer la différence : alors que les droits de la première génération sont plutôt formulés comme des « droits de… », ceux de la deuxième se présentent le plus souvent comme des « droits à… ». À propos de ces derniers, on emploie d'ailleurs couramment l'expression, maladroite, de « droits-créances », en voulant signifier que leurs titulaires ont des droits non tant contre la puissance publique que sur l'État.

Droits de la troisième génération ◊ Le mouvement d'internationalisation des droits de l'homme et la volonté de prise en compte, à travers la reconnaissance qu'ils procurent, de nouvelles aspirations sociales et politiques ont abouti à la consécration, après 1945, de droits de l'homme d'un type encore différent des deux précédents. Parmi les divers droits revendiqués et non tous reconnus, les droits dits de la « troisième génération » (dits aussi « droits de solidarité ») sont ceux qui ont fait l'objet d'une reconnaissance générale, d'abord dans le cadre de l'ONU : le droit à la paix, le droit au développement, le droit à l'environnement (mais aussi le droit à la différence, le droit de propriété sur le patrimoine commun de l'humanité…).

Ce droit, consacré à l'échelon international notamment par la Déclaration finale de la Conférence de Stockholm de 1972, a fait l'objet d'une reconnaissance dans plusieurs Constitutions nationales : cf. par exemple, art. 20 a de la Loi fondamentale de la RFA de 1949, art. 45 et 46 de la Constitution espagnole de 1978, art. 66 de la Constitution grecque de 1975, art. 1.20 de la Constitution des Pays-Bas, art. 225 et chap. VI de la Constitution du Brésil de 1988. En France, le projet de loi constitutionnelle visant à adjoindre à la constitution une « charte de l'environnement » le prévoit également.

Les droits de la troisième génération, invocables par tout homme, sont opposables à la puissance publique. Toutefois, la question de savoir si c'est l'humanité ou chaque individu qui s'en trouve titulaire (en son nom propre, ou au nom et pour le bien de tous), et celle de la puissance publique concernée, étatique ou supra-étatique, demeurent discutées ; sur le premier comme sur le second point, les droits de la troisième génération apparaissent comme des droits universels, non plus seulement dans leur essence et dans leur portée, mais dans leurs éléments constitutifs mêmes, ce qui n'en clarifie ni le concept, ni l'emploi. Sous leur forme juridicisée, ces droits (en particulier le droit à l'environnement) ne s'avèrent pas moins problématiques ; ils revêtent le plus souvent la forme de normes « programmatiques », définissant avant tout une obligation générale de l'État traduite en objectifs d'action.

Certains auteurs (G. Braibant, H. Maisl), devant l'expansion et l'emprise grandissante des nouvelles technologies de l'information et des modes de communication de plus en plus compréhensifs, ont même avancé l'idée de droits de l'homme de la quatrième génération, sur un mode très chronologique, proposant d'y inclure notamment l'Habeas data, c'est-à-dire le droit de l'individu à la maîtrise des données nominatives le concernant (cf. art. 35 de la Const. portugaise de 1976 telle que révisée en 1982 et 1989).

§ 2. La contestation des droits de l'homme

Des oppositions idéologiques ◊ Au-delà de la perplexité méthodologique suggérée par le constat de l'hétérogénéité des « droits de l'homme » comme catégorie, la fragilité provient également du fait qu'à rebours d'une apparente et belle unanimité, et même si elles se sont estompées, existent des oppositions directes à l'idée même des droits de l'homme telle qu'elle a été peu à peu forgée. Cette contestation, avant tout idéologique et philosophique, est elle-même très disparate.

