Q P C
la question prioritaire de constitutionnalité
Guy Carcassonne
Olivier Duhamel
2e édition
avec
Aurélie Duffy
Dalloz
© Éditions Dalloz, 2015
SOMMAIRE
I. – Une longue histoire
A. – Une idée venue d’ailleurs
B. – Un si long combat
C. – Une victoire facile
a) Le Comité Balladur
b) La loi constitutionnelle
c) La loi organique
II. – C’est une question
A. – Qui la pose ?
B. – Qui la transmet ?
C. – Qui la renvoie ?
D. – Qui la juge ?
III. – La question est prioritaire
A. – Le cheminement normal d’une procédure
B. – La voie expresse de la QPC
C. – Conventionnalité et constitutionnalité
IV. – Elle porte sur la constitutionnalité
A. – Conformité de quoi ?
a) Sur les dispositions déclarées conformes
b) Sur l’interprétation
B. – Conformité à quoi ?
a) L’extension de la notion de constitution
b) L’extension de la saisine dans le contrôle a priori
c) L’extension du contrôle par la saisine a posteriori
d) La restriction aux « droits et libertés garantis »
e) La consistance des droits et libertés garantis
V. – Il y est répondu
A. – La conformité à la Constitution
B. – La contrariété à la Constitution
a) Une information capitale
b) Une information insuffisante
C. – Les réserves d’interprétation
VI. – Les grandes décisions QPC
Index

I. – Une longue histoire

Cela nous aura pris plus de deux siècles. Plus de deux siècles pour admettre qu’une loi puisse être imparfaite, et des représentants du peuple mal inspirés ; qu’un gouvernement et sa majorité agissent souvent trop pressés, et que la Constitution s’en trouve malmenée. Que la protéger fait progresser la liberté. Deux siècles pour admettre que sur ce point la révolution américaine avait vu plus juste que la française.

Les révolutionnaires, ici très rousseauistes, ne vénéraient que la loi, « expression de la volonté générale ». Encore convient-il de ne pas caricaturer. Montesquieu les inspirait aussi, puisque l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen affirme rien de moins que :

« Toute société dans laquelle la séparation des pouvoirs n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Quant à la loi adulée, le même texte fondateur s’en défiait déjà discrètement, par exemple lorsqu’il éprouvait le besoin de disposer en son article 5 qu’elle « n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société ».

Nos pères fondateurs se faisaient donc bien une plus haute idée de la Constitution, et de la Déclaration des droits qui la fonde, que de la loi. Mais ils n’envisageaient pas de confier le contrôle des lois à un juge, quel qu’il fût. Les Parlements de l’Ancien Régime, composés de magistrats, s’étaient en effet opposés par leurs remontrances aux réformes royales — inconcevable alors de les laisser brider la grande transformation enclenchée par la Révolution. La Déclaration de 1789 confia donc, en son préambule, la protection des droits fondamentaux « à tous les Membres du corps social » et, le cas échéant, par son article 2, à « la résistance à l’oppression ». En termes plus modérés, notre première constitution, celle de 1791, s’achève par un appel « à la vigilance des pères de famille, aux épouses et aux mères, à l’affection des jeunes citoyens, au courage de tous les Français ».

La suite de l’Histoire révéla combien cet idéalisme se nourrissait de naïveté. L’idée de garantir le respect de la Constitution subit alors d’autres malheurs. Les Bonaparte, dont les régimes sacrifiaient la liberté à l’autorité, chargèrent un « Sénat conservateur », et plus encore soumis, d’apprécier la constitutionnalité des lois. Du coup, les Républiques qui les remplacèrent se gardèrent bien de reprendre un tel mécanisme.

Cela nous aura pris près d’un siècle. En Autriche, grâce à Hans Kelsen, la suprématie de la Constitution fut reconnue et garantie par une cour constitutionnelle dès 1920. En France, nous ignorâmes longtemps jusqu’à la notion d’État de droit, d’État limité par le droit et ne pouvant agir que dans son cadre. Combien de fois lit-on encore « état de droit », sans majuscule, comme s’il s’agissait d’une situation conjoncturelle et non d’un agencement structurel ! La France ne se souciait guère d’établir et de conforter un État de droit — même si, sans le dire, elle commençait à le faire, notamment grâce à la jurisprudence de moins en moins docile du Conseil d’État. La préoccupation première restait de conforter le pouvoir, dès lors qu’il était républicain.