A. La contestation contre-révolutionnaire

Burke, Maistre, Maurras ◊ Historiquement, la première remise en cause des droits de l'homme « classiques » de la fin du xviiie siècle a été le fait de courants critiques ou hostiles à l'esprit révolutionnaire de 1789 en France. Cette contestation se décline sur des modes différents, mais, de manière générale, reproche à l'esprit révolutionnaire et à son héritage ses options et ses conclusions, et notamment les droits de l'homme de la Déclaration de 1789. Edmund Burke (1729-1797) fut sans doute le premier à formuler une critique construite de l'expérience révolutionnaire toute nouvelle. Chef du parti whig (libéral) à la Chambre des Communes, défenseur notamment des colonies américaines et des catholiques irlandais (Irlandais lui-même d'origine), ce brillant orateur a voulu s'inscrire contre la thèse, défendue dans certains milieux libéraux anglais, assimilant la Révolution de 1789 et celle de 1688, dans ses Considérations sur la Révolution française (1790), dans lesquelles il a dressé un effrayant tableau de la Révolution. Entre autres, il y récuse la démarche rationaliste d'inspiration jusnaturaliste des rédacteurs de la Déclaration de 1789 qui proclame des droits improprement qualifiés, selon lui, de « naturels », trop abstraits pour être solidement fondés et avoir une utilité véritable, et qui y inclut faussement le droit de chacun de participer à la chose publique. Quoique libéral, partisan des « vrais » droits individuels (droit à la justice, liberté d'entreprendre et d'éduquer ses enfants) et ouvert aux réformes, Burke pense, au contraire, d'une part, que seul le temps et les processus empiriques assurent la qualité et la longévité des institutions, contrairement à tout esprit de système, et, d'autre part, les distinctions sociales et les « préjugés », fruit de l'évolution historique et du sens commun (alors qu'ils sont récusés par la plupart des philosophes des Lumières) assurent le bonheur de chacun, sans empêcher toute transformation, progressive et raisonnée.

Le comte Joseph de Maistre (1753-1821) s'est lui aussi affirmé comme un adversaire résolu de la Révolution de 1789 et de ses manifestations et apports. Membre du Sénat de Savoie, émigré à Lausanne après l'invasion, représentant à Saint-Pétersbourg de son souverain Charles-Emmanuel IV de Sardaigne (pendant quinze ans, puis son grand chancelier), il développe (Considérations sur la France, 1796) une vision providentialiste et assez tragique de l'histoire, considérant la Révolution, ses violences et ses bouleversements comme un châtiment divin, et rejette tout autant l'idée abstraite de l'Homme des révolutionnaires et la conception individualiste de droits de l'homme contre la société, lui préférant avant tout celle des devoirs de l'homme envers Dieu.

La critique contre-révolutionnaire s'est poursuivie au-delà des contemporains des événements de 1789, en reprenant d'ailleurs souvent des arguments proches, en particulier contre la démocratie majoritaire qui ne serait que la tyrannie d'une minorité dominante et agissante. C'est l'une des idées maîtresses de la pensée de Charles Maurras (1868-1952). À partir d'un postulat il est vrai bien différent, celui du positivisme auquel il adhère avec enthousiasme, l'écrivain et journaliste provençal, chantre du régionalisme puis du « nationalisme intégral », fondateur et animateur de l'Action française (à la fois mouvement et journal), critique très sévèrement la démocratie et la République (qu'il ne distingue pas), rejette en bloc la Révolution (et le romantisme), tout en tentant de démontrer rationnellement la supériorité de la monarchie non parlementaire et décentralisée.

B. La contestation marxiste

Marx ◊ Une autre critique, plus célèbre encore, émane du marxisme et de ses avatars. C'est dans un écrit de 1843, À propos de la question juive, que Karl Marx (1818-1883) a systématisé le plus clairement ses objections, par ailleurs présentes dans plusieurs autres ouvrages et découlant des postulats de sa philosophie. Pour lui, les droits et libertés de la Déclaration de 1789 ne sont qu'un moyen supplémentaire et particulièrement trompeur d'asseoir la domination de la bourgeoisie sur le prolétariat : l'espace d'expression de ces droits et le terrain de l'émancipation qu'ils garantissent, étant uniquement politiques, sont dissociés faussement du lieu de la véritable confrontation des intérêts, celui de la production et de la « société civile ». L'individualisme fondamental des droits classiques est l'objet particulier d'une telle critique, et tout spécialement, bien sûr, le droit de propriété. Le caractère fallacieux des droits et libertés classiques se trouve par ailleurs mis en avant ; la liberté n'a pas de sens sans les possibilités de son exercice effectif et la disposition des conditions de réalisation de l'émancipation. Prenant l'exemple de la liberté de la presse, considérée comme un non-sens pour celui qui n'a pas les moyens de créer et faire fonctionner un organe de presse, Marx distingue ainsi entre libertés formelles, les fausses « libertés bourgeoises », et les libertés réelles, celles formulées et organisées de telle manière que chacun, par les moyens mis à sa disposition, peut effectivement les exercer, et qui sont indissociables du combat de la justice sociale et inconcevables hors d'une conception holiste (dont les conséquences s'avèrent bien peu favorables à la liberté).

La critique radicale d'inspiration marxiste s'est prolongée dans les différents courants de pensée et mouvements de cette obédience. Toutefois, il convient de noter que la position des partis communistes d'Europe de l'Ouest a peu à peu évolué. Ainsi, en mars 1977, les partis communistes espagnol, italien et français ont signé à Madrid une déclaration commune appelant à l'approfondissement de la démocratie comme réponse à la crise du capitalisme, mais dans la pluralité des forces politiques et sociales et dans le respect de toutes les libertés individuelles (y compris les plus classiques) et collectives. Dans la proposition de loi constitutionnelle tendant à l'inscription d'une nouvelle déclaration des droits déposée par ses députés en décembre 1975, le PCF développait de nouveaux droits des travailleurs (dans son souci de lien entre démocratie politique et démocratie économique), mais réaffirmait clairement la plupart des droits « classiques », en en attribuant même la paternité historique aux « luttes des travailleurs et du peuple » ! Certaines évolutions, sous l'effet d'une « mondialisation », doivent toutefois être mentionnées : ainsi, la constitution de la République populaire de Chine a-t-elle été révisée en mars2004 pour y introduire une référence à la propriété privée et le principe du respect et de la protection des droits de l'homme par l'État.

C. La critique personnaliste

Mounier ◊ Il importe de relever que d'autres courants doctrinaux, très différents du marxisme, ont parfois concouru dans la critique de la démocratie libérale « bourgeoise » et des droits qu'elle proclame et garantit. Emmanuel Mounier (1905-1950), théoricien du personnalisme, décrie le capitalisme et l'affadissement et l'avilissement de l'esprit résultant de l'avènement universel de la « bourgeoisie » sous toutes ses formes, contestant également l'idée de souveraineté populaire et l'égalitarisme (qui aboutit à nier la valeur individuelle de chaque personne) et prônant une démocratie organique personnaliste et un nouveau système économique qui assurerait à la fois le primat du travail sur le capital et la juste récompense par le profit de l'apport et du travail du possesseur du capital dans l'entreprise, dans une économie mixte.

D. La contestation élitiste et autoritariste

Le rejet de la démocratie libérale et de toute protection aux plus faibles ◊ Il convient enfin de rappeler rapidement une autre série de critique aux droits de l'homme tels qu'entendus classiquement. Pour Friedrich Nietzsche (1844-1900), par exemple, la véritable humanité tient au plein épanouissement du désir de vivre et de l'instinct vital de l'individu ; dans l'approfondissement du Moi de celui-ci, qui est son émancipation progressive, ceux nés pour être chefs doivent exalter leur instinct et leur volonté de puissance. Dès lors, le philosophe condamne toute fausse entrave morale (en particulier la morale chrétienne) et toute construction du type de la démocratie libérale représentative : il n'y a là, selon lui, que prétextes à entraver l'élan vital en imposant une fallacieuse considération pour les plus faibles et, à terme, leur domination, notamment à travers les idées d'égalité des droits ou de pitié pour les pauvres.