Cela nous aura pris un demi-siècle. Nos voisins d’outre-Rhin ou transalpins ont instauré des cours constitutionnelles et des recours pour y accéder dès les lendemains de la Seconde Guerre mondiale — ils sortaient du nazisme et du fascisme, et ne lésinaient pas sur les solutions pour se protéger de la dictature ou, tout simplement, de l’arbitraire. En France, à la Libération, un Comité constitutionnel fut créé. Il avait cependant pour seul objet d’inciter les deux chambres à s’accorder pour rendre une loi conforme à la Constitution — et cela, bien entendu, seulement s’il était saisi, ce qui impliquait une action conjointe du président de la République et de celui du Sénat. Il ne le fut donc qu’une seule fois, le 16 juin 1948, sur une pure question de procédure que les deux chambres s’empressèrent de régler. À tout le moins avait-on introduit le début du commencement du mot — en aucun cas la chose.

Cela nous aura pris plus de trente ans. Nos voisins transpyrénéens ont suivi les autres exemples européens dès qu’ils se sont débarrassés du salazarisme ou du franquisme.

Art. 134. – La Cour constitutionnelle juge : des questions relatives à la légitimité constitutionnelle des lois et des actes, ayant force de loi, de l’État et des Régions ; […]

 

Art. 137. – Une loi constitutionnelle fixe les conditions, les formes, les délais dans lesquels des jugements de légitimité constitutionnelle peuvent être proposés, ainsi que les garanties d’indépendance des juges de la Cour.

Une loi ordinaire fixe les autres règles nécessaires à la constitution et au fonctionnement de la Cour. Aucune voie de recours n’est admise contre les décisions de la Cour constitutionnelle.

Loi constitutionnelle no 1 du 9 février 1948

 

Art. 1er. – La question de la constitutionnalité d’une loi ou d’un acte ayant force de loi de la république soulevée d’office ou par une partie au procès, si elle n’est pas écartée par le juge comme manifestement infondée, est transmise à la Cour constitutionnelle.

Art. 277. – Inconstitutionnalité par action

 

1. Les normes qui enfreignent les dispositions de la Constitution ou les principes qui y sont inscrits sont inconstitutionnelles. […]

Art. 280. – Contrôle concret de la constitutionnalité et de la légalité

1. Il est possible d’introduire un recours devant le Tribunal constitutionnel contre les décisions des tribunaux :

a) qui se refusent à appliquer une norme en invoquant son inconstitutionnalité ;

b) qui appliquent une norme dont l’inconstitutionnalité a été invoquée au cours du procès.

 

2. Il est également possible d’introduire un recours devant le Tribunal constitutionnel contre les décisions des tribunaux :

a) qui se refusent à appliquer une norme figurant dans un acte législatif en raison de son illégalité pour violation d’une loi ayant une valeur renforcée ;

b) qui se refusent à appliquer une norme figurant dans un texte régional en raison de son illégalité pour violation du statut de la région autonome ; [modifié 2004]

c) qui se refusent à appliquer une norme figurant dans un texte émanant d’un organe de souveraineté en raison de son illégalité pour violation du statut d’une région autonome ;

d) qui appliquent une norme dont l’illégalité a été invoquée au cours du procès pour un des motifs indiqués aux alinéas a), b) et c).

 

3. Quand la norme dont l’application a été refusée figure dans une convention internationale, dans un acte législatif ou un décret réglementaire, les recours prévus à l’alinéa a) du paragraphe 1er et à l’alinéa a) du paragraphe 2 sont obligatoirement exercés par le ministère public.

 

4. Les recours prévus à l’alinéa b) du paragraphe 1er et à l’alinéa d) du paragraphe 2 ne peuvent être exercés que par la partie qui a invoqué la question de l’inconstitutionnalité ou de l’illégalité. La loi doit définir le régime de la recevabilité de ces recours.