Le fascisme et le national-socialisme ont développé la même critique, avant tout dirigée contre la démocratie parlementaire et le libéralisme. Toutefois, seul le fascisme originel (essentiellement avant 1926 et l'adoption du premier train législatif vraiment fasciste) s'est montré aussi radicalement individualiste que l'était Nietzsche : fascisme institutionnel et nazisme reposent au contraire sur une conception holiste et totalisante, opposée par essence autant que par principe aux droits de l'homme.

§ 3. La portée des droits de l'homme

Des questions sur la portée des droits de l'homme ◊ Outre l'incertitude méthodologique et la contestation idéologique, les droits de l'homme se voient sans doute atteints par des interrogations concernant leur contenu même et leur efficacité.

A. Les droits de l'homme sont-ils universels ?

Un problème culturel et religieux ? ◊ Il s'agit là d'une question d'importance. Si l'universalité des droits de l'homme peut être mise en cause, c'est un point essentiel de la « théorie » qui se trouve contesté, fragilisant à la fois la définition et l'ambition des droits de l'homme. Or, il existe un courant d'appréciation critique et de remise en cause des droits de l'homme, qui seraient (avec d'autres notions) un produit marqué de la culture occidentale classique et l'un des vecteurs de l'impérialisme culturel et politique des démocraties libérales développées. La réflexion de ce courant, dont la portée s'avère considérable à la fois d'un point de vue général pour les droits de l'homme et, plus précisément, sur le terrain politique, par exemple face à certains fondamentalismes, se nourrit de plusieurs éléments. Des travaux comparatifs de l'anthropologie politique et de l'ethnologie ont notamment montré à quel point l'individualisme paraît spécifique du monde occidental moderne (cf. L. Dumont, Essais sur l'individualisme, Seuil, 1988). Effectivement, les données culturelles et religieuses apparaissent parfois (du moins dans certaines présentations) comme des obstacles à la réception « normale » des droits de l'homme et, en toute hypothèse, comme une justification des adaptations dont ils font l'objet (ainsi que des insuffisances dans leur mise en œuvre). Ainsi, a-t-on avancé que la culture africaine traditionnelle était incompatible avec l'idée de droits individuels contre la société et le pouvoir politique en tant qu'elle absorbe l'individu dans un réseau dense de liens familiaux et sociaux, y compris dans le passé, dont le totem serait l'archétype (cf. K. M'Baye, « Les droits de l'homme en Afrique », in UNESCO (éd.), Les dimensions internationales des droits de l'homme, 1978, p. 631).

Les déclarations islamiques précitées, en tant que textes d'abord religieux et dogmatiques, outre qu'elles établissent une discrimination fondamentale selon la religion, écartent à la fois toute désobéissance et toute possibilité d'application : l'origine des droits étant tout entière en Dieu et dans sa Loi, seule peut être reconnue la déclaration à l'exclusion de toute norme, notamment universelle, car une telle soumission serait blasphématoire.

Pour une étude collective sur le problème de la dimension culturelle et ses incidences sur les droits de l'homme, cf. I. Schulte-Tenckhoff (Dir.), Altérité et droit, Bruylant, Bruxelles, 2002. Certaines approches non juridiques abordent la question et proposent son dépassement : cf. par exemple, C. Eberhard, Droits de l'homme et dialogue interculturel, Éditions des écrivains, Paris, 2002.

Un problème politique et économique ? ◊ Une autre modalité de la même critique anti-occidentale des droits de l'homme revêt un caractère plus politique. Dans le communiqué du gouvernement de Singapour en 1991 sur les « valeurs partagées », ou dans la déclaration commune à Bangkok en 1993 de Singapour, de la Malaisie, de Taiwan et de la Chine, l'argument de la spécificité culturelle confucéenne de l'Asie est effectivement très présent. Lors de la Conférence mondiale sur les droits de l'homme à Vienne en 1993, le discours culturaliste s'est largement fait entendre. Toutefois, l'argument devient aussi politique dans la mesure où le scepticisme face aux droits de l'homme occidentaux s'accompagne du rejet d'un modèle politique censé leur correspondre. En Afrique, en Asie comme dans le monde islamique, la contestation du caractère universel des droits de l'homme devient alors souvent l'affirmation de la recherche d'une « troisième voie » politique et institutionnelle et de la nécessaire autonomie des expériences nationales, autre manière de rappeler le caractère à la fois inopportun et inadéquat de toute ingérence dans des « affaires » nationales au nom des droits de l'homme. À la différence culturelle s'ajoute, pour les partisans de cette thèse, la singularité historique, les pays concernés étant pour la plupart d'anciennes colonies plus ou moins récemment émancipées et les États des constructions parfois artificielles issues de cette période et inadaptées aux données ethniques, culturelles et religieuses en l'absence, souvent, de véritable conscience nationale. Devant l'héritage d'un tel passé, il faut alors comprendre, d'après les avocats de ce point de vue, que les revendications et les besoins premiers ne sauraient être les mêmes et que, par exemple, dans la Charte africaine des droits de l'homme, précitée, l'accent soit d'abord mis sur les droits des peuples, condition et garantie des droits de l'homme.

Une variante de cette thèse fait de la situation économique un éventuel obstacle à la réception et à l'effectivité des droits de l'homme. De même que l'état de guerre ou de crise peut justifier l'éventuelle suspension ou restriction des droits et libertés, l'état de nécessité économique et les efforts en faveur du développement peuvent, selon certains, conduire à rejeter ou diminuer l'exigence des droits de l'homme. En outre, d'après une idée non éloignée de la position marxiste, la jouissance véritable de tels droits suppose un certain niveau de développement économique. En résumé, les droits de l'homme demeurent ainsi à la fois un luxe de pays riches et un moyen pour ces derniers de freiner le développement des pays pauvres en leur imposant des « charges indues » (le discours est identique sur le respect de l'environnement).

Universalité, universalisme et mondialisation ◊ À ces critiques, des réponses ont été apportées. L'une d'entre elles en admet pour partie l'argument en distinguant notamment universalité et universalisme. La démarche universaliste de la philosophie des droits de l'homme demeure valable et légitime en ce qu'elle considère l'aspiration à la liberté et le droit d'en jouir comme communs à tous les hommes. En revanche, la prétention à l'universalité, elle-même culturellement marquée, procèderait d'une déformation ethnocentrique occidentale réductrice des identités et des différences (pour une synthèse, Wachsmann, p. 42-45).

Une autre réponse fait observer que la participation de certains États, à la communauté internationale et aux échanges mondiaux passe nécessairement par l'acceptation d'une certaine conception du droit et de la société qui rend étonnant et irrecevable le rejet de droits de l'homme qui participent pourtant de la même conception, de sorte que la discussion sur le terrain culturel constitue en fait un piège dans lequel il convient de ne pas se laisser prendre. En outre, l'aspect essentiellement subjectif des droits de l'homme comme revendications de liberté rend sans doute possibles beaucoup d'adaptations (cf. J. Habermas, L'intégration républicaine, Fayard, 1998, p. 245-256).

On ne peut que constater que la critique aussi bien que les réponses affaiblissent la conception classique des droits de l'homme.