 

5. Il est également possible d’introduire un recours devant le Tribunal constitutionnel contre les décisions des tribunaux qui appliquent une norme déjà jugée inconstitutionnelle ou illégale par le Tribunal constitutionnel. Dans ce cas, le ministère public doit obligatoirement exercer le recours.

 

6. Les recours devant le Tribunal constitutionnel portent exclusivement sur la question de l’inconstitutionnalité ou de l’illégalité, selon les cas.

Art. 281. – Contrôle abstrait de la constitutionnalité et de la légalité

1. Le Tribunal constitutionnel apprécie et déclare avec force obligatoire générale :

a) l’inconstitutionnalité de toute norme ;

b) l’illégalité de toute norme figurant dans un acte législatif, en raison de la violation d’une loi ayant une valeur renforcée ;

c) l’illégalité de toute norme figurant dans un texte régional, en raison de la violation du statut de la région autonome ; [modifié 2004]

d) l’illégalité de toute norme figurant dans un texte qui émane des organes de souveraineté, en raison de la violation des droits d’une région, consacrés dans son statut.

 

2. La déclaration d’inconstitutionnalité ou d’illégalité, avec force obligatoire générale, peut être demandée au Tribunal constitutionnel par les personnes ou organismes suivants :

a) le président de la République ;

b) le président de l’Assemblée de la République ;

c) le premier ministre ;

d) le médiateur

e) le procureur général de la République ;

f) un dixième des députés de l’Assemblée de la République ;

g) les représentants de la République, les Assemblées législatives des régions autonomes, les présidents des Assemblées législatives des régions autonomes, les présidents des gouvernements régionaux ou un dixième des députés des Assemblées législatives des régions autonomes, quand la demande de déclaration d’inconstitutionnalité est fondée sur la violation des droits des régions autonomes ou quand la demande de déclaration d’illégalité se fonde sur la violation de leur statut particulier.

 

3. Le Tribunal constitutionnel examine et déclare également, avec force obligatoire générale, l’inconstitutionnalité ou l’illégalité de toute norme, dès lors qu’il l’aura jugée inconstitutionnelle ou illégale dans trois cas concrets.

Art. 282. – Effets de la déclaration d’inconstitutionnalité ou d’illégalité

 

1. La déclaration d’inconstitutionnalité ou d’illégalité avec force générale obligatoire produit ses effets dès l’entrée en vigueur de la norme déclarée inconstitutionnelle ou illégale et entraîne la remise en vigueur des normes qu’elle aurait éventuellement abrogées.

 

2. S’agissant d’inconstitutionnalité ou d’illégalité par violation d’une norme constitutionnelle ou légale postérieure, la déclaration ne produit ses effets qu’à partir de l’entrée en vigueur de cette dernière.

 

3. Les affaires déjà jugées ne sont pas remises en cause, sauf décision contraire du Tribunal constitutionnel quand la nouvelle norme concernera la matière pénale, disciplinaire ou les actes illicites de simple réglementation sociale et quand son contenu n’est pas défavorable au prévenu.

 

4. Si des raisons de sécurité juridique, d’équité ou d’intérêt public d’importance exceptionnelle, dont le motif sera mentionné, l’exigent, le Tribunal constitutionnel pourra attribuer aux effets de l’inconstitutionnalité ou de l’illégalité une portée plus restrictive qu’il n’est prévu aux paragraphes 1er et 2.

 

Art. 283. – Inconstitutionnalité par omission

 

1. À la demande du président de la République, du médiateur ou, en se fondant sur la violation des droits des régions autonomes, des présidents des Assemblées législatives des régions autonomes, le Tribunal constitutionnel apprécie et constate l’inobservation de la Constitution par omission des mesures législatives nécessaires à l’application de normes constitutionnelles. [modifié 2004]

 

2. Quand le Tribunal constitutionnel constate l’existence d’une inconstitutionnalité par omission, il en donnera connaissance à l’organe législatif compétent.