B. Les droits de l'homme sont-ils adaptés ?

Les conséquences du subjectivisme ◊ Une autre série d'interrogations tient à la conformité des droits de l'homme aux objectifs qui leur sont classiquement assignés et à leur adéquation aux besoins qu'ils sont supposés satisfaire. Tout d'abord, le subjectivisme qui domine dans l'idée classique des droits de l'homme, sans étonnement au regard de leur origine philosophique, et qui a fait à la fois leur définition et leur fortune, semble être aussi une cause d'instabilité. D'une part, le problème de la confrontation et de la conciliation entre les droits de l'homme peut se poser de manière parfois très aiguë et, en tout cas, spécifique puisqu'il ne s'agit pas alors de la limitation des droits de l'homme par les intérêts divers ou les droits du groupe, ou encore par des considérations rattachables à la morale, mais de la rencontre de situations subjectives. En pareil cas, il y a lieu d'arbitrer sinon entre les sujets (ce qui est impossible par hypothèse), du moins entre les valeurs portées par les droits en opposition. La règle de base étant celle de l'égale valeur (par définition) des droits et des aspirations, il convient d'introduire une forme de méta-règle générale posant un principe d'arbitrage et d'allocation. Or, la subjectivité des droits de l'homme, si volontiers mise en avant par les penseurs modernes et contemporains qui les défendent, exclut notamment qu'un tel type de règle puisse « se trouver » ailleurs qu'en dehors du « système » même des droits de l'homme, sauf à admettre que la règle d'arbitrage découle de l'idée même des droits de l'homme ou des valeurs en conflit et, par là, une conception de ces droits ontologiquement « chargée » qui deviendrait sans doute inacceptable à la majorité des contemporains (quoiqu'ils la pratiquent plus souvent qu'ils ne le réalisent ou l'acceptent). Marqués par leur histoire, mais voulant rejeter tout fondement, les droits de l'homme se trouvent alors placés devant une sorte de contradiction, dans la mesure où, selon la théorie de la démocratie la plus largement admise aujourd'hui et qui les inclut en tant qu'élément constitutif, c'est le politique, ouvert au débat, qui détermine les modes et les solutions de l'arbitrage, ce qui aboutit à placer au cœur du mouvement de l'opinion un ensemble qu'un minimum d'efficacité supposerait par ailleurs à l'abri des choix et des fluctuations.

De surcroît, la subjectivité des droits de l'homme, parfois absolue chez certains contemporains (« À chacun ses droits », comme « À chacun sa vérité ») favorise ce que l'on pourrait appeler « l'inflation » des droits de l'homme qui, victimes avant tout de leur succès rhétorique, se multiplient, non toujours reconnus évidemment, mais de plus en plus revendiqués, ce qui, au-delà du problème de l'homogénéité déjà évoqué, ne contribue qu'à multiplier les hypothèses d'incertitude et de conflit.

Sujet et objet ◊ Parmi les droits dont la revendication se multiplie dans la société contemporaine, certains ne sont pas à proprement parler des droits de l'homme, mais cherchent à ce point à s'en inspirer et à les imiter que ces derniers s'en trouvent peut-être affectés dans leur portée symbolique. Inscrits dans le mouvement écologiste multiforme qui a pris de l'ampleur lors des dernières décennies, des courants militent pour la « libération animale » et les droits des animaux, ainsi que pour les « droits de la nature ». Rompant avec la tradition vitaliste d'Aristote à Saint Thomas d'Aquin, le jusnaturalisme moderne de l'École du droit de la nature et des gens (Grotius, Pufendorf) d'une part, la philosophie cartésienne d'autre part, tous deux à l'origine directe de l'idée classique des droits de l'homme, avaient posé la rupture radicale entre l'homme d'un côté, l'animal et les choses de l'autre, faisant du premier l'unique sujet opposé aux objets, mais ne niant pas, par ailleurs, l'existence de devoirs de l'homme envers les autres êtres vivants. À rebours de cette position dominante, d'autres courants ont cherché à démontrer l'indifférenciation entre humanité et animalité, soit pour des raisons philosophiques (l'utilitarisme de Jeremy Bentham qui raisonne selon les principes d'utilité, de plaisir et de souffrance communs à tous les êtres animés), soit au nom de théories scientifiques (entre autres le darwinisme), soit enfin pour des raisons plus politiques (le radicalisme français par exemple, qui, à l'image de Georges Clémenceau parlant des « liens de nature qui nous unissent à nos frères d'en bas », y voyait une occasion nouvelle de manifester leur hostilité à l'Église catholique et à ses thèses spiritualistes). Dès 1792, on trouve des écrits sur le « droit des bêtes » (Thomas Taylor, Revendication of the rights of brutes), mais c'est aux xixe et xxe siècles que le mouvement se formalise et se structure plus clairement (parmi les ouvrages de référence, on peut citer : Henry Salt, Les droits de l'animal dans leur rapport avec le progrès social, 1892 ; Peter Singer, Animal Liberation, 1975 (réédité) ; Tom Regan, The case for animal rights, 1983), au point de prendre une considérable ampleur dans les pays anglo-saxons. Ces auteurs sont allés plus loin en dénonçant le spécisme et l'anthropocentrisme de leurs devanciers, et prônant l'égalité complète entre humains et animaux. D'autres se sont également appliqués à démontrer et promouvoir les droits de la nature (principalement Aldo Leopold, A Sand County Almanac, 1949).

Cette recherche militante a pris forme à travers certains actes, comme la Déclaration universelle des droits de l'animal élaborée par la Ligue française de défense des animaux en 1977, et remodelée en 1989, ou la Déclaration des droits des chimpanzés et orangs-outangs adoptée par la Nouvelle-Zélande en 1999.

Les défis actuels et futurs ◊ Outre le glissement de l'objet au sujet, qui fragilise la cohérence des droits de l'homme en relativisant le primat de celui-ci, d'autres défis, présents et futurs, existent pour les droits de l'homme. Ces défis s'identifient aujourd'hui principalement comme ceux liés aux progrès des sciences et techniques. Sur le terrain des technologies de l'information et de la communication, la progression spectaculaire, d'un point de vue quantitatif comme qualitatif, aboutit à une amplification à la fois des formes et des lieux d'exercice de certaines libertés et à un développement considérable des moyens d'intrusion dans la sphère privée à un degré tel que, dans un monde complexe en réseaux, l'idée même d'intimité et de vie privée (partie sans doute la plus sensible de la sphère privée) peut se trouver largement remise en question. Surtout, en dématérialisant peu à peu l'espace public au point de faire peut-être perdre son sens à cette notion, les nouvelles technologies de l'information et de la communication posent la question des droits et libertés en dehors des cadres traditionnels de la théorie des droits de l'homme : même à l'échelle internationale, le problème de la réglementation et, plus largement, du rapport public-privé reste à peu près entier. Ainsi se trouve rendue plus aiguë encore la question, plutôt nouvelle dans la doctrine classique des droits de l'homme, des rapports de personne privée à personne privée (physique ou morale).

Mais c'est sur le terrain de la connaissance du vivant et des biotechnologies que le défi aux droits de l'homme apparaît sans doute le plus sérieux. La question de fond n'est pas certes pas nouvelle : c'est celle de l'homme, du sujet, de l'individu, de sa singularité et de son identité. Mais l'immense progrès de la biologie, de la médecine et de la génétique, même s'il apporte quelques réponses et surtout des solutions et des traitements, continue de la poser très directement, d'un double point de vue. Les connaissances et techniques nouvelles soulèvent d'abord l'interrogation sur la « continuité » de l'homme. En ce qui concerne le commencement de la vie humaine, la génétique contemporaine permet désormais de répondre sans grande hésitation qu'elle débute dès la conception ; toutefois, l'affrontement des positions idéologiques, philosophiques et morales sur ce point et ses conséquences (sur la question de l'avortement ou des manipulations génétiques notamment) rend incertaine l'affirmation et la reconnaissance de droits de l'homme, ceux de l'homme à naître comme ceux de la mère par exemple. La fin de la vie humaine semble, elle, devenue plus difficile à définir avec précision, aux dires de certains scientifiques ; là encore, l'appréhension de l'humanité apparaît comme une pierre d'achoppement philosophique et morale. L'interrogation est soulevée également sur le point de l'identité de l'homme, non seulement en ce qui le distingue de l'animal (vieille question), mais aussi dans son identité personnelle, à l'heure où la génétique et les biotechnologies ouvrent un très vaste champ de possibilités scientifiques